Allemagne : décision controversée sur le suicide assisté

Allemagne : décision controversée sur le suicide assisté

suicideassisteallemagne

La Cour constitutionnelle allemande a déclaré inconstitutionnelle, jeudi 27 février 2020, une loi datant de 2015, qui interdit le suicide « organisé » par des médecins ou associations.

En 2015, le Bundestag (Parlement allemand) a légiféré pour interdire l’organisation commerciale du suicide assisté, avec un projet de loi présenté par le CDU (parti de la chancelière Angela Merkel).

L’assistance au suicide n’est pas illégale si elle reste « passive » (par exemple se procurer les médicaments pour celui qui veut en finir, ou l’accompagner en Suisse auprès d’organismes spécialisés). Cette pratique demeure cependant proscrite par le code de déontologie médical et a conduit à la radiation des médecins qui la pratiquaient dans certains länder. La zone grise législative (ni interdit ni explicitement autorisé) aurait pu permettre le développement d’activités rétribuées, du type de ce qui se pratique en Suisse. Les parlementaires ont finalement adopté une loi interdisant le suicide assisté « commercial ».

Le droit pénal allemand, en son article 217, prévoyait que quiconque promouvait le suicide assisté ou aidait quelqu’un à y avoir recours était passible d’une peine d’emprisonnement et d’une amende. Cependant, étaient exclus de cette situation les proches et les personnes n’agissant pas dans un but commercial (l’ambiguïté des termes employés permettait aussi d’inclure toutes les personnes n’agissant pas à répétition).

Une première jurisprudence émise en 2017 par la Cour administrative de Leipzig, plus haute juridiction administrative d’Allemagne, avait déjà remis en cause cette loi, dans le cas « Koch c. Allemagne », qui remonte à 2005 et qui avait été porté devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

En 2004, Mme Koch, tétraplégique, avait demandé, sans succès, l’autorisation à l’Institut fédéral des médicaments d’obtenir les substances nécessaires pour pouvoir se suicider. Face à ce refus, elle et son époux ont formé un recours administratif dont ils furent déboutés. Ils se rendirent finalement en Suisse en 2005 pour que la femme puisse avoir recours à une assistance au suicide. Par la suite, M. Koch introduisit une action en vue d’obtenir une déclaration d’illégalité des décisions de l’Institut fédéral, action que le tribunal administratif, la Cour d’appel et la Cour constitutionnelle fédérale déclarèrent irrecevable.

Le requérant soutenait, en particulier, que le refus des juridictions allemandes d’examiner au fond son grief avait porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale – article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme -. Il était bien question en l’occurrence d’une atteinte portée à ses droits, en tant qu’époux et soignant, et non pas à ceux de sa femme. La Cour européenne des droits de l’Homme, au vu du lien matrimonial existant entre la femme et le requérant, donna raison à ce dernier, mais déclara également qu’il revenait aux juridictions allemandes d’examiner le fond de sa demande.

Pour Maître Pierre-Olivier Koubi-Flotte, Docteur en droit et avocat au barreau de Marseille, la décision de la CEDH est « contestable » et fait preuve d’un « manque de cohérence particulièrement surprenant. » Ce, d’autant plus qu’elle reconnaît que les Etats disposent d’une large marge d’appréciation pour décider si la pratique du suicide assisté doit ou non être autorisée dans leurs législations internes respectives.

Avant comme après cette décision, l’Etat allemand demeurait libre d’autoriser ou pas la délivrance par ses agences fédérales de produits létaux aux personnes souhaitant « se suicider ».

Puis, les juges de la Cour administrative de Leipzig émirent une jurisprudence précisant que « dans des cas exceptionnels, l’Etat ne peut empêcher l’accès d’un patient à des produits anesthésiques qui lui permettraient de se suicider de manière digne et sans douleur. » Malgré cela, toutes les demandes de suicides assistés adressées par la suite ont été rejetées par l’Institut fédéral des médicaments, sur demande ministérielle.

Récemment donc, la Cour constitutionnelle allemande a été saisie par des médecins, des patients, et des associations allemandes et suisses d’aide au suicide sur ce sujet. L’article 217 du code pénal, cité plus haut, a été déclaré inconstitutionnel, nul et non avenu, car il « vide de facto largement la possibilité du suicide assisté ». Selon les juges, cet article violerait les articles 1 et 2 de la Loi fondamentale allemande, qui disposent que « Chacun a droit au libre épanouissement de sa personnalité pourvu qu’il ne viole pas les droits d’autrui ni n’enfreigne l’ordre constitutionnel ou la loi morale » et « chacun a droit à la vie et à l’intégrité physique. La liberté de la personne est inviolable. Des atteintes ne peuvent être apportées à ces droits qu’en vertu d’une loi. »

Selon l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle allemande : « le droit général au libre épanouissement et à la dignité de l’être humain comprend le droit à une mort auto-déterminée. » Cette interprétation de la dignité, qui légitime le suicide, fait froid dans le dos. L’arrêt de la Cour précise cependant que « le législateur n’est pas empêché de réglementer l’aide au suicide. Mais toute législation sur ce sujet doit respecter l’être humain comme être (…) capable de poursuivre et d’exercer sa liberté d’autodétermination. » En revanche, il ne serait pas possible d’interdire le suicide sur certains critères, comme « le diagnostic d’une maladie incurable. »

Comme le souligne l’Institut européen de bioéthique, dans une analyse pertinente de cette décision : « L’Allemagne deviendrait ainsi le premier pays à organiser l’aide au suicide de manière inconditionnelle (…) En considérant que le principe de dignité humaine nécessite de privilégier l’autonomie de la personne par rapport au droit à la vie (pourtant l’un et l’autre inscrits dans la Loi fondamentale allemande), la Cour constitutionnelle laisse une marge de manœuvre extrêmement étroite au législateur allemand : celui-ci est en effet désormais tenu de mettre en place un système donnant les moyens à chacun de se suicider.».

En 2015, le Président de l’ordre des médecins allemands Frank Ulrich Montgomery s’était déclaré opposé à la légalisation de tels actes. « En tant que médecins, nous devons être clairs sur le fait que nous allons au chevet des patients en tant qu’assistants, en tant que guérisseurs et non en tant que tueurs », avait-il affirmé.

La Fondation allemande de soins palliatifs a également été déçue. « Désormais, rendre le suicide plus facile pour les malades et les fatigués de la vie devient un service normal » a-t-elle commenté. Thomas Sitte, médecin spécialiste des soins palliatifs à Fulda, a déclaré : « l’expérience de tous les autres pays montre que l’offre crée la demande. La Fondation continuera de lutter contre le courant dominant afin qu’à un moment donné, tout le monde puisse savoir qu’il est possible de soulager les souffrances sans tuer. »

Coeur artificiel Carmat : nouvel essai clinique en France

Coeur artificiel Carmat : nouvel essai clinique en France

coeurartificiel

La société française Carmat a annoncé, il y a quelques jours, qu’elle était autorisée à reprendre les essais cliniques sur son coeur artificiel.

En France, les essais cliniques sur la prothèse avaient été suspendus à la suite du décès d’un patient. Sept ans après les premières tentatives, la société Carmat vient donc d’obtenir le feu vert pour de nouveaux essais cliniques de son coeur artificiel sur des patients en France.

En effet, la Haute Autorité de Santé (HAS) et l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) ont déclaré que le dispositif Carmat était éligible au programme “Forfait Innovation” dont l’objectif est de faciliter l’étude puis la commercialisation de dispositifs médicaux innovants. La HAS estime que “le cœur Carmat répond aux critères d’innovation grâce à l’utilisation de matériaux biologiques en contact avec le sang, à sa capacité d’autorégulation et aux équipements externes plus légers et plus silencieux“.

Le Directeur général de Carmat, Stéphane Piat a déclaré « Nous nous réjouissons de cet avis positif de la HAS qui démontre un réel besoin pour une prise en charge plus efficace et plus sûre des patients souffrant d’insuffisance cardiaque en France. Après l’approbation récente de la FDA pour lancer une étude de faisabilité de notre dispositif aux États-Unis, il s’agit d’une nouvelle étape importante de notre projet pour mettre rapidement notre technologie à disposition des patients éligibles à une transplantation cardiaque. »

Parallèlement, la société Carmat avait annoncé, le 5 février dernier, avoir reçu l’approbation de la FDA (Food & Drug Administration) pour le lancement, aux Etats-Unis, d’un essai clinique de son coeur artificiel sur 10 patients. Outre Atlantique, Carmat a déjà obtenu l’approbation conditionnelle de deux comités d’éthique américains, affirme l’entreprise.

Le développement d’un tel dispositif pourrait contribuer à l’augmentation de l’espérance de vie des patients atteints d’insuffisance cardiaque sévère en attente de greffon, à un moment où il y a une forte pénurie de coeurs disponibles pour des transplantations.

Belgique : une loi pour l’élargissement de l’accès à l’euthanasie

Belgique : une loi pour l’élargissement de l’accès à l’euthanasie

euthanasie belgique 1

Une proposition de loi, introduite en octobre dernier en Belgique, prévoit un élargissement des conditions d’accès à l’euthanasie.

Trois mesures phares sont contenues dans cette révision, sur lesquelles le Conseil d’Etat a exprimé des réserves.

  1. La modification de la durée de validité des déclarations anticipées d’euthanasie qui passerait de cinq ans à une durée illimitée. Selon le Conseil d’Etat, une telle mesure « inverse la logique du système », en favorisant l’autodétermination de la personne au détriment de sa vie.
  2. L’obligation pour un médecin refusant de pratiquer l’euthanasie de renvoyer son patient vers un autre médecin susceptible d’accepter. Selon le Conseil d’Etat, une telle obligation « porte atteinte à la liberté de conscience du médecin concerné […] en ce qu’il est obligé de faciliter la pratique de l’euthanasie ».
  3. L’interdiction pour un établissement de conclure des clauses avec ses médecins qui interdiraient de pratiquer des euthanasies en leur sein. Le Conseil d’Etat a déclaré que cette mesure constituait une « limitation de la liberté de conscience et de religion, de la liberté philosophique ainsi que de la liberté d’association de ceux qui créent de tels établissements de soins », sans la remettre en cause.

Comme le souligne l’Institut européen de bioéthique qui a publié une analyse critique de ces mesures « s’installe alors progressivement un véritable droit individuel à obtenir l’euthanasie, opposable à toute communauté de soignants, dont l’exercice de la liberté de conscience serait rendu impossible en pratique. »

La proposition de loi a été approuvée en commission Santé mardi 18 février. La discussion devrait se tenir en séance plénière dans les semaines à venir.

Pour rappel, la Belgique a dépénalisé l’euthanasie en 2002.

Des soignants belges (professeurs d’Université, infirmiers, éthiciens) ont publié en 2019, Euthanasie, l’envers du décor, qui montre clairement les conséquences de l’euthanasie sur la pratique du soin : la loi a été modifiée à plusieurs reprises et le nombre d’euthanasies ne cesse de croître. L’ouvrage est en cours de traduction en anglais et en espagnol.

Euthanasie au Portugal : vers un passage en force ?

Euthanasie au Portugal : vers un passage en force ?

euthanasie portugal

 

Le Parlement portugais a adopté, le jeudi 20 février 2020, cinq propositions de loi sur l’euthanasie émanant de plusieurs partis de gauche. Elles ont été adoptées en première lecture et devraient être réunies en un seul texte pour continuer l’examen.

Ces cinq textes, avec des variantes, ont été déposés par le parti Socialiste, le Bloc de Gauche (extrême gauche), le parti animalier PAN, les Verts et le parti Iniciative Liberale.

Une tentative semblable avait échoué en mai 2018. Un sondage publié quelques jours avant le vote révélait qu’une minorité de la population portugaise était favorable à l’euthanasie (seulement 7%). 89% des personnes interrogées affichent une préférence pour les soins palliatifs et l’accompagnement en cas de maladie grave.

La composition du Parlement a été modifiée à la suite des élections législatives d’octobre 2019 pour lesquelles le taux d’abstention a connu des records (51,43%). La majorité parlementaire est actuellement à gauche et le parti socialiste a été renforcé : le PS a mis cette question à nouveau à l’ordre du jour.

Des groupes de la société civile opposés à la loi ont manifesté devant le parlement pour dénoncer ce passage en force. C’est en effet la première mesure législative de ce parlement, alors que le parti socialiste, vainqueur des élections, n’avait pas mis l’euthanasie dans son programme, ce qui aurait pu modifier le résultat des dernières élections, tant les acteurs de la société y sont opposés.

Ce débat intervient alors que le système de santé portugais s’est dégradé ces dernières années et que les soins palliatifs sont peu développés. Plusieurs instances s’opposent à cette loi et plaident pour un meilleur accompagnement en fin de vie et une véritable politique de développement des soins palliatifs: le Conseil national de l’éthique pour les sciences de la vie avait donné un avis négatif à la dépénalisation de l’euthanasie. Les ordres des médecins et des infirmiers, des psychologues et des juristes y sont également opposés. Ces derniers jours, les plus grands hôpitaux privés, ainsi que les « Misericordies » – la plus grande institution de réseaux de soins continus (soins de proximité pour des personnes dépendantes) – ont déclaré refuser de pratiquer l’euthanasie.

Plan national de soins palliatifs : l’IGAS fait un bilan critique du plan 2015-2018

Plan national de soins palliatifs : l’IGAS fait un bilan critique du plan 2015-2018

soins palliatifs

 

Le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) d’évaluation du « plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie » a été rendu public le mercredi 12 février 2020. L’IGAS dresse un bilan mitigé de ce quatrième plan national des soins palliatifs et met en avant un impact « modeste » notamment dû à sa « construction imparfaite ».

Alors qu’il est daté de juillet 2019, le retard de sa publication interroge : « Pourquoi a-t-on perdu tant de temps ? Le prochain plan va démarrer avec au moins deux ans de retard, faute de moyens ou de volonté politique. Quel gâchis ! » a réagi le Dr Anne de la Tour, ancienne présidente de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs.

Pour rappel, ce plan évalué par l’IGAS avait été lancé en décembre 2015, sous la présidence de François Hollande. Destiné à être appliqué de 2016 à 2018, il disposait d’un budget de 190 millions d’euros. Ce plan a été mis en place tardivement, trois ans après le plan 2008-2012 qui avait permis une progression notable. Ce retard, ainsi que la forte disparité régionale de l’accès aux soins palliatifs, avaient été dénoncés dans un rapport de la Cour des comptes en février 2015.

Quatre principaux axes d’action avaient été définis :

  • informer le patient sur ses droits et le placer au cœur des décisions qui le concernent,
  • accroître les compétences des professionnels et des acteurs concernés,
  • développer les prises en charge au domicile,
  • et réduire les inégalités d’accès aux soins palliatifs.

Le bilan réalisé au terme de l’évaluation menée par l’IGAS est très critique. Mis à part le deuxième axe concernant la recherche en soins palliatifs, qui a été mis en place de façon satisfaisante, les trois autres axes n’ont été mis en œuvre que partiellement. « L’impact concret et spécifique du plan pour les acteurs de terrain et les bénéficiaires apparaît modeste » soulignent les rapporteurs. L’offre de soins palliatifs n’a que peu progressé. Entre 2015 et 2018, le nombre de lits en unités de soins palliatifs est passé de 1562 à 1776, le nombre de lits identifiés soins palliatifs est passé de 5072 à 5479 et le nombre d’équipes mobiles en soins palliatifs est passé de 379 à 385. Autre élément inquiétant soulevé : « le déficit en personnels spécialisés en soins palliatifs persiste, voire s’aggrave. »

Par ailleurs, « le Centre national [des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV)] n’est pas parvenu à ce jour à s’imposer comme un acteur de référence ; il connaît des problèmes récurrents de gouvernance et, malgré des réalisations notables, il a rempli ses missions statutaires de manière inégale. » Un rapport de ce centre sur l’application de la loi fin de vie de 2016 daté de novembre 2018 a fait l’objet de vives controverses, tant son approche était biaisée.

En conséquence, l’IGAS recommande trois préconisations principales. D’abord, la mise en place d’un nouveau plan triennal pour la période 2020-2022, qu’il aurait voulu voir prendre effet dès janvier 2020. Ensuite, le lancement d’une nouvelle réflexion de fond stratégique pour repenser les futurs plans : « la mise en œuvre de plusieurs orientations clés des quatre plans successifs […] semble avoir buté sur des obstacles structurels et récurrents qui appellent des solutions renouvelées. » Enfin, le renouvellement du CNSPFV, et notamment de sa gouvernance.

Les rapporteurs mettent en avant quatre objectifs que le nouveau plan triennal devra remplir :

  • changer la perception de la période de fin de vie et de la mort en France,
  • améliorer la qualité des soins palliatifs et de la fin de vie,
  • soutenir l’innovation organisationnelle,
  • et faire progresser la culture palliative.

Plus concrètement, le nouveau plan devrait permettre d’ « atteindre la cible d’au moins un lit d’unité de soins palliatifs (USP) pour 100 000 habitants et d’au moins une USP par département en 2022, créer des dispositifs de permanence territoriale téléphonique en soins palliatifs, conventionner les établissements sociaux et médico-sociaux avec des structures de soins palliatifs, développer des lieux de répit, et poursuivre le développement de projets de télémédecine dans le champ des soins palliatifs. »

Pour Alliance VITA, ce rapport met en lumière des dysfonctionnements et le manque de volonté politique observé ces dernières années. Il est urgent de mettre en place un nouveau plan afin que l’offre de soins palliatifs progresse véritablement et qu’ils soient mieux insérés dans l’organisation globale des soins.