Nouvelle autorisation de prescription du Rivotril®

Nouvelle autorisation de prescription du Rivotril®

injection

Le Rivotril® (clonazepam) de nouveau autorisé avec « Prescription hors-AMM exceptionnelle » par tout médecin

Le Journal Officiel du 27 mai 2020 publie un nouvel arrêté complétant l’arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé, nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Le texte autorise de nouveau, « en cas de difficulté d’approvisionnement en midazolam, les spécialités pharmaceutiques à base de clonazepam [ex : Rivotril®] qui peuvent faire l’objet d’une prescription en dehors du cadre de leurs autorisations de mise sur le marché par tout médecin, même non spécialiste, jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire pour la prise en charge médicamenteuse des situations d’anxiolyse et de sédation pour les pratiques palliatives, dans le respect des recommandations de la Haute autorité de santé. »

Alliance VITA rappelait, dans son analyse du 3 avril 2020, les conditions qui devaient être réunies pour encadrer la prescription du Rivotril® hors AMM (autorisation de mise sur le marché) par des médecins libéraux ou exerçant en établissements médico-sociaux, dans des situations exceptionnelles, pour soulager des patients, trop fragiles pour supporter la réanimation, atteints de Covid-19, confrontés à une détresse respiratoire aiguë et en situation asphyxique.

Pourquoi cette nouvelle autorisation après l’abrogation le 12 mai 2020 de la dérogation exceptionnelle de dispensation du Rivotril® « hors AMM dans le cadre du Covid-19 » ?

En raison des difficultés d’approvisionnement, un nouveau système d’achat et d’approvisionnement des établissements de santé pour certains médicaments, dont le midazolam, a été mis en place depuis le 27 avril 2020.

Le décret 2020-548 précise que l’achat de ces médicaments est assuré par l’Etat ou, pour son compte, par Santé publique France. « La répartition de l’ensemble des stocks entre établissements de santé est assurée par le ministre chargé de la santé sur proposition de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé qui tient compte, pour chaque établissement, de l’état de ses stocks, du niveau d’activité, notamment en réanimation, ainsi que des propositions d’allocation des agences régionales de santé ».

L’arrêté du 26 mai, autorisant tout médecin à porter sur l’ordonnance la mention : « Prescription hors-AMM exceptionnelle » pour une délivrance de clonazepam en pharmacie d’officine, entre dans la logique de la démarche de la Haute Autorité de Santé qui, dans son communiqué du 10 février 2020, alors décrypté par Alliance VITA, demandait aux pouvoirs publics de rendre le midazolam, actuellement disponible uniquement en milieu hospitalier, accessible aux médecins généralistes libéraux qui prennent en charge des patients en fin de vie à leur domicile.

Le clonazepam (Rivotril®) est une alternative au midazolam en actuelle pénurie, puisque ce sont deux molécules faisant partie de la classe des benzodiazépines, même si la demi-vie du midazolam est beaucoup plus courte. Ces molécules ont un effet anxiolytique et elles permettent d’apaiser un malade en fin de vie lorsque le traitement curatif n’est plus possible. Leur utilisation à visée palliative est encadrée par les recommandations de la Haute Autorité de Santé actualisées en janvier 2020. Plusieurs critères indispensables sont rappelés par la HAS pour accompagner les patients en fin de vie par une sédation « qu’elle soit proportionnée, profonde, transitoire ou maintenue jusqu’au décès ».

  • La sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès peut être envisagée en cas de douleur réfractaire ou insupportable si le décès est attendu dans les quelques heures ou quelques jours qui viennent. Dans les autres cas, une sédation réversible de profondeur proportionnée à l’intensité des symptômes est discutée avec le patient.
  • Les évaluations sont pluri-professionnelles ; l’équipe prenant en charge le patient peut s’appuyer sur une équipe de soins palliatifs, y compris par téléphone lorsque le patient est à domicile ou en EHPAD.
  • La procédure collégiale obligatoire concerne tous les professionnels impliqués dans la prise en charge du patient et dans la mise en œuvre de la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès.

Si cette nouvelle autorisation permet, jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, l’accès plus facile du clonazepam à tous les médecins pour son effet anxiolytique, elle ouvre aussi des possibilités de sédation pour un meilleur accompagnement de la fin de vie des patients. Il reste important, comme le recommande la HAS, de s’assurer de donner aux médecins les moyens d’une formation à l’accompagnement palliatif et la possibilité de liens avec des équipes mobiles de soins palliatifs pour garantir les évaluations pluri-professionnelles et la collégialité.

« Ségur de la santé » : ne pas passer à côté des véritables enjeux

« Ségur de la santé » : ne pas passer à côté des véritables enjeux

soignants

Le Gouvernement a annoncé, le 25 mai dernier, un « Ségur de la santé » dont l’objectif est de délivrer plusieurs enveloppes financières dans le secteur hospitalier et de réorganiser le temps de travail des soignants et la gestion des hôpitaux ainsi que leur désendettement.

Les négociations se dérouleront jusqu’en juillet. Plusieurs mesures avaient déjà été annoncées pour ce secteur en grande difficulté quelques mois auparavant.

Environ 300 personnes se réuniront, notamment des représentants d’EHPAD, d’hôpitaux, des médecins de ville et d’autres établissements médicaux sociaux.

Le premier ministre a ajouté « Une partie de ce programme doit être dédiée aux investissements au niveau des territoires, pour accélérer les coopérations entre la ville, l’hôpital, le médico-social et entre le public et le privé ».

Le personnel soignant a été en première ligne face à la crise du coronavirus. Les soignants sont confrontés à une activité extrêmement intense avec un salaire peu adapté, depuis plusieurs années, bien avant la pandémie.

Plusieurs initiatives solidaires ont fleuri durant cette crise afin de leur venir en aide, comme par exemple mettre à disposition son logement pour des soignants, participer à la préparation de leurs repas, à la garde de leurs enfants, faire leurs courses, etc.

Les problèmes de notre système de santé sont bien antérieurs à la crise sanitaire du coronavirus qui n’a fait que les mettre en exergue. L’enjeu est de traiter les problèmes en profondeur, à la racine, pour décider des orientations budgétaires appropriées. Il est en effet essentiel d’aborder tous les sujets-clés, notamment celui du vieillissement de la population. Un atout : la pandémie a montré l’attachement des citoyens français à leurs aînés confinés et isolés dans des établissements loin de leurs proches.

Coronavirus : abrogation de la dérogation d’utilisation du Rivotril® hors AMM

Coronavirus : abrogation de la dérogation d’utilisation du Rivotril® hors AMM

rivotril

Le décret, publié le 29 mars 2020 au Journal Officiel, autorisant la dispensation du Rivotril ® « hors AMM dans le cadre du Covid-19 » a été abrogé le 12 mai 2020 (par décret n°2020-548 du 11 mai 2020 – Art.28).

L’objectif de cette dérogation exceptionnelle d’abord pour la durée initiale de confinement jusqu’au 15 avril, puis prolongée jusqu’au 11 mai, était de donner les moyens pour soulager des patients, trop fragiles pour supporter la réanimation​, atteints de Covid-19, confrontés à une détresse respiratoire aiguë et en situation asphyxique. Dans le contexte d’épidémie, c’est la pénurie des produits affectés à la sédation qui a provoqué cette dérogation.

Alliance VITA rappelait, dans son analyse du 3 avril 2020, que si la prescription du Rivotril® hors AMM s’avérait parfois nécessaire et autorisée dans des situations exceptionnelles pour des patients atteints du coronavirus, plusieurs conditions devaient être réunies pour encadrer son utilisation par des médecins libéraux ou exerçant en établissements médico-sociaux :

  • la recherche de l’intérêt du patient (phase curative préalable à la phase palliative) ;
  • le respect de sa volonté ;
  • une formation des soignants adaptée ;
  • une collégialité minimale tracée ;
  • l’importance de l’accompagnement des patients et de leur famille ;
  • l’accompagnement et le soutien de l’équipe de soins.

Ainsi le prescripteur du Rivotril® devrait toujours avoir pour intention de soulager le patient et jamais d’abréger sa vie. L’abrogation, le 12 mai 2020, de la dérogation exceptionnelle de prescription du Rivotril® hors AMM (autorisation de mise sur le marché) est un signe rassurant et un indicateur de l’actuelle prise en charge possible par les services hospitaliers des patients atteints du Covid-19.

Accompagnement fin de vie en temps de coronavirus

Accompagnement fin de vie en temps de coronavirus

coronavirus findevie

La crise sanitaire liée au coronavirus peut-elle changer notre rapport à l’accompagnement des personnes en fin de vie et à la mort ?

La pandémie du COVID-19 est révélatrice de l’importance d’une réelle réflexion sur la relation aux mourants, tout spécialement dans le cadre institutionnel et hospitalier.

Comme le soulignent plusieurs représentants des sciences humaines et cliniciens, nous prenons soudainement conscience de l’ordre habituel et « invisible » sur lequel nous faisons reposer nos vies en temps de sécurité sanitaire (liens familiaux, sociaux, rites funéraires…). Ce qui nous était devenu familier et implicite prend toute son importance au moment où la crise et les mesures sanitaires nous le retirent. Ainsi l’épidémie prive les familles de la possibilité d’approcher librement leurs proches en fin de vie, et c’est aux médecins et aux soignants qu’est confié ce rôle supplémentaire d’accompagner la solitude des derniers instants, malgré les équipements de protection (masques… ) qui entravent le lien soignant-soigné.

Dans les siècles passés, il y avait une « familiarité domestique » avec les mourants car la “bonne mort” se passait à domicile et obéissait à un rituel coutumier, religieux, familial. Aujourd’hui 80 % des décès surviennent en institution: établissements médico-sociaux et hôpitaux. L’accompagnement des derniers instants est donc très souvent délégué aux professionnels de la santé. Cette médicalisation de la fin de vie montre à quel point la mort nous est devenue étrangère.

Marie de Hennezel, psychologue, décrit trois conséquences du déni de la mort dans une tribune récente :

Au niveau individuel, le déni de la mort appauvrit nos vies :

  • Il entretient l’illusion de la toute-puissance scientifique et technologique qui pourrait un jour avoir raison de la mort.
  • Il est responsable d’une perte d’humanité, car il conduit à ignorer tout ce qui relève de la vulnérabilité.

Une angoisse collective face à notre condition d’être humain vulnérable et mortel vient de ce que la mort est cachée dans notre société contemporaine.

Alors que la crise sanitaire a fait de la mort un sujet omniprésent, est-ce que cela permettrait de mettre fin à un tabou ? Ce n’est pas l’avis de Damien Le Guay, président du comité national d’éthique du funéraire, qui regrette que les morts ne soient évoqués que sous la forme d’un décompte anonyme: « Toute l’actualité tourne autour des morts sans nom du COVID-19 mais nous ne nous donnons pas les moyens de les accompagner, eux et leurs familles, dans un hommage national ».

Il évoque l’obsession du virus qui occulte les « exigences anthropologiques de la mort »: nécessité de rendre hommage à la personne disparue, se retrouver autour d’elle au travers de rites qui aident à surmonter l’insoutenable.

Ainsi, l’épidémie du COVID-19 rappelle simultanément les espoirs placés dans la technologie (réanimation…) et l’importance des relations humaines dans l’accompagnement du mourant et dans le deuil : deux aspects nécessaires pour la formation des soignants. Un bon accompagnement du deuil permet d’éviter des dépressions, des envies suicidaires… et d’aider à retrouver peu à peu le goût des choses simples de la vie, de la contemplation de la nature, de la solidarité humaine.

C’est pour y contribuer que, dans ce contexte inédit, des écoutants du service SOS Fin de vie participent à la plate-forme d’écoute « Mieux traverser le deuil » pour venir en aide 24h/24 aux personnes endeuillées.

 

 

Le suicide assisté en Suisse

Le suicide assisté en Suisse

suicide assiste suisse

 

 

 

I – LA SYNTHÈSE

 

Le suicide assisté en Suisse est permis 

Depuis 1937, le Code pénal suisse dispose en son article 115 : « Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire. » A contrario, il tolère l’aide au suicide si le mobile égoïste de l’assistant n’est pas établi.

Les conditions d’accès sont très souples

Cette législation a permis le développement d’un droit très flexible. Juridiquement, seules trois conditions sont requises pour avoir recours à un suicide assisté : il faut être doué de discernement, s’administrer soi-même la dose létale et l’aidant ne doit pas avoir de mobile égoïste.

Ce sont des associations qui gèrent ces pratiques

Dans la réalité, le suicide assisté s’opère en Suisse par le biais d’associations (Dignitas, Exit, Lifecircle…). Certaines parmi elles (comme Dignitas) acceptent de recevoir des étrangers. Ces associations s’occupent :

  • d’organiser les rendez-vous préalables pour évaluer la recevabilité de la demande, de procéder aux démarches administratives,
  • de procurer les produits létaux (nécessitant pour cela une ordonnance délivrée par un médecin suisse),
  • de fournir le cadre de l’opération (appartement, locaux divers, si cela n’a pas lieu à domicile ou en hôpital. Le suicide assisté dans un lieu public est interdit),
  • d’assurer le « bon déroulé » de l’opération,
  • de gérer les suites du décès : déclaration auprès de la police et des autorités sanitaires, crémation ou inhumation… Ces opérations sont onéreuses (9 000 € en moyenne) et constituent une activité très lucrative. Les médecins n’interviennent dans ces opérations que pour contrôler que les produits fournis sont bien délivrés sous prescription médicale. Depuis 2014, l’association Exit a décidé d’assouplir son règlement, acceptant désormais d’intervenir auprès de toute personne âgée vivant dans des conditions de santé précaires, sans être atteinte de maladie incurable.

Les dispositions sont différentes selon les cantons

En Suisse, ce sont les cantons qui choisissent leurs politiques de santé, qui doivent cependant être conformes aux lois de l’Etat. Jusqu’en 2012, aucun canton n’avait d’autre législation sur le suicide assisté que celle du Code pénal suisse. Mais en 2012 et en 2014, les cantons de Vaud et de Neuchâtel sont allés plus loin dans leur législation, obligeant leurs institutions d’intérêt public (hôpitaux, maisons de retraite) à accepter les suicides assistés dans leurs murs. Les clauses de conscience institutionnelles (refus d’une institution de voir tel ou tel acte pratiqué en son sein) sont donc interdites pour ces organismes : refuser les suicides assistés, c’est perdre les subventions étatiques souvent nécessaires à la survie de ces établissements. Il existe deux cas particuliers en Suisse, en dehors de ces cantons : les hôpitaux de Genève (en 2006) et du Valais (en 2016) ont autorisé la pratique des suicides assistés en leur sein, alors même qu’aucune législation ne les y obligeait. Ainsi, pour le canton de Genève, le conseil d’éthique clinique affirme que « une institution ou un établissement qui limiterait le droit à l’accès à une assistance au suicide dans ses murs s’octroierait […] une prérogative non prévue par le législateur. » La législation suisse étant finalement floue et flexible, le nombre des suicides assistés ne fait que croître, et les dérives se multiplient sous plusieurs formes.

 

II – DONNÉES STATISTIQUES

 

L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et l’Observatoire suisse de la santé (Obsan) publient régulièrement des données statistiques sur le suicide en général, avec des éléments spécifiques sur le suicide assisté.

 

statssuicideassistesuisse
maladies suicideassiste suisse

 

Parallèlement à l’augmentation du nombre de suicides assistés, le nombre de suicides en Suisse a, quant à lui, tendance à diminuer, au point que les deux formes sont presque en nombre équivalent : selon les dernières statistiques de 2017, il y a eu 1 043 suicides (sans assistance) pour 1 009 suicides assistés. Mais au total, il y a bien une forte hausse de décès par suicide, toutes méthodes confondues : plus de 2 000 en 2017, contre environ 1 400 en 1995.

 

stats deces suisse

 

Les femmes ont davantage recours au suicide assisté, alors que ce sont les hommes qui se suicident le plus sans assistance.

 

stats suicideassiste suisse

 

Exit, l’une des principales associations d’assistance au suicide en Suisse (n’intervenant qu’auprès de résidents suisses), ne cesse de voir le nombre de ses adhérents croître. Elle en comptait 158 087 fin 2019, soit 13 000 de plus que l’année précédente.
L’association a assisté 1 214 personnes dans leur suicide en 2019, 8 de plus qu’en 2018.

Dignitas, une autre association suisse qui accueille majoritairement des étrangers (principalement des Allemands), a déclaré avoir procédé à 221 suicides assistés en 2018, dont 31 Français (contre 1 seul en 2001 ; et au total 330 Français entre 2001 et 2018). En 2018, l’association comptait d’ailleurs 885 Français sur plus de 9 000 adhérents.

 

III–DROIT EN VIGUEUR

 

Au niveau fédéral

La base historique du Code pénal

Dès 1918, dans son projet de Code pénal, le Conseil fédéral (gouvernement) a retenu le principe de ne pas punir l’incitation ou l’assistance au suicide si l’acte est « inspiré par des mobiles altruistes ».

Dans la version définitive adoptée en 1937, le Code pénal a donc limité les sanctions possibles aux seules personnes dont on peut prouver le mobile égoïste. C’est l’objet de l’article 115, dont la formulation actuelle est la suivante :

« Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire. »

Les autres textes de loi ne sont pas beaucoup plus explicites sur le sujet. A l’article 28 du Code civil est mentionnée une protection de l’intégrité physique : une atteinte à celle-ci est présumée illicite, « à moins qu’elle ne soit justifiée par le consentement de la victime ».

A noter que la loi ne précise pas de quel type de pathologie la personne qui veut mourir doit souffrir. Contrairement aux législations dans d’autres pays, l’incurabilité d’une maladie n’est pas une condition nécessaire pour avoir accès au suicide assisté. Seul le critère d’ « une souffrance qu’il [le patient] juge insupportable » est mentionné. Dans la pratique, la personne doit être capable de discernement, elle doit s’administrer elle-même le produit létal (sinon il ne s’agit pas d’un suicide) et la personne qui l’assiste ne doit pas avoir de mobile égoïste.

Après de nombreux débats, le refus de toute modification législative

Entre le début des années 1990 et jusque vers 2010, des débats nationaux ont eu lieu à plusieurs reprises pour examiner s’il fallait ou non élargir l’aide au suicide et introduire la possibilité de l’euthanasie dite « active » (notamment sur la base de la motion Ruffy de 1994).

Sous la direction du département fédéral de justice et police, plusieurs rapports ont été élaborés. Les principaux, réalisés en 1999, en 2006 et en 2009 (suite à plusieurs affaires médiatisées), faisaient un état des lieux des enjeux et de l’évolution des pratiques, et examinaient différentes orientations possibles.

Le Conseil fédéral a finalement renoncé, en juin 2011, à toute modification législative, que ce soit pour mieux encadrer les dérives du suicide assisté pratiqué par des associations ou pour dépénaliser l’euthanasie.

Au niveau cantonal

Le système fédéral suisse donne compétence aux cantons en matière de santé. La plupart n’ont pas légiféré sur la question. Certains cantons (Valais, Genève, Lucerne, Neuchâtel, Zurich) ont plus particulièrement voté des lois concernant la validité des directives anticipées.

Seuls les cantons de Vaud (en 2012) et de Neuchâtel (en 2014) ont publié des lois contraignantes concernant les lieux où peuvent se réaliser des suicides assistés. Les établissements sanitaires reconnus d’utilité publique sont obligés d’accepter les suicides assistés pratiqués en leur sein par des associations, sauf si l’établissement n’a pas une mission d’hébergement médico-social et que le patient dispose d’un logement extérieur qu’il peut raisonnablement rejoindre. Ces lois interdisent donc, de fait, l’objection de conscience « institutionnelle » (c’est-à-dire concernant tout un établissement).

Dans le canton de Neuchâtel, par exemple, les établissements sont contraints de mettre à la disposition de leurs résidents qui en font la demande une chambre, mais leur personnel n’est pas tenu de prendre part à l’assistance au suicide, prise en charge entièrement par des associations. La possibilité d’une objection de conscience ou d’une dérogation est exclue pour ces établissements qui bénéficient de fonds publics.

Au niveau des institutions médicales

L’encadrement en matière de fin de vie est principalement régi par les directives médico-éthiques rédigées par l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) et régulièrement révisées.

Ces documents ont une réelle influence sur le terrain : « L’Académie suisse des sciences médicales se présente comme une autorité morale de premier plan, si bien que les autorités politiques ont tendance à considérer les normes qu’elle émet dans les domaines de la déontologie et de la pratique médicales comme des lois supplétives. Cependant, l’Académie étant une fondation de droit privé, ses directives ne sont pas des normes légales. Elles ont cependant une portée juridique certaine puisque les tribunaux s’y réfèrent pour apprécier les cas qui leur sont soumis. »

Les premières directives de l’ASSM sur la fin de vie, émises en 1995, rappelaient l’interdiction de l’euthanasie active, s’opposaient à l’assistance au suicide, considérée comme n’étant pas un acte médical, autorisaient l’euthanasie passive, et reconnaissaient la validité des testaments de vie.

Depuis 1995, ces directives ont été plusieurs fois actualisées, notamment pour élargir progressivement les possibilités de suicide assisté.

Des directives qui n’exigent plus une fin de vie proche

En 2018, l’Académie Suisse des sciences médicales (ASSM) a révisé ses directives sur la fin de vie, se traduisant par un assouplissement des conditions d’accès au suicide assisté.

Si les précédentes versions mentionnaient la nécessité d’être atteint d’une pathologie impliquant une fin de vie proche pour avoir recours à un suicide assisté, ce n’est plus le cas dans la dernière version de 2018 : celle-ci n’évoque que la présence de « maladie et/ou limitations fonctionnelles » causant au patient une « souffrance qu’il juge insupportable ». Ces « limitations » sont comprises comme des « limitations dans le quotidien et dans les relations sociales, les pertes ainsi que les sensations de désespoir et d’inutilité. »

Cinq critères ont été retenus :

  • Le patient doit être capable de discernement, et ceci est à faire valider par un médecin. En cas de maladie psychique, démence ou état pouvant altérer le discernement, un spécialiste doit évaluer la capacité de discernement.
  • Le désir de mourir doit être mûrement réfléchi, persistant, et ne pas résulter d’une pression extérieure.
  • Les symptômes de la maladie et/ou les limitations fonctionnelles du patient lui causent une souffrance qu’il juge insupportable.
  • Des options thérapeutiques indiquées, ainsi que d’autres offres d’aide et de soutien, ont été recherchées et ont échoué ou ont été jugées inacceptables par le patient capable de discernement à cet égard.
  • Avec des entretiens répétés et au vu de l’histoire du patient, le médecin considère que le souhait de mourir est compréhensible et l’aide au suicide acceptable.

 

La Fédération des Médecins Suisses (FMH) avait auparavant émis de vives critiques sur cette évolution, en particulier concernant les deuxième et troisième critères : « L’assistance au suicide est désormais possible lorsque la souffrance est devenue insupportable du point de vue du patient et qu’une autre aide est considérée comme inacceptable par le patient. De la sorte, la directive s’éloigne de son objectif initial, à savoir aider les patients en fin de vie suite à une maladie – l’assistance au suicide s’adresse désormais aussi aux patients qui ne souffrent pas d’une maladie mortelle mais estiment que leur souffrance est insupportable. […] Pour le médecin, il est extrêmement difficile et délicat de poser une limite claire. Ce changement pose également problème du point de vue de la prévention du suicide, et touche particulièrement les patients atteints de troubles psychiques, qui sont tout à fait capables de discernement mais ont tendance à développer des pensées suicidaires en raison de leur maladie. »

Le renforcement du poids des directives anticipées du patient

Par ailleurs, depuis 1995, l’ASSM affirme l’obligation du médecin de tenir compte des directives anticipées. Celles-ci sont considérées comme « déterminantes » : si elles exigent « un comportement illégal de la part du médecin ou requièrent l’interruption des mesures de conservation de la vie alors que, selon l’expérience générale, l’état du patient permet d’espérer un retour à la communication sociale et la réapparition de la volonté de vivre », elles ne doivent pas être prises en considération. A contrario, si l’état du patient ne permet par « d’espérer un retour à la communication sociale, et une réapparition de la volonté de vivre », il peut être assisté dans son suicide s’il en avait exprimé le désir précédemment, et que rien ne laisse supposer qu’il ait pu changer d’avis.

L’assistance au suicide des personnes souffrant de troubles psychiatriques, de maladies mentales et de démence pose problème. Le recueil du consentement devient beaucoup plus difficile à obtenir et, de ce fait, les médecins suisses sont très réticents quant à l’application des directives anticipées dans ces situations. Malgré tout, celles-ci demeurent légales et doivent être respectées.

 

IV– DES DÉRIVES NOTABLES

 

Des cas de personnes suicidées alors qu’elles n’étaient pas en fin de vie

Avant 2014, les associations Dignitas et Exit assuraient qu’elles refusaient d’assister les personnes dans leur suicide, lorsque celles-ci n’étaient pas en fin de vie. En réalité, des suicides assistés très discutables avaient parfois lieu, suscitant des réactions médiatiques diverses.

Par exemple, l’association Dignitas a accepté en 2002 de « suicider » un frère et une sœur français, âgés de 29 et 32 ans et atteints de schizophrénie. En 2003, c’est un couple de Britanniques souffrant de diabète et d’épilepsie, mais pas en fin de vie, qui a eu recours aux « services » de l’association. Leurs familles, qui ignoraient leurs intentions, ont été particulièrement choquées à l’annonce de la mort.

Des scandales ont également éclaté suite au recours au suicide assisté de personnes dépressives ou que l’on pouvait guérir. Une étude parue dans le Journal of Medical Ethics révèlait déjà en 2008 que 34 % des personnes qui avaient eu recours au suicide assisté, par l’intermédiaire d’une de ces associations, ne souffraient pas d’une maladie mortelle.

Plus récemment, en septembre 2015, une Anglaise de 75 ans, ne souffrant d’aucun problème de santé sérieux, a eu recours à un suicide assisté dans une clinique suisse. En novembre 2016, deux frères ont saisi le tribunal civil de Genève pour empêcher le suicide assisté de leur troisième frère par l’association Exit. Celui-ci, qui est finalement passé à l’acte, souffrait d’une dépression passagère, mais pas de pathologie grave.

Le suicide assisté en raison de la seule vieillesse

Des pressions croissantes sont exercées depuis plusieurs années pour accorder le suicide assisté avec pour seul motif un âge avancé. Venant en appui de cette demande, un sondage réalisé en septembre 2014 établissait que 68 % des personnes interrogées étaient favorables au suicide assisté des personnes âgées.

L’association Exit a mis en place, en juin 2017, une commission chargée de travailler sur cette question et de rendre un rapport indiquant les moyens de « faciliter l’accès des personnes âgées au natrium-pentobarbital. » Les experts doivent également traiter des aspects juridiques, éthiques et politiques d’une telle pratique.

En mai 2018, l’association Eternal Spirit a ainsi permis à un éminent scientifique australien âgé de 104 ans, qui ne souffrait d’aucune pathologie mais estimait que sa qualité de vie était insuffisante, d’avoir recours à un suicide assisté en Suisse.

Le suicide assisté pour les détenus

La possibilité d’un accès au suicide assisté pour les détenus s’est ouverte en 2018, avec le cas « Peter Vogt ». Ce violeur multirécidiviste avait été condamné en 1996 à dix ans de réclusion, avant d’être interné à vie (considérant sa dangerosité pathologique et le risque évident de récidive). En 2018, il a contacté l’association Exit pour recevoir une aide au suicide, déclarant : « Il est plus humain de vouloir se suicider que d’être enterré vivant pour les années à venir […] Mieux vaut être mort que derrière des murs à végéter ».

En conséquence, la Conférence des chefs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP) a adopté en février 2020 un accord de principe sur l’extension du suicide assisté aux détenus. Cette Conférence a chargé le Centre suisse de compétences en matière d’exécution des peines d’établir des propositions quant aux modalités du suicide assisté en prison, à partir des positions de cantons qui doivent se prononcer en novembre 2020.

Le directeur de la clinique médico-légale de Bâle s’est dit favorable à l’accès des détenus au suicide assisté en distinguant deux cas : ceux qui sont en train de purger leur peine, et qui ne doivent pas se soustraire à l’exécution de leur peine en se suicidant. Et ceux qui, comme Peter Vogt, sont internés à vie pour protéger la population et non plus pour des raisons pénales. Ils doivent pouvoir avoir accès au suicide assisté comme les autres.

Le Centre suisse de compétences en matière d’exécution des peines (le CSCSP) a publié un rapport en septembre 2019, se disant favorable à la requête de P. Vogt au nom du « droit à l’autodétermination » et à la « dignité humaine ».

Cependant pour Damien le Guay, éthicien, philosophe et membre émérite du Conseil scientifique de la Société française d’accompagnement et de soins Palliatif (SFAP), ces positions sont éthiquement contestables : « Tout citoyen jouit de tous ses droits jusqu’à ce qu’il s’expose à la rigueur de la loi – et donc […] à des privations de droits et de liberté, qui sont justes au regard des actes commis contre autrui. […] Comment peut-on dire, sans tenir compte de la situation, qu’un prisonnier a le droit de se déterminer et qu’il doit pouvoir exercer la pleine et entière liberté de son corps et de sa vie ? Par principe, un prisonnier a une liberté entravée, des droits limités. Si [on] considère qu’un prisonnier doit bénéficier de tous ses droits (comme s’il était un citoyen de plein droit comme les autres), alors la prison elle-même est attentatoire à la libre expression des droits individuels. Il faudrait donc supprimer la prison. Et avec elle les peines privatives de liberté qui toutes portent atteinte, par principe, au droit de se déterminer librement. »

Des associations aux pratiques douteuses

Daniel Gall, auteur du livre J’ai accompagné ma sœur, dans lequel il décrit sa douloureuse expérience avec Dignitas dans l’accompagnement au suicide de sa sœur, a émis de vives critiques envers l’association. « La dignité, ils n’en ont rien à foutre! » Pour lui, Dignitas oscille entre « artisanat et travail à la chaîne ». Avec sa sœur, ils ont été « accueillis par deux grouillots, dans des locaux dégueulasses et sans toilettes ». Il raconte n’avoir vu un médecin qu’après que sa sœur a bu son gobelet de barbituriques. « Le dossier médical, ils s’en foutent, et à la limite, il n’est même pas nécessaire d’être malade ».

Daniel Gall n’est pas le premier à se plaindre des pratiques des associations de fin de vie. En 2007, l’association Dignitas a dû quitter l’HLM de Zurich où elle œuvrait depuis huit ans, après les nombreuses plaintes pour désagréments émises par les voisins : cadavres dans leur housse mortuaire, dans l’ascenseur de l’immeuble ; mise en bière sur le trottoir devant l’immeuble ; circulation des cercueils dans l’immeuble et à ses abords. Pour mener leurs activités, ces diverses associations ont eu recours, jusqu’à présent, à des lieux aussi divers que des hôtels, des maisons individuelles, des hangars de zone industrielle, des caravanes sur des parkings publics, etc.

En plus des habituels barbituriques à boire ou en perfusion, Dignitas utilise aussi désormais l’étouffement avec un sac en plastique rempli d’hélium, afin de contourner l’exigence de prescription médicale d’un barbiturique par un médecin.

Le sort réservé aux corps des personnes décédées a aussi posé problème. En mai 2010, par exemple, plusieurs dizaines d’urnes funéraires ont été retrouvées au fond du lac de Zurich, malgré l’interdiction émise par le gouvernement du canton de Zurich d’utiliser le lac comme dernier lieu de repos. L’association Dignitas a reconnu avoir déposé une urne dans le lac à la demande d’une patiente. La presse suisse s’est fait l’écho des soupçons pesant sur le responsable de Dignitas au sujet des autres urnes retrouvées. L’affaire est classée en août 2010, alors que l’enquête n’a pas abouti. Au total, 67 urnes funéraires auront été découvertes dans ce lac.

Des interrogations quant au caractère non lucratif des associations de fin de vie

En 2009, le département fédéral de justice et police rendait un rapport qui s’inquiétait des évolutions de la pratique des organisations d’assistance au suicide et notamment sur les tarifs pratiqués par ces dernières. Selon la présidente de l’association LifeCircle, un suicide avec l’aide de son association coûtait 9 045€ en 2015.

En février 2012, le Directeur de l’Office fédéral des assurances sociales de Berne s’interrogeait déjà sur l’aspect financier des associations d’aide au suicide. « Ce point n’a jamais fait l’objet d’une instruction par les autorités pénales, mais il apparaît que cette pratique dépasse le champ de l’acte gratuit entre proches » expliquait-il. « Une organisation affichait, en 2007, des fonds en capital et en immobilier de plusieurs millions de francs suisses, des provisions pour membres à vie et des placements financiers de 4,5 millions de francs suisses. […] Dignitas, inscrite au registre du commerce sous le titre d’« association exerçant une industrie à titre commercial », requiert une avance minimale de 10 000 francs pour ses services et présentait un chiffre d’affaires de 1,4 million de francs en 2008. »

« Quand bien même les organisations soulignent ne pas poursuivre une activité lucrative, on ne peut que constater que leur activité présente un indubitable caractère économique. Ainsi, lors d’une récente discussion au sein des autorités fédérales, les organisations d’aide au suicide déployèrent d’importants efforts de communication, de recrutement de nouveau membres, de relations publiques et de lobbying, allant jusqu’à diffuser des spots TV et radio en faveur de leurs activités ».

Le témoignage d’une infirmière ayant participé à ces suicides est édifiant en ce qui concerne les intérêts financiers de ces associations. Elle a travaillé jusqu’en 2005 pour les cliniques du suicide, notamment avec Ludwig Minelli le fondateur de Dignitas. Elle dénonce le manque d’attention apportée aux patients, le mauvais traitement des proches empêchés de prendre du temps pour réfléchir à leur décision, une méthodologie totalement contraire et irrespectueuse de la dignité humaine : « la dignité est la dernière chose apportée à ces pauvres gens ». C’est, selon elle, une véritable machinerie en quête de bénéfice économique qui meut l’association.

En 2018, le fondateur de Dignitas, Ludwig Minelli, avait dû comparaître devant les tribunaux suisses, accusé d’avoir perçu plus d’argent que les coûts effectifs de ses services, dans trois cas de suicide assisté. Il avait finalement été acquitté par la justice.

Le développement d’un « tourisme de la mort »

La facilité d’accès au suicide assisté, ainsi que l’offre faite aux non-résidents suisses par certaines associations, ont permis le développement d’un véritable « tourisme de la mort ». Si le gouvernement suisse ne recense que les décès par mort assistée de ses ressortissants, on estime, avec les chiffres donnés par les associations de fin de vie, qu’une centaine de Français, par exemple, ont recours au suicide assisté en Suisse chaque année.

Certains d’entre eux organisent une véritable médiatisation de leur choix pour faire pression sur leur propre gouvernement, comme on a pu le constater encore récemment en Italie  ou en France : en février 2017, le célèbre DJ italien Fabio Antoniano, âgé de 39 ans et devenu tétraplégique et aveugle suite à un grave accident de voiture, s’était rendu en Suisse pour avoir recours à un suicide assisté, interdit dans son pays. Il avait beaucoup communiqué sur les réseaux sociaux à ce sujet, et fait publier une lettre ouverte au Président de la République. En 2011, la comédienne française Maïa Simon, âgée de 67 ans et atteinte d’un cancer généralisé, s’était également rendue en Suisse pour un suicide assisté. Elle avait fait enregistrer précédemment un dernier message d’explication, qui avait été par la suite diffusé à la radio. C’est encore le cas de Jacqueline Jencquel, Secrétaire nationale de l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité), qui s’est fait connaître en 2018 en annonçant qu’elle voulait avoir recours à un suicide assisté en Suisse, alors qu’elle n’était pas en fin de vie. Ses interventions ont été fortement médiatisées en France.

En conséquence, la Suisse reste un pays attractif pour les promoteurs du suicide assisté ou de l’euthanasie. Les médias continuent de se faire régulièrement l’écho de suicides assistés que des non-résidents Suisses « mettent en scène » pour faire pression sur leurs gouvernements respectifs, afin de légaliser ces pratiques dans leur propre pays.

Une enquête intitulée « Tourisme du suicide : une étude pilote sur le phénomène suisse », publiée en 2014 par le Journal of Medical Ethics, a montré que le suicide assisté en Suisse attirait de plus en plus de personnes. Selon cette enquête, basée sur l’étude de 611 cas recensés entre 2008 et 2012 par l’Institut de médecine légale du canton de Zurich, les candidats au suicide assisté en Suisse provenaient de 31 pays différents. Les trois pays qui comptaient le plus de ressortissants étaient à l’époque l’Allemagne (268 cas, 43,9 %), le Royaume-Uni (126 cas, 20,6 %) et la France (66 cas, 10,8%). Puis venaient l’Italie (44), les États-Unis (21), l’Autriche (14), le Canada (12), ou encore l’Espagne et Israël (8).

C’est cette publicité involontaire et assez négative qui a poussé le Conseil fédéral à lancer un débat national sur l’opportunité de changer la législation. Le rapport du Département fédéral de justice et police de 2009 a bien souligné les dérives des pratiques des associations. Mais finalement, la question a été « enterrée » en 2011, faute de parvenir à un consensus sur l’opportunité de légiférer et sur le contenu possible d’une telle législation (voir le §III-A-2 ci-dessus).

***

Au sein du corps médical suisse, des voix s’élèvent aussi désormais pour dénoncer ces pratiques. Le docteur Zwahlen, coordinateur au Fonds national suisse de la recherche scientifique, alerte par exemple sur les dérives et les problèmes du suicide assisté en Suisse. Il dénonce un contrôle trop laxiste, des patients ne respectant pas les conditions requises, et les profits des associations de fin de vie.

De façon plus globale, l’augmentation des suicides assistés et ces dérives posent des problèmes éthiques et culturels majeurs sur l’accompagnement de la vieillesse. Bertrand Kiefer, rédacteur en chef de la Revue Médicale Suisse, le souligne avec force : « Les demandes d’Exit nous obligent à aborder la question de la vieillesse et la place culturelle que nous lui accordons. Elle est associée à un sentiment de déchéance dans un monde valorisant la jeunesse, la performance et la beauté ; l’humain est de plus en plus ramené à un produit qui doit être de bonne qualité. » […] « Si le nombre de suicides assistés augmente, le véritable danger serait d’installer une culture allant dans ce sens. Nous devons éviter que les personnes qui n’optent pas pour ce choix subissent une pression en intégrant le discours qu’avec l’âge, on devient inutile. »

 

 

ANNEXE

 

Historique des débats au niveau fédéral sur la fin de vie, le suicide assisté et l’euthanasie

> 1993 : Certains promoteurs de l’euthanasie ont souhaité modifier les articles 114 et 115 du Code pénal pour permettre l’autorisation de l’euthanasie active. Ils ont déposé une proposition de loi visant à légaliser l’euthanasie pratiquée par un médecin, introduisant dans le code pénal un nouvel article 115 bis intitulé « Interruption non punissable de la vie ».

> 1994 : Le Conseil fédéral s’est prononcé sur des propositions favorables à l’euthanasie active. Il a cependant jugé que cette dernière était « incompatible avec le devoir de protection de la vie humaine incombant à l’Etat et découlant de l’ordre des valeurs sur lequel se fonde la constitution ». Les parlementaires ont alors soutenu une motion connue sous le nom de « motion Ruffy » demandant au gouvernement de soumettre au Parlement un projet tendant à l’adjonction d’un article 115 bis au code pénal disposant :

 » Il n’y a pas de meurtre au sens de l’article 114, ni assistance au suicide au sens de l’article 115 lorsque sont cumulativement remplies les conditions suivantes :

  1. La mort a été donnée à une personne sur la demande sérieuse et instante de celle-ci.
    2. La personne défunte était atteinte d’une maladie incurable ayant pris un tour irréversible avec un pronostic fatal lui occasionnant une souffrance physique ou psychique intolérable.
  2. Deux médecins diplômés et indépendants tant l’un envers l’autre qu’à l’égard du patient ont tous deux préalablement certifié que les conditions fixées au chiffre 2 sont remplies.
  3. L’autorité médicale compétente s’est assurée que le patient a été convenablement renseigné, qu’il est capable de discernement et qu’il a réitéré sa demande.
  4. L’assistance au décès doit être pratiquée par un médecin titulaire du diplôme fédéral que le demandeur aura choisi lui-même parmi ses médecins« .

 > 1997-1999 : Le Conseil fédéral a constitué un groupe de travail « Assistance au décès » qui a remis un rapport au printemps 1999. Le rapport proposait une réflexion sur un élargissement de la législation suisse en matière d’euthanasie. Il en est ressorti que l’euthanasie active devait demeurer interdite, bien qu’une majorité des rapporteurs souhaitait établir une clause d’exemption de peine à l’article 114 alinéa 2 du Code Pénal, pour des cas très précis seulement. Si la majorité des « experts » a affirmé la nécessité de régler dans la loi l’euthanasie passive et l’euthanasie active indirecte, « le groupe de travail renonce à proposer une disposition légale précise. La formulation d’un texte de loi régissant l’euthanasie passive et l’euthanasie active indirecte dépasserait le mandat qui lui a été confié. »

Sur la base du rapport de ce groupe de travail, le Conseil fédéral a invité les parlementaires à se saisir de ces questions, en évaluant les avantages et les inconvénients de diverses mesures possibles.

Mais dans les années qui ont suivi, cette proposition n‘a pas abouti à des résultats précis.

 > 2008-2010 : Suite à plusieurs suicides assistés ayant suscité beaucoup d’émotion au sein de la population et des milieux politiques, un nouveau débat national s’est ouvert entre 2008 et 2010 pour étudier une éventuelle révision de la législation. En 2009, le Département fédéral de justice et police a rendu un rapport, dans lequel il s’inquiétait des évolutions de la pratique des organisations d’assistance au suicide et appelait de ses vœux une « législation fédérale [visant] à réduire le nombre de cas relevant de l’assistance organisée au suicide ».

 > 2011 : A l’issue de tous ces travaux et débats, le Conseil fédéral est parvenu à la conclusion que modifier la loi entraînerait plus d’inconvénients que d’avantages. Il a donc décidé, fin juin 2011, de ne pas proposer une nouvelle loi, tout en réaffirmant sa volonté de promouvoir la prévention du suicide et la médecine palliative dans le but de diminuer le nombre de suicides.

Dans un communiqué, les autorités ont ainsi estimé que modifier la loi « donnerait un statut légal aux organisations d’assistance au suicide, ce qui pourrait avoir un effet incitatif. Cette légitimation enverrait à la population le message selon lequel certaines vies sont dignes de protection et d’autres non, ce qui relativiserait l’intangibilité de la vie humaine ».

D’autre part, « la disposition serait très mal acceptée par les milieux médicaux. Lors de la consultation, leur organisation faîtière s’est élevée contre l’idée que l’assistance au suicide devienne une activité médicale ».

Par ailleurs, « l’interdiction du « mobile égoïste«  inscrite dans le code pénal permet déjà de réprimer les abus financiers que pourraient commettre les organisations d’assistance au suicide ».

Au final, le Conseil fédéral a donc « acquis la conviction que les moyens qu’offre aujourd’hui la législation suffisent pour combattre les éventuels abus ».

—————————–

Avril 2020