Modification du génome humain : appel à moratoire et à débat public du Groupe Européen d’éthique
Après le Comité international de bioéthique de l’Unesco qui a appelé à un moratoire sur les techniques de modification de l’ADN des embryons humains et cellules reproductrices humaines en octobre 2015, le Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies (GEE)*publie à son tour un rapport sur la modification du génome. Il souligne la gravité des enjeux en demandant une prise de conscience des politiques et une implication de la société civile sur ce sujet.
Le GEE est un organe consultatif, attaché au Président de la Commission européenne. Il est composé de quinze experts nommés par la Commission européenne. Le Groupe a pour mission d’examiner les questions éthiques liées aux Sciences et aux NouvellesTechnologies et sur la base de son travail, de soumettre des avis à la Commission européenne dans le cadre de l’élaboration de législations ou de la mise en place de politiques communautaires.
Le rapport souligne au préalable trois évolutions majeures qui expliquent l’urgence d’un débat aujourd’hui :
- les énormes avancées qui ont eu lieu dans ce domaine ces 40 dernières années, depuis la conférence d’Asilomar en 1975 ;
- la légalisation de la « FIV-3 parents » en Grande-Bretagne, une technique qui vise à remplacer l’ADN mitochondrial d’une femme par celui d’une autre (donneuse d’ovule) ;
- l’annonce faite en avril 2015 de la modification du génome humain par une équipe chinoise en utilisant la technique CRISPR-cas9 sur des embryons humains.
Après avoir rappelé que la modification des gènes de la lignée germinale n’en est encore qu’à ses débuts, et qu’il y a encore un certain nombre d’obstacles techniques importants à surmonter avant que les applications cliniques ne deviennent envisageables, le GEE souligne que la question de son acceptabilité par le public n’a pas été tranchée .
La question principale et urgente qui se pose aux politiques est de savoir si les recherches sur les techniques de modification du génome des cellules germinales devraient être suspendues ou sous quelles conditions elles pourraient continuer.
Le GEE considère que les réflexions et délibérations sur ces techniques nécessitent des débats qui ne doivent pas être laissés à quelques pays, ou quelques groupes sociaux ou disciplines, mais qu’ils doivent s’étendre à la société civile au sein de laquelle plusieurs points de vue et expertises pourraient ainsi être entendus. Le GEE met en garde contre la réduction du débat à des questions de sécurité ou aux risques potentiels pour la santé ou aux seuls bénéfices de ces technologies : d’autres principes éthiques tels que la dignité humaine, la justice, l’équité, la proportionnalité et l’autonomie sont clairement en jeu et devraient faire partie de cette réflexion nécessaire en vue de la gouvernance internationale de la modification de gènes.
Le GEE souhaite que les considérations éthiques concernent toutes les applications de la modification de gènes, y compris celles qui ne sont pas humaines, car il est probable que nombre des applications pratiques de la modification des gènes auront lieu dans la sphère environnementale et auront d’importantes implications pour la biosphère.
Pour le GEE, un moratoire serait nécessaire sur la transformation des gènes des embryons humains et des gamètes, qui reviendrait à modifier le génome humain. Faut-il faire une distinction entre la recherche fondamentale et la recherche destinée à des applications cliniques, tant les frontières entre ces deux approches sont floues et parfois ténues ? Les positions des membres du GEE divergent sur cette question, certains souhaitant un moratoire complet en se référant à l’article 3** de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, d’autres souhaitant ne pas s’interdire la recherche fondamentale. C’est la raison de l’appel à un large débat public.
Le GEE recommande fortement à la commission européenne qu’elle exige du groupe qui sera nominé pour succéder au groupe actuel du GEE qu’il se penche de façon prioritaire sur ces problèmes éthiques, scientifiques et législatifs.
Ce nouveau rapport d’un organisme de l’Union européenne confirme l’importance d’un débat public et d’une réflexion sur l’encadrement de la recherche autour de la modification du génome. Un appel qu’Alliance VITA a également adressé au CCNE en janvier pour lui demander de se saisir de cette question.
___NOTES______________
*Depuis sa création en 1991, le GEE fournit à la Commission des avis sur certains aspects éthiques de la science et des nouvelles technologies. Ses membres sont des experts issus des domaines des sciences naturelles ou sociales, de la philosophie, de l’éthique ou du droit. Le GEE assure plusieurs rôles : celui de secrétariat général du « dialogue international de la Commission européenne sur la bioéthique » – une plate-forme réunissant les Conseils nationaux d’éthique de 97 pays (forum UE-G20 et au-delà) – , celui de la représentation et de la liaison avec les organisations internationales chargées d’examiner les implications éthiques des sciences et technologies (ONU et ses agences, OCDE, Conseil de l’Europe), ainsi que la coordination des activités de la Commission dans les domaines de la bioéthique et de l’éthique de la science et des nouvelles technologies.
** Article 3 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’union européenne : Droit à l’intégrité de la personne.
- Toute personne a droit à son intégrité physique et mentale.
- Dans le cadre de la médecine et de la biologie, doivent notamment être respectés :
- Le consentement libre et éclairé de la personne concernée, selon les modalités définies par la loi ;
- L’interdiction des pratiques eugéniques, notamment celles qui ont pour but la sélection des personnes ;
- L’interdiction de faire du corps humain et de ses parties, en tant que tels, une source de profit ;
- L’interdiction du clonage reproductif des êtres humains.