OPECST. Embryon et modifications génétiques, où est l’éthique ?
L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a rendu le 29 mars 2017 son rapport provisoire sur « Les enjeux économiques, environnementaux, sanitaires et éthiques des biotechnologies à la lumière des nouvelles pistes de recherche ».
Les rapporteurs présentent ce rapport à l’issue de quinze mois d’étude, de deux auditions publiques contradictoires et ouvertes à la presse, de plusieurs missions en France et à l’étranger et auprès d’organisations européennes et internationales.
Ce document de 300 pages se décline en 6 grandes parties : la recherche en biotechnologies, les applications des nouvelles biotechnologies à la médecine humaine, les applications à l’environnement, les applications agricoles dénommées « nouvelles techniques de sélection », les enjeux juridiques et sécuritaires et l’évaluation des risques et les conditions du débat public.
Alliance VITA a été auditionnée dans le cadre de ce rapport. Alliance VITA est très impliquée sur ces enjeux majeurs, consciente, à la fois du potentiel prometteur des avancées technologiques dans les domaines de la thérapie génique, mais aussi des enjeux éthiques et humains. Blanche Streb, directrice des études d’Alliance VITA, est intervenue lors des deux auditions publiques du 7 avril 2016 et du 27 octobre 2016 sur les enjeux éthiques de l’instrumentalisation des embryons humains.
Ce rapport comporte des analyses et se termine par des recommandations qui interrogent gravement. L’OPECST estime inapproprié et réfute tout moratoire. Les rapporteurs recommandent qu’il n’y ait pas d’interventions sur les cellules germinales pour l‘instant, mais souhaitent ouvrir la possibilité, dans l’avenir, de modifier la convention d’Oviedo, pour accepter, au cas par cas, des « essais thérapeutiques » : c’est-à-dire, l’intervention de ces techniques sur l’ADN des embryons ou des gamètes, pour aller jusqu’à la naissance d’enfants génétiquement modifiés.
Sur la technique controversée de « FIV-3 parents », technique qui n’a aucunement fait ses preuves d’innocuité, non seulement l’Office ne la condamne pas, mais au contraire appelle de ses vœux à l’examen de son ouverture en France lors de la prochaine révision des lois de bioéthique en 2018.
Enfin, le rapport propose d’élargir encore la sélection des embryons, par de nouvelles indications au diagnostic préimplantatoire (DPI), une pression supplémentaire vers une dérive eugénique.
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Sur la recherche sur la modification du génome de l’embryon humain, les rapporteurs estiment qu’il « faut continuer les recherches, qu’un moratoire n’est ni souhaitable, ni possible ».
La recommandation N°1 (page 54) : « estime inapproprié tout moratoire sur ces recherches car, il faut faire progresser les connaissances pour fixer précisément les règles d’utilisation et les limites de ces technologies. Un tel moratoire serait inapplicable à l’échelle planétaire, car certains pays ne l’appliqueraient pas, il ferait prendre du retard à la recherche en France et en Europe et ferait fuir nos chercheurs ».
Les rapporteurs estiment qu’il est encore trop tôt pour envisager la naissance d’enfants génétiquement modifiés, et qu’il « n’est pas acceptable de modifier la lignée germinale humaine pour l’améliorer ou ‘l’augmenter’, selon les thèses transhumanistes ».
Cependant, sans condamner ni interdire cette perspective, ils estiment au contraire que « Beaucoup de chercheurs pensent que, lorsque ces technologies seront sûres, il sera difficile d’interdire des modifications héréditaires du génome humain, au cas par cas, afin de soigner une maladie grave ou incurable ».
Les rapporteurs estiment qu’ « En France, les règles de sécurité et d’éthique sont suffisantes, il n’est pas nécessaire de créer des règles spécifiques pour évaluer ces techniques de modification ciblée du génome humain ».
Les rapporteurs ont visité le génopole d’Evry, l’AFM-Téléthon ainsi que la société I-Stem qui travaille sur des cellules souches embryonnaires. Ils mettent en avant le travail de ce laboratoire pour justifier le refus d’un moratoire. Le rapport mentionne (page 50) que « L’I-Stem est l’un des laboratoires sur lequel s’appuie l’AFM-Téléthon. Créé en 2005, il a réussi à faire revenir des États-Unis de jeunes chercheurs français prometteurs en leur offrant très tôt des postes de direction, grâce au passage du régime d’interdiction de la recherche sur les cellules avec dérogation à une autorisation encadrée ». Pourquoi le rapport ne précise-t-il pas ici : recherche sur les cellules « souches embryonnaires », alors qu’il s’agit bien de cela ?
Le rapport précise que « L’objectif de ce laboratoire est thérapeutique avec un axe sur les thérapies cellulaires et un autre sur les maladies monogéniques. C’est en partie le financement du Génopole et plus particulièrement du Téléthon avec 4 millions d’euros par an, qui a permis le succès de l’I-Stem, comme le rapporte M. Marc Pechanski, le directeur scientifique du laboratoire ».
Le rapport cite également Mme Isabelle Richard (page 51), responsable de l’équipe de recherche de Généthon sur les dystrophies musculaires : « Le potentiel est énorme, mais les précautions normales sont à appliquer ». Elle complète ce constat en rejetant tout frein à la recherche et « en avertissant contre les conséquences destructrices que pourrait avoir un moratoire sur la recherche, surtout au regard du caractère prometteur de ces travaux ».
Concernant la problématique des « effets hors-cibles » de CRISPR-Cas9, les rapporteurs les mentionnent mais, évoquant la position du Royaume-Uni, pays qui n’a pas signé la Convention d’Oviedo*, en soulignant, page 66, que « Ce ratio permet de poursuivre les recherches sans s’en préoccuper et que ce faible ratio montre que CRISPR pourrait être aussi utilisé sans incidence sur les cellules embryonnaires ».
Ils concluent qu’ « Au cours des quinze mois de leur étude, les rapporteurs ont acquis la conviction que la question des effets hors cible de CRISPR-Cas9 avait beaucoup progressé et que cette technologie semblait poser peu de difficulté. Il s’agit d’un processus normal propre à toute technologie naissante. Si la technologie CRISPR-Cas9 est maîtrisée, les effets hors cibles deviennent moins nombreux que les mutations naturelles qui affectent tout organisme vivant et ne seraient de ce fait plus détectables ».
Le rapport fait état, page 85, de « travaux qui continuent au Conseil de l’Europe. Son comité de bioéthique a adopté, le 2 décembre 2015, une déclaration sur les technologies de modification du génome, par laquelle il réaffirme son attachement à l’article 13 de la convention. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté, le 30 novembre 2015, une proposition de recommandation intitulée « Des êtres humains génétiquement modifiés », par laquelle elle charge sa commission des affaires sociales, de la santé et du développement durable, dont la rapporteur est Mme Petra de Sutter (Belgique), de présenter un rapport à l’assemblée plénière, lors de la session de juin 2017 ».
- Sur Le diagnostic préimplantatoire (DPI)
Le rapport définit ainsi le DPI : « il permet de détecter la présence d’éventuelles anomalies génétiques ou chromosomiques dans les embryons conçus par fécondation in vitro (FIV) et donc d’effectuer un tri d’embryons. Il permet de différencier les embryons atteints d’une maladie génétique de ceux qui portent un gène sain » (page 59).
Pour les rapporteurs, il n’y a pas de « dérive constatée » avec cette technique, même si « le risque de dérive demeure toutefois, il faut rester vigilant, dans la mesure où certains pays comme les États-Unis permettent de choisir le sexe de l’enfant. Le rapport mentionne le Pr Hank Greely, de la faculté de droit de l’Université de Stanford en Californie, qui « estime qu’avec ces techniques, la société est irrésistiblement entraînée dans un cycle infernal de procréation médicalement assistée (PMA). C’est une question que se posent également les rapporteurs ».
Les rapporteurs ne cachent pas leur intention d’aller plus loin dans la sélection des embryons.
« Ils pensent également qu’il faudra étudier la possibilité d’autoriser le dépistage préimplantatoire des facteurs génétiques ou métaboliques lors du développement embryonnaire chez des populations à risque. Cela permettra de réduire le délai nécessaire pour obtenir une naissance viable, abaissera l’incidence des fausses couches, réduira le nombre des grossesses multiples, diminuera le nombre de transfert d’embryons non viables, évitera la congélation d’embryons anormaux et enfin limitera les embryons surnuméraires.
Les nouvelles biotechnologies d’hybridation génomiques évitent d’avoir recours à une médecine hasardeuse avec des conséquences néfastes, car on a montré que 60 % des embryons transférés ont des anomalies génétiques graves et sont non viables sur le plan métabolique ».
Dans leur recommandation n° 7, les rapporteurs appellent au réexamen de la loi de bioéthique en 2018, et qu’alors « soit examinée l’autorisation de pouvoir diagnostiquer, lors d’un diagnostic préimplantatoire (DPI), les maladies dues à des facteurs génétiques ou métaboliques pour des populations à risque, ou les possibilités de conservation d’ovocytes ».
Sur ce même sujet, on précisera que le président de l’OPECST est déjà l’auteur d’une proposition de loi visant à élargir les indications du diagnostic préimplantatoire (DPI) déposée à l’Assemblée nationale le 16 novembre 2016.
Les rapporteurs décrivent la technique de la FIV 3 parents en ces termes : « La technique dite de « don », « remplacement » ou « transfert mitochondrial» est de remplacer les gènes défectueux d’un embryon par ceux d’une donneuse saine pour que l’enfant naisse sans maladie grave. Ce don pourrait aider les couples dont la femme est porteuse d’une des anomalies génétiques. En combinant l’ADN non pas de deux, mais de trois donneurs, par l’assistance d’une fécondation in vitro, celle-ci éviterait la transmission de maladies rares transmises uniquement par les cellules de la mère.
Le rapport minimise l’importance de cette modification apportée au génome, concluant que « Le futur enfant aura toutes les caractéristiques génétiques de son père et de sa mère, puisque l’ADN mitochondrial représente moins de 1 % de la quantité totale d’ADN ».
Sur ce point, les rapporteurs font état des préoccupations éthiques soulevées par Alliance VITA.
« En France, cette technique est condamnée par l’association Alliance VITA, qui regrette que la communauté internationale se retrouve devant le fait accompli d’un enfant à « triple filiation ». La critique de cette naissance est émotionnellement très forte, comme le reflètent les termes « FIV 3 parents », « prise d’otage » et « stop bébé OGM ». Pour le Dr Blanche Streb, directrice des études d’Alliance VITA, de nombreuses inconnues pèsent déjà sur l’enfant à naître (1).
Quelles seront les potentielles conséquences sur son développement, sur sa santé ? Quelle sera l’empreinte psychologique de cette « triple filiation » et de ces conditions de naissance ? Pour elle, les scientifiques bafouent les règles éthiques ! Alliance VITA souligne également le problème que représente le manque d’information disponible sur le développement à venir de ces enfants.
Elle a rappelé l’article 13 de la convention d’Oviedo, qui interdit les modifications sur le génome humain héréditaires et non thérapeutiques. Selon le raisonnement de l’association, cet article pourrait s’appliquer à la naissance de la petite fille, les modifications éventuelles de son génome étant héréditaires. Il pourrait également s’appliquer à celles du petit garçon né en Ukraine, car elles ne sont pas effectuées dans un but « thérapeutiques » au sens de l’article 13 de la convention ».
Malgré les controverses sur cette technique, sa sécurité et son innocuité, les rapporteurs annoncent que « le réexamen de la loi de bioéthique prévu en 2018 doit être l’occasion de poser la question du transfert mitochondrial ».
Pour les rapporteurs « ce débat sur le transfert mitochondrial doit rester ouvert. Il est bien sûr nécessaire qu’une instance de régulation autorise au préalable, dans le cadre de la loi, l’utilisation de nouvelles technologies ».
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Le Human Genome Project – Write
Le rapport fait état d’une rencontre avec M. Georges Church à Boston. Il a entrepris un projet de biologie de synthèse dénommé « Human Genome Project – Write », visant à recréer synthétiquement le génome d’un être humain immunisé du cancer et des virus. Son projet permettrait potentiellement aux scientifiques de voir quelles séquences génétiques aboutissent à quels traits, processus pathologique ou fonction physiologique.
Voir le Décryptage du projet par Alliance VITA en mars 2016 « Human Genome Project–Write »
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Production d’organes humains par des animaux
Mr Church travaille aussi avec CRISPR-Cas9 à modifier le génome de cochons qui permettrait d’utiliser cet animal comme donneur d’organes humains.
Voir le Décryptage d’Alliance VITA en juin 2016 : Dons d’organes : vers des chimères homme-porc ?
Enfin les rapporteurs estiment que les enjeux financiers sont très importants
« La propriété intellectuelle de ces biotechnologies constitue un enjeu économique important. Les brevets détenus par les grandes multinationales en agriculture constituent d’énormes enjeux financiers. S’agissant de CRISPR-Cas9, dont les applications sont multiples dans les domaines de la santé, du végétal ou de l’environnemental, l’enjeu est particulièrement important ».
La course à la recherche et les questions économiques ne doivent pas cacher les défis humains qui concernent les générations futures et toute l’humanité.
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*la Convention d’Oviedo : Convention pour la protection des Droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine. Art. 13 – Interventions sur le génome humain : « Une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance. »