Bilan de l’euthanasie aux Pays-Bas : de 2001 à 2023

Bilan de l’euthanasie aux Pays-Bas : de 2001 à 2023

Bilan de l’euthanasie aux Pays-Bas : de 2001 à 2023

 

Les Pays-Bas sont historiquement le premier pays en Europe à avoir dépénalisé l’euthanasie et le suicide assisté, par une loi de 2001. Le nombre de personnes euthanasiées n’a cessé de croître chaque année, dans le cadre d’une évolution culturelle préoccupante, notamment pour les plus fragiles de la société. 

La présente note dresse un bilan approfondi de la situation actuelle, avec les données statistiques et la législation applicable, ou en cours de discussion pour élargir son champ d’application. Elle examine les principales dérives éthiques constatées, avec une interprétation de plus en plus laxiste des organes de contrôle, au point que même l’ONU s’en est préoccupé.

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POUR TÉLÉCHARGER LA NOTE D’ANALYSE
« Euthanasie aux Pays-Bas »  : cliquer ici
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I – LA SYNTHÈSE

 

L’euthanasie est légale aux Pays-Bas depuis maintenant plus de vingt ans, par une loi du 12 avril 2001 entrée en application le 1er avril 2002. Les Pays-Bas sont historiquement le premier pays en Europe à avoir autorisé cette pratique. Depuis cette légalisation, le nombre d’euthanasies pratiquées a été multiplié par cinq. Les chiffres présentés chaque année par les comités régionaux d’examen de l’euthanasie montrent également une interprétation toujours plus large des conditions requises par la loi de 2001.

Si les conditions strictes établies par la loi n’ont pas évolué stricto-sensu, leur interprétation très extensive donne lieu en effet à des situations de plus en plus discutables : euthanasie de personnes atteintes de troubles psychiatriques, de personnes démentes, de personnes très âgées ou encore de personnes souffrant de plusieurs pathologies, mais ne respectant pas les conditions initiales requises par la loi.

D’autres voix se font entendre, et notamment de la part de certains médecins regrettant une banalisation de l’euthanasie. Alors que les dérives sont dénoncées par certains, d’autres souhaitent élargir davantage les conditions d’accès et de pratique de l’euthanasie. L’euthanasie des enfants entre 1 et 12 ans est rendue possible depuis le 1er février 2024, sans débat au Parlement, via une décision du Gouvernement.

Des pressions fortes s’exercent par ailleurs pour que le Parlement autorise le suicide assisté des personnes de plus de 75 ans qui en feraient la demande, en n’invoquant pas d’autre mobile que l’âge et la « fatigue de vivre ».

La législation néerlandaise fait la distinction entre « l’interruption de la vie sur demande » (l’euthanasie au sens strict) et « l’aide au suicide ». Pour simplifier, le terme général d’euthanasie sera utilisé pour ces deux formes de fin de vie volontaire, les termes spécifiques n’étant utilisés que si cela est nécessaire.

 

II – LES DONNÉES STATISTIQUES

Les données présentées ci-dessous proviennent du rapport annuel 2023 des cinq Commissions régionales de contrôle de l’euthanasie (Regionale Toetsingcommissies Euthanasie, RTE). Ces chiffres ne prennent pas en compte les euthanasies clandestines, par définition non chiffrables, et les sédations palliatives cachant parfois des euthanasies[1].

Dans certaines régions, 10 à 20% des décès sont liés à l’euthanasie[2].

En 2003, première année complète d’application de la loi, on a recensé 1 815 euthanasies. Ce nombre est passé à 4 188 en 2012 et à 9 068 en 2023, soit 5,4% du total des décès cette année-là. Les comités régionaux d’examen de l’euthanasie (RTE) ont recensé une augmentation de 4% des euthanasies aux Pays-Bas par rapport à 2022.

Concernant la moyenne d’âge, 9,6% des personnes euthanasiées avaient plus de 60 ans. Sur 322 demandes reçues de personnes âgées de 18 à 30 ans (soit une hausse de 50% par rapport à 2022), 40 demandes ont été validées.

88,7% des personnes euthanasiées souffraient de cancer, de troubles du système nerveux, de maladie cardiovasculaires, pulmonaires ou d’une « combinaison de polypathologies ». Dans 138 rapports les souffrances résultaient principalement d’un ou plusieurs troubles psychologiques. Et dans 349 cas les souffrances résultaient d’une accumulation de pathologies liées à l’âge.

Les comités régionaux d’examen de l’euthanasie ont constaté une augmentation de 20% des euthanasies de personnes souffrant de troubles psychiatriques. Alors qu’en 2022, 115 personnes avaient été euthanasiées pour cette raison, il y en a eu 138 en 2023, soit 1,5% des euthanasies. Selon 328 rapports, l’euthanasie a été accordée à un patient atteint de démence encore apte à formuler sa demande d’euthanasie.

Neuf rapports ont présenté l’euthanasie d’un patient sur la base des directives anticipées. Chez huit de ces patients, l’incapacité de formuler la demande résultait d’une démence avancée et chez l’un de ces patients, l’incapacité résultait d’une hémorragie cérébrale.

En 2023, il y a eu 66 rapports d’euthanasies en duo, ce qui signifie que l’euthanasie a été accordée 33 fois à deux partenaires en même temps.

Dans 5 cas, les RTE ont constaté que les règles d’euthanasie n’avaient pas été respectées et une enquête doit être menée.

Le graphique ci-dessous présente l’évolution du nombre d’euthanasies et de suicides assistés ayant été réalisés entre 2002 et 2022.

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Pour plus de précisions sur les statistiques et l’analyse de cas litigieux : le rapport annuel 2021, peu différent de celui de 2022 dans sa structure, est accessible en français.

 

III – LA LÉGISLATION

 

A) La loi de 2001 : Légalisation de l’euthanasie et de l’aide au suicide

L’euthanasie est devenue légale aux Pays-Bas par la loi du 12 avril 2001, dite « Loi sur le contrôle de l’interruption de la vie sur demande et de l’aide au suicide » (loi WTL), qui a été mise en application à partir du 1er avril 2002. Elle est le fruit d’une évolution historique qui a commencé dès les années 70-80, avec une jurisprudence pénale plus « compréhensive » pour les médecins et plusieurs propositions de loi : voir chronologie en annexe.

Sans dépénaliser l’euthanasie à proprement parler, la législation néerlandaise la permet dans certains cas précis. En effet, l’euthanasie, l’incitation au suicide et l’aide au suicide demeurent juridiquement des infractions pénales. Mais la loi introduit une excuse exonératoire de responsabilité pénale au profit du médecin qui respecte six « critères de minutie » mentionnés à l’article 2 de la loi[3]. Le médecin doit :

  • avoir acquis la conviction que la demande du patient est volontaire et mûrement réfléchie,
  • avoir acquis la conviction que les souffrances du patient sont sans perspective d’amélioration et insupportables,
  • avoir informé le patient de sa situation et de ses perspectives,
  • être parvenu, en concertation avec le patient et compte tenu de la situation de ce dernier, à la conviction qu’aucune autre solution raisonnable n’était envisageable,
  • avoir consulté au moins un autre médecin indépendant qui a examiné le patient et donné son avis sur les critères de minutie précédents,
  • avoir pratiqué l’interruption de la vie avec toute la rigueur médicalement requise.

La loi s’applique également aux mineurs : elle prévoit que le médecin peut accepter la demande d’un mineur, à condition que ses parents soient associés à sa prise de décision (lorsque le mineur a entre 16 et 18 ans) ou donnent leur accord (lorsqu’il a entre 12 et 15 ans).

Par ailleurs, depuis 2005, un protocole appelé « protocole de Groningen » énumère les conditions et les étapes à suivre dans le cadre des décisions de fin de vie de jeunes enfants, essentiellement des nouveau-nés. L’euthanasie des enfants entre 1 et 12 ans est rendue possible depuis le 1er février 2024, sans débat au Parlement, via une décision du Gouvernement.

Le consentement du patient, lorsqu’il n’est plus en état de l’exprimer, peut être pris en compte s’il a préalablement établi une déclaration écrite en ce sens (appelée « testament de vie ») et est âgé d’au moins 16 ans. Par ailleurs, dans l’hypothèse où la demande d’euthanasie est formulée par un patient souffrant de troubles mentaux, ces sont deux médecins indépendants qui doivent avoir été consultés, dont au moins un psychiatre.

B) Le Code de déontologie et les autres directives médicales

 Il existe un Code de déontologie en matière d’euthanasie, réalisé par les Commissions régionales de contrôle de l’euthanasie (RTE) et mis à jour régulièrement en fonction de l’évolution des pratiques. Une première version a été établie en 2015, puis le Code a été actualisé plusieurs fois, la dernière version datant de 2022. Ce Code s’adresse en priorité aux médecins et médecins-conseils qui pratiquent l’euthanasie.

Il expose la façon dont les Commissions de contrôle interprètent les critères de la loi, à partir des jugements prononcés sur des cas individuels problématiques. Selon le rapport des Commissions de contrôle de 2021, ce document « précise les choses en amont, ce qui est crucial pour le médecin pratiquant l’euthanasie, qui doit savoir à quoi s’en tenir ». L’Institut Européen de Bioéthique (IEB) a réalisé une analyse approfondie de la version 2018 de ce Code, en soulignant notamment ses ambiguïtés.

En complément du Code de déontologie, plusieurs avis ou directives ont été élaborés par le corps médical. La directive la plus importante est celle publiée par l’association nationale des médecins néerlandais (KNMG) et celle des pharmaciens (KNMP), adoptée en novembre 2021 : cette directive sur la pratique de l’euthanasie et de l’aide au suicide contient des dispositions parfois légèrement différentes sur les procédures médicales à suivre, ainsi qu’un chapitre spécial sur l’euthanasie de personnes démentes.

C) Les pressions pour élargir les possibilités d’euthanasie ou de suicide assisté

Régulièrement, divers organismes se positionnent en faveur d’une interprétation plus large de la loi de 2001 afin d’ouvrir l’accès à l’euthanasie à de nouvelles situations non prévues à l’origine.

  1. Les mineurs de moins de 12 ans

La loi néerlandaise actuelle permettait dès l’origine l’euthanasie des enfants à partir de 12 ans (pour la période 2002-2015, 7 cas ont été déclarés), et le Protocole de Groningen  de 2005 permet l’euthanasie des nouveau-nés de moins d’un an, atteints d’une grave affection et dont la “qualité de vie” est estimée insatisfaisante.

A partir de 2014, la NVK (Nederlandse Vereniging voor Kindergeneeskunde – Association néerlandaise de Pédiatrie), dans le cadre de sa Commission Ethique et Droit,  a proposé des débats sur l’ouverture de l’euthanasie aux enfants de moins de 12 ans (la décision serait prise par les parents et le médecin, sans nécessairement avoir l’accord de l’enfant). Dès 2015, la NVK a officiellement pris position en faveur de l’euthanasie des enfants entre 1 et 12 ans, en se fondant sur une analyse de la capacité de discernement. Dans les cas où les enfants ne pourraient ni comprendre ni s’exprimer, le médecin, en accord avec les parents, pourrait lui-même décider l’euthanasie, comme cela se fait déjà pour les nouveau-nés.

La ministre de la santé de l’époque, Edith Schippers, a précisé en mai 2016 qu’il n’y a pas besoin de nouvelle loi pour élargir ces pratiques, en affirmant : « C’est une méprise de croire que le cadre légal actuel ne permet pas de provoquer la mort des enfants gravement malades. En effet, un médecin en cas de « force majeure » peut toujours faire appel à l’état de nécessité. »

Sur la base de ces différentes prises de position, le nouveau Ministre néerlandais de la santé, Hugo De Jonge, a indiqué en octobre 2020 confirmer la dépénalisation prochaine de l’euthanasie sur les enfants de moins de 12 ans, le cas échéant sans leur consentement. Cette dépénalisation est donc prévue sans passer par une nouvelle loi, mais seulement par le biais du Règlement ministériel « LZA/LP » qui concerne les avortements tardifs et l’interruption de la vie des nouveau-nés.

Celui-ci élargirait aux enfants entre 1 et 12 ans l’exception pénale du « cas de force majeure comme situation d’urgence », contenue dans l’article 40 du Code pénal néerlandais.

Le projet a simplement fait l’objet d’un débat parlementaire fin 2022. Selon ce texte, un médecin peut mettre fin à la vie d’un enfant de 1 à 12 ans si les conditions suivantes sont remplies :

  • La souffrance est sans issue et insupportable pour l’enfant
  • Cette souffrance ne peut être soulagée d’aucune façon, même par les soins palliatifs
  • Le médecin a parlé du diagnostic et du pronostic avec l’enfant, en fonction de l’état et de la capacité de compréhension de celui-ci, lui a expliqué que mettre fin à sa vie était l’unique façon de supprimer ses souffrances
  • L’enfant ne donne aucun signe d’opposition à ce qu’on mette fin à sa vie.
  • Les parents sont informés du diagnostic et du pronostic, et du fait que mettre fin à la vie de l’enfant est la seule possibilité pour supprimer sa souffrance
  • Les parents ont donné leur accord pour qu’il soit mis fin à la vie de leur enfant
  • Le médecin a consulté au moins un autre médecin indépendant, dont l’avis n’est cependant pas contraignant
  • Le geste de mort sur l’enfant est effectué « avec soin ».

Malgré les avis négatifs du Collège des Procureurs généraux et de la Fédération des médecins des Pays-Bas (KNMG), le Cabinet du ministre de la Santé Ernst Kuipers a confirmé, dans un communiqué au Parlement le 14 avril 2023, vouloir mettre en œuvre cet élargissement du Règlement avant fin 2023.

L’exécutif a précisé que cela concernait un « petit groupe », de cinq à dix enfants de moins de douze ans par an. « Cela concernera les enfants atteints d’une maladie ou d’un trouble si grave que la mort est inévitable et (…) attendue dans un avenir prévisible[4] », a déclaré le ministre néerlandais de la Santé.

Contrairement à la Belgique qui exige une « capacité de discernement » du mineur (sans condition d’âge et avec l’accord des parents) pour qu’il puisse être euthanasié, les Pays-Bas permettent donc désormais l’euthanasie « à la demande des parents », même si l’enfant n’est pas conscient ou pas en mesure d’exprimer un consentement à cet acte.

  1. Les personnes « fatiguées de vivre »

En octobre 2016, le gouvernement néerlandais a déposé un projet de loi visant à autoriser un nouveau cadre juridique pour l’assistance au suicide des personnes âgées, même si elles ne sont pas souffrantes, en invoquant la notion de « vie accomplie » ou « achevée » (voltooid leven). Le fondement de cette proposition ne serait donc plus des problèmes médicaux provoquant des souffrances insupportables, mais la volonté de respecter l’autonomie.

Selon le gouvernement, les personnes concernées « ne voient plus de possibilité pour donner un sens à leur vie, vivent mal leur perte d’indépendance, ont un sentiment de solitude[5] ».

Pourtant, une commission composée principalement de médecins, de philosophes et de juristes avait conclu en février 2016 que cette notion de « vie accomplie » ne pouvait être retenue. Ces experts considèrent que la loi de 2002 est déjà suffisamment large, et surtout que ce pourrait être la porte ouverte à des euthanasies sous l’influence de certaines familles désireuses « d’en finir » avec des proches âgés et fragilisés.

Ces craintes sont partagées par certains partis politiques qui estiment qu’un éventuel texte ne peut que mener à « une pression sur les autres personnes âgées qui vont se sentir de trop dans la communauté ».

Un professeur d’éthique médicale considère ainsi l’initiative du gouvernement « prouve que nous n’avons pas réussi à intégrer réellement les personnes âgées dans notre société ». La Société royale néerlandaise pour la promotion de la médecine (KNMG) a indiqué également, dans un communiqué de mars 2017 – et réaffirmé en janvier 2020 – qu’« Une telle proposition radicale n’est pas souhaitable pour des raisons pratiques et de principe ». L’IEB, dans une analyse critique publiée en avril 2018, met particulièrement en lumière les dangers de ce projet et présente une thèse de doctorat qui questionne ce concept de « vie accomplie »

Le projet de loi de 2016 n’ayant pu aboutir, une nouvelle proposition de loi a été déposée en juillet 2020 par la députée Pia Dijkstra du parti D66 (gauche libérale), visant à dépénaliser l’euthanasie pour « vie accomplie » à partir de 75 ans, en dehors de toute condition médicale. Ce type de demande serait alors pris en charge non plus par un médecin, mais par un “accompagnateur de fin de vie” (levenseindebegeleider).

Celui-ci sera amené à s’entretenir avec la personne âgée afin de vérifier que la demande de mourir est “libre, réfléchie et persistante”, et afin de discuter de l’opportunité d’impliquer ses proches dans la discussion. L’accompagnateur devra avoir la conviction qu’il n’existe pas d’autre “aide” souhaitable pour cette personne.

La consultation publique lancée par les autorités en 2019 avait pourtant conclu à un tel désir d’euthanasie sans raison médicale chez à peine 0,18% des personnes de plus de 55 ans.

Le Conseil d’Etat, dans un avis de décembre 2020 mais diffusé seulement en mai 2022, a critiqué ce projet en estimant que « le gouvernement a le devoir de protéger ses citoyens contre “les décisions involontaires, hâtives ou mal informées de mettre fin à leur vie et de prévenir les abus” ».

A la suite de cet avis, le projet de loi a été modifié[6] par Anne-Marijke Podt, députée du même parti : le futur « conseiller en fin de vie » devra désormais accompagner la personne pendant au moins 6 mois, en lien avec le médecin, et c’est lui qui sera chargé de se procurer les produits létaux afin que la personne se les administre elle-même. Le débat parlementaire s’est poursuivi en novembre 2023 et pourrait aboutir prochainement.

3. Le développement du don d’organes après euthanasie

Après un premier prélèvement en 2012, la pratique se développe pour contribuer à pallier le manque d’organes disponibles. Un cas emblématique a été médiatisé en mars 2016, avec l’euthanasie d’un homme « qui a permis de sauver cinq vies ».

Début 2017, des directives organisant le don d’organe après euthanasie (Richtijn orgaandonatie na euthanasie) ont été élaborées, à la demande de la ministre de la santé, par des professionnels de la santé, des associations de patients, des éthiciens et des proches de patients. Ce manuel pratique multidisciplinaire explique en détail la procédure médicale combinant euthanasie puis don d’organes.

Ces directives, contraignantes pour l’ensemble des médecins et hôpitaux, insistent sur le fait que l’euthanasie doit être effectuée dans un hôpital, et non comme la plupart du temps au domicile par le médecin traitant : cela doit permettre de prélever les organes dans les minutes qui suivent le décès, avec une équipe dédiée dans une autre salle d’opération.

Dans un article publié en 2018[7] dans le Canadian Medical Association Journal, deux médecins néerlandais proposent toutefois désormais de sédater le patient chez lui, entouré de ses proches, avant de l’acheminer en ambulance jusqu’à l’hôpital où un médecin provoquera sa mort dans la salle d’opération, quelques minutes avant le prélèvement.

Au-delà des préoccupations de techniques médicales, les questions éthiques demeurent en réalité nombreuses. L’objectif clairement affiché est de faciliter le prélèvement d’organes sur des personnes décédées par euthanasie : grâce à ces nouvelles directives, le nombre d’organes disponibles post-mortem aux Pays-Bas devrait être doublé. Par ailleurs, jusqu’il y a peu, tant le corps médical que les directives de la Fondation Néerlandaise de Transplantation considéraient que le patient désirant l’euthanasie devait aborder de lui-même le sujet du don d’organes, sans que le médecin en ait pris l’initiative.

Cependant, telle que modifiée en 2020, la loi sur le don d’organes prévoit désormais que le médecin aura dorénavant l’obligation de consulter le Registre des donneurs et prendra l’initiative, si le patient ne le fait pas, de demander à ce dernier s’il souhaite donner ses organes après son euthanasie[8].

On peut craindre que la pression médicale ou celle de la société pour obtenir des organes amène des personnes « à se sacrifier », au nom d’une conception erronée de la solidarité entre malades et bien-portants. Il existe également, comme en Belgique et au Canada, un débat entre médecins pour aller jusqu’à proposer, afin de garantir la qualité des organes[9], que le prélèvement soit réalisé sous anesthésie générale juste avant le décès, voire même que l’euthanasie soit de fait la conséquence du prélèvement d’organes.

Plus globalement, on consultera avec intérêt l’étude approfondie que l’IEB a réalisée en 2020[10] sur les aspects médicaux et les enjeux éthiques de ce sujet très sensible dans différents pays.

4. La pilule du suicide

L’association De Laatste Will (« La dernière volonté »)[11] a annoncé en septembre 2017 pouvoir mettre à disposition des personnes qui le souhaitent un produit pour provoquer la mort en une heure, sans nécessiter l’encadrement d’un médecin. Cette association milite pour « le droit de mourir dans la dignité » quand la personne l’aura décidé, et pas forcément dans le cas où elle souffre de manière inapaisable.

Plusieurs personnes sont depuis lors décédées après s’être vu fournir la substance létale par le biais de l’association « coopérative ». L’association a annoncé cesser son activité de fourniture de produits létaux après l’ouverture d’une enquête par le Ministère public néerlandais en mars 2018 pour organisation criminelle.

En avril 2021, Coöperatie Laatste Wil (CLW, qui revendique 26 000 membres) a assigné l’État néerlandais en justice[12], accompagnée de 33 corequérants individuels, afin de le sommer de permettre le suicide assisté sans motif médical particulier, au nom du droit à l’autodétermination. Le Tribunal de la Haye a rejeté cette demande en décembre 2022, en jugeant que si le « droit de décider par soi-même de sa propre fin de vie est en effet protégé » par la convention européenne des droits de l’homme, (…) « ce droit à l’autodétermination ne va pas si loin qu’il existe aussi un droit à l’aide au suicide. »

En juillet 2021, un membre de l’association  CLW a été arrêté par la police néerlandaise pour un trafic de « poudre de suicide »[13]. Celui-ci était accusé d’avoir vendu ce produit à des dizaines de personnes depuis 2018. En juillet 2023, il a été condamné à trois de prison[14] pour 10 décès avérés, l’enquête ayant prouvé qu’il aurait écoulé environ 1600 paquets de ce cocktail mortel.

 

IV – UNE MULTIPLICATION DES DÉRIVES CONSTATÉES

 

Si la loi n’a pas formellement évolué depuis 2001, l’interprétation de celle-ci a laissé libre cours à des pratiques de plus en plus permissives. La loi prévoit des conditions relativement strictes, mais la pratique tend à élargir l’interprétation de celles-ci pour rendre l’euthanasie plus accessible.

A) Des euthanasies au détriment des soins palliatifs
  1. La loi sur l’euthanasie est intervenue « beaucoup trop tôt »

En décembre 2009, Madame Els Borst, ministre de la Santé des Pays-Bas en 2001, responsable de la loi légalisant l’euthanasie, s’est confiée dans un ouvrage d’entretiens avec Anne-Mei The, anthropologue et juriste : pour elle, la légalisation de l’euthanasie est intervenue « beaucoup trop tôt ». Elle pense que les pouvoirs publics n’ont pas prêté l’attention nécessaire aux soins palliatifs et à l’accompagnement des mourants. « Aux Pays-Bas, nous avons d’abord écouté la demande politique et sociétale en faveur de l’euthanasie. Évidemment, ce n’était pas dans le bon ordre. » Elle met en cause notamment la « pression sociale » venant des médecins, qui cherchaient à soulager leurs patients de leurs souffrances sans avoir à réaliser des « bricolages » illégaux.

2. Des sédations inappropriées et des euthanasies masquées

En 2013, le centre intégral du cancer néerlandais (NKNL) a dénoncé des euthanasies masquées[15] et des soins inappropriés apportés aux patients. Chaque année, 1700 cas de sédations en fin de vie pourraient relever de pratiques inadéquates cachant des euthanasies.

Dans le 3ème rapport quinquennal (2012-2016) d’évaluation de la loi néerlandaise, publié en juillet 2017, l’étude des certificats de décès montre que les « sédations profondes et continues jusqu’au décès » sont passées de 8,2% des décès en 2005 à 18% en 2015. Cette forte augmentation pose la question de mieux comprendre si cette technique relève des soins palliatifs ou des pratiques euthanasiques.

Par ailleurs, une étude rendue publique[16] le 26 août 2016, réalisée auprès de médecins du SCEN (Steun en Consultatie bij Euthanasie in Nederland), soutient que beaucoup d’euthanasies seraient pratiquées parce que la personne qui la demande n’aurait pas bénéficié d’une prise en charge adéquate.

B) Les personnes souffrant de troubles psychiatriques

La loi dispose explicitement que la demande du patient doit être volontaire et mûrement réfléchie. De ce fait, accorder l’euthanasie à des patients qui souffrent de troubles psychiatriques ou de démence pose problème. Pour une décision aussi irréversible que l’euthanasie, la question de la liberté de choix se pose pour toute personne, jusqu’au dernier moment. Lorsque le patient est atteint de troubles relatifs à sa santé mentale, l’expression de sa volonté demeure encore plus difficile à établir.

Pourtant les cas d’euthanasie dans ces situations ne sont pas rares. La référence à une directive anticipée (document écrit préalablement, demandant l’euthanasie dans les cas où la personne serait amenée par la suite à ne plus pouvoir donner son consentement) est fréquente pour justifier l’euthanasie des personnes démentes.

En 2016, un médecin gériatre a euthanasié une patiente atteinte de la maladie d’Alzheimer sans son consentement effectif au moment de l’acte, en versant préalablement un sédatif dans son café, à son insu. Dans cette affaire dite de la « koffie-euthanasie », la patiente avait certes rempli une directive anticipée d’euthanasie mais se débattait néanmoins au moment de l’injection létale. Le médecin et la famille ont alors retenu de force la patiente. La Commission de contrôle de l’euthanasie ainsi que les tribunaux néerlandais[17] –y compris la Cour suprême – ont tous considéré qu’aucune infraction n’avait été commise.

Le rapport 2009 des commissions régionales de contrôle faisait état de 12 cas d’euthanasies pratiquées pour des maladies neurologiques, dont des personnes démarrant la maladie d’Alzheimer. Selon  rapport annuel 2022, 403 euthanasies ont été déclarées cette année-là pour des pathologies psychiatriques (115 cas) et des démences (288 cas). La capacité d’une personne psychologiquement atteinte à donner son consentement n’est pas évidente à établir, et beaucoup de médecins refusent de pratiquer ce type d’euthanasies. La question des « souffrances sans perspective d’amélioration » peut aussi être soulevée pour certains cas de psychiatrie.

Le 16 février 2017, une pétition signée par 350 médecins dénonce les euthanasies de personnes démentes, et la multiplication des « cas limites ». « Donner une injection mortelle à un patient atteint de démence avancée, sur la simple base d’une déclaration anticipée ? À quelqu’un qui n’est pas en mesure de confirmer qu’il veut mourir ? Nous nous y refusons. Notre réticence morale à mettre fin à un être humain sans défense est trop grande[18]. »

En dépit de ces observations critiques, depuis la version 2020 de leur Code de déontologie, les commissions de contrôle néerlandaises autorisent désormais explicitement le médecin, confronté au cas d’une personne atteinte de démence et qui n’est pas en mesure de consentir à l’euthanasie, à lui donner la mort sur la base de sa déclaration anticipée (« testament de vie »). En outre, ce document invite le médecin – comme ce fut le cas lors de la koffie-euthanasie – à administrer une « prémédication » (correspondant à une forme de sédation) au patient à son insu, afin d’éviter toute résistance au moment de l’injection létale.

Plus largement, quand les seules souffrances psychiques sont à l’origine de demandes d’euthanasie, y compris pour des personnes souffrant de dépression, peut-on considérer que tout a été tenté pour soulager leurs souffrances ? En 2019 par exemple, un psychiatre est sollicité pour donner un second avis[19] sur une demande d’euthanasie que la Clinique de fin de vie (cf ci-dessous) est prête à réaliser. Celui-ci pose le diagnostic que le malade ne souffre pas d’hallucinations, mais d’obsessions. Il prescrit un nouveau traitement, qui se révèle rapidement efficace pour soulager la personne, qui souhaite désormais vivre.

C) La clinique de fin de vie : un moyen de contourner le refus des médecins

Alors que la loi prévoit explicitement que le médecin et le patient doivent conjointement parvenir à la conviction qu’il n’existe pas d’autre solution, certaines associations considèrent que la volonté du patient doit toujours primer, et que le refus d’un médecin de pratiquer une euthanasie ne doit pas empêcher celle-ci d’avoir lieu.

A partir de 2012, l’association NVVE (association pour la fin de vie volontaire) a mis en place des « équipes volantes[20] » permettant de donner satisfaction aux personnes dont les médecins traitants refusent l’euthanasie. Une trentaine d’équipes mobiles ont ainsi été constituées d’un médecin et d’un infirmier. L’association, avec un objectif initial de réaliser 1000 euthanasies par an, a également ouvert une « clinique de la mort » à la Haye, spécialisée dans les euthanasies. Dénommée « Levenseindekliniek » (« clinique de la fin de vie ») jusqu’en 2019, le centre a opté pour l’appellation explicite « Expertisecentrum euthanasie » (EE, « Centre d’expertise de l’euthanasie »).

La mise sur pied de ce dispositif a d’emblée été critiquée par l’association KNMG, regroupant 53 000 médecins, ces « équipes volantes » ne connaissant pas suffisamment bien les patients pour être à même de juger de leur état : « Nous ne sommes pas contre l’euthanasie s’il n’y a pas d’autre alternative. Mais l’euthanasie est un processus compliqué, à l’issue d’un traitement à long terme d’un patient, basé sur une relation de confiance. Il faut avoir une approche holistique du traitement du patient et voir notamment s’il existe une alternative à l’euthanasie : nous doutons sérieusement que cela puisse être fait par un médecin uniquement chargé de pratiquer des euthanasies[21]. »

Les médecins de la clinique de fin de vie seraient responsables de la plupart des 967 cas d’euthanasie en 2022, contre 107 en 2013 (cf. les rapports des commissions régionales). Ceux-ci acceptent effectivement les cas les plus tangents et « complexes » que les autres médecins ne jugent pas forcément justifiés, en dépit du fait qu’ils ne sont pas réellement inquiétés par la commission de contrôle ou la justice (voir ci-dessous).

V – UN CERTAIN LAXISME DES ORGANES DE CONTROLE

Si la loi n’a pas formellement évolué depuis 2001, l’interprétation de celle-ci s’avère extensive.

A) Les commissions régionales de contrôle ont une interprétation extensive de la loi

Les cinq commissions régionales de contrôle mises en place en 2002 sont des organes chargés d’étudier les signalements des cas d’euthanasie et de vérifier que les médecins agissent conformément aux critères de minutie. Ils rendent chaque année un rapport sur les euthanasies pratiquées dans leur région.

Dès 2008, un rapport officiel français relève que le taux de signalement des cas d’euthanasie est en constante augmentation chaque année. Mais le taux d’euthanasies clandestines est encore estimé à 20% en 2005, ce qui pose la question de la transparence de cette législation.

Ce rapport montre également « qu’aucune poursuite pénale n’a été exercée à l’encontre d’un médecin sur les fondements des articles 293 (euthanasie) et 294 (aide au suicide assisté) du code pénal. 24 cas litigieux ont été transmis par les commissions de contrôle au Collège des procureurs généraux en 6 ans. Dans la plupart des cas, les médecins concernés ont été invités à s’entretenir avec le Procureur de la Reine pour un simple rappel à l’ordre, le parquet, semble-t-il, n’ayant pas été saisi de deux avis de violation de la loi par le même médecin[22] ».

En 2016, ces commissions[23] n’ont demandé des informations complémentaires que pour 77 cas sur 6 091, soit 1,3% du total. Sur ces 77 cas, 10 euthanasies ont eu lieu alors que les médecins n’ont pas respecté les conditions requises.

Le 3ème rapport quinquennal (2012-2016) d’évaluation de la loi néerlandaise, publié en juillet 2017, donne les statistiques globales suivantes :

  • 0,2% des cas déclarés à la commission de contrôle ont été jugés non-conformes aux critères de minutie établis par la loi (76 cas sur les 43 171 cas déclarés entre 2002 et 2015).
  • La commission de contrôle a demandé des clarifications au médecin dans 4% des cas déclarés.
  • Dans 1% des cas déclarés, la commission de contrôle a convoqué le médecin à l’une de ses séances afin de clarifier l’affaire.

Ce rapport en conclut : « Lorsqu’un médecin a agi de manière non-conforme aux critères de minutie mais apparemment avec bonne foi, la commission préfère adopter à son égard une attitude éducative plutôt que d’entamer des poursuites. »

Le sérieux du contrôle de l’euthanasie a par ailleurs été largement remis en cause par David Miller and Scott Kim, chercheurs du département de bioéthique au National Institute of Health (NIH) (USA), à travers un article paru dans le British Medical Journal Open[24] en 2017.

B) Pour la Justice, aucune dérive constatée depuis 2001

Quant à la justice, elle se montre particulièrement large également : en témoigne l’affaire Albert Heringa, dans laquelle un homme a été acquitté en appel en 2015, alors même qu’il avait assisté sa mère au suicide dans des conditions contraires à la loi. Une décision discutable d’euthanasie familiale, « au motif qu’il avait agi dans une « situation d’urgence », ayant eu à décider entre respecter la loi ou se plier à une « obligation morale non écrite » en procurant à sa mère les produits mortels lui permettant de se suicider[25]. »

En 2014, par trois fois, la clinique de fin de vie a été blâmée par les commissions régionales de contrôle pour insuffisance d’instruction des dossiers de demande, mais cette clinique a continué de développer son activité sans être inquiétée. En 2015, deux euthanasies[26] ont été jugées non conformes aux exigences de la loi par les commissions de contrôle. Malgré cela, aucune poursuite pénale n’a été engagée contre la clinique de fin de vie, pourtant responsable de ces actes.

Plusieurs autres cas controversés ont été médiatisés. À titre d’exemple, en 2016, une personne alcoolique de 41 ans[27] a été euthanasiée pour ce seul motif. Une jeune femme de 20 ans,  abusée plusieurs fois[28] sexuellement dans son enfance, et souffrant de séquelles psychologiques, a également été euthanasiée, les médecins ayant conclu que ses souffrances physiques et mentales étaient devenues insupportables.

Rappelons enfin (cf §IV-B) le cas survenu en 2016 concernant une résidente de maison de retraite[29] souffrant de la maladie d’Alzheimer : la commission de contrôle avait alors transmis ce cas à la justice non pour obtenir la condamnation du médecin, mais pour que soit clarifié le pouvoir du médecin dans une telle situation. La Cour suprême, en 2020, a d’ailleurs finalement validé une telle procédure[30], désormais intégrée dans le code de bonnes conduites des commissions régionales de contrôle.

C) Après plus de 20 ans de pratique, « l’offre crée la demande »

Fin 2022, Théo Boer, professeur d’éthique de la santé et ancien membre d’une Commission de contrôle, s’est publiquement inquiété de l’interprétation de plus en plus large des critères juridiques pour accéder à l’euthanasie dans son pays.

Il a résumé cette évolution ainsi : « Au cours des premières années de l’euthanasie aux Pays-Bas, celle-là concernait presque exclusivement les adultes mentalement aptes et en phase terminale. Après quelques décennies, la pratique s’est étendue aux personnes souffrant de maladies chroniques, aux personnes handicapées, à celles souffrant de problèmes psychiatriques, aux adultes non autonomes ayant formulé des directives anticipées ainsi qu’aux jeunes enfants. Actuellement, nous discutons d’une extension aux personnes âgées sans pathologie[31]. »

Il a par ailleurs synthétisé l’évolution des comportements dans son pays par une formule qui rappelle l’impact normatif de la loi : « On a assez de recul aujourd’hui pour savoir qu’une loi sur l’euthanasie crée la demande. Confier cette responsabilité au médecin légitime ce geste. Si la loi dit que le médecin qui vous a aidé à accoucher, qui vous a soigné, qui a toute votre confiance, peut vous tuer, cela normalise cet acte. Cela suggère que l’euthanasie n’est pas un problème et les demandes augmentent car la barrière de l’interdit de tuer est tombée[32]. »

VI – LE MAL-ETRE D’UNE PARTIE DU CORPS MEDICAL

A) Une absence de clause de conscience pour les médecins

Aux Pays-Bas, les médecins ne bénéficient pas de clause de conscience formelle, c’est-à-dire d’un droit de refuser une opération d’euthanasie pour des raisons personnelles, morales ou éthiques. Des directives KNGM (Association médicale royale néerlandaise), mises en place en 2011, précisent les conditions de pratique de l’euthanasie, et incluent le médecin dans le processus de décision pour certaines opérations.

Dans ses recommandations conclusives, le 3ème rapport quinquennal (2012-2016) d’évaluation de la loi néerlandaise souligne cependant que « le gouvernement devrait réaffirmer le fait que les médecins ne sont pas tenus d’accéder aux demandes d’euthanasie. » Le rapport fait également la suggestion suivante : « Abandonner l’idée d’inclure dans la loi euthanasie le devoir de référer à un confrère pour les médecins qui refusent une demande d’euthanasie ou de suicide assisté (Clause de conscience). »

En ce qui concerne la sédation palliative, c’est normalement au médecin de prendre la décision, avec l’accord du patient. Cependant en mars 2017 un médecin néerlandais, spécialiste en gériatrie, a été condamné d’un blâme par le conseil de discipline des soins de santé de la Haye. Il avait refusé de sédater une patiente, considérant que celle-ci était calme, dormait bien, et réagissait bien aux doses de morphine, et qu’aucun symptôme réfractaire n’avait été observé.

Le Conseil a considéré que le médecin devait prendre en compte la souffrance psychique d’être encore en vie, et que le seul fait de vouloir mourir peut être qualifié de symptôme réfractaire.

B) Un poids psychologique important chez les médecins

Des personnalités telles que le professeur Theo Boer[33] dénoncent un glissement vers la banalisation et une perte de contrôle de l’euthanasie, qui tendrait à devenir la manière de mourir par défaut des patients atteints de cancer.

En 2015, une enquête a été menée auprès de 500 médecins par la fédération médicale néerlandaise (KNMG) et met en exergue le ressenti de ces derniers par rapport à l’euthanasie. Les médecins dénoncent une banalisation de l’acte, en déplorant que de plus en plus de patients souhaitent recourir à l’euthanasie comme substitut à la mort naturelle. 60 % d’entre eux estiment subir « une pression de la part des patients ou de la famille pour les pousser à pratiquer l’euthanasie » et 90 % considèrent que l’on sous-estime la charge que l’euthanasie représente pour les médecins.

La pétition des médecins concernant les personnes démentes souligne aussi que l’euthanasie est un acte difficile pour les médecins (cf § IV-B).

 

VII – LES CRITIQUES D’OBSERVATEURS ETRANGERS

A) Une loi floue pour les parlementaires français

Des parlementaires français ont étudié la loi néerlandaise en 2008, au cours d’un voyage d’étude approfondi. Il ressort de leur analyse que l’application de cette loi présente plusieurs caractéristiques qui posent question : « les critères d’évaluation du degré de la souffrance du patient sont flous, l’existence même d’un contrôle a posteriori faisant porter la vérification plus sur le respect de la procédure que sur la réalité des motifs médicaux ; l’appréciation du médecin est subjective et la méconnaissance de la loi n’est pas sanctionnée. Il y a quelque paradoxe à revendiquer haut et fort un droit à l’autonomie de la personne et à s’en remettre avec cette réglementation à la décision du médecin, cette législation consacrant de fait le pouvoir médical[34] ».

B) Une interpellation du Comité des Droits de l’homme de l’ONU

En juillet 2009, dans son rapport périodique relatif aux Pays-Bas, le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU s’est inquiété du nombre élevé de cas d’euthanasies et de suicides assistés dans ce pays. Il a « demandé instamment » aux Pays Bas de réviser sa législation pour se mettre en conformité avec les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.

Deux sujets ont été abordés en particulier :

  • Le nombre important d’euthanasies et de suicides assistés, et sa progression chaque année.
  • Certaines modalités posent question : le fait d’autoriser un médecin à mettre fin à la vie d’un patient sans recourir à l’avis d’un juge, et le fait que le deuxième avis médical requis puisse être obtenu au travers d’une ligne téléphonique d’urgence.

Malgré ces critiques, les Pays-Bas n’ont pas revu leur législation. Le nombre d’euthanasies a continué à progresser chaque année, avec une interprétation de plus en plus extensive de la loi et une pression croissante de certains d’en élargir la portée.

Dans son rapport périodique suivant, adopté en 2019, le Comité des Droits de l’Homme réitère ses inquiétudes quant à l’encadrement de la pratique de l’euthanasie aux Pays-Bas, s’interrogeant notamment sur « les critères applicables à l’aide médicale à l’interruption de la vie, […] les modalités d’application de ces critères et les garanties juridiques et institutionnelles mises en place pour s’assurer que les professionnels de la santé respectent la décision du patient, qui doit être libre, éclairée, explicite et dépourvue d’ambiguïté ».

 

ANNEXE

Les évolutions du cadre légal avant la loi de 2001

1973 : une première décision judiciaire enfreint la loi, un médecin n’est condamné qu’à une peine symbolique pour avoir pratiqué une euthanasie sur sa mère. D’autres jugements similaires suivent.

27 novembre 1984 : la Cour Suprême des Pays-Bas introduit dans la jurisprudence la notion de « force majeure », qu’un médecin peut invoquer lorsqu’il a eu recours à une euthanasie mais qu’il a agi en conscience et dans le respect de l’éthique médicale.

1988 : proposition de loi prévoyant une modification du Code pénal, pour dépénaliser les actes d’euthanasie ou de suicides assistés. Elle aboutit en 1989 sur un accord selon lequel il faut créer une commission nationale d’enquête.

1er novembre 1990 : une procédure est instaurée pour réglementer la déclaration des médecins en cas d’euthanasie.

8 novembre 1991 : le gouvernement fait une proposition au Parlement néerlandais pour dépénaliser « de fait » (et non « en droit ») l’euthanasie. Il ne s’agit pas de légaliser l’euthanasie, mais de légaliser la possibilité de déclaration de décès par euthanasie. Implicitement, le projet de loi reconnaît que l’euthanasie peut être un acte médical légitime.

9 février 1993 : cette proposition de loi est acceptée par le Parlement et entre en vigueur.

Fin des années 90 : débats parlementaires pour dépénaliser « en droit » l’euthanasie et le suicide assisté, aboutissant à la loi du 12 avril 2001.

 

[1] « Pays-Bas : sédations inappropriées », Alliance Vita, 17/10/2013, disponible sur : https://www.alliancevita.org/2013/10/pays-bas-sedations-inappropriees/, (consulté le 03/06/2024).

[2] Stef Groenewoud, Theo Boer, Femke Atsma, Mina Arvin and Gert Westert, “Euthanasia in the Netherlands: a claims data cross-sectional study of geographical variation”, BMJ Supportive & Palliative Care 2021;0:1–11, disponible sur : https://doi. org/10.1136/bmjspcare-2020-002573

[3] « Panorama des législations sur l’aide active à mourir dans le monde », Parlons fin de vie, disponible sur : https://www.parlons-fin-de-vie.fr/wp-content/uploads/2023/06/panorama_des_legislations_mai_2022.pdf, (consulté le 03/06/2024)

[4] « Pays-Bas : l’euthanasie sera possible pour les moins de douze ans », Le Figaro, 14/04/2023, disponible sur : https://www.lefigaro.fr/international/pays-bas-l-euthanasie-sera-possible-pour-les-moins-de-douze-ans-20230414, (consulté le 03/06/2024).

[5] Jean-Pierre Stroobants, « Aux Pays-Bas, le gouvernement veut autoriser le suicide assisté des personnes âgées », Le Monde, 19/10/2016, disponible sur : https://www.lemonde.fr/international/article/2016/10/19/aux-pays-bas-le-gouvernement-veut-autoriser-le-suicide-assiste-des-personnes-agees_5016118_3210.html, (consulté le 03/06/2024).

[6] « Pays-Bas : le suicide assisté après une « vie accomplie » de retour au Parlement », Génèthique, 9/11/2023, disponible sur : https://www.genethique.org/pays-bas-le-suicide-assiste-apres-une-vie-accomplie-de-retour-au-parlement/?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_campaign=modele-lettre_80, (consulté le 03/06/2024).

[7] Johannes Mulder and Johan P.C. Sonneveld, « Organ donation after medical assistance in dying at home »

CMAJ November 05, 2018 190 (44) E1305-E1306; DOI: https://doi.org/10.1503/cmaj.170517.

[8] Stefan Haensel Erwin Kompanje,  « Orgaandonatie na euthanasie: de vrijblijvendheid voorbij », Medisch Contact, 03/02/2020, disponible sur : https://www.medischcontact.nl/actueel/laatste-nieuws/artikel/orgaandonatie-na-euthanasie-de-vrijblijvendheid-voorbij, (consulté le 03/06/2024).

[9] « Des médecins canadiens demandent d’autoriser l’euthanasie « par » prélèvement des organes », Institut Européen de Bioéthique, 26/09/2018, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/statut-du-corps-humain/don-d-organes-et-euthanasie/des-medecins-canadiens-demandent-d-autoriser-l-euthanasie-par-prelevement-des-organes-1483.html?backto=bulletin, (consulté le 03/06/2024).

[10] C. du Bus, « Nouveau Dossier de l’IEB : Don d’organes & euthanasie : éthiquement compatibles ? », Institut Européen de Bioéthique, 28/05/2020, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/statut-du-corps-humain/don-d-organes-et-euthanasie/nouveau-dossier-de-l-ieb-don-d-organes-euthanasie-ethiquement-compatibles-1808.html, (consulté le 03/06/2024).

[11] « La pilule du suicide attire les Néerlandais », RTBF, 03/09/2017, disponible sur : https://www.rtbf.be/article/la-pilule-du-suicide-attire-les-hollandais-9699011, (consulté le 03/06/2024).

[12] « Coöperatie Laatste Wil dagvaardt staat om ‘levenseinde in eigen regie’ », Medisch Contact, 09/04/2021, disponible sur : https://www.medischcontact.nl/actueel/laatste-nieuws/nieuwsartikel/cooperatie-laatste-wil-dagvaardt-staat-om-levenseinde-in-eigen-regie-?mailkey=&utm_source=mc_nieuwsbrief&utm_medium=email, (consulté le 03/06/2024).

[13] Sabine Cessou, « Aux Pays-Bas, la « poudre de suicide » au cœur d’une affaire judiciaire », La Croix, 01/09/2021, disponible sur : https://www.la-croix.com/Monde/Pays-Bas-poudre-suicide-coeur-dune-affaire-judiciaire-2021-09-01-1201173267, (consulté le 03/06/2024).

[14] « Pays-Bas : un homme condamné à trois ans de prison pour avoir vendu des kits de suicide », LINFO.RE, 23/07/2023, disponible sur : https://www.linfo.re/monde/europe/pays-bas-un-homme-condamne-a-trois-ans-de-prison-pour-avoir-vendu-des-kits-de-suicide, (consulté le 03/06/2024).

[15] « Pays-Bas : sédations inappropriées », Alliance Vita, 17/10/2013, disponible sur : https://www.alliancevita.org/2013/10/pays-bas-sedations-inappropriees/, (consulté le 03/06/2024).

[16] « Pays-Bas : face à l’euthanasie, des médecins-conseil réagissent », Institut Européen de Bioéthique, 26/08/2016, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/bulletin/pays-bas-face-a-l-euthanasie-des-medecins-conseil-reagissent-386.html, (consulté le 03/06/2024).

[17] « Breaking news : la justice néerlandaise acquitte un médecin poursuivi pour meurtre », Institut Européen de Bioéthique, 11/09/2019, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/breaking-news-la-justice-neerlandaise-acquitte-un-medecin-poursuivi-pour-meurtre-1663.html?backto=pays, (consulté le 03/06/2024).

[18] Raphaëlle d’Yvoire, « Pays-Bas, des médecins s’élèvent contre l’euthanasie de personnes démentes », La Croix, 13/02/2017, disponible sur : https://www.la-croix.com/Sciences/Sante/Pays-Bas-medecins-selevent-contre-leuthanasie-personnes-dementes-2017-02-13-1200824431, (consulté le 03/06/2024).

[19] C. du Bus, « Sur le point d’être euthanasié, un patient psychiatrique guérit grâce à un deuxième médecin », Institut Européen de Bioéthique, 27/02/2020, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/sur-le-point-d-etre-euthanasie-un-patient-psychiatrique-guerit-grace-a-un-deuxieme-medecin-1751.html, (consulté le 03/06/2024).

[20] « Euthanasie : Brigades de la mort aux Pays-Bas », Alliance Vita, 01/03/2012, disponible sur : https://www.alliancevita.org/2012/03/euthanasie-brigades-de-la-mort-aux-pays-bas/, (consulté le 03/06/2024).

[21] « Pays-Bas : des équipes mobiles aident les malades incurables à mourir », Maxisciences, 01/03/2012, disponible sur : https://www.maxisciences.com/sante/maladies/pays-bas-des-equipes-mobiles-aident-les-malades-incurables-a-mourir_art22325.html, (consulté le 03/06/2024).

[22] Assemblée Nationale, « Rapport d’information », 22/04/2005, disponible sur : https://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i1287-t1.pdf, (consulté le 03/06/2024).

[23] « Pays-Bas : accroissement de 10% des cas d’euthanasie en 2016 », Institut Européen de Bioéthique, 18/04/2017, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/bulletin/pays-bas-accroissement-de-10-des-cas-d-euthanasie-en-2016-418.html, (consulté le 03/06/2024).

[24] Miller DG, Kim SYH. Euthanasia and physician-assisted suicide not meeting due care criteria in the Netherlands: a qualitative review of review committee judgementsBMJ Open 2017;7:e017628. doi: 10.1136/bmjopen-2017-017628.

[25] « Pays-Bas : acquitté en appel d’avoir aidé sa mère à se suicider », », Institut Européen de Bioéthique, 04/06/2015, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/bulletin/pays-bas-acquitte-en-appel-d-avoir-aide-sa-mere-a-se-suicider-328.html, (consulté le 03/06/2024).

[26] Alwin Kuiken, « Euthanasie-artsen Levenseindekliniek niet vervolgd », Trouw, 29/04/2016, disponible sur : https://www.trouw.nl/nieuws/euthanasie-artsen-levenseindekliniek-niet-vervolgd~b2d6984e/, (consulté le 03/06/2024).

[27] « Pays-Bas : un alcoolique, père de deux enfants, euthanasié à sa demande », Le Parisien, 01/12/2016, disponible sur : https://www.leparisien.fr/faits-divers/pays-bas-un-alcoolique-pere-de-deux-enfants-euthanasie-a-sa-demande-01-12-2016-6401064.php, (consulté le 03/06/2024).

[28] Laura Maucci & Eléanor Douet, « Pays-Bas : une jeune femme, victime d’abus sexuels a obtenu le droit de se faire euthanasier », RTL, 13/05/2016, disponible sur : https://www.rtl.fr/actu/international/pays-bas-une-jeune-femme-victime-d-abus-sexuels-a-obtenu-le-droit-de-se-faire-euthanasier-7783212751, (consulté le 03/06/2024).

[29] « Breaking news : la justice néerlandaise acquitte un médecin poursuivi pour meurtre », Institut Européen de Bioéthique, 11/09/2019, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/breaking-news-la-justice-neerlandaise-acquitte-un-medecin-poursuivi-pour-meurtre-1663.html?backto=pays, (consulté le 03/06/2024).

[30] C. du Bus, « Personnes démentes et consentement à l’euthanasie : la Cour suprême des Pays-Bas livre son interprétation », Institut Européen de Bioéthique, 23/04/2020, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/personnes-dementes-et-consentement-a-l-euthanasie-la-cour-supreme-des-pays-bas-livre-son-interpretation-1786.html, (consulté le 03/06/2024).

[31] Theo Boer, « Fin de vie :  Ce qui est perçu comme une opportunité par certains devient une incitation au désespoir pour les autres », Le Monde, 01/12/2022, disponible sur : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/01/fin-de-vie-ce-qui-est-percu-comme-une-opportunite-par-certains-devient-une-incitation-au-desespoir-pour-les-autres_6152451_3232.html, (consulté le 03/06/2024).

[32] Agnès Leclair, « Euthanasie : En Hollande, les demandes augmentent car la barrière de l’interdit de tuer est tombée », Le Figaro, 08/12/2022, disponible sur : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/euthanasie-la-barriere-de-l-interdit-de-tuer-est-tombee-20221208, (consulté le 03/06/2024).

[33] Sixtine Chartier, « Aux Pays-Bas, nous n’avons pas réussi à intégrer les personnes âgées », La Vie, 20/10/2016, disponible sur : https://www.lavie.fr/actualite/societe/aux-pays-bas-nous-navons-pas-reussi-a-integrer-les-personnes-agees-11857.php, (consulté le 03/06/2024).

[34] Assemblée Nationale, « Rapport d’information », 22/04/2005, disponible sur : https://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i1287-t1.pdf, (consulté le 03/06/2024).

 

Législation en vigueur aux Pays-Bas :

bilan de l'euthanasie aux pays-bas 2023

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Bilan de l’euthanasie en Belgique : de 2002 à 2023

Bilan de l’euthanasie en Belgique : de 2002 à 2023

Bilan de l’euthanasie en Belgique : de 2002 à 2023

Vingt ans après l’adoption de la loi du 28 mai 2002 légalisant l’euthanasie en Belgique, 33 613 personnes ont été euthanasiées entre 2002 et 2023, selon les données officielles de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie.

Ce nombre important suscite des interrogations multiples, auxquelles la présente note cherche à répondre. Quelle est la législation applicable, et où en sont les débats actuels pour en élargir l’application ? Quelles sont les données statistiques précises ? Quelles sont les dérives constatées dans l’application de la loi, et quelles réactions ces dérives éthiques suscitent-elles ?

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                                                                                                                                                                                  _____________________

I – LA SYNTHÈSE

 

La Belgique a dépénalisé l’euthanasie en 2002 pour les personnes majeures. En 2014, la loi a été étendue aux mineurs sans limite d’âge. Depuis vingt ans, le nombre d’euthanasies n’a cessé d’augmenter rapidement, et les propositions de loi se sont multipliées pour faciliter et élargir la pratique de l’euthanasie.

De fait, les informations disponibles mettent en lumière de multiples dérives dans l’interprétation et dans l’application de la loi : persistance de nombreuses euthanasies clandestines, interprétation de plus en plus large des critères à respecter (notamment sur la notion de « souffrance physique ou psychique constante, insupportable et inapaisable »), croissance des euthanasies de personnes dépressives, rôle discutable de la commission fédérale de contrôle, utilisation ambigüe d’euthanasies pour des dons d’organes, remise en cause de la clause de conscience, etc.

Les mentalités, surtout dans les régions néerlandophones, évoluent rapidement vers une banalisation de l’euthanasie, au nom de l’autonomie et de « la liberté de l’individu à disposer de sa vie et de sa mort », dans une vision utilitariste et individualiste de l’existence. L’euthanasie est progressivement considérée comme un droit opposable aux soignants, dont on peut réclamer l’application pour soi- même ou pour des proches, même si les conditions ne sont pas clairement réunies.

Pour autant, face à ces dérives, une réelle opposition commence à se faire entendre. A titre d’exemple : des professionnels de la santé témoignent des dérives dans leur service, des ouvrages et films documentaires sur les conditions d’euthanasies se multiplient, les représentants religieux s’unissent pour défendre la dignité des personnes fragilisées, sans oublier l’activité des réseaux sociaux qui ne cessent d’informer et d’alerter, spécialement au niveau international.

 

II – LES DONNÉES STATISTIQUES

 

Le communiqué officiel publié par la Commission fédérale de contrôle en février 2024 fait état de 3 423 déclarations d’euthanasies reçues en 2023, soit une hausse de 15% par rapport à 2022.

De fait, depuis le vote de la loi de 2002, le nombre d’euthanasies a plus que décuplé (voir tableau ci-dessous).

Ainsi, en 2023, la Belgique enregistrait officiellement en moyenne plus de 9 euthanasies par jour (pour une population de 11,6 millions d’habitants, inférieure à celle de la région Ile-de-France). Cela représente en moyenne 3,1% du total des décès de l’année.

Parmi les euthanasies déclarées en 2023 :

  • 48,6% concernaient des hommes et 51,4% des femmes ;
  • 70,8% des déclarations provenaient de la partie flamande (rédaction en néerlandais) ;
  • 70,7% avaient plus de 70 ans, mais plus d’une centaine avait moins de 50 ans ;
  • 48,6% des euthanasies ont eu lieu au domicile ;
  • dans 20,8% des cas, « le décès n’était pas attendu à brève échéance », ce qui signifie que plus de 700 personnes n’étaient pas en fin de vie au moment de leur euthanasie.
  • Les personnes ayant eu recours à une euthanasie souffraient en majorité de cancers (55,5% des cas) ou de polypathologies (23,2%) dont près de la moitié ont été pratiquées alors que le décès n’était pas attendu à brève échéance ; cette dernière rubrique assez floue progressant fortement année après année (seulement 4% en 2012).
  • Dans 76,2% des cas des souffrances physiques et psychiques ont été mentionnées simultanément. 89 personnes ont été euthanasiées en raison d’affections psychiatriques (comme des troubles de la personnalité ou dépression) ou de troubles cognitifs (comme la maladie d’Alzheimer).

Les premières euthanasies de mineurs ont été réalisées en 2016 et 2017 sur des enfants de 9, 11 et 17 ans. Une euthanasie sur mineur a été déclarée en 2019 et une autre en 2023.

Comme les années précédentes, la Commission fédérale de contrôle a estimé « que toutes les déclarations reçues répondaient aux conditions essentielles de la loi et aucune n’a été transmise au procureur du Roi. » On peut s’interroger sur la réalité du contrôle exercé par cette Commission, surtout depuis la condamnation de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’homme en 2022 (voir les précisions au § V-1).

Ces chiffres officiels ne reflètent cependant pas totalement la réalité, car les euthanasies clandestines demeurent nombreuses : les études scientifiques estiment qu’il convient d’ajouter environ 25 à 35% d’euthanasies non déclarées(voir l’analyse détaillée au § IV-2).

Des statistiques plus détaillées sont disponibles dans le rapport de la Commission fédérale de contrôle. Le dernier en date, publié en décembre 2022, porte sur les années 2020-2021. Un rapport plus détaillé portant sur les années 2022-2023 sera publié par la CFCEE dans le courant de l’année 2024.

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[1]

L’Institut Européen de Bioéthique (IEB) en a publié une synthèse avec les principaux tableaux et des analyses pertinentes.

 

III – LA LÉGISLATION

 

1 - La loi initiale de 2002

Par une loi du 28 mai 2002, la pratique de l’euthanasie a été dépénalisée sous certaines conditions. Le texte exonère de toute responsabilité pénale le médecin qui « met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle-ci », et qui s’est assuré que plusieurs conditions de fond et de procédure sont réunies. Les principales dispositions[2] de la loi (avant son extension aux mineurs) sont les suivantes :

  • Le patient est « majeur ou mineur émancipé, capable et conscient au moment de sa demande ».
  • La demande est formulée « de manière volontaire, réfléchie et répétée, et qu’elle ne résulte pas d’une pression extérieure ».
  • Le patient doit se trouver « dans une situation médicale sans issue et un état de souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ».
  • Le médecin doit consulter un second praticien qui vérifie que ces conditions sont remplies. Si le patient n’est pas en phase terminale, un troisième médecin doit être consulté, psychiatre ou spécialiste de la pathologie concernée, et un délai d’un mois doit être respecté entre la demande écrite et l’euthanasie.
  • A l’issue de l’euthanasie, dans les quatre jours qui suivent, le médecin remplit un formulaire destiné à la Commission fédérale de contrôle, afin que celle-ci vérifie la légalité de l’acte accompli, sur base des informations qu’il fournit.
  • Les médecins qui ne souhaitent pas réaliser d’euthanasie bénéficient d’une clause de conscience.
  • Seul un médecin peut pratiquer l’euthanasie. Les actes dits « préparatoires comme par exemple le placement d’une perfusion, ne font pas partie de l’acte d’euthanasie en lui-même » selon la Commission fédérale de contrôle ; ils peuvent donc être effectués par les infirmiers. Toutefois, un infirmier[3] peut très bien refuser de placer la perfusion (plus largement, la loi prévoit qu’« aucune autre personne n’est tenue de participer à une euthanasie»).

Une Commission fédérale de contrôle et d’évaluation, composée de 16 membres, est chargée de vérifier a posteriori la conformité de tous les actes d’euthanasie pratiqués en Belgique. Tout médecin qui réalise une euthanasie doit en effet remettre à la Commission un rapport sur l’acte réalisé. Si elle estime que les conditions n’ont pas été respectées, la Commission doit saisir la justice. Elle transmet tous les deux ans un rapport au Parlement.

2 - La loi sur les mineurs du 28 février 2014

A partir de 2010, plusieurs propositions de loi ont été déposées concernant les mineurs. Le Sénat belge a adopté en décembre 2013 un projet d’extension de la loi de 2002, pour étendre l’euthanasie aux mineurs sans limite d’âge. Ce texte va ainsi plus loin que la législation des Pays-Bas, qui ne l’autorise formellement qu’à partir de l’âge de 12 ans.

Sur ce sujet très délicat, les débats à la Chambre des représentants (équivalent de l’Assemblée nationale en France) ont été peu approfondis, les promoteurs du texte voulant aboutir à une loi très rapidement. Les députés de la Chambre ont adopté le projet le 14 février 2014, et le texte est devenu la loi du 28 février 2014.

La Belgique est ainsi devenue le seul pays au monde à permettre d’euthanasier des enfants quel que soit leur âge, sur la seule base de leur capacité de discernement, notion particulièrement difficile à mesurer.

Pour que l’euthanasie d’un mineur puisse avoir lieu, il faut respecter certains critères spécifiques :

  • Le patient mineur doit être « doté de la capacité de discernement ».
  • Il doit se trouver « dans une situation médicale sans issue de souffrance physique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui entraîne le décès à brève échéance et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ».
  • Il doit effectuer une consultation chez un pédopsychiatre ou un psychologue en précisant les raisons de sa consultation.
  • Il faut que l’accord de ses représentants légaux (les parents en général) soit acté par écrit.

Alors que les médecins favorables à cette extension de la loi estimaient qu’une dizaine de jeunes seraient concernés chaque année[4], aucune demande d’euthanasie de mineurs n’a été enregistrée pendant plus de deux ans et demi. Un premier cas a été rendu public[5] le 17 septembre 2016, à l’initiative du président de la Commission fédérale de contrôle, le professeur Wim Distelmans, qui avait beaucoup œuvré pour faire voter cette loi. Au total, quatre euthanasies sur mineur ont jusqu’ici été déclarées à la Commission : deux en 2016, une en 2017 et une en 2019.

3 - La loi du 15 mars 2020 visant à modifier la législation relative à l'euthanasie

La dernière loi de modification de la législation sur l’euthanasie a été adoptée en mars 2020. Celle-ci comprend trois changements principaux :

  • En premier lieu, la durée de validité de la déclaration anticipée d’euthanasie passe de cinq ans à une durée indéterminée. Cette déclaration anticipée (ressemblant aux directives anticipées françaises, mais centrée sur la demande d’euthanasie de l’individu « pour le cas où il ne pourrait plus manifester sa volonté ») permet aux citoyens inconscients d’être euthanasiés et ce, à la demande d’une personne de confiance qu’ils ont eux-mêmes désignée dans leur déclaration.
  • La deuxième modification affaiblit la clause de conscience, en contraignant le médecin qui refuse de pratiquer l’euthanasie – y compris pour des motifs médicaux – à « transmettre au patient les coordonnées d’un centre ou d’une association spécialisée en matière de droit à l’euthanasie », ce qui revient à participer de manière indirecte mais non moins concrète à l’acte d’euthanasie.
  • La troisième modification prévoit qu’ « aucune clause écrite ou non écrite ne peut empêcher un médecin de pratiquer une euthanasie dans les conditions légales ». Une telle mesure vise en pratique à contraindre les institutions de soins à accepter la pratique de l’euthanasie en leurs murs, y compris les hôpitaux et maisons de repos qui privilégient d’autres approches que la mort par euthanasie, par exemple à travers un accompagnement continu des personnes jusqu’à leur décès, par le biais des soins palliatifs. Sur cette question, un procès s’est tenu en mai 2016 contre la maison de retraite Sint Augustinus, de Diest en Brabant flamand. Celle-ci avait refusé en 2011 l’accès à un médecin venu pratiquer une euthanasie dans ses murs. Suite à la plainte de la famille, le tribunal de Louvain a condamné l’établissement[6]. Un dédommagement de 6 000 € a dû être versé aux membres de la famille pour le préjudice qu’ils ont subi pour avoir dû déplacer leur mère à son domicile afin que celle-ci puisse être euthanasiée.
4 - Les projets visant à élargir l’accès à l’euthanasie aux personnes atteintes de démence ou seulement « fatiguées de vivre »

L’euthanasie est déjà autorisée et pratiquée en Belgique chez les personnes atteintes de démence à un stade initial et qui conservent la capacité de consentement. Elle est également possible si la personne l’a demandée dans une déclaration anticipée et est tombée dans le coma ou se trouve dans un état végétatif.

Dès 2019, plusieurs propositions de loi ont été déposées à la Chambre des représentants pour élargir l’euthanasie aux personnes atteintes de démence (Alzheimer par exemple), qui auraient rempli une déclaration anticipée d’euthanasie mais n’auraient plus la capacité de discernement. Dans ce cas, la personne incapable d’exprimer sa volonté, mais toujours consciente, pourrait se faire euthanasier si elle se trouve dans un état qu’elle a elle-même mentionné dans sa déclaration anticipée d’euthanasie.

Certains politiques ou personnalités belges souhaitent par ailleurs autoriser l’euthanasie pour les personnes qui se déclarent « fatiguées de vivre », sans être affectées d’une pathologie particulière. Il convient rappeler que l’euthanasie est déjà possible pour cause de troubles psychiques, en matière de dépression par exemple (voir ci-dessous § V-3). L’intégration de critère de la fatigue de vivre ferait clairement évoluer le régime de dépénalisation de l’euthanasie vers l’organisation d’un suicide sans cause médicale mais médicalement assisté, fondé sur la seule volonté de mourir du patient (voir ci-dessous § V-2).

Mais concilier cette faculté de suicide avec les politiques de prévention du suicide à tout âge pose de redoutables problèmes non résolus. Ces enjeux ont été analysés dès 2017 par le Comité Consultatif de Bioéthique de Belgique (CCBB) son Avis n°73. Les Pays-Bas débattent du même sujet depuis plusieurs années également.

5 - Les modifications à faire à la demande de la justice

En octobre 2022 ont été rendus deux jugements importants qui contiennent une injonction au Gouvernement belge de modifier la loi sur l’euthanasie. Il s’agit d’une part d’un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, pour corriger les défaillances dans le dispositif de contrôle a posteriori des actes d’euthanasie (voir ci-dessous l’affaire Mortier, § V-1), et d’autre part d’une décision de la Cour Constitutionnelle belge, pour clarifier les sanctions applicables en cas de non-respect des conditions et procédures fixées par la loi (voir ci-dessous l’affaire Nys, § IV-3).

Dans la continuité de cette réforme, le Parlement fédéral se penche actuellement sur la refonte du système de sanctions en cas de violation de la loi sur l’euthanasie. Le nouveau système, voté en première lecture en commission de la Justice le 14 février 2024 envisage un allègement considérable des peines prévues en la matière, allant jusqu’à la suppression de toute sanction pénale en cas de non-respect de certaines conditions[7].

 

IV – DES DÉRIVES LIÉES AU NON-RESPECT DES CONDITIONS FIXÉES PAR LA LOI

Les motifs d’inquiétude sur le non-respect de la loi sont aujourd’hui multiples.

1 - Des euthanasies clandestines qui restent nombreuses

Un des arguments souvent mis en avant pour justifier une légalisation de l’euthanasie est de mettre fin aux euthanasies clandestines. En Belgique, de nombreuses années après le vote de la loi de 2002, il existe toujours des euthanasies non déclarées, soit par négligence, soit pour se soustraire au dispositif de contrôle.

La Commission de contrôle elle-même va jusqu’à reconnaître que tous les cas douteux ne sont pas déclarés. Son Président, le Pr Wim Distelmans, déclarait dans le cadre d’un reportage Complément d’enquête, diffusé sur France2 le 30 octobre 2014 : « Les cas déclarés sont tous en conformité avec la loi. Il peut y avoir des petites erreurs de procédure mais ils respectent tous la législation. Les cas douteux évidemment, les médecins ne les déclarent pas, alors on ne les contrôle pas[8] ».

Ce même président a commenté le rapport publié en 2015 en reconnaissant que les euthanasies officielles ne représentaient qu’une partie des euthanasies réellement effectuées en Belgique : « Reste dans l’ombre, rappelons-le, le nombre d’euthanasies posées mais non-déclarées, ce qui nous empêche d’avoir une vue réelle sur l’ampleur de la question », rapporte le site 7sur7[9].

A titre d’exemple, une étude menée par des chercheurs de l’Université libre de Bruxelles et de celle de Gand a été publiée dans Social Science & Medicine en juillet 2012. Il s’agit d’une enquête approfondie auprès d’un échantillon représentatif de 480 médecins de Flandre et 305 de Wallonie. Celle-ci révèle que les déclarations à la Commission de contrôle ne concernent seulement que 73% des euthanasies pratiquées par les médecins flamands et 58% pour les médecins wallons. Autrement dit, 10 ans après la mise en œuvre de la loi, 27% des euthanasies en Flandre et 42% en Wallonie n’étaient pas déclarées.

Cette proportion préoccupante d’euthanasies non déclarées (et donc par définition illégales) en Belgique est d’ailleurs corroborée par une seconde étude publiée en 2015 dans The New England Journal of Medecine. D’une troisième étude publiée en 2018 dans le Journal of Pain and Symptom Management, il ressort qu’au moins 31% des euthanasies réalisées en Flandre en 2013 n’ont pas été déclarées à la Commission de contrôle. Une part non négligeable de ces euthanasies non déclarées correspond à l’injection d’une sédation au patient (avec ou sans son consentement) dans le but d’accélérer sa mort. L’étude indique que nombre de médecins ne considèrent pas cet acte comme une euthanasie et que sa déclaration à la Commission est donc superflue. L’injection d’un produit, intrinsèquement létal ou non, dans l’intention d’accélérer la mort du patient constitue pourtant bien une euthanasie au sens médical et légal du terme, du fait de l’intention poursuivie par le médecin.

2 - La zone grise des sédations « terminales »

En 2015, un sondage dans une centaine de maisons de repos et de soins en Flandre, a mis en évidence que de nombreuses prescriptions médicales sédatives à fortes doses visaient la mort des patients. « Ces fausses « sédations » étiquetées de « terminales » correspondent en fait de réels homicides[10] ». Les décès après sédation ne sont pas enregistrés, ce qui empêche tout contrôle tant sur leur nombre que sur l’intention ayant animé le médecin.

Dans leur tribune de fin 2016 évoquée plus haut, un groupe d’éthiciens et de médecins dénonçait  cette situation et critiquait l’attitude de la Commission fédérale dans ce domaine : il soulignait notamment son manque de volonté d’évaluer et de combattre les euthanasies non-déclarées, ainsi que son silence devant les nombreuses « sédations terminales » (à base de fortes doses de morphine et de sédatifs) qui doivent être analysées comme des euthanasies à déclarer.

Un exemple tragique, datant de mars 2022 mais médiatisé seulement en septembre 2023, illustre cette confusion. Alexina Wattiez, 36 ans[11], souffrait d’un cancer en phase terminale, et avait « organisé sa fin de vie » à domicile. Mais les produits administrés par le médecin n’auraient pas suffi, et les deux infirmières présentes à son chevet l’ont finalement étouffée avec un oreiller. L’une d’elle a témoigné auprès d’une association qui a porté plainte, et une enquête pour meurtre a été ouverte par le Parquet de Liège. Plusieurs interprétations des faits[12] ont circulé dans la presse : s’agissait-il au départ d’une démarche officielle d’euthanasie, mais dont la procédure n’a pas été respectée, ou d’une « sédation de fin de vie » qui, comme beaucoup d’autres, se font en dehors d’un cadre légal précis ?

Malgré certaines initiatives politiques et le souhait du Pr Distelmans, Président de la Commission fédérale de Contrôle, le travail de clarification et de recensement entre les sédations réellement palliatives et celles à visée euthanasique n’a pas été réalisé. Cette importante « zone grise » dans la pratique de certains soignants pose de véritables problèmes éthiques, tant pour les patients que pour leurs familles et pour le personnel médical. Ces enjeux sont détaillés avec précision dans une note de l’IEB de 2019 « La sédation palliative : une analyse éthique pour dissiper la confusion ».

3 - Un manque de respect des procédures

 

L’étude de juillet 2012 citée ci-dessus met également en lumière que la consultation d’un second médecin (obligatoire légalement) n’a été réalisée que par 73% des médecins flamands et que par 50% des médecins wallons.

Une autre importante étude d’évaluation a été menée en 2009 par le professeur Raphaël Cohen-Almagor, de l’Université de Hull (Royaume-Uni). Publiée dans la revue Issues in Law and Medicine, elle met en lumière plusieurs difficultés sérieuses. A titre d’exemple, concernant la nécessité légale de l’avis d’un second praticien, des cas sont signalés où le médecin consulté rend son avis par téléphone et n’examine pas la personne malade. Ces médecins feraient naturellement appel à des confrères, souvent les mêmes, connus pour leur ouverture à la pratique de l’euthanasie.

L’Institut Européen de Bioéthique (IEB), dans un important dossier consacré à cette question en 2012, souligne par ailleurs les dérives sur la fourniture des « kits euthanasie » vendus en pharmacie. Le médecin qui pratique l’acte d’euthanasie à domicile est tenu de se rendre en personne à la pharmacie et d’y rapporter le surplus non utilisé. En réalité, les substances létales sont parfois délivrées à la famille, et aucun contrôle n’est réalisé sur le retour des surplus, laissant craindre des utilisations frauduleuses de ces produits.

Plus récemment, la justice belge a pu juger un exemple de dérives chez certains médecins au regard du respect des procédures. Tine Nys, jeune femme dépressive de 38 ans, avait été euthanasiée en avril 2010 après une rupture amoureuse. En février 2016, ses sœurs portent plainte contre la négligence des médecins. Dans une interview sur la chaîne VRT[13], elles témoignent du déroulement de l’euthanasie à domicile de leur sœur.

Le médecin « n’avait pas le matériel nécessaire pour l’injection », « il avait oublié les sparadraps ». La Commission de contrôle a reçu la déclaration de Tine deux mois après l’euthanasie, alors que la loi l’exige sous quatre jours. Plus fondamentalement, le caractère incurable de la dépression de Tine Nys, de même que le caractère inapaisable de ses souffrances psychiques étaient véritablement discutables.

L’enquête a également démontré le caractère non anonyme de la procédure de contrôle par la commission. La Cour d’assises de Gand a finalement acquitté les deux médecins consultés de l’accusation d’empoisonnement. Quant au médecin ayant réalisé l’euthanasie, celui-ci est acquitté au bénéfice du doute, mais sa responsabilité reste à déterminer sur le plan civil.

Dans le cadre de ce second procès, la Cour constitutionnelle a été saisie[14] par le médecin en cause. La question[15] portait sur la légalité de la loi, laquelle ne prévoit pas de sanctions distinctes selon que son non-respect concerne la forme (procédure) ou le fond des conditions relatives à l’euthanasie (consentement, maladie, souffrance…). Dès lors qu’un médecin sort du cadre légal, quelle que soit la gravité de l’infraction, il devrait ainsi être poursuivi pour empoisonnement.

La Cour, dans une décision du 20 octobre 2022, a jugé que la loi sur l’euthanasie était inconstitutionnelle au motif qu’elle « qualifie indistinctement de meurtre par empoisonnement tout non-respect des conditions et procédures à respecter lors de la pratique d’une euthanasie. » Elle enjoint le Parlement à modifier la loi sur ce point précis des sanctions applicables.

 

V – UNE INTERPRÉTATION EXTENSIVE DE LA LOI

1 – Une Commission fédérale de contrôle qui ne joue pas son rôle

La Commission fédérale de contrôle a examiné toutes les déclarations qui lui ont été soumises depuis la mise en œuvre de la loi en 2002. Jusqu’en 2015, aucune n’avait fait l’objet d’un signalement au procureur, ce qui jette un sérieux doute sur l’impartialité de cet organisme composé pour une large part de partisans de l’euthanasie. En font notamment partie, depuis de nombreuses années, la présidente de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) belge, ainsi que le président du LevensEinde Informatie Forum (LEIF) et président de la Commission de contrôle. Ces deux associations militent en faveur d’une légalisation toujours plus large de l’euthanasie et du suicide assisté.

Le 27 octobre 2015, après plus de 8000 dossiers d’euthanasie traités en 13 ans d’exercice, la Commission fédérale a, pour la première fois – et la seule fois à ce jour – transmis un dossier au Parquet. Il s’agit du suicide assisté de Simona De Moor[16] (filmé en direct par un journaliste) par le docteur Marc Van Hoeys, président de l’association RWS, Recht op Waardig Sterven qui milite aux côtés de l’ADMD. Simona, 85 ans, se disait atteinte d’un « chagrin inapaisable » suite au décès de sa fille. On peut penser que la médiatisation du film « Allow me to die » a encouragé la famille à porter plainte. Le médecin assurait, lui, que Simona « ne veut pas mourir parce qu’elle est dépressive. Non. Mais parce qu’elle en a marre ». De plus, quand le patient n’est pas en fin de vie imminente, un troisième médecin doit être consulté, ce qui n’a pas eu lieu ici. L’affaire a pourtant été classée par la justice.

Cette Commission fédérale, perçue comme une simple chambre d’enregistrement par un nombre croissant d’observateurs, finit par être contestée dans sa mission-même, au point d’être « en panne » et de ne pas parvenir à recruter certains membres qui doivent la composer[17], comme cela a été le cas fin 2015 et début 2021.

Dans une tribune publiée fin 2016, un collectif d’éthiciens et de médecins a considéré que la Commission fédérale « joue indûment le rôle d’un tribunal », en interprétant l’application de la loi d’une façon « élastique ». Deux exemples sont cités : celui du suicide assisté, non explicitement autorisé par la loi mais avalisé par la Commission fédérale, et celui de l’euthanasie en cas de perte de conscience avant l’acte euthanasique.

En mars 2017, lors d’un débat autour du dernier rapport de la Commission fédérale de contrôle, plusieurs députés ont plaidé pour un débat sociétal[18] sur l’esprit de la loi. Ils se sont interrogés sur plusieurs problèmes récurrents, notamment l’effectivité des contrôles de la Commission fédérale, la médiatisation de certaines affaires, la confusion croissante entre euthanasie et suicide assisté. Les membres présents de la Commission fédérale se sont montrés favorables à une telle évaluation.

En 2018, un médecin membre de la Commission a démissionné suite à un désaccord de fond sur le cas d’un médecin ayant provoqué intentionnellement la mort sans que la personne l’ait demandé, mais à la demande de sa famille. Une majorité de membres de la Commission souhaitait transmettre ce dossier au Parquet[19], mais comme le seuil des 2/3 n’a pas été atteint, cela n’a pas été fait. « Je ne souhaite plus faire partie d’une commission qui enfreint consciemment la loi et tente de le dissimuler… elle n’est ni indépendante ni objective », a écrit le docteur Vanopdenbosch dans son courrier de démission[20].

 

Dans un arrêt rendu le 4 octobre 2022, la Cour Européenne des droits de l’Homme[21] (CEDH) a condamné la Belgique, en considérant « qu’il y a eu des défaillances du contrôle a posteriori » mis en place par la loi de 2002, et donc que le droit à la vie inscrit à l’article 2 de la Convention n’était pas respecté. Dans cette affaire « Mortier », une femme de 64 ans souffrant de dépression chronique avait été euthanasiée en 2012 sans que ni son fils, le plaignant, ni sa fille ne soient au courant. Lors de l’examen du formulaire de déclaration par la Commission de contrôle, le médecin qui avait pratiqué l’euthanasie était présent et donc « juge et partie ». De plus, la plainte déposée par M. Mortier n’avait pas donné lieu à véritable enquête de la part de la justice belge.

Il n’est donc pas étonnant que des voix de plus en plus nombreuses contestent l’absence d’indépendance réelle de la Commission de contrôle et les conflits d’intérêt évidents de certains de ses membres. Une modification de la loi pour assurer un dispositif plus efficace est désormais demandée par la Commission elle-même.

2 – Une évaluation large du critère de la « situation médicale sans issue »

La loi belge n’exige pas que la personne soit en phase terminale d’une maladie grave et incurable, objectivement évaluée par le corps médical. Pour les médecins concernés comme pour la Commission nationale de contrôle, quand le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, la perception subjective de la souffrance devient donc progressivement le seul critère pris en compte. Ce qui laisse la porte ouverte à des interprétations de plus en plus larges et des dérives choquantes, au nom du respect de l’autonomie individuelle.

Une part grandissante des euthanasies (15.9% en 2021, soit 430 personnes, contre 10% en 2011) est aujourd’hui pratiquée sur des personnes qui ne sont pas en fin de vie, ou, selon les termes légaux, « dont la mort n’est pas attendue à brève échéance ».

Parmi les personnes qui ne sont pas en fin de vie, figure notamment le cas des « polypathologies », consistant en une combinaison de pathologies non terminales (telles que l’arthrose, la baisse de la vue ou de l’ouïe, ainsi que les difficultés à se déplacer ou l’incontinence) mais dont l’addition sera néanmoins considérée comme permettant l’accès à l’euthanasie.

Citons également le cas des euthanasies de patients atteints de troubles psychiatriques tels que la dépression (cf. ci-dessous §V.2) ou de syndromes démentiels, maladies validées à plusieurs dizaines de reprise par la Commission de contrôle chaque année.

Voici quelques exemples qui montrent que, dès les années 2010, la « volonté de mourir » en invoquant des souffrances a été considérée comme suffisant pour être euthanasié, même si le caractère grave et incurable de la maladie, ou la proximité du décès, n’était pas évident. Ces situations sont aujourd’hui acceptées sans difficulté par la Commission de contrôle, alors qu’elles n’étaient pas envisagées dans les débats à l’origine de la loi de 2002 :

  • Eddy et Marc Verbessem[22], deux frères jumeaux de 45 ans, nés sourds et atteints d’un glaucôme qui devait les rendre progressivement aveugles, ont été euthanasiés le 14 décembre 2012 : la crainte de ne plus se voir a été considérée comme une « souffrance psychique insupportable », légitimant selon leur médecin l’accès à l’euthanasie légale.
  • Ann G[23]., 44 ans, souffrant d’anorexie depuis de nombreuses années et abusée sexuellement par son psychiatre, a été euthanasiée fin 2012 : elle disait « avoir un cancer dans la tête », lui causant une souffrance jugée suffisante pour entrer dans le cadre de la législation sur l’euthanasie.
  • Un détenu en prison[24], condamné à une lourde peine et très malade, a été euthanasié en septembre 2012. C’est la première euthanasie d’un détenu en prison en Belgique. Une dizaine d’autres détenus auraient, depuis, exprimé la même demande. A l’occasion de l’affaire « Van Den Bleekenn » en 2014, (cf §V-2, ci-après), où l’euthanasie avait été accordée avant de trouver une autre solution, un débat s’est même instauré sur un retour à la peine de mort volontaire « pour motif humanitaire ». Une responsable de l’IEB a souligné à cette époque « un immense échec de la psychiatrie belge» et a dénoncé le système carcéral belge qui ouvre à la « peine de mort inversée[25] ».
  • Nathan Verhest, 44 ans, après une opération de changement de sexe qui avait échoué, a « bénéficié » d’une euthanasie le 30 septembre 2013. Née avec un sexe féminin, rejetée par ses parents qui souhaitaient un autre garçon après trois fils, cette personne rêvait depuis son adolescence de devenir un homme et avait suivi des traitements lourds pour y parvenir. Devant l’échec de la dernière opération, elle a affirmé « j’ai eu une aversion pour mon nouveau corps[26] » et a fait état de ses souffrances psychiques pour obtenir d’être euthanasiée.

3 – La souffrance psychique : jusqu’où aller ?

La loi belge sur l’euthanasie requiert d’une part la présence d’une souffrance physique ou psychique constante, insupportable et inapaisable chez le patient, d’autre part une affection grave et incurable. Il convient de bien distinguer ces deux notions : l’affection peut viser une pathologie psychique telle que la dépression ou la démence ; la souffrance psychique peut quant à elle résulter d’une pathologie non psychique, telle qu’un cancer, et ouvrir la voie à l’euthanasie. En d’autres termes, la souffrance psychique peut résulter d’une pathologie psychique, mais pas nécessairement (comme le montre certains exemples cités précédemment).

Même si leur nombre n’est pas très important (50 en 2021, soit 2% du total) les euthanasies pour des « troubles mentaux et du comportement » restent problématiques.  Depuis 2018, la Commission fédérale de contrôle a d’ailleurs scindé cette catégorie en deux pour ses analyses : d’une part les Affections psychiatriques (ex : troubles de la personnalité, dépression, stress posttraumatique, schizophrénie, autisme…) et d’autre part les Troubles cognitifs (ex : différentes formes de démence comme la maladie d’Alzheimer, démence vasculaire, démence à corps de Lewy…).

Comment évaluer la capacité réelle d’un malade psychiatrique à décider en conscience de sa propre mort ? Comment évaluer si la maladie est réellement incurable, si tout a été essayé pour guérir ou soulager le patient ? Comment apprécier si la souffrance est réellement insupportable et inapaisable ? Autant de questions qui reviennent à chaque fois qu’une euthanasie de ce type est médiatisée.

Parmi les dernières en date, celle de Shanti De Corte, 23 ans[27], jeune étudiante flamande, euthanasiée le 7 mai 2022. Elle était présente à l’aéroport de Bruxelles en mars 2016, lors des attentats terroristes. Elle n’a pas été blessée physiquement, mais est sortie traumatisée de l’attentat, ce qui a accentué les troubles psychologiques qu’elle avait déjà. Après un long parcours thérapeutique sans apaisement durable de son mal-être, et malgré une dernière offre de soins qu’elle a refusée, elle obtient de deux psychiatres l’accord pour être euthanasiée pour « souffrance psychiatrique irrévocable ». Tant la Commission fédérale de contrôle que la Justice ont considéré que la procédure d’euthanasie avait été respectée. Mais un débat national s’est ouvert sur l’insuffisance du soutien psychologique apporté aux victimes d’attentats terroristes et sur le caractère « sans issue » de ces pathologies.

Face à ces questions complexes, des « Directives déontologiques pour la pratique de l’euthanasie des patients en souffrance psychique à la suite d’une pathologie psychiatrique » ont été édictées par le Conseil national de l’Ordre des médecins en avril 2019. Elles ont été en partie actualisées et assouplies en février 2022. Selon ces directives, « la pratique de l’euthanasie de patients psychiatriques doit se faire avec une très grande prudence », en particulier par le travail de concertation entre trois médecins. Par ailleurs, « le médecin qui constate que le patient souffre d’une pathologie psychiatrique incurable et sans perspective doit s’assurer que tous les traitements ont été utilisés ».

Mais n’aboutit-on pas bien souvent à une impasse médicale et éthique ? « Qu’on parle de dépression, de traumas, d’autisme ou de schizophrénie, il n’y a aucune souffrance psychique dont on peut objectiver qu’elle soit incurable[28] », explique par exemple Ariane Bazan, professeure de psychologie clinique à l’Université Libre de Bruxelles.

Certains cas d’euthanasies envisagées ont pourtant été évités, y compris au dernier moment, ou sont aujourd’hui en suspens. Voici quelques exemples emblématiques qui montrent toute l’ambiguïté de ces situations :

  • Laura Emily 24 ans. En 2015, The Economist, a diffusé dans un documentaire « 24 and ready to die » le parcours de Laura Emilie, restée en vie après avoir programmé son euthanasie. Plongée dans une dépression après une enfance difficile, cette jeune fille avait demandé à être euthanasiée le 24 septembre 2014. Trois médecins ont accédé à sa demande, justifiant qu’il s’agit d’une « souffrance psychique incurable » comme le prévoit la loi de 2002. Le jour-J, les journalistes étaient au rendez-vous pour filmer sa mort, mais au dernier moment Laura Emily a refusé[29] : « Je ne peux pas le faire » a-t-elle expliqué. « Ces deux dernières semaines ont été relativement supportables. Il n’y a pas eu de crises. C’est très peu clair pour moi : y a-t-il quelque chose qui a changé en moi, ou quelque chose qui a fait que cela était supportable ? » La jeune femme serait encore aujourd’hui en vie.
  • Franck Van Den Bleeken[30], détenu interné d’une cinquantaine d’années. Condamné pour plusieurs viols et pour meurtre, ce détenu belge a passé trente ans en prison. Alors qu’il était en bonne santé physique, Franck assurait ne plus supporter sa détention. L’accès à un hôpital susceptible de l’accueillir aux Pays-Bas lui avait été refusé par la justice. Il a alors demandé, et obtenu de la part des médecins qui le suivaient, l’accord pour une euthanasie en implorant une « souffrance psychique incurable ». Après un débat médiatique mettant en cause l’incapacité du gouvernement à proposer une solution hospitalière, les médecins sont finalement revenus sur leur position et sont parvenus à un transfert vers une unité psychiatrique spécialisée à Gand.
  • Sébastien, 39 ans, a effectué en mars 2016 une demande d’euthanasie pour le jour de ses quarante ans. Dans une interview donnée à 20 minutes, ce pédophile expliquait : « Cela fait dix-sept ans que je suis en thérapie. J’ai passé quatre ans en hôpital psychiatrique. J’ai vu huit psychologues, quatre psychiatres, un sexologue […] désormais, je ne veux plus rien[31] ». Sa requête n’a pas, à ce jour, été autorisée. D’après la chaîne Francetv, les psychiatres belges se donnent 18 mois pour juger de la validité ou non de sa demande.

 

VI – UNE BANALISATION DE LA DEMANDE DE MORT

1 – La médiatisation choquante de certaines euthanasies

Des témoignages très médiatisés par la presse belge démontrent une banalisation croissante de l’acte euthanasique, et plus récemment une mise en scène et une théâtralisation de la mort.

  • Christian de Duve,[32] 95 ans, Prix Nobel, est décédé par euthanasie le 4 mai 2013. Ses proches expliquent que ce grand scientifique s’était préparé sereinement à cette échéance après un malaise à son domicile. Il a mis à profit le mois précédant sa mort pour écrire à ses amis et anciens collègues, son dernier geste étant d’accorder une interview qui sera publiée à titre posthume dans un grand quotidien national. Son décès rappelle celui du grand écrivain belge Hugo Claus, qui avait organisé de manière similaire son euthanasie en mars 2008.
  • Kevin Chalmet, d’une trentaine d’années, pompier, a décidé de se faire euthanasier en 2014 pour « faire avancer le débat ». Atteint d’une tumeur au cerveau, ce belge perd progressivement le goût, l’odorat… Le pompier prépare alors son euthanasie dans les moindres détails, passe à la caserne saluer ses collègues, écrit des lettres sur ses réflexions et planifie le jour de sa mort : « tout se déroulera à la maison et nous allons d’abord manger une couque au beurre[33] » aurait-il livré.
  • Johnny Vaes , 59 ans, atteint d’un cancer du pancréas a programmé son euthanasie pour le vendredi 13 mai 2016 après un dernier adieu à ses proches. D’après le site Sundinfo, ce père de famille n’avait plus aucun espoir de guérison après la généralisation de son cancer. Dès lors, il a annoncé son euthanasie sur Facebook et invité ses proches à l’hôpital pour une dernière retrouvaille. « Comme repas de midi, j’ai demandé une petite frite avec de la mayonnaise et du ketchup. Après, j’aurai ma piqûre, je partirai[34] » affirme le malade.

 

2 – Vers un développement du don d’organes après euthanasie ?

Il s’agit ici d’un nouveau risque potentiel de dérive, même si les conditions légales sont respectées. Pour augmenter le nombre de greffes d’organes, car le nombre de donneurs est insuffisant, des chirurgiens belges souhaitent favoriser cette pratique parmi les personnes engagées dans un processus d’euthanasie. Un symposium sur le thème « Euthanasie et don d’organes » s’est tenu à Bruxelles le 28 septembre 2012, à l’initiative de la Société belge de transplantation, LEIF et l’association Maakbare Mens. S’appuyant sur le constat que 9 patients euthanasiés depuis 2005 avaient fait don de leurs organes, certains médecins voulaient encourager cette démarche. Ils estimaient à environ 10 % le vivier de donneurs potentiels[35] parmi les candidats à l’euthanasie.

Des cas médiatisés démontrent une tendance vers ce que certains appellent « l’euthanasie altruiste ». En 2015, le débat a été alimenté par un homme néerlandais, dont le foie, les reins et le pancréas ont été prélevés après son euthanasie dans un hôpital des Pays-Bas. Devant la demande de dons d’organes qui augmente, le Centre Universitaire médical de Maastricht et l’Erasmus Medical Center ont rédigé un manuel pour faciliter la démarche « euthanasie – don d’organes ». Le Pr Ysebaert, médecin belge de l’Hôpital d’Anvers, précise dans La Libre, qu’« actuellement, on ne dit pas aux patients qu’ils peuvent faire ce choix à cause du choc émotionnel que cela représente[36] ».

Une étude menée par le Dr Jan Bollen, du Centre Médical de l’Université de Maastricht, a mis en avant le fait qu’au moins 10% des personnes euthanasiées auraient pu donner au moins un organe, ce qui aurait permis de mettre à disposition 684 organes en 2015[37]. Le Pr Jean-Louis Vincent, spécialiste en soins intensifs à Bruxelles, affirme pour sa part qu’il faudrait encourager les dons en état de « quasi mort cérébrale » (situations où la personne n’est pas complètement morte), car la qualité des organes serait meilleure.

Cet encouragement tacite à choisir l’euthanasie « altruiste » lorsque la vie est devenue « inutile » peut aussi être analysé comme un risque de glissement éthique, surtout lorsque l’acte est fortement médiatisé. Un exemple datant de juillet 2023 illustre cette ambiguïté, même si on ne peut remettre en cause la sincérité du geste. Une jeune fille de 16 ans[38] (la 5ème personne mineure depuis la loi de 2014), atteinte d’une tumeur du cerveau, a fait le choix de lier son euthanasie au don de ses organes. Elle a convoqué la RTBF pour expliquer sa décision de « sauver des vies » et inciter les gens à devenir donneur d’organes. Outre le fait que l’acte d’euthanasie devient dès lors beaucoup plus complexe à réaliser[39] (il s’est étalé sur une durée de 36 heures dans son cas), il ne faudrait pas que des personnes soient incitées à être euthanasiées avec le motif d’effectuer un acte généreux.

3 – La pression croissante des considérations économiques

Dans un article publié le 17 janvier 2017, le Docteur Marc Moens alerte sur le fait qu’ « à la suite des problèmes budgétaires dans le domaine des soins aux personnes âgées, on commence à débattre d’une politique de l’euthanasie motivée par des considérations socio-économiques[40] ». Dans certains médias et milieux médicaux, « on plaide aujourd’hui ouvertement en faveur de l’euthanasie des patients Alzheimer », et on affirme qu’il faudrait mieux arrêter certains traitements pour des maladies incurables, et investir l’argent dans le soin des personnes curables. Le Dr Moens conclut cependant : « Mais jamais l’euthanasie ne peut devenir une solution d’économie budgétaire dans l’élaboration de la politique de santé. Et pourtant, la « slippery slope » se rapproche dangereusement ».

Selon certaines études diffusées en 2019 40 % des Belges (et davantage de Flamands que de Wallons) songent sérieusement à conserver l’équilibre de la Sécu « en n’administrant plus de traitements coûteux qui prolongent la vie des plus de 85 ans[41], ».

L’insuffisance de ressources ou d’aides sociales conduit ainsi certaines personnes à demander, et parfois obtenir, l’euthanasie. Par exemple, Shanna Wouters, une Belge de 38 ans, souffrant du syndrome d’Ehlers Danloss, expliquait en septembre 2023 ne pas avoir des revenus suffisants pour pouvoir payer les frais médicaux et vivre dignement. Elle témoigne être à bout, et ne plus voir d’issue à sa situation. « J’aimais beaucoup vivre, mais lorsque vous devez vous battre pour survivre chaque jour, il arrive un moment où cela s’arrête. C’est pourquoi je suis en train de mettre en place les documents nécessaires à mon euthanasie[42] ».

4 – Vers l’inclusion de l’euthanasie parmi les « soins de santé » ?

La définition des soins de santé, telle que libellée dans la loi belge du 10 mai 2015 relative à l’exercice des professions de soins de santé, vise actuellement les « services dispensés par un praticien professionnel au sens de la présente loi coordonnée, en vue de promouvoir, de déterminer, de conserver, de restaurer ou d’améliorer l’état de santé d’un patient, de modifier son apparence corporelle à des fins principalement esthétiques ou de l’accompagner en fin de vie ».

Parmi les actes visant à « accompagner le patient en fin de vie », d’aucuns considèrent qu’il convient désormais d’intégrer l’euthanasie[43].

Par ailleurs, le décret flamand de 2019 relatif aux soins résidentiels évoque, aux côtés des soins palliatifs, le concept de « levenseindezorg » (« soins de fin de vie »), sorte d’euphémisme visant implicitement l’euthanasie. Cette tendance s’inscrit plus largement dans l’appréhension de l’euthanasie en tant qu’acte compatible avec les soins palliatifs, voire en tant que soin palliatif en tant que tel. L’expression de « soins palliatifs intégraux », visant l’intégration de l’euthanasie dans l’offre palliative, traduit précisément cette tendance.

Cette inclusion de l’euthanasie, en tant que service dispensé par un praticien professionnel sans objectif diagnostique ou thérapeutique, parmi les actes médicaux, voire parmi les soins de santé, entraînerait d’une part un renforcement de « l’intégration culturelle » de l’euthanasie en Belgique.

D’autre part, cela donnerait à l’euthanasie le statut de « droit » au sens large. La loi relative à l’euthanasie en Belgique reste une loi de dépénalisation, c’est-à-dire que toute euthanasie est pénalement répréhensible, sauf si elle est accomplie dans le respect des conditions strictes définies par la loi (cf. ci-dessus § III-1). Or, considérer l’euthanasie comme un soin de santé reviendrait à faire de l’euthanasie un droit exigible par les patients, avec des critères d’application beaucoup plus larges.

Ce changement de statut réduirait aussi considérablement la portée de l’objection de conscience des médecins, comme en témoigne la loi du 15 mars 2020 s’agissant du renforcement de l’obligation de renvoi par les médecins qui refusent de pratiquer une euthanasie, désormais tenus de renvoyer le patient vers un « centre ou une association spécialisée dans le droit à l’euthanasie » (cf. ci-dessus §III.3).

 

ANNEXE : UNE OPPOSITION CROISSANTE AUX DÉRIVES

 

Depuis son introduction il y a près de vingt ans, la pratique de l’euthanasie n’appelait pas de critique publique forte et semblait être « rentrée dans les mœurs ». L’opinion publique belge s’était montrée plutôt favorable en 2014 à l’extension de la loi aux mineurs. Toutefois, face à la multiplication des dérives dans l’application de la loi, les initiatives pour remettre en cause la banalisation de l’euthanasie se sont multipliées récemment. Les contestations sont de plus en plus nombreuses, aussi bien au sein de la Belgique qu’à l’international.

1 - Des oppositions par des professionnels de la santé
  • Plus de 70 personnalités, principalement des professionnels de la santé[44], ont signé en juin 2012 un texte important à l’occasion des dix ans de la loi belge sur l’euthanasie. Leur appel souligne combien cette loi, en ouvrant la « boîte de Pandore » et en transgressant un interdit fondateur, a dégradé la confiance au sein de la société et a fragilisé les personnes les plus vulnérables.
  • Le site internet euthanasiestop.be a été créé en mai 2013 par des médecins, professeurs et personnalités belges pour réagir aux propositions de loi visant à élargir l’euthanasie. Ce lieu d’information et d’échange suscite progressivement une prise de conscience citoyenne.
  • Plus de 172 pédiatres ont remis, le 12 février 2014, une lettre ouverte[45] aux présidents de chaque parti politique belge. Face à la proposition de loi pour étendre l’euthanasie aux mineurs débattue à l’époque, ces professionnels de toute la Belgique ont considéré qu’un délai de réflexion était nécessaire. Ils ont souligné l’ambiguïté des termes de la proposition de loi : « En pratique, il n’existe aucune méthode objective pour apprécier si un enfant est doué de la capacité de discernement et de jugement. Il s’agit donc en fait d’une appréciation largement subjective et sujette à influences ».
  • En septembre 2014, Corinne Von Oost, responsable d’une unité de soins palliatifs en Belgique a publié le livre Médecin catholique, pourquoi je pratique l’euthanasie. Dans une interview à La Croix, elle a affirmé que pratiquer l’euthanasie n’est pas pour elle donner du sens, « c’est répondre au non-sens par le non-sens[46] », et admettait que « le risque, c’est de s’y habituer ». Cet ouvrage médiatisé n’a pas manqué de faire réagir. Docteur en théologie et bénévole en soins palliatifs, Marie-Dominique Trébuchet y a répondu en décembre 2014 dans La Croix : « Face à la question du docteur Van Oost « Qui étais-je pour lui refuser la mort ? », répondons ceci « Qui suis-je pour donner la mort ?[47] ». En janvier 2016, Catherine Dopchie, médecin catholique, oncologue et responsable d’une unité hospitalière de soins intensifs, a également réagi dans La Libre : « La souffrance psycho-spirituelle du « non-sens », désormais à l’origine de la plupart des demandes d’euthanasies, ne s’adresse pas à l’art médical au sens strict[48] ».
  • Le 10 septembre 2015, un collectif de 38 professeurs d’universités, psychiatres et psychologues[49] ont publié une Carte blanche. Dans cette tribune, ils ont exprimé leur vive inquiétude face au nombre croissant de cas d’euthanasies de personnes souffrant de troubles psychiques. Partant du cas de Laura Emily, le collectif a souligné que « la pratique confirmerait que le cadre légal relatif à l’euthanasie pour seule raison psychique est discutable ». En effet, « le caractère inapaisable de la souffrance mentale ne peut être constaté car il n’y a pas de paramètres mesurables – ni prélèvement de tissu, ni élément du comportement – qui pourraient l’objectiver ».
  • En 2019, a paru le livre ‘Euthanasie, l’envers du décor’ aux Editions Mols. Cet ouvrage collectif rassemble les témoignages de dix professionnels de la santé au sujet de la pratique de l’euthanasie en Belgique et de l’impact d’un tel acte sur leur profession. Huit soignants belges – professeurs d’université, médecins, infirmiers et éthiciens reconnus et expérimentés en accompagnement palliatif – tentent ensemble de dire leurs questions autour de la fin de vie, des soins palliatifs et de la pratique de l’euthanasie. Deux femmes médecins, française et israélienne, se sont jointes à eux. Ces récits, destinés tant au milieu médical qu’au grand public, évoquent l’envers du décor, l’autre face d’une réalité qu’il est grand temps de prendre en compte ou d’évaluer avec plus de rigueur. L’ouvrage est désormais traduit en espagnol, aux éditions Sigueme, et en anglais, chez Springer. Il a également fait l’objet d’un film documentaire, sorti en 2020 et intitulé « Euthanasie, la pente glissante».
2 - Des oppositions citoyennes croissantes dans la société
  • Le Pr Etienne Montero[50], doyen de la faculté de droit de Namur, a publié en septembre 2013 le livre Rendez-vous avec la mort : dix ans d’euthanasie légale en Belgique. Dans cet ouvrage, il dresse un bilan critique de la situation, souligne toutes les limites du contrôle d’une loi interprétée de façon extensive, et s’inquiète du phénomène de « pente glissante » : « Le problème est que, tant qu’on s’en tient aux seuls critères de « l’euthanasie sur base d’une volonté exprimée valablement, le dispositif législatif belge permet de justifier presque toutes les situations d’euthanasie. La souffrance est une notion subjective et la notion de maladie grave est élastique[51] ».
  • Les principaux responsables religieux de Belgique ont diffusé le 6 novembre 2013 un communiqué historique. Marquant pour la première fois l’unité des trois grandes religions monothéistes, les représentants du christianisme (catholiques, protestants, orthodoxes), du judaïsme et de l’islam ont exprimé leur vive inquiétude face au risque de banalisation de l’euthanasie. Ils se sont opposés à l’extension de la loi aux mineurs ou aux personnes démentes, car cela marquerait « une contradiction radicale de leur condition d’êtres humains», et concluaient : « Nous ne pouvons dès lors entrer dans une logique qui conduit à détruire les fondements de la société[52] ».
  • Le 28 décembre 2015, le nouveau primat de Belgique, l’évêque Jozef De Kesel, a pris la parole dans le quotidien Het Belang. Il a tenu à réaffirmer la liberté des institutions de santé d’effectuer ou non des euthanasies « je trouve qu’au niveau institutionnel nous avons aussi le droit de décider que nous n’allons pas pratiquer l’euthanasie et l’avortement. Je pense notamment aux hôpitaux catholiques[53] ». Certaines, dont une en janvier 2016, a refusé l’accès à une euthanasie au sein de ses locaux[54] (cf §III-3 ci-dessus
  • L’ancien ministre des Finances et chef du groupe chrétien-démocrate flamand (CD&V) Steven Vanackere a appelé à une évaluation de la loi en février 2016. D’après le Figaro, son objectif n’est pas de supprimer la loi mais d’en « évaluer les dérives ». Il a également déploré la composition de la Commission de contrôle, en rappelant qu’ « il y a des membres qui participent eux-mêmes à des activités d’euthanasie et qui peuvent donc se retrouver juge de leur propre activité ». « Nous voulons permettre un véritable débat sociétal, au-delà de l’idéologie, et en associant la société civile. Je suis convaincu que cette évaluation va permettre au public de prendre conscience des dérives de la loi[55] ».
  • L’Institut Européen de Bioéthique (IEB) analyse depuis 2001 les évolutions de la législation, des pratiques et des mentalités en Belgique. Réagissant, par exemple, à l’euthanasie des deux frères jumeaux en janvier 2013, un responsable de l’IEB a souligné combien l’euthanasie est en train de se banaliser dans la société belge. « La liste des maladies incurables est pratiquement infinie […] ; la notion de souffrance psychologique est laissée à l’appréciation subjective de l’intéressé […]. Au total, le dispositif légal est pratiquement taillé sur mesure pour autoriser l’euthanasie sur simple demande volontaire et répétée de toute personne qui souffre de maux divers, de solitude ou de lassitude de vivre (…). Nous assistons déjà, dans les faits, à une banalisation de l’acte euthanasique en Belgique[56] ».
    En 2014, au sujet de l’extension aux mineurs et aux personnes démentes, l’IEB a souligné que « la population est désormais prête à accepter ce qu’elle aurait réprouvé dix ans plus tôt. Difficile de nier que l’euthanasie et le suicide assisté se banalisent effectivement… Est-ce la manière dont la société entend rencontrer la détresse et la souffrance des personnes vieillissantes ou fragilisées par la maladie ou un handicap ? »
    Le 24 octobre 2016, dans une longue interview à Atlantico, Carine Brochier a livré une analyse actualisée des dérives de l’euthanasie, appelant à un meilleur accompagnement des personnes âgées plutôt qu’à un élargissement constant des critères légaux.

 

3 - Des réactions internationales
  • Fin janvier 2014, 61 membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe[57], émanant de plusieurs pays et partis politiques, ont signé une déclaration relative au projet de loi sur l’euthanasie des enfants en Belgique. Cette déclaration rappelait notamment que « l’euthanasie, lorsqu’elle consiste à tuer intentionnellement, par un acte ou par une omission, un être humain dépendant, dans son intérêt présumé, doit toujours être interdite ». Les parlementaires européens considèrent aussi que la Belgique « trahit les enfants les plus vulnérables en estimant que leurs vies n’auraient plus de valeur intrinsèque ».
  • Les 10-11 février 2014 se tenait en Inde, à Mumbay, un Congrès international de soins palliatifs pédiatriques. 250 experts issus de 35 pays ont publié une déclaration pour mettre en garde la Belgique qui débattait sur l’extension de la loi de 2002 aux mineurs. La déclaration finale « appelle urgemment le gouvernement belge à reconsidérer sa récente décision ». Ces médecins « réclament pour tous les enfants en fin de vie l’accès aux moyens appropriés pour contrôler la douleur et les symptômes, ainsi que des soins palliatifs de haute qualité pour rencontrer leurs besoins particuliers ». La déclaration ajoutait : « Nous croyons que l’euthanasie ne fait pas partie de la thérapie palliative pédiatrique et ne constitue pas une alternative[58] ».

 

POUR ALLER PLUS LOIN :

  1.  L’euthanasie, 20 ans après : pour une véritable évaluation de la loi belge. Dossier de l’IEB, mai 2022. Un dossier très complet sur la législation et les pratiques, concluant à l’absence de contrôle effectif de l’application de la loi.
  2. Rapport 2020-2021 de la Commission fédérale de contrôle, publié en décembre 2022. Bilan statistique détaillé des euthanasies réalisées en 2020 et 2021.
  3. Livre Euthanasie, l’envers du décor, Editions Mols, 2019,
  4. Livre L’impasse de l’euthanasie, de Henri de Soos, Editions Salvator, janvier 2022. Analyse des dérives spécifiques en Belgique (pages 20 à 32), et plus généralement tout le 1er chapitre pages 11 à 70.
  5. Raus, B. Vanderhaegen, S. Sterckx, « Euthanasia in Belgium: Shortcomings of the Law and Its Application and of the Monitoring of Practice », The Journal of Medicine and Philosophy, vol. 46, 2021, pages 80 à107.
  6.  Avis n° 121 du CCNE sur la fin de vie, 1er juillet 2013. Annexe 2 sur le bilan des expériences étrangères sur le suicide assisté et l’euthanasie : analyse du Bénélux pages 73 à 77.

 

[1] - Graphique basé sur les chiffres déclarés par le Dixième rapport aux Chambres législatives de la Commission fédérale de Contrôle et d’Évaluation de l’Euthanasie et les Communiqués de presse de la Commission fédérale de Contrôle et d’Évaluation de l’Euthanasie du 17 février 2023 et du 27 février 2024.

[2] « Que dit la loi de 2002 dépénalisant l’euthanasie ? », Euthanasie STOP, disponible sur :  https://www.euthanasiestop.be/loi-euthanasie.es, (consulté le 21/11/2023).

[3] « Belgique : les infirmiers peuvent refuser de pratiquer les « actes préparatoires » à l’euthanasie », Institut Européen de Bioéthique, 16/06/2016, disponible sur https://www.ieb-eib.org/fr/bulletin/belgique-les-infirmiers-peuvent-refuser-de-pratiquer-les-actes-preparatoires-a-l-euthanasie-381.html#sujet1100 (consulté le 21/11/2023).

[4] Annick Hovine, « Aucune euthanasie d’enfant n’a été déclarée depuis un an et demi », La Libre, disponible sur : https://www.lalibre.be/belgique/2015/10/29/aucune-euthanasie-denfant-na-ete-declaree-depuis-un-an-et-demi-ES37NCCEDVFSVOIO7G3OSTQJZE/, 29/10/2015, (consulté le 21/11/2023).

[5] « Un mineur euthanasié pour la première fois en Belgique », La Libre, 17/09/2016, disponible sur :  https ://www.lalibre.be/Belgique/2016/09/17/un-mineur-euthanasie-pour-la-premiere-fois-en-Belgique-7ZAO7YBFZRDDLLOHSORI6MAOEM/, (consulté le 21/11/2023).

[6] « Une maison de repos flamande condamnée pour avoir refusé une euthanasie », RTL info, 30/06/2016, disponible sur : https://www.rtl.be/page-videos/belgique/societe/une-maison-de-repos-flamande-condamnee-pour-avoir-refuse-une-euthanasie/2016-06-30/video/53012, (consulté le 16/01/2024).

[7] « Euthanasie – Le Parlement belge envisage de ne plus sanctionner pénalement la violation de certaines conditions de la loi », Institut Européen de Bioéthique, 23/02/2024, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/euthanasie-le-parlement-belge-envisage-de-ne-plus-sanctionner-penalement-la-violation-de-certaines-conditions-de-la-loi-2211.html, (consulté le 21/05/2024).

[8] Rapport d’information n°795, « Fin de vie : privilégier une éthique du soin », Sénat, 28/06/2023, disponible sur : https://www.senat.fr/rap/r22-795/r22-795.html, (consulté le 16/01/2024).

[9] « Le cap des 2.000 déclarations d’euthanasie dépassé en 2015 », 7sur7, 27/01/2016, disponible sur :  https://www.7sur7.be/sante-et-bien-etre/le-cap-des-2-000-declarations-d-euthanasie-depasse-en-2015~a671796a/?referrer=https%3A%2F%2Fwww.google.com%2F, (consulté le 21/11/2023).

[10] « Belgique : contrôler aussi les sédations en fin de vie ? », Institut Européen de Bioéthique, 30/11/2017, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/sedation/belgique-controler-aussi-les-sedations-en-fin-de-vie-1291.html, (consulté le 21/11/2023).

[11] Enzo Guerini, « Euthanasie : faute de produits suffisants, un médecin aurait tué une patiente en l’étouffant avec un coussin », Le Parisien, 15/09/2023, disponible sur : https://www.leparisien.fr/faits-divers/euthanasie-faute-de-produits-suffisants-un-medecin-aurait-tue-une-patiente-en-letouffant-avec-un-coussin-15-09-2023-IIHXOKPGVVBH7PDZPCM3DII6S4.php, (consulté le 21/11/2023).

[12] « Mort d’Alexina : sédation, euthanasie ou meurtre par étouffement ? », Institut Européen de Bioéthique, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/mort-d-alexina-sedation-euthanasie-ou-meurtre-par-etouffement-2188.html, (consulté le 21/11/2023).

[13] Alexander Verstraete, « Twee zussen getuigen: "Euthanasie van Tine was amateuristisch" », VRTnws, 02/02/2016, disponible sur https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2016/02/02/twee_zussen_getuigeneuthanasievantinewasamateuristisch-1-2562643/, (consulté le 21/11/2023).

[14] « Euthanasie : la loi belge déclarée inconstitutionnelle, aux dépens des plus fragiles ? », Alliance Vita, 28/10/2022, disponible sur : https://www.alliancevita.org/2022/10/euthanasie-la-loi-belge-declaree-inconstitutionnelle-aux-depens-des-plus-fragiles/, (consulté le 21/11/2023).

[15] L. Vanbellingen, « Quelles sanctions pour une euthanasie illégale ? La Cour constitutionnelle se prononcera demain », Institut Européen de Bioéthique, 19/10/2022, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/quelles-sanctions-pour-une-euthanasie-illegale-la-cour-constitutionnelle-se-prononcera-demain-2132.html, (consulté le 21/11/2023).

[16] Rachel Eddie, Emily Crane, « Elderly woman, 85, reveals how she decided on euthanasia five minutes after her daughter died as documentary follows her journey to death », MqilOnline, 15/09/2015, disponible sur : https://www.dailymail.co.uk/news/article-3234917/Elderly-woman-85-reveals-decided-euthanasia-five-minutes-daughter-died-documentary-follows-journey-death.html, (consulté le 16/01/2024). .

[17] « Euthanasie en Belgique : la commission de contrôle en panne », Alliance Vita, 21/10/2015, disponible sur : https://www.alliancevita.org/2015/10/euthanasie-en-belgique-la-commission-de-controle-en-panne/, (consulté le 21/11/2023).

[18] « L’euthanasie pour raisons psychiques sur la sellette », Journal du Médecin, 23/02/2017, disponible sur : https://www.lejournaldumedecin.com/actualite/l-euthanasie-pour-raisons-psychiques-sur-la-sellette/article-normal-28207.html?cookie_check=1700739759, (consulté le 16/01/2024).

[19] « Homicide volontaire avec préméditation : pourquoi la Commission euthanasie n’a-t-elle rien dit ? », Institut Européen de Bioéthique, 07/01/2018, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/bulletin/homicide-volontaire-avec-premeditation-pourquoi-la-commission-euthanasie-n-a-t-elle-rien-dit-457.html, (consulté le 21/11/2023).

[20] Dr Ludo Vanopdenbosch, « Pourquoi j’ai démissionné de la commission euthanasie », Journal du Médecin, 23/03/2018, disponible sur : https://www.lejournaldumedecin.com/actualite/pourquoi-j-ai-demissionne-de-la-commission-euthanasie/article-column-33411.html#:~:text=Le%20neurologue%20Ludo%20Vanopdenbosch%2C%20pourtant,disponible%20depuis%20peu%20en%20fran%C3%A7ais), (consulté le 16/01/2024).

[21] « Euthanasie : la Cour Européenne des Droits de l’Homme constate une violation au droit dans un cas belge », Alliance Vita, 14/10/2022, disponible sur : https://www.alliancevita.org/2022/10/euthanasie-la-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme-constate-une-violation-au-droit-dans-un-cas-belge/, (consulté le 21/11/2023).

[22] Judith Lachapelle, « Des jumeaux belges euthanasiés : unis à la vie, à la mort », La Presse, 17/01/2013, disponible sur : https://www.lapresse.ca/international/europe/201301/17/01-4612135-des-jumeaux-belges-euthanasies-unis-a-la-vie-a-la-mort.php, (consulté le 16/01/2024).

[23] « Euthanasie d’une femme anorexique », Le blog de Jeanne Smits, 28/01/2013, disponible sur : https://leblogdejeannesmits.blogspot.com/search?q=anorexie+d%27une+femme+anorexique, (consulté le 21/11/2023).

[24] Stéphane Kovacs, « Ces détenus belges qui préfèrent la mort à la prison », Le Figaro, 30/10/2013, disponible sur : https://www.lefigaro.fr/international/2013/10/30/01003-20131030ARTFIG00261-ces-detenus-belges-qui-preferent-la-mort-a-la-prison.php, (consulté le 21/11/2023).

[25] Raphaëlle d’Yvoire, « Un prisonnier belge obtient l’euthanasie », 16/09/2014, disponible sur : https://www.la-croix.com/Actualite/Europe/Un-prisonnier-belge-obtient-l-euthanasie-2014-09-16-1207075, (consulté le 23/11/2023).

[26] « Un Belge euthanasié après une opération de changement de sexe ratée », Midi Libre, 01/10/2013, https://www.midilibre.fr/2013/10/01/un-belge-euthanasie-apres-une-operation-de-changement-de-sexe-ratee,764265.php, (consulté le 23/11/2023).

[27] Fabrice Gérard et Maurizio Sadutto, « Shanti, victime des attentats de Bruxelles, euthanasiée à 23 ans pour souffrance psychique insupportable », RTBF, 05/10/2022, disponible sur :  https://www.rtbf.be/article/shanti-victime-des-attentats-de-bruxelles-euthanasiee-a-23-ans-pour-souffrance-psychique-insupportable-11079597, (consulté le 21/11/2023).

[28] Coline Renault, « Euthanasie : en Belgique, on peut choisir de mourir pour des troubles psy "incurables" », Charlie Hebdo, 06/03/2023, disponible sur : https://charliehebdo.fr/2023/03/societe/euthanasie-psychiatrique-belgique-mourir-pour-troubles-psy/, (consulté le 21/11/2023).

[29] Annick Hovine, « Euthanasie : Emily (24 ans) voulait mourir avant l’été, elle est toujours bien vivante », La Libre, 08/12/2015, disponible sur : https://www.lalibre.be/belgique/2015/12/08/euthanasie-emily-24-ans-voulait-mourir-avant-lete-elle-est-toujours-bien-vivante-GKQYWVLGMNAK3LFRH6URKXI4YM/, (consulté le 21/11/2023).

[30] « Belgique : le violeur Frank Van Den Bleeken ne sera pas euthanasié », RFI, 06/01/2015, disponible sur : https://www.rfi.fr/fr/europe/20150106-belgique-violeur-meurtre-frank-van-den-bleeken-euthanasie, (consulté le 21/11/2023).

[31] Vincent Vanthighem, « Après 17 ans de thérapies sans succès, un pédophile raconte pourquoi il veut être euthanasié », 20 minutes, 31/03/2016, disponible sur : https://www.20minutes.fr/societe/1816331-20160331-apres-17-ans-therapies-succes-pedophile-raconte-pourquoi-veut-etre-euthanasie, (consulté le 23/11/2023).  

[32] « Le Prix Nobel belge Christian de Duve a choisi l’euthanasie pour mourir », Le Temps, 06/05/2013, disponible sur : https://www.letemps.ch/sciences/prix-nobel-belge-christian-duve-choisi-leuthanasie-mourir, (consulté le 16/01/2024).

[33] « Un pompier belge témoigne à la veille de son euthanasie : "Je préfère partir en beauté" », Franceinfo, 12/11/2014, disponible sur : https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/2014/11/12/un-pompier-belge-temoigne-la-veille-de-son-euthanasie-590348.html, (consulté le 21/11/2023).

[34] « Atteint d’un cancer du pancréas, Johnny va être euthanasié ce vendredi : " une frite ketchup mayonnaise, puis une piqûre, et je pars" », Sudinfo, 13/05/2016, disponible sur :  https://www.sudinfo.be/art/1571213/article/2016-05-13/atteint-d-un-cancer-du-pancreas-johnny-va-etre-euthanasie-ce-vendredi-une-frite, (consulté le 21/11/2023).

[35] Jean-Yves Nau, « Le tabou brisé du don d’organes après euthanasie », Slate, 04/02/2011, disponible sur : https://www.slate.fr/story/33603/euthanasie-don-organes, (consulté le 22/11/2023).

[36] « L’euthanasie n’empêche pas le don d’organes », La Libre, 29/09/2012, disponible sur : https://www.lalibre.be/belgique/2012/09/29/leuthanasie-nempeche-pas-le-don-dorganes-ZE7CHEUHCVCAXL26DZQQIM2Q7Y/, (consulté le 22/11/2023).

[37] « Belgique : 684 organes auraient pu être disponibles après euthanasie en 2015 », Institut Européen de Bioéthique, 27/04/2017, disponible sur : Belgique : 684 organes auraient pu être disponibles après euthanasie en 2015 – Institut Européen de Bioéthique (ieb-eib.org), (consulté le 22/11/2023).

[38] « Nénette (Emeline), 16 ans, a opté pour le don d’organes et a sauvé plusieurs vies », RTBF, 17/10/2023, disponible sur : https://www.rtbf.be/article/nenette-emeline-16-ans-a-opte-pour-le-don-d-organes-et-a-sauve-plusieurs-vies-11272761, (consulté le 22/11/2023).

[39] « Eva, 16 ans : une euthanasie et 5 organes prélevés », Gènéthique, 17/10/2023, disponible sur : https://www.genethique.org/eva-16-ans-une-euthanasie-et-5-organes-preleves/, (consulté le 22/11/2023).

[40] « Ne tardez pas à mourir ! « , Euthanasie STOP, 06/02/2017, disponible sur :  https://www.euthanasiestop.be/article/ne-tardez-pas-a-mourir-451, (consulté le 22/11/2023).

[41] « Santé : 40% des Belges sont pour l’arrêt des soins pour les plus de 85 ans », Le Soir, 19/03/2019, disponible sur : https://www.lesoir.be/213111/article/2019-03-19/sante-40-des-belges-sont-pour-larret-des-soins-pour-les-plus-de-85-ans, (consulté le 22/11/2023).

[42] « Le témoignage bouleversant de Shanna, 38 ans et gravement malade, qui ne voit plus d’autre issue que l’euthanasie à cause du système belge " défaillant ": " J’attends un budget santé depuis des années, mais je n’ai pas ce temps " », Sudinfo, 22/09/2023, disponible sur : https://www.sudinfo.be/id716618/article/2023-09-22/le-temoignage-bouleversant-de-shanna-38-ans-et-gravement-malade-qui-ne-voit-plus, (consulté le 22/11/2023).  

[43] « Belgique : l’euthanasie bientôt considérée comme un " soin de santé " ? », Institut Européen de Bioéthique, 25/11/2016, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/bulletin/belgique-l-euthanasie-bientot-consideree-comme-un-soin-de-sante-398.html, (consulté le 22/11/2023).

[44] « Dix ans d’euthanasie : un heureux anniversaire ? », La Libre, 13/06/2012, disponible sur : https://www.lalibre.be/debats/opinions/2012/06/13/dix-ans-deuthanasie-un-heureux-anniversaire-W7V44J6XXBGP5CX4LEHKBZASZI/, (consulté le 22/11/2023).

[45] « Des sommités mondiales en soins palliatifs pédiatriques s’adressent aux politiciens belges », Institut Européen de Bioéthique, 12/02/2014, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/des-sommites-mondiales-en-soins-palliatifs-pediatriques-s-adressent-aux-politiciens-belges-662.html?backto=bulletin, (consulté le 22/11/2023).

[46] « L’euthanasie, c’est le non-sens comme réponse au non-sens », La Croix, 27/10/2014, disponible sur : https://ethique-soin.blogs.la-croix.com/leuthanasie-cest-le-non-sens-comme-reponse-au-non-sens/2014/10/27/, (consulté le 22/11/2023).

[47] Marie-Dominique Trébuchet, « " Qui suis-je pour donner la mort ? ". Marie-Dominique Trébuchet, docteur en théologie, bénévole en soins palliatifs », La Croix, 23/12/2014, disponible sur : https://www.la-croix.com/Archives/2014-12-23/Qui-suis-je-pour-donner-la-mort-.-Marie-Dominique-TREBUCHET-docteur-en-theologie-benevole-en-soins-palliatifs-2014-12-23-1258225, (consulté le 22/11/2023).

[48] « Pourquoi je ne pratique pas l’euthanasie », La Libre, 05/01/2016, disponible sur : https://www.lalibre.be/debats/opinions/2016/01/04/pourquoi-je-ne-pratique-pas-leuthanasie-YT4TNPMI2ZCKXAPFUBOXXE6KPA/, (consulté le 22/11/2023).

[49] « Belgique : euthanasie pour souffrance psychique : mobilisation », Institut Européen de Bioéthique, 16/09/2015, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/belgique-euthanasie-pour-souffrance-psychique-mobilisation-989.html, (consulté le 22/11/2023).

[50] « Un livre qui parle : Rendez-vous avec la mort », Institut Européen de Bioéthique, 03/10/2013, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/bulletin/un-livre-qui-parle-rendez-vous-avec-la-mort-196.html, (consulté le 22/11/2023).

[51] Stephane Kovacs, « Euthanasie : la dérive belge », Le Figaro, 17/10/2013, disponible sur : https://www.lefigaro.fr/mon-figaro/2013/10/16/10001-20131016ARTFIG00608-euthanasie-la-derive-belge.php, (consulté le 16/01/2024).

[52] « DOCUMENT Communiqué des chefs religieux en Belgique au sujet de l’euthanasie », La Croix, 06/11/2013, disponible sur : https://www.la-croix.com/Actualite/Europe/DOCUMENT-Communique-des-chefs-religieux-en-Belgique-au-sujet-de-l-euthanasie-2013-11-06-1056833, (consulté le 22/11/2023).

[53] « Le nouveau primat de Belgique Jozef De Kesel crée la polémique en Flandre, l’Eglise remet les points sur les "i" », La Libre, 28/12/2015, disponible sur : https://www.lalibre.be/belgique/2015/12/28/le-nouveau-primat-de-belgique-jozef-de-kesel-cree-la-polemique-en-flandre-leglise-remet-les-points-sur-les-i-JJOEDA5TYBAQ3AAYL6A6LLR5YY/, (consulté le 22/11/2023).

[54] « Une maison de retraite a refusé l’accès à un médecin pratiquant l’euthanasie », La Libre, 02/01/2016, disponible sur : https://www.lalibre.be/belgique/2016/01/02/une-maison-de-retraite-a-refuse-lacces-a-un-medecin-pratiquant-leuthanasie-7UREXT47FVALBIHPBJJKNAEFRY/, (consulté le 22/11/2023).

[55] Pierre Jova, « Belgique : des parlementaires demandent la révision de la loi sur l’euthanasie », Le Figaro, 04/02/2016, disponible sur : https://www.lefigaro.fr/international/2016/02/04/01003-20160204ARTFIG00182-belgique-des-parlementaires-demandent-la-revision-de-la-loi-sur-l-euthanasie.php, (consulté le 22/11/2023).

[56] « " Pacte de mort" et euthanasie de deux jumeaux de 45 ans », Institut Européen de Bioéthique, 19/01/2013, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/pacte-de-mort-et-euthanasie-de-deux-jumeaux-de-45-ans-371.html, (consulté le 23/11/2023).

[57] « Euthanasie des enfants : sévérité de la déclaration de parlementaires du Conseil de l’Europe », Institut Européen de Bioéthique, 30/01/2014, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/euthanasie-des-enfants-severite-de-la-declaration-de-parlementaires-du-conseil-de-l-europe-648.html, (consulté le 22/11/2023).

[58] « Des sommités mondiales en soins palliatifs pédiatriques s’adressent aux politiciens belges », Institut Européen de Bioéthique, 12/02/2014, disponible sur : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/des-sommites-mondiales-en-soins-palliatifs-pediatriques-s-adressent-aux-politiciens-belges-662.html, (consulté le 22/11/2023).

bilan de l'euthanasie en belgique 2023 euthanasie en belgique

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Les dérives de l’euthanasie et du suicide assisté : focus sur quatre législations à l’étranger

Les dérives de l’euthanasie et du suicide assisté : focus sur quatre législations à l’étranger

I) EN BELGIQUE

La loi qui a dépénalisé l’euthanasie sous certaines conditions a été votée en 2002.

 

1. Les données statistiques

  • Selon les chiffres communiqués par la Commission fédérale de contrôle, le nombre d’euthanasies officiellement recensées est passé de 235 en 2003 à 2966 en 2022. Les euthanasies déclarées ont ainsi plus que décuplé en vingt ans, une évolution qui tranche radicalement avec l’argument fourni en 2002 selon lequel l’euthanasie devait être seulement permise dans des situations exceptionnelles.
  • Une étude parue en 2018 dans le Journal of Pain and Symptom Management (JPSM) relève que 25 à 35 % des euthanasies pratiquées en Flandre n’auraient pas été déclarées à la Commission fédérale de contrôle.

 

2. La législation

  • En 2014, le Parlement belge a élargi l’accès à l’euthanasie pour les mineurs (sans âge minimum) dotés de la capacité de discernement et dont la mort est prévue à brève échéance. Dans une lettre ouverte, 200 pédiatres ont appelé à repousser cette mesure qui ne répondait à aucune nécessité pratique sur le terrain ; ils se positionnaient au contraire pour le soulagement de la douleur des enfants en fin de vie par les soins palliatifs. Les membres du Congrès international des soins palliatifs pédiatriques ont appelé le gouvernement belge à reconsidérer cette décision. Quatre euthanasies sur mineurs ont été déclarées depuis 2014.
  • En mars 2020, la loi euthanasie a été modifiée pour obliger tous les établissements de soins (hôpitaux ou maisons de retraite) à accepter la pratique de l’euthanasie en leurs murs. La loi contraint également désormais les médecins qui refusent de pratiquer une euthanasie (pour des motifs médicaux ou de conscience) à renvoyer le patient vers un autre médecin.
  • Plusieurs nouvelles extensions de la loi sont actuellement envisagées : des propositions de loi ont été déposées en 2019 pour autoriser l’accès à l’euthanasie aux personnes souffrant de démence, y compris lorsque celles-ci ne sont plus capables de consentir à leur propre mort. Certains politiques souhaitent également que la « fatigue de vivre » soit reprise comme critère d’accès à l’euthanasie.

 

3. Des lacunes dans l’application de la loi

  • Une étude parue en janvier 2021 dans le Journal of Medicine and Philosophy souligne de larges lacunes dans la loi euthanasie et son application, et dans le contrôle de sa pratique. Les trois auteurs belges mentionnent en particulier le caractère subjectif de la dimension inapaisable de la souffrance et de la dimension incurable de la maladie. L’euthanasie peut ainsi être pratiquée même dans le cas où le patient refuse un traitement pouvant le soulager ou le soigner. Sont également pointés l’absence de contrôle effectif de la Commission fédérale de contrôle ainsi que le caractère non contraignant de l’avis du ou des médecins consultés par le médecin effectuant l’euthanasie.
  • Régulièrement dans les déclarations d’euthanasie figurent désormais les « polypathologies ». Cette notion vise l’addition de conditions telles que la baisse de la vue ou de l’audition, la polyarthrite ou l’incontinence. En 2022, les polypathologies comptaient pour 19,6 % de l’ensemble des euthanasies et pour près de la moitié des euthanasies sur les patients qui ne sont pas en fin de vie.

 

4. L’euthanasie de patients souffrant de dépression

  • On dénombre chaque année plusieurs cas d’euthanasie de patients souffrant de dépression, alors même que l’appréciation du caractère définitivement incurable de la dépression fait débat d’un point de vue scientifique. Dans une tribune parue en 2018, 150 médecins belges ont d’ailleurs ouvertement remis en cause la pratique de l’euthanasie sur les personnes souffrant de troubles psychiques, du fait notamment de ses effets contre-productifs sur la prévention du suicide et sur l’accompagnement des personnes souffrant de troubles psychiques.
  • Entre autres exemples, Tine Nys, jeune femme souffrant de dépression, est ainsi décédée par euthanasie en 2010 à l’âge de 38 ans. En dépit du non-respect de plusieurs conditions légales, notamment concernant l’indépendance du médecin consulté et la déclaration d’euthanasie par le médecin, la Commission fédérale de contrôle a considéré que l’euthanasie ne posait aucun problème. En janvier 2020, la Cour d’assises de Gand a finalement acquitté le médecin ayant pratiqué l’euthanasie, au bénéfice du doute.
  • Une enquête médiatique de la RTBF dans l’émission #Investigation a révélé qu’une jeune de 23 ans souffrant de dépression depuis l’adolescence, présente à l’aéroport de Bruxelles quand eut lieu l’attentat terroriste du 22 mars 2016 a été euthanasiée le 7 mai 2022. Selon un neurologue impliqué sur ce dossier : « l’euthanasie n’aurait pas dû avoir lieu car d’autres propositions de soins avec été formulées à la jeune femme ». D’autres affaires d’euthanasies psychiatriques ont fait polémique début 2023, une concerne une femme condamnée pour avoir tué ses 5 enfants et l’autre une femme victime d’un viol quelques années auparavant.

 

5. Alerte sur l’euthanasie pour raisons économiques

  • Dans son témoignage livré au média flamand Nieuwsblad en septembre 2023, Shanna, 38 ans, a révélé qu’elle souffrait du syndrome d’Ehlers-Danlos et qu’elle avait demandé l’euthanasie en raison d’un système social « défaillant ». Elle alertait sur les discriminations économiques qui ont déjà fait une autre victime, Joke Mariman, atteinte du même syndrome, qui a été euthanasiée par manque de soutien.

 

6. Condamnation de la CEDH

  • En 2022, la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH) a condamné la Belgique dans une affaire où des enfants remettaient en question l’euthanasie de leur mère dépressive : la Cour a jugé que le système de contrôle établi en l’espèce n’offrait pas de garantie suffisante. En effet, le médecin qui a pratiqué l’euthanasie sur la mère du requérant siégeait dans la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie.
II) AUX PAYS-BAS

 

L’euthanasie a été dépénalisée en 2001 sous certaines conditions strictes, pour les majeurs et les mineurs de plus de douze ans.

 

1. Les données statistiques

  • Selon le rapport annuel 2022 des commissions régionales de contrôle néerlandaises (Regionale Toetsingcommissies Euthanasie, RTE), le nombre d’euthanasies officiellement recensées est passé de 1882 en 2002 à 8720 en 2022, soit 5,1% du nombre des décès.
  • Pour la grande majorité il s’agit d’euthanasies (8501 pour 186 suicides assistés). Le rapport de 2022 signale que 33 cas résultent de la combinaison des deux, «lorsque, dans le cas d’un suicide assisté, les patients absorbent la potion donnée par le médecin, mais ne décèdent pas dans le laps de temps convenu. »
  • Le rapport de 2022 fait état de 379 cas d’euthanasie pratiquée pour des polypathologies gériatriques, 115 pour des troubles psychiatriques, 282 chez des personnes présentant une démence légère et 6 pour des personnes « démentes » qui ne sont plus capables de s’exprimer sur une demande d’euthanasie (sur directives). Tous ces cas sont à plus de 30% de progression par rapport à 2019.
  • Selon une étude du Centre Intégral du Cancer néerlandais (IKNL), les soins apportés aux patients en phase terminale ne sont pas appropriés. Chaque année, 1700 cas de sédations en fin de vie relèveraient d’une pratique inadéquate pouvant cacher des euthanasies.

 

2. Les pressions pour élargir les possibilités d’euthanasie ou de suicide assisté

  • A travers le Protocole de Groningen, élaboré en 2004 par le Professeur Verhaegen, les Pays-Bas autorisent de facto l’euthanasie sur les nouveau-nés atteints d’une maladie grave et incurable pouvant mener à des souffrances insupportables.
  • Le 14 avril 2023, le ministre néerlandais de la santé Ernst Kuipers a annoncé dans une lettre au parlement la dépénalisation prochaine du recours à l’euthanasie pour les enfants entre 1 et 12 ans. Cette dépénalisation se fera par un règlement ministériel et non pas par voie législative. Le gouvernement prévoit de modifier un règlement existant concernant les avortements tardifs et l’arrêt de vie des nouveau-nés en ligne avec le protocole de Groningen. Ce projet est contesté par plusieurs instances médicales et juridiques.
  • Une proposition de loi pour autoriser le suicide assisté à partir de 75 ans pour « vie accomplie » a été déposée en 2020 en dehors de toute condition médicale[5]. Le débat public sur cet élargissement est toujours en cours.

 

3. L’euthanasie des personnes souffrant de troubles psychiques

  • En 2016, un médecin gériatre a euthanasié une patiente atteinte de la maladie d’Alzheimer sans son consentement effectif au moment de l’acte, en versant préalablement un sédatif dans son café, à son insu. La patiente avait rempli une directive anticipée d’euthanasie mais se débattait au moment de l’injection létale. Le médecin et la famille l’ont retenue de force. Les tribunaux néerlandais ont considéré qu’aucune infraction n’avait été commise.
  • Dans la dernière version de leur Code des bonnes pratiques publié en 2020, les commissions de contrôle néerlandaises autorisent désormais explicitement le médecin confronté à cette situation à administrer une sédation au patient à son insu, afin d’éviter toute résistance au moment de l’injection létale.

 

4. Une interpellation du Comité des Droits de l’homme de l’ONU

  • Le Comité des droits de l’homme de l’ONU s’est inquiété, en juillet 2009, du nombre élevé de cas d’euthanasies et de suicides assistés. Il a demandé instamment aux Pays-Bas de réviser leur législation afin de se mettre en conformité avec les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.
  • Dans son rapport périodique suivant, adopté en 2019, le Comité des Droits de l’Homme réitère sa demande de garanties supplémentaires quant au respect des critères d’accès à l’euthanasie, et demande en particulier la mise sur pied d’un comité chargé d’un contrôle ex ante, avant que la demande d’euthanasie du patient soit acceptée.

III) EN SUISSE

 

1. Droit en vigueur

  • L’article 115 du code pénal interdit l’assistance au suicide pour un motif intéressé, mais tolère de facto l’aide au suicide, médicale ou non, en l’absence de mobile « égoïste ».
  • Cette brèche a conduit certaines associations à organiser des services payants d’organisation du suicide assisté sur le territoire suisse, y compris pour des non-résidents. Pour les résidents suisses, adhérents aux associations, le coût du recours au suicide assisté est inclus dans leur adhésion, sauf lorsque leur adhésion est inférieure à un an. Dans ce cas, il faut compter quelques centaines d’euros. Pour les non-résidents, les sommes varient de 7 000 à 11 000 €.
  • Face à l’augmentation constante du nombre de cas de suicides assistés, le Conseil fédéral et le Parlement ont décidé, en 2011 et 2012, de ne pas réglementer de manière spécifique l’aide au suicide, préférant maintenir cette tolérance de fait afin d’éviter d’encourager davantage le recours au suicide assisté.
  • Depuis 2010, le nombre de suicides assistés a néanmoins triplé, en 10 ans, passant de 352 en 2010 à 1251 décès en 2020.
  • En l’absence de réglementation fédérale, les associations organisant le suicide assisté déterminent elles-mêmes les critères de santé qu’elles jugent nécessaires pour l’accès au suicide assisté. L’association Exit accepte ainsi désormais d’intervenir auprès de toute personne âgée atteintes de polypathologies liées à l’âge.
  • Certains cantons ont adopté des dispositions spécifiques en la matière. Ainsi, les cantons de Vaud et de Neuchâtel contraignent les institutions d’intérêt public (hôpitaux, maisons de retraite) à accepter les suicides assistés dans leurs murs, sous peine de perdre leur financement public.

 

2. Des dérives notables

  • Des scandales ont éclaté avec l’euthanasie de personnes dépressives ou que l’on pouvait guérir. Une étude parue dans le Journal of Medical Ethics en 2014 révèle que, sur la période 2008-2012, 34 % des personnes qui ont eu recours au suicide assisté par l’intermédiaire d’une de ces associations ne souffraient pas d’une maladie mortelle.
  • En septembre 2015, une Anglaise de 75 ans, ne souffrant d’aucun problème de santé sérieux, a eu recours à un suicide assisté dans une clinique suisse.
  • En novembre 2016, deux frères ont saisi le tribunal civil de Genève pour empêcher le suicide assisté de leur troisième frère par l’association Exit. Celui-ci, qui est finalement passé à l’acte, souffrait d’une dépression.
  • La possibilité d’un accès au suicide assisté pour les détenus a été ouverte en 2018, avec le cas de Peter Vogt, condamné en 1996 à dix ans de réclusion pour de multiples viols, avant d’être interné à vie. En 2018, il a contacté l’association Exit pour recevoir une aide au suicide. En conséquence, les autorités judiciaires et de police ont adopté en février 2020 un accord de principe sur l’extension du suicide assisté aux détenus.
  • En février 2022, un Américain a appris par la presse que ses deux sœurs de 54 et 49 ans vivant en Arizona, toutes deux en bonne santé, avaient mis fin ensemble à leurs jours en Suisse en payant 11 000 dollars chacune à l’association Pegasos.
  • En 2019, un article du journal Neue Zürcher Zeitung (NZZ) s’est intéressé à la fortune amassée par l’association Exit. Le total de ses actifs a triplé en cinq ans, passant de 9,4 millions de francs suisses en 2013 à 29 millions. Ces chiffres suscitent des interrogations sur le développement d’un business de la mort.
IV) AU CANADA

 

1. La législation

  • En 2016, le Canada a dépénalisé « l’aide médicale à mourir », euphémisme pour désigner l’euthanasie, à savoir le fait, pour un médecin, de mettre volontairement fin à la vie du patient à sa demande.
  • La loi canadienne prévoit que l’euthanasie ne peut être réalisée que sur des personnes majeures « affectées de problèmes de santé graves et irrémédiables leur causant des souffrances persistantes et intolérables ». L’affection dont souffre la personne doit être incurable et mener au « déclin avancé et irréversible de ses capacités » et au fait que « sa mort naturelle soit devenue raisonnablement prévisible ».
  • En 2021, la loi a été modifiée avec l’élargissement à des personnes qui ne sont pas en fin de vie, aux personnes handicapées physiques. Les délais de réflexion de dix jours sont supprimés dans le cas où la mort naturelle est considérée comme « raisonnablement prévisible » (demande et euthanasie le même jour). La loi englobe également le cas d’inconscience du patient qui a fait une déclaration anticipée en ce sens et dont la mort est raisonnablement prévisible, ou lorsque l’injection létale qu’il s’est lui-même administrée a échoué.
  • Une loi particulière au Québec a été votée en juin 2023, le projet de loi 11, pour s’aligner sur la loi fédérale : elle a été fortement contestée par plusieurs associations de personnes handicapées. En outre, cette loi contraint les centres de soins palliatifs à pratiquer l’euthanasie.
  • Déjà, en 2021, un centre de soins palliatifs avait dû fermer en Colombie-Britannique en raison de son refus de pratiquer l’euthanasie (alors qu’un hôpital situé à deux pas pratiquait l’euthanasie).
  • La possibilité d’élargir l’euthanasie aux personnes atteintes d’une maladie mentale prévue par la loi fédérale de 2021 a été repoussée à mars 2024 devant les difficultés à trouver des critères « acceptables ».

 

2. Les données statistiques

  • En l’espace de six années (2016-2022), le nombre d’euthanasies a crû fortement, passant de 1 018 à 13 241 décès soit 4,1 % des décès canadiens. Cela représente 6,6 % des décès au Québec, soit 4 801 cas, en augmentation de 46 % en un an.
  • La nature de la souffrance invoquée par le patient qui demande l’euthanasie est, dans 86 % des cas, liée à une perte d’autonomie. Plus d’un tiers des demandeurs mentionnent également comme motif le fait d’être une charge pour sa famille ou ses proches.
  • Un sondage sur la loi fédérale canadienne publié en mai 2023 par l’Institut Research Co. révèle une évolution alarmante des mentalités. 73 % des sondés disent approuver la loi actuelle et 20 % approuvent l’euthanasie sans condition ; quand on mentionne des situations spécifiques relatives à la situation économique, 28 % se disent favorables à étendre les critères à des personnes en raison de leur statut de sans-abri et 27 % en raison de leur pauvreté.

 

3. Des euthanasies pour motif économique

  • Depuis l’extension de la loi en 2021, les médias rapportent des cas troublants d’euthanasie alors que des personnes handicapées ou malades souhaiteraient continuer à vivre. Ce sont notamment des personnes en situation de précarité ou privées de prise en charge adéquate qui sont conduites à ces demandes, n’ayant pas d’autre issue.
  • Ainsi, début octobre 2022, le quotidien CBC News rapportait l’histoire douloureuse d’une jeune femme du Manitoba, atteinte de SLA, qui s’est résolue à demander l’euthanasie par manque d’aide à domicile. Elle supportait son état même s’il se détériorait progressivement et aurait souhaité vivre plus longtemps.
  • En août 2022, l’agence de presse AP News rapportait le cas de Sean Tagert, euthanasié en août 2019 à 41 ans. Atteint de SLA, il n’avait pas obtenu du gouvernement les soins 24 heures sur 24 dont il avait besoin, seules 16 heures étant financées. Il restait donc à sa charge huit heures par jour. Il n’a pas pu collecter suffisamment d’argent pour financer le matériel médical nécessaire à son maintien à domicile.

 

La mise en garde de l’ONU contre l’euthanasie

Dans une déclaration commune publiée le 25 janvier 2021, trois experts internationaux de l’ONU ont alerté sur le chemin emprunté par plusieurs pays vers la légalisation de l’euthanasie pour les personnes handicapées. « Le handicap ne devrait jamais être une raison pour mettre fin à une vie ».

Le Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées, le Rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les Droits de l’homme ainsi que l’expert indépendant sur les droits des personnes âgées insistaient sur le fait que l’aide médicale au suicide – ou l’euthanasie –, même lorsqu’elle est limitée aux personnes en fin de vie ou en maladie terminale, peut conduire les personnes handicapées ou âgées à vouloir mettre fin à leur vie prématurément.

Cette prise de position importante est intervenue au moment où le Parlement du Canada élargissait l’accès à l’euthanasie aux personnes qui ne sont pas en fin de vie, y compris les personnes qui vivent avec un handicap ou qui sont atteintes d’une affection, par exemple suite à un accident de voiture ou du travail. Si la loi canadienne prévoit des conditions médicales et procédurales visant à éviter les abus, une telle initiative peut laisser entendre aux personnes concernées que leur vie ne vaut potentiellement pas ou plus la peine d’être vécue. Parmi les autres pays ayant dépénalisé l’euthanasie, la Belgique et les Pays-Bas ont également ouvert l’accès à l’euthanasie aux personnes souffrant d’un handicap sévère.

Dans leur déclaration de janvier 2021, les trois experts indépendants rappelaient que le handicap, loin d’être un poids ou un défaut de la personne, est avant tout « un aspect universel de la condition humaine ». Ceux-ci notaient par ailleurs que « la proportion de personnes en situation de handicap frappées par la pauvreté est sensiblement plus élevée » que celle du reste de la population, et qu’une « protection sociale insuffisante pourrait d’autant plus rapidement mener ces personnes à vouloir mettre fin à leur vie, par désespoir ».

Les experts exprimaient ainsi leur inquiétude quant au manque de prise en compte de la voix des personnes handicapées dans ce type de réforme législative, celle-ci touchant directement à leur « droit à la vie ».

Selon ces experts de l’ONU, « en aucun cas le droit ne devrait considérer comme une décision raisonnable le fait, pour l’Etat, d’aider une personne handicapée qui n’est pas en train de mourir à mettre fin à ses jours ».

Octobre 2023

Chine : soutien au troisième enfant, quelle réalité ?

Chine : soutien au troisième enfant, quelle réalité ?

Démographie en Chine, quelle réalité pour le soutien à la natalité ?

 

Le soutien à la natalité, y compris pour un troisième enfant, annoncé en 2021 par le Politburo chinois, ne produit pas encore d’effet dans la réalité démographique.

Le Bureau National des Statistiques a annoncé une baisse de la population, une première depuis 60 ans. A l’époque, une terrible famine, ayant démarré en 1959, avait fait 36 millions de morts, selon le livre du journaliste et historien Yang Jisheng.

La baisse annoncée est de 850000 habitants. Les projections indiquent que l’Inde deviendra le pays le plus peuplé du monde dès cette année.

L’ONU, dans ses projections de 2019 voyait le pic de natalité pour la Chine vers 2031. Mais le taux de fécondité a poursuivi sa baisse et s’établit à 1.15 en 2021. Le scénario d’hiver démographique pour ce pays semble se confirmer. Les impacts économiques et sociaux s’annoncent profonds : équilibre population active et retraités, pression sur la prise en charge des personnes âgées, baisse de la productivité économique, poids de la Chine au niveau géopolitique…

Certains médias qualifient cette baisse de « baisse paradoxale ». L’assouplissement puis la fin officielle de la politique brutale de l’enfant unique date de plusieurs années. Cependant les facteurs cités pour expliquer le bas taux de fécondité sont à la fois culturels, sociaux et économiques, et ne peuvent se résumer à la simple incitation des autorités publiques.

Hausse du coût de la vie, logements insuffisants, habitudes des petites familles, grossesses repoussées plus tard, niveau d’études supérieures plus élevé pour les femmes, mais aussi moindre envie d’élever des enfants selon des enquêtes auprès de jeunes chinois.

Un démographe chinois, He Yafu, note dans un article du Monde « la baisse du nombre de femmes en âge de procréer, qui a diminué de 5 millions par an entre 2016 et 2021« . Le vieillissement de la population est un phénomène qui s’auto-entretient.

 

La natalité en France

En France, où les débats actuels sur le système de retraite ont une composante démographique, le ministre du Budget a affirmé récemment dans la presse que « soutenir la natalité n’était « pas du tout « un tabou pour le gouvernement.

Mais davantage qu’une politique de natalité, l’enjeu est une culture où l’accueil de l’enfant, dès l’annonce d’une grossesse, est soutenu et valorisé. Un enjeu dans de très nombreux pays, au-delà du cas chinois.

La politique de l’enfant unique en Chine et ses conséquences

La politique de l’enfant unique, instaurée par Deng Xiaoping en 1980, avait été assouplie en 2013, sans entraîner cependant une hausse des naissances : sur 11 millions de couples potentiellement concernés par cette réforme, 620 000 avaient demandé cette autorisation. En 2015, le plenum du Comité Central avait annoncé que tous les couples seraient autorisés à avoir deux enfants à partir du 1er janvier 2016.

L’approche chinoise restait donc très administrative et coercitive. Le ministère de la santé chinois avait dressé un bilan de décennies de contrôle, estimant le nombre d’avortements à 281 millions entre 1980 et 2010. Une politique de stérilisation forcée était également menée.

L’impact de cette politique démographique a eu de profondes répercussions. L’annonce officielle souligne l’angle économique. En 2010, deux adultes actifs se partageaient la charge d’une personne économiquement dépendante (enfant ou personne âgée). Les projections actuelles montrent qu’en 2050, la Chine comptera 250 millions d’actifs en moins et chaque actif devra assumer la charge de près d’une personne économiquement dépendante. Dans un livre publié en 2017, une chercheuse de l’INED, Isabelle Attane, soulignait déjà pour la Chine le risque « d’être vieille avant d’être riche ».

Mais la politique de limitation des naissances a eu également des effets sociaux nombreux, comme le déséquilibre Homme/Femme avec un ratio de 107 hommes pour 100 femmes en 2015, quand la France en compte 92. Ce déséquilibre a lui-même des conséquences néfastes comme le trafic de femmes.

Les premières réactions dans les médias et sur les réseaux sociaux semblent indiquer que cette nouvelle directive volontariste des dirigeants chinois ne sera pas forcément suivie d’effets. De nombreux facteurs sont cités : absence de soutien aux mères, prix du logement et de l’éducation, difficulté à mener de front une vie familiale et professionnelle pour les femmes, baisse des mariages, mentalité éduquée par des décennies de politique freinant la natalité…

Un article du New York Times mentionnait les résultats d’un sondage en ligne de l’agence Xinhua intitulé « Etes-vous prêts pour la politique 3 enfants ? ». Sur environ 22 000 réponses, 20 000 avaient choisi la réponse « Je ne l’envisage pas ». Il ne paraît pas aisé de parier sur un nouveau « baby boom » dans ce contexte.

On doit surtout s’étonner de la quasi absence de critique internationale de la politique chinoise coercitive et hautement liberticide. L’Etat intervient abusivement depuis des décennies dans la vie intime et privée des chinois, sans aucune action des instances internationales chargées des droits de l’Homme.

 

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1000 premiers jours de l’enfant : lancement de deux expérimentations

1000 premiers jours de l’enfant : lancement de deux expérimentations

1000 premiers jours de l’enfant : lancement de deux expérimentations

 

Un an après la remise du rapport sur les « 1 000 premiers jours » de l’enfant, Santé publique France et le Ministère des Solidarités et de la Santé organisaient un colloque en ligne, « Les 1000 premiers jours : des données de la science à l’élaboration des politiques publiques », ce jeudi 23 septembre. Plusieurs initiatives, s’inspirant de la philosophie de ce rapport, sont en cours d’expérimentation.

Le rapport sur les « 1000 premiers jours », remis le 8 septembre 2020 au secrétaire d’Etat en charge de l’Enfance et des Familles, Adrien Taquet, est le fruit des travaux d’une commission d’experts de la petite enfance présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Ces experts partageaient la conviction de l’importance décisive des 1 000 premiers jours de l’enfant (du 4e mois de grossesse aux 2 ans de l’enfant) pour son développement et ses apprentissages.

Selon ce rapport, « les premiers apprentissages sociaux, émotionnels et cognitifs dépendent fortement des échanges et des liens d’attachement forts et sécures qui s’établissent entre le bébé et ses parents ». Ainsi, le rapport propose toute une série de recommandations pour mieux accompagner les parents afin de favoriser cet attachement entre le bébé et les parents. Dès septembre 2020, ce rapport a ainsi donné lieu à l’allongement du congé paternité de 14 à 28 jours, entré en vigueur le 1er juillet dernier, pour permettre aux deux parents d’être présents auprès de l’enfant après la naissance.

Un référent identifié pour personnaliser l’accompagnement des femmes enceintes

Partant du constat que les professionnels de santé « sont souvent nombreux et surtout multiples » au cours du suivi de la grossesse, « engendrant parfois la confusion et une perte de confiance », le rapport sur les 1000 premiers jours proposait, dans la continuité de l’Entretien Prénatal Précoce, la mise en place d’un « référent parcours » identifié, qui puisse accompagner les futurs parents dès le début de la grossesse et après la naissance, pouvant être contacté en cas de question et qui ferait le lien entre les différents professionnels.

Selon l’enquête publiée en septembre 2021 et réalisée par l’association Make Mothers Matter auprès de 22 000 mères, 48% des mères ayant vécu une dépression post-partum estiment que la présence d’une personne référente dans la continuité de leur grossesse et leur post-partum auraient pu l’éviter, ou aider à une meilleure prise en charge. 49% des mères souhaitent pouvoir s’appuyer sur un professionnel identifié pour un accompagnement continu de la grossesse au post-partum, mais à condition de pouvoir choisir librement le référent (90%).

Définie par l’arrêté du 27 juillet 2021, une expérimentation a commencé dans quatre territoires afin de proposer à toutes les femmes enceintes, et en particulier aux plus vulnérables, cet accompagnement personnalisé passant par un référent identifié, nommé « référent parcours périnatalité » (Répap).

« Ce Répap sera un interlocuteur privilégié de la femme et du couple ainsi que des professionnels hospitaliers, libéraux et/ou de protection maternelle et infantile intervenant lors de la grossesse et des premiers mois de la vie, qu’ils soient professionnels des champs somatique, psychique ou social ». Les objectifs de cette expérimentation sont l’amélioration de la santé de la femme et du couple mère-bébé, une plus grande lisibilité du parcours périnatal, et la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé.

Le projet prévoit d’inclure 6 000 femmes enceintes durant dix-huit mois, en Guyane, en Indre-et-Loire, en Essonne et dans la Drôme. Le « Répap » sera choisi par la femme enceinte parmi les professionnels qui auront signé une charte d’engagement. Quatre entretiens sont prévus : après l’inclusion, au 8e mois de grossesse, 15 jours après l’accouchement, et au cours des deux semaines précédant le 4e mois de l’enfant, à la sortie du dispositif.

Avec cette expérimentation, le gouvernement espère diminuer l’isolement des femmes enceintes, diminuer le stress lié à la grossesse, prévenir les facteurs de risques comme la dépression post-partum, favoriser le lien parent-enfant et améliorer le sentiment de bien-être pour l’enfant et sa famille.

Le projet pourrait aussi permettre une meilleure coordination des professionnels entre la ville et l’hôpital. Concernant les dépenses de santé, un tel accompagnement doit favoriser une prise en charge plus en amont des vulnérabilités sociales, psychologiques ou médicales et prévenir les ruptures de parcours « pouvant entraîner à terme des prises en charge complexes et coûteuses. »

Inauguration d’une crèche permettant une prise en charge précoce des enfants à risque

Parallèlement, lundi dernier, le secrétaire d’Etat Adrien Taquet inaugurait à Lille la crèche « Rigolo Comme La Vie – La Sauvegarde du Nord », une crèche de prévention précoce à destination des bébés à risques de troubles du développement. Parmi les 20 enfants accueillis, 10 places sont destinées à des enfants présentant des risques de négligence parentale, pour diverses raisons (dépression post-partum, carences affectives des parents…).

Ils pourront être accueillis dès la sortie de la maternité, grâce à un aménagement particulier. Leurs parents pourront rester autant de temps qu’ils le souhaitent dans la structure et bénéficieront d’un accompagnement qui pourra se poursuivre à domicile. Selon la crèche, l’enjeu est d’accompagner les parents « en les aidant à augmenter leur habilité à reconnaître les signaux du bébé ». Il est en effet essentiel « que l’enfant puisse développer un lien d’attachement fort et sécurisant avec ses parents ».

Il s’agit encore une fois de prévenir le plus tôt possible l’apparition ou le développement de troubles qui nécessiteraient une prise en charge lourde et coûteuse.

L’expérimentation est soutenue par l’ARS Hauts-de-France, le Conseil Départemental du Nord, la CAF du Nord et la ville de Lille et doit durer trois ans. Elle fera l’objet d’une évaluation menée par un cabinet externe. L’objectif, à terme, est de développer un modèle duplicable à l’échelle nationale pour mieux prendre en charge, dès leur plus jeune âge, les enfants à risques de négligence.

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