Ne tuons pas la
fraternité !
7 mobilisations contre l’euthanasie et le suicide assisté
Le 27 mai, Alliance VITA a mobilisé des milliers de personnes à Paris, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Marseille, Dijon et Nice pour mettre en garde contre l’effet domino que produirait la loi fin de vie.
Que se passe-t-il le 27 mai ?
Le projet de loi fin de vie qui vise à légaliser l’euthanasie et le suicide assisté est examiné à partir du 27 mai à l’Assemblée nationale.
Les parlementaires vont examiner un texte qui autorise pour la première fois un acte ayant pour intention de donner la mort (avis du Conseil d’État).
Dans son avis sur le projet de loi fin de vie, le Conseil d’État indique lui-même qu’ « Il met en cause ce principe aussi ancien que fondamental qu’est l’interdit de tuer (article 221 du code pénal) […] ».
Présenté au nom de la “fraternité”, ce texte de loi en est, au contraire, le fossoyeur.
Pourquoi se mobiliser ?
En se rassemblant à Paris et dans 6 grandes villes, les participants ont mis en garde contre l’effet domino que produirait la loi fin de vie sur :
- la prévention du suicide entamée par le suicide assisté,
- les soins palliatifs dénaturés par la prétendue « aide à mourir »,
- les progrès dans la lutte contre la douleur découragés,
- la confiance soignant-soigné ruinée par la levée de l’interdit de tuer,
- la paix sociale minée par les conflits inhérents à la pratique du suicide assistée et de l’euthanasie,
- la protection des plus fragiles mise à mal par l’incitation à leur auto-exclusion.
Légaliser le suicide assisté et l’euthanasie tuerait progressivement la fraternité.
Ami, pendant qu’on fait la loi
Ami, pendant qu'on fait la loi
Ami, pendant qu’on fait la loi.
Qu’ils prétendent « de liberté »
Je veux crier mon désarroi
Pour sauver la fraternité.
Loi fin de vie enjolivée
Des mots piégés d’« aide à mourir »
Mais c’est l’interdit de tuer
Qu’on veut gommer, et sans le dire.
Ne tuons pas la FRATERNITÉ
Qui nous relie aux plus fragiles
Elle édifie la société
Rendant leur vie moins difficile.
Ami, décryptons la menace
Regardons bien ce qu’il en est
Imagine ce qui se passe
S’il est légal d’empoisonner.
Ou bien, ce qui revient au même
De livrer à certains patients
La substance qui les amène
A trépasser en un instant.
Ne tuons pas la FRATERNITÉ
Qui nous relie aux plus fragiles
Elle édifie la société
Rendant leur vie moins difficile.
Ami, prends conscience aujourd’hui
De cette réaction en chaîne
Qu’une loi levant l’interdit
Promet dans les années qui viennent.
Ceux qui la font n’ignorent pas
Qu’un effet domino s’impose
Leurs critères sont des appâts
Leur loi une première dose
Ne tuons pas la FRATERNITÉ
Qui nous relie aux plus fragiles
Elle édifie la société
Rendant leur vie moins difficile
Pourquoi ose-t-on bousculer
La prévention de tout suicide ?
Les plus souffrants désespérés
Sont comme poussés dans le vide
Et puis les soins palliatifs
Seraient vite dénaturés
Par ces cocktails expéditifs
Provoquant la mort sans délai
Quant à la lutte anti-douleur
Qui doit encore progresser
A quoi bon gaspiller des heures
Pour prendre soin et apaiser ?
Ne tuons pas la FRATERNITÉ
Qui nous relie aux plus fragiles
Elle édifie la société
Rendant leur vie moins difficile
Et voilà le lien de confiance
Qui unit soignants et soignés
Fracturé quand une ordonnance
Prescrit comment empoisonner
Pensons aux proches qui se divisent
Quand la mort vient par injection
Leur deuil serait quoi qu’on en dise
Plus lourd dans cette situation
Aucun de nous n’étant une île
La culture nous influence
Gare au message aux plus fragiles
Qui dit : « Ta mort serait ta chance ! »
Ne tuons pas la FRATERNITÉ
Qui nous relie aux plus fragiles
Elle édifie la société
Rendant leur vie moins difficile
Ami, vois la fraternité
Qui glisse à son tour sur la pente
La loi veut s’en revendiquer
Mais elle est sa grande perdante
La fraternité dont les faibles
Ont besoin pour prendre leur place
Veut que l’on respecte une règle :
Aucun n’est digne qu’on l’efface
Voilà pourquoi unis nous sommes
Engagés contre ce projet
Qui, d’un revers de main dégomme
Les murs portant la société.
Écoutez le poème de la mobilisation
Les 4 discours prononcés le 27 mai Place Vauban
Tugdual Derville, porte-parole d'Alliance VITA
Chers amis,
A cette heure-même 6 autres rassemblements se tiennent dans 6 grandes villes de notre pays. Nous sommes ici, non loin de l’Assemblée nationale et aussi à proximité immédiate de l’institution nationale des Invalides, réunis dans la gravité.
Car arrive ce soir, en séance publique, un projet de loi gravissime par son contenu et ses conséquences.
Toxique et néfaste, il l’était déjà quand le président de la République l’a présenté, dissimulé derrière les mots trompeurs « d’aide à mourir » et de « fraternité ». Et nous avons immédiatement dénoncé l’évidente supercherie. Car il s’agissait bel et bien du suicide assisté et de l’euthanasie ; c’est-à-dire de la fourniture à des patients de poison mortel à s’auto-administrer ou à se faire administrer par un tiers, éventuellement même par un proche. Quel basculement !
Depuis 2500 ans et l’antique serment d’Hippocrate, le système de santé est protégé par l’interdit de donner la mort à une personne malade, qui doit être toujours soulagée, sans acharnement thérapeutique, mais jamais tuée. Et voilà qu’on lèverait cet interdit de tuer, clé de voute de la déontologie médicale qui protège le faible du fort, notamment du mortel abus de faiblesse qui consiste à laisser entendre que certaines vies seraient devenues indignes d’être vécues.
Les critères d’éligibilité de la prétendue « aide à mourir » du projet gouvernemental étaient présentés comme stricts, garantis, rassurants. Il n’en est rien. Celui de « pronostic vital engagé à moyen terme » comme celui de « souffrances psychologiques jugées insupportables » ouvraient la voie à toutes les dérives. Car ils sont inopérants, invérifiables… Nous l’avons démontré lors de notre audition à l’Assemblée nationale devant la commission spéciale chargée d’étudier ce texte de loi.
Nul ne pouvait par ailleurs ignorer l’effet domino que l’on observe dans tous les pays qui ont, peu ou prou, légalisé suicide assisté ou euthanasie : les digues qui ne tiennent pas sont des pièges. On commence par forcer la légalisation pour telle ou telle situation présentée comme extrême, savamment orchestrée. Mais il s’agit de faire sauter le verrou. Ensuite, au nom de l’égalité, tout glisse et le cadre disparait. C’est ainsi que dans ces pays, on euthanasie ou suicide des personnes qui n’ont pas de maladie mortelle, mais seulement des souffrances psychiques ou des polypathologies liées à l’âge, tout en délaissant les soins palliatifs.
Voilà ce que promettait ce projet, mais nous n’en sommes plus là. Car cet effet domino a déjà commencé puisque la commission spéciale a lourdement aggravé ce projet avant son arrivée en séance plénière. Nous l’avons constaté lors de notre audition : les députés-militants qui se sont pressés dans cette commission ont pratiquement fait sauter toutes les digues. Nous n’allons pas le détailler. Deux exemples : l’exigence d’un pronostic vital engagé a été supprimée ; et des délais de réflexion sont passés de 2 jours (ce qui était déjà affligeant) à zéro !
Si la loi est votée en l’état, on va pouvoir euthanasier rapidement une personne qui ne souffre en rien d’une maladie mortelle et sans que quiconque puisse l’en protéger, car il n’y a pas de recours possible. Il est même prévu une amende de 15.000 euros et un emprisonnement d’un an pour quiconque prétendrait dissuader quelqu’un de recourir au suicide assisté ou à l’euthanasie. On peut estimer à 40.000 morts par euthanasie chaque année le résultat de ce qu’est devenu ce texte qui se présentait comme minimaliste. Voilà ce que devient la fraternité dont la loi se revendique !
Nous pouvons dire notre colère en entendant Madame Vautrin, ministre de la Santé, se prétendre surprise de ces ajouts, alors que c’est le gouvernement qui a allumé cet incendie qu’il savait incontrôlable.
Voilà le sens de notre alerte et de notre présence aujourd’hui.
Les sept dominos géants que vous avez sous les yeux sont tour à tour déstabilisés, menacés par ce texte de loi, tandis que nous faisons tout pour les sauvegarder.
- Premièrement, la prévention du suicide grande cause nationale qui ne devrait souffrir aucune exception serait entamée si l’Etat organisait des suicides assistés : exclure de cette prévention ceux qui ont le plus besoin d’être protégés du suicide est une discrimination injuste.
- Deuxièmement, les soins palliatifs sont dénaturés et concurrencés par la prétendue « aide à mourir » qui veut faire croire que faire mourir est un soin alors que toute la culture palliative se fonde sur le refus de l’acharnement thérapeutique et de l’administration délibérée de la mort.
- Troisièmement, les progrès dans la lutte contre la douleur sont découragés quand l’injection létale est proposée comme solution, une solution qui risque d’être de facilité, dictée par l’incompétence alors que les centres de lutte contre la douleur sont encore trop peu nombreux et surchargés.
- Quatrièmement, la confiance soignant-soigné est à son tour ruinée par la levée de l’interdit de tuer. C’est le risque de toute-puissance des soignants qui a conduit à formaliser cet interdit dans la relation de soins : peut-on faire confiance à la main qui soigne quand elle peut tuer ?
- Cinquièmement, la paix sociale serait minée par les conflits inhérents à la pratique du suicide assisté et de l’euthanasie, conflits au sein des équipes soignantes et des familles, mobilisation de la justice, sans oublier les incessantes controverses politiques autour des révisions d’une telle loi.
- Sixièmement, la protection des plus fragiles serait mise à mal par une pratique faisant intrusion dans les moments de grande vulnérabilité : elle risque d’inciter les plus faibles à l’auto-exclusion. Comment résister à la pression des proches, des soignants, de la société qui vous juge sans utilité ni valeur ?
- Enfin, septième domino, c’est donc le principe même de fraternité, qui se mesure dans ces six premiers dominos, qui est bousculé. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette loi, qu’elle se prétende de fraternité, alors que c’est la fraternité qu’elle abat.
Nous l’avons dit, cet effet domino est en place. Il commence même. Les amendements votés en commission ne font que confirmer notre alerte.
Ne tuons pas la fraternité ! Tel est notre cri. Tel est l’enjeu de notre mobilisation. Au lieu de saper tous ces fondements de la fraternité, le gouvernement serait mieux inspiré de les renforcer en commençant par prendre soin de notre système de santé si fragile, des personnes âgées dépendantes et finalement de tous ceux qui doutent, du fait de leur isolement, de leur précarité ou de leur dépendance, au point de se demander s’ils ont encore une place dans la société.
Axelle Huber, qui a accompagné son mari dans l’épreuve de la maladie de Charcot.
A 37 ans, mon mari Léonard, et père de nos quatre enfants dont l’aînée n’a que 5 ans, ressent les premiers symptômes d’une maladie diagnostiquée plus tard comme étant une SLA (Sclérose Amyotrophique) plus connue sous le nom de maladie de Charcot.
Maladie qui l’enfermera chaque jour un peu dans son corps qui ne répond plus puisque Léonard garde intactes ses fonctions cognitives et ses sens mais devient progressivement tétraplégique, perd l’usage de la parole, de la déglutition et pour finir de la respiration. Léonard meurt d’une détresse respiratoire suite à cette terrible maladie 4 ans après les premiers symptômes, le 27 novembre 2013, l’aînée de nos quatre enfants n’a que neuf ans.
Il vit sa maladie de façon digne et libre. Il dit qu’il est heureux de vivre. Combattant celle qui le grignote peu à peu, il choisit la vie. Lors de ses rendez-vous médicaux pendant lesquels neurologue et pneumologue font preuve de patience, d’écoute, de disponibilité et d’humanité, il écoute leurs conseils pour préserver ses muscles, trouver cette ligne de crête entre anticiper ce qui peut l’être… et vivre le présent.
Il bénéficie de visites pluridisciplinaires pour une prise en charge optimale. Il entre dans des protocoles de santé, se centre sur l’ici et maintenant, regarde le verre à moitié plein et même mieux se dit « j’ai déjà un verre » et regarde ce qu’il peut encore faire.
Il dit avec beaucoup d’humour « si je ne peux plus marcher je courrai ». Puis, quelques mois plus tard, lorsque la maladie a encore gagné du terrain « si je ne peux plus parler, je chanterai ». C’est sa façon de continuer de courir ce risque du bonheur et de goûter la vie envers et contre tout, jour après jour, petit pas par petit pas ou devrais-je dire mètre par mètre dans son fauteuil.
Malgré l’avancée inexorable de cette maladie, il ose se laisser regarder et se laisser aimer. Acceptant d’être aidé, nourri, lavé, vêtu. Dispensant par son sourire cette dignité gratuite, restaurant les cœurs blessés de le voir si décharné et affaibli.
Il vit aussi sa fin de vie de façon digne et libre. Foncièrement triste et inquiet, dans un premier temps, de devoir laisser sa femme et ses enfants, sa famille et ses amis. Mais certainement pas une peur d’être à charge ou d’être de trop. Et malgré tout dans l’acceptation libre que les derniers instants qui lui restent à vivre sont encore la vie. Dans la conscience qu’il y a encore quelque chose à donner et quelque chose à recevoir. Et malgré tout serein de savoir que l’équipe médicale fait tout pour tenter de le sortir de cette détresse respiratoire avec des gestes de kiné respiratoire et une ventilation non invasive.
Puis, lorsque la fin de vie approche, la neurologue et le pneumologue viennent visiter Léonard et moi-même, nous expliquent dans une grande douceur que les échanges gazeux de Léonard ne sont plus bons et désormais fatals. Il nous invitent à accepter la mort naturelle qui vient.
Ils répondent à la demande de Léonard d’un sédatif pour l’aider à dormir. Juste dormir. Dans cette ligne que Léonard avait réaffirmée du ni acharnement ni euthanasie, nous savons l’un et l’autre que celle-ci n’a aucunement pour but de donner la mort mais uniquement de soulager sa détresse respiratoire. Et ce principe change tout. Le corps médical en entier prend soin de cette personne malade. Des infirmières font sa toilette, elles le lavent, le massent avec une huile alors même qu’il est inconscient. Elles le regardent comme cette personne qu’il n’a pas cessé d’être. Leurs gestes sont empreints de douceur. Elles me disent qu’elles sont heureuses de lui faire du bien, de lui procurer ces gestes réconfortants.
Je trouve cela beau et en même temps, normal. Oui, normal d’accompagner un mourant en donnant de son temps, de ne pas regarder le coût de ces derniers jours à l’hôpital. De considérer Léonard, qui mérite ce temps, cette attention, ce soin, parce qu’il est une personne.
Léonard vit ses derniers instants serein d’être ainsi accompagné par l’équipe médicale, aimé, entouré par ses proches. Tous n’ont pas cette chance.
J’ai vécu moi même sa fin de vie, son agonie dans une grande fatigue tant la charge émotionnelle est intense, dans une grande tristesse et souffrance bien sûr mais aussi dans une paix et même oserai-je dire une joie profonde.
Tristesse et joie à priori ambivalentes mais pourtant bien reliées et présentes. Tristesse devant la séparation et l’absence à venir, inquiétude de l’inconnu, mais aussi joie profonde d’être à ma place, dans l’ici et maintenant, à être là, juste être là, lui caresser sa main, à lui murmurer les mots importants, sans fards ni mise en scène, dans le lâcher prise. De donner et recevoir tant d’amour dans ces derniers instants qui n’auront pas été escamotés. De prendre le temps de parler, d’écouter, d’échanger notre amour dans un tel souffle, par quelques mots, regards et touchers. De regarder Léonard, et non pas l’écran affichant la saturation, dans un temps suspendu.
Cela n’aurait pas été aussi beau et naturel si Léonard avait été euthanasié, – osons employer les mots justes. J’aurai ressenti comme une contradiction de lui dire : je t’aime mais je ne t’aime pas assez pour supporter ces derniers jours, cette « dégradation » encore à venir.
Mes contradicteurs répondront que la loi injustement nommée « aide à mourir » n’enlève rien de ma liberté à choisir d’accompagner mon proche comme je le souhaite. Mais c’est oublier que nous sommes une société, de facto des êtres interdépendants les uns des autres. Et que cette liberté nous oblige les uns les autres. Elle nous OBLIGE !
Avec la légalisation de l’euthanasie en France, le signal que nous envoyons à beaucoup de personnes serait que notre société n’est pas prête à accompagner leurs souffrances ni à les prendre en charge et qu’il vaut mieux les abréger, en les tuant.
Je refuse cette société qui tue au nom de la compassion ou d’intérêt économique. Je vous appelle à la refuser aussi en refusant ce permis de tuer.
Les promoteurs de ce projet de loi prévoyant de « faire mourir » ont-ils conscience de la violence qu’ils nous font quand ils désignent les patients atteints de SLA comme éligibles à cette forme de suicide, plutôt qu’à un accompagnement de qualité auquel on finirait par ne plus croire ?
Je voudrai terminer en vous disant que d’avoir pu vivre ainsi, sans culpabilité, ces derniers instants de Léonard, d’avoir pu ainsi lui dire au revoir, m’aura beaucoup aidée dans mon deuil. Je ne serai pas la même si je n’avais pas vécu cela. Cela m’a fait grandir. M’a permis de mieux goûter la vie et d’être aujourd’hui plus à l’écoute de ceux qui sont dans la peine.
Jean Fontant, médecin en soins palliatifs
J’interviens ce soir en tant que médecin de soins palliatifs. Je suis en contact au quotidien avec des patients atteints de maladies graves et incurables. Je suis très inquiet du projet de loi du gouvernement pour diverses raisons.
Cette loi affectera le fonctionnement des soins palliatifs. Comment maintenir une relation de confiance avec nos patients et leur famille si on peut leur donner la mort ? Notre rôle est de les soigner, de les accompagner. Souvent les patients sont en colère face à une décision d’arrêt des traitements ; il deviendra difficile de lutter contre l’acharnement thérapeutique car ils pourraient croire que l’arrêt des traitements signifie euthanasie.
Si un patient demande une chimiothérapie et que son médecin pense qu’elle est déraisonnable : doit-il quand même la faire connaissant les conséquences négatives pour son patient, juste parce que c’est sa demande ?
De même, si un patient demande à mourir, répondre par l’affirmative signifierait: “oui ta vie n’a plus de prix, elle ne vaut plus la peine d’être vécue, j’arrête de t’accompagner, je jette l’éponge dans ton cas”.
Est-ce que c’est ça la solidarité, la fraternité ?
Actuellement, la loi française est bonne et suffisante. Seulement il y a urgence à la faire connaître à l’heure où les fins de vie sont souvent mal gérées par manque de formation des soignants et donc mal vécues par le personnel et les familles. Il y a aussi urgence à former pour lutter contre l’acharnement thérapeutique dans certains services.
Le plan décennal proposé par le gouvernement est largement insuffisant. 1 français sur 2 qui en aurait besoin n’a pas accès aux soins palliatifs. Ce n’est pas une augmentation du financement de 5% sur 10 ans qu’il faudrait mais de plus de 50%, surtout face au vieillissement de la population.
De plus, on crée un flou en voulant changer les termes : “soins d’accompagnement”. Ce n’est pas en changeant les mots que l’on change la réalité ! Les soins d’accompagnement existent déjà et c’est notre quotidien ! Nous mettons déjà en place via les équipes mobiles un accompagnement précoce des patients et de leur famille, dès le diagnostic de maladie grave.
Il faut arrêter les euphémismes : aide à mourir, ultimes soins, éteindre la lumière… Revenons au réel.
Je demande aux parlementaires de se mettre à notre place de médecin : on nous demande d’entrer dans une chambre, de faire un geste létal, peut-être devant des proches et ensuite la réalité est celle d’un cadavre dont nous aurons aussi à nous occuper ! N’y aura-t-il vraiment pas de conséquences pour les soignants qui sont déjà à bout de souffle ?
Les critères évoqués dans le projet de loi ne sont pas ceux de la réalité de ce que vivent nos patients. Il est impossible de juger de la solidité d’une demande d’aide à mourir d’un patient dans ces circonstances. L’ambivalence est omni présente.
Récemment nous avons accompagné en équipe mobile de SP un monsieur demandant depuis 4 semaines à mourir devant de fortes douleurs et des difficultés respiratoires. Il est rentré chez lui en HAD cette semaine, très heureux et soulagé, et son épouse nous a remerciés. Il avait pourtant tous les critères pour que la loi s’applique : maladie grave, incurable, souffrances réfractaires à nos soins, plus de 2 jours de demande à mourir… et nous l’aurions privé de ces derniers moments en famille !
Le danger est aussi celui de l’épuisement des familles et de la pression mise sur les patients en fin de vie, qui ne sont plus libres d’exprimer leur vrai désir et besoin, culpabilisés d’être un poids pour leurs proches ou pour la société. Combien de fois avons-nous vu des patients mutiques et des familles qui disaient à leur place: “dis-leur que ta vie est insupportable” ou “commande à ton cœur d’arrêter de battre”.
Les soins palliatifs, surtout s’ils sont mis en place précocement, permettent de répondre à leur demande et à la souffrance des familles.
Il y a bien des moments en médecine où nous souhaiterions avoir la possibilité de donner la mort. Pourquoi ? Parce que nous nous sentons souvent impuissants face à la réalité de ce que vivent les patients.
C’est parce qu’il est interdit de donner la mort, parce qu’il nous est interdit de renoncer en somme, que nous sommes obligés de rester inventifs même dans les situations les plus compliquées. C’est pour cela que j’ai choisi ce métier, pour me battre avec et pour mes patients.
Cet interdit de la mort me protège moi, comme il protège mes patients. Tremblez avant de légiférer.
Theo Boer, professeur d’éthique de la santé et membre du Conseil de la Santé des Pays-Bas.
Mesdames et Messieurs,
Les Pays-Bas ont l’expérience la plus longue en matière de l’euthanasie. Depuis quarante ans, les Néerlandais qui souffrent insupportablement peuvent demander à un médecin de mettre fin à leurs jours par l’euthanasie.
En 2005, le gouvernement néerlandais m’a demandé de siéger à un comité qui évalue chaque cas d’euthanasie à la lumière de la loi. A ce moment-là, j’étais convaincu que la légalisation était une réussite. Les chiffres et les raisons étaient alors stables depuis un certain temps.
Mais compte tenu de l’évolution des vingt dernières années, et après avoir passé en revue 4 000 euthanasies, je suis convaincu que une légalisation n’est pas judicieuse.
Que s’est-il passé ces vingt années ?
Premièrement, une augmentation énorme des chiffres, passant de deux mille à dix mille maintenant, et sans aucun signe d’arrêt. Aujourd’hui, 5.4% des Néerlandais meurent par euthanasie, et dans certaines régions, ce chiffre approche les 20%. L’euthanasie passe d’un dernier recours à une option privilégiée.
Deuxièmement, les raisons pour recourir à l’euthanasie se multiplient. Les Néerlandais ont commencé par légaliser l’euthanasie pour les patients en phase terminale. Mais aujourd’hui, environ 20% des maladies concernent des patients qui ne sont pas en phase terminale : démence, psychiatrie, polypathologies liées au vieillissement, handicaps, le décès d’un mari, etc.
Dans ces cas les patients ne craignent pas tant une mort grave, qu’une vie grave.
Comparez également les développements en Belgique et au Canada. Il n’existe aucun pays au monde où les chiffres n’augmentent pas et où les causes ne s’étendent pas.
Mesdames et messieurs, les Pays-Bas sont considérés comme l’un des pays les plus riches et les plus égalitaires du monde, avec l’un des meilleurs systèmes de soins de santé et l’un des plus accessibles et avec le meilleur système d’évaluation au monde. Si les Néerlandais ne parviennent pas à limiter les chiffres et les critères, qu’en est-il dans les pays moins bien équipés, et où la culture de l’évaluation fonctionne moins bien ? Je pense que l’on peut affirmer avec certitude que lorsque la France légalisera l’euthanasie, dans vingt ans, votre pays ressemblera exactement aux Pays-Bas aujourd’hui.
Il y a des Français qui prétendent ne pas se soucier de l’évolution des Pays-Bas, parce que les Pays-Bas ne sont pas la France. Ces gens sont coupables d’une forme de tromperie pas beaucoup plus intelligente que ceux qui nient que le réchauffement de la planète est dû à l’homme.
Les partisans de l’euthanasie font l’autruche. Peut-être une fois que les chiffres auront augmenté, ils diront : si tant de gens veulent l’euthanasie, c’est bien d’avoir cette option, n’est-ce pas ? Mais c’est précisément là que réside le problème. Lorsque nous parlons d’euthanasie, nous ne parlons pas seulement de liberté, mais aussi de tendances sociales contre lesquelles les gens ont peu de défense. Tout comme notre comportement d’achat et la façon dont nous nous habillons, la façon dont nous abordons la fin de vie fait également partie d’une normalité sociale.
Ce que nous constatons aux Pays-Bas, c’est que la liberté des uns ne devienne bientôt la contrainte des autres.
Comparez l’euthanasie avec l’aviation. La possibilité de prendre l’avion a eu un impact indéniable sur nos amitiés, nos habitudes de voyage, notre économie, notre éducation, etc., même pour ceux qui ne prennent pas l’avion.
Dans le même ordre d’idées, l’euthanasie a un impact bien plus important que sur les dix milles de Néerlandais qui meurent après avoir été euthanasiés. Le regard que nous portons tous sur le vieillissement, la fragilité, la dépendance aux soins et la notion même d’humanité a changé et est érodée.
Même les personnes qui meurent de mort naturelle se posent la question du choix de l’euthanasie en raison de la possibilité d’y avoir recours. C’est l’embarras du choix : « Pourquoi continuer à souffrir de cette manière inhumaine ? Nous avons une solution pour cela de nos jours, n’est-ce pas ? »
L’implication des médecins ici ne peut guère être surestimée. Comme pour d’autres actes médicaux, on peut supposer qu’un médecin qui pratique l’euthanasie est convaincu de la nécessité de cette intervention. Il envoie ainsi un signal indiquant que, pour cette personne, le docteur considère effectivement que la mort est préférable à la poursuite de la vie.
Cela se produit dans les relations individuelles entre le médecin et le patient, mais aussi au niveau social. Les patients demandent l’euthanasie pour les maladies A, B ou C, les médecins accordent l’euthanasie pour les maladies A, B ou C, des documentaires émouvants sont diffusés à la télévision, et cela attire de nouveaux patients. L’offre crée la demande.
La dernière tendance est l’euthanasie pour les couples. L’association néerlandaise pour l’euthanasie a fait l’éloge de cette forme de mort en la qualifiant de belle : « Si vous partez ensemble, main dans la main, aucun des deux partenaires n’a à s’affliger ». Mais le message peu charitable est aussi le suivant : continuer à vivre comme une veuve est une forme de souffrance insupportable pour laquelle notre société n’a pas de solution. C’est ce que j’appellerais une spirale descendante de désespoir.
Le mot néerlandais pour société est « samenleving », littéralement vivre ensemble. Ce beau mot symbolise ce que devrait être une société : s’entraider pour vivre ensemble. Presque tout le monde devra faire face à une certaine misère dans sa vie. Non, nous ne sommes pas appelés à rechercher la souffrance. Mais les souffrances qui ne peuvent être soulagées par tous nos bons soins doivent être supportées ensemble. C’est ce que signifie le mot « société ». Ce que nous constatons aujourd’hui, c’est une incapacité à faire face aux aspects sombres de la vie humaine.
Mesdames et messieurs, je ne suis pas par principe opposé à l’administration de la mort. Et je comprends aussi très bien une demande d’euthanasie. Mais je pense qu’il existe des preuves irréfutables que la légalisation de l’euthanasie n’est pas la solution. Elle met en mouvement une dynamique qui change toute notre société.
Que personne ne dise donc que l’euthanasie légale est une simple question de liberté individuelle : elle envoie un message selon lequel il vaut mieux que certaines personnes cessent d’exister. Le cynisme de cette liberté ne peut être sous-estimé.
Je vous remercie.
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