PMA sans père : l’avis du CCNE avant fin juin

PMA sans père : l’avis du CCNE avant fin juin

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Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), a annoncé lors d’une conférence de presse le 7 juin 2017 que l’avis du CCNE sur le sujet controversé de la PMA pour les femmes seules ou en couple de même sexe serait rendu avant fin juin.

Le président de la République s’est dit favorable à l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) pour les femmes seules et les couples de femmes, mais a précisé qu’il souhaitait avancer de manière pédagogique en attendant d’abord l’avis du CCNE. Véritable arlésienne, cet avis est en attente depuis 2013, tant les oppositions se sont faites nombreuses, notamment en écho de la loi sur le mariage des personnes de même sexe. En janvier 2013, le CCNE s’était saisi d’une réflexion globale sur les indications « sociétales » de l’assistance médicale à la procréation. Puis en mars 2013, l’ancien président du CCNE Jean-Claude Ameisen avait annoncé la tenue d’Etats généraux, qui en réalité n’ont jamais été mis en place, sur l’ensemble des problématiques de l’assistance médicale à la procréation. Ce fameux avis du CCNE, attendu depuis l’automne 2013, arriverait donc près de quatre années plus tard.

La loi française réserve le recours à l’assistance à la procréation pour des couples composés d’un homme et d’une femme confrontés à une infertilité diagnostiquée médicalement. La procréation artificielle est un palliatif qui ne soigne pas les couples. Il comporte de graves enjeux éthiques concernant la surproduction d’embryons ou la privation d’une partie de ses origines biologiques, quand il s’agit d’insémination ou de fécondation in vitro (FIV) avec donneur. L’European Journal of Obstetrics & Gynecology and Reproductive Biology a publié récemment un article de spécialistes européens qui dénoncent un trop grand recours à la FIV non justifié et le mercantilisme autour de sa prise en charge.

Un rapport d’information du Sénat en février 2016, sur les conséquences du recours à la PMA et à la GPA à l’étranger, concluait qu’il ne fallait pas ouvrir la PMA aux couples de même sexe, car supprimer l’exigence de l’infertilité médicale et de l’altérité sexuelle bouleverserait la conception française de la PMA, en ouvrant la voie à un « droit à l’enfant» et à une « procréation de convenance ».  Le Conseil d’Etat en 2009, lors de la préparation de la révision de la loi bioéthique, s’était prononcé également contre le fait de priver délibérément un enfant de père.

Certains médecins, à la fois juges et partis, ont signé en mars 2017 une tribune dans Le Monde dans laquelle ils revendiquaient avoir transgressé la loi, notamment en faisant des PMA avec donneur anonyme pour des femmes seules. Ce lobbying nuit à un débat objectif sur un sujet aussi sensible, qui concerne en premier lieu le droit des enfants. Le professeur Jean-François Mattei, auteur de la première loi de bioéthique, a fortement critiqué cet Appel, soulignant combien cela mettait en cause le rôle du médecin : « Est-il là pour soigner ? Ou pour répondre à toute demande extra médicale ? ». Ces médecins laissent penser qu’il existerait un « droit à l’enfant », « lequel fait entrer l’enfant dans la catégorie des objets. » C’est ce que reflète également la position du Défenseur des droits, Jacques Toubon, auditionné en 2015 au Sénat : il prônait de supprimer la condition d’infertilité et de ne retenir que la notion de « projet parental », porte ouverte également à la revendication de la GPA et faisant fi des droits de l’enfant.

Outre la grave injustice de priver délibérément un enfant d’une partie de son ascendance et de sa généalogie, se pose la question toujours plus prégnante de l’anonymat du don, du remboursement d’un acte sans motif médical, et de l’accentuation d’un marché de la procréation. L’association PMA (« Procréation médicalement anonyme »), créée en France à l’initiative d’enfants nés de dons de gamètes, dénonce depuis sa fondation les abus du système. Le témoignage d’Arthur Kermevelsen dans un ouvrage paru en 2008,  « Né de spermatozoïde inconnu », avait levé le voile sur les difficultés et injustices que ressentent certains enfants concernés.

Pour Alliance VITA :

Glisser de la notion d’infertilité « médicale » à celle d’infertilité « sociale », en supprimant la condition que le couple soit formé d’un homme et d’une femme, constitue un grave basculement au détriment de la protection des droits de l’enfant. Caroline Roux, coordinatrice des services d’écoute de l’association, souligne qu’ « il s’agit d’une double peine pour les enfants : à la maltraitance originelle de se voir privés délibérément de leurs origines biologiques, s’ajoute celle d’être coupés de toute relation paternelle. De plus la surenchère est inévitable vers la gestation pour autrui, au nom de la « non discrimination » revendiquée par certains hommes. »

Alliance VITA demande aux pouvoirs publics de s’engager beaucoup plus fortement à rechercher des traitements qui soignent l’infertilité et de mettre en œuvre des véritables politiques de prévention dans ce domaine.

 

Fin de vie : la SFAP publie de nouvelles recommandations

Fin de vie : la SFAP publie de nouvelles recommandations

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La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) a publié, fin mai sur son site, quatre documents qui ont été remis à la Haute autorité de Santé (HAS). L’objectif de ces documents est d’actualiser les recommandations sur les Soins palliatifs suite au vote de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.

Ces documents comprennent trois “fiches-repères” et une grille de recommandation des pratiques sédatives.

1° une fiche-repère sur l’évaluation du pronostic vital et la notion de « court terme »

La notion très controversée de « court terme » avait donné lieu à des débats passionnés à l’Assemblée nationale, cette notion s’avérant très subjective. Le groupe de travail de la SFAP en précise la définition : « Un pronostic vital engagé à court terme correspond à une espérance de vie de quelques heures à quelques jours ». Dans sa recommandation de bonne pratique, la SFAP met en garde contre les sédations profondes qui pourraient durer plusieurs semaines suite à une mauvaise évaluation du pronostic vital, deux semaines étant un grand maximum.

2° une fiche-repère sur le caractère réfractaire de la souffrance

Une souffrance est considérée comme réfractaire si « tous les moyens thérapeutiques et d’accompagnement disponibles et adaptés ont été proposés et/ou mis en œuvre sans obtenir le soulagement escompté par le patient, ou qu’ils entraînent des effets indésirables inacceptables ou que leurs effets thérapeutiques ne sont pas susceptibles d’agir dans un délai acceptable ».

3° une fiche-repère sur le choix des agents sédatifs

La SFAP préconise principalement l’utilisation du midazolam (comme par exemple l’Hypnovel), et en détaille les modalités d’utilisation de façon très précise : modes d’administration,  titration, traitements antalgiques associés, surveillance, etc.

4° Une grille « SEDAPALL »

Ce document décrit les pratiques sédatives à visée palliative en fin de vie et porte sur l’intentionnalité de la décision en soulignant que l’intention d’administrer un sédatif doit toujours être le soulagement d’une douleur réfractaire, “Il exclut une intentionnalité autre que ce seul soulagement (notamment une volonté de raccourcir la vie que ce soit dans une visée compassionnelle ou à la demande du patient).

Dans tous ces documents on retrouve une constante : toute décision de mise en place d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès doit toujours être prise de manière collégiale.

PMA : un Français de 69 ans obtient le droit de la faire en Belgique

PMA : un Français de 69 ans obtient le droit de la faire en Belgique

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L’Agence de la biomédecine a accepté le 7 juin, à l’issue d’une procédure judiciaire, que soient restitués à un homme de 69 ans ses gamètes congelés, afin qu’il puisse entamer une procédure de procréation médicalement assistée (PMA) en Belgique avec son épouse, âgée de 33 ans.

Le couple avait déjà débuté en 2013 une procédure de PMA dans une clinique francilienne suite à des soucis de fertilité de l’épouse. Puis des problèmes de santé entraînant une stérilité irréversible ont amené l’homme à confier son sperme à un établissement parisien, avec l’objectif de poursuivre la PMA une fois rétabli.

Faute de pouvoir procéder à une PMA en France, en raison de l’âge de l’homme, le couple se tourne alors vers un hôpital en Belgique. Durant l’été 2015, l’Agence de biomédecine (ABM) refuse de laisser exporter les gamètes. « Dans la pratique depuis de nombreuses années, un nombre important de professionnels de santé (…) se fixent une limite de prise en charge à 60 ans pour l’homme. Au-delà, l’homme connaît une diminution de la fertilité et on assiste à une augmentation des risques génétiques », explique l’ABM lorsque le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis), par un jugement du 14 février 2017, lui a donné un mois pour réexaminer le dossier. Puis le 24 avril, la cour administrative d’appel de Versailles rejette la demande de sursis à exécution de l’ABM, conduisant cette dernière à accepter l’exportation des paillettes début juin.

Cependant l’ABM poursuit la procédure d’appel « sur le fond » et appelle à « une clarification des règles applicables en matière d’AMP (PMA) et de savoir comment doit être interprétée la loi de bioéthique dans ce domaine ».

Ces dernières années ont vu se multiplier des demandes de recours à la PMA non conformes au cadre fixé par la loi, comme par exemple en France la demande de plusieurs femmes d’insémination après le décès de leur conjoint, ou à l’étranger des PMA très tardives, l’âge des mères dépassant les 70 ans

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Voir aussi : PMA sans père : l’avis du CCNE avant fin juin

Euthanasie en Belgique : bilan de 15 ans de pratique

Euthanasie en Belgique : bilan de 15 ans de pratique

NOTEXPERT

 

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Le 15ème anniversaire de la loi du 28 mai 2002 légalisant l’euthanasie en Belgique a été l’occasion pour la presse belge de faire un bilan quantitatif de ce dispositif : 14 753 personnes ont été euthanasiées entre 2002 et 2016, selon les données officielles de la Commission fédérale de contrôle.

Ce nombre important suscite des interrogations multiples, auxquelles la présente note cherche à répondre. Quelle est la législation applicable, et les débats actuels pour en élargir l’application ? Quelles sont les données statistiques plus précises ? Quelles sont les dérives constatées dans l’application de la loi, et quelles réactions ces dérives éthiques suscitent-elles ?

Mise à jour avec les dernières statistiques de 2018 :

Le communiqué officiel publié par la Commission fédérale de contrôle  le 28 février 2019 fait état de 2 357 déclarations d’euthanasies reçues en 2018, soit une hausse de 2% par rapport à 2017, année où ce nombre avait déjà augmenté de 14%. De fait, depuis le vote de la loi de 2002, le nombre d’euthanasies n’a fait qu’augmenter chaque année (voir tableau ci-dessous).Parmi ces euthanasies déclarées en 2018 : 52,8% concernaient des femmes ; 76% des déclarations proviennent de la partie flamande (rédaction en néerlandais) ; les 2/3 des personnes avaient plus de 70 ans, mais plus d’une centaine avaient moins de 50 ans ; 46,8% des euthanasies ont eu lieu au domicile ; dans près de 15% des cas, « le décès n’était pas attendu à brève échéance », ce qui signifie que les personnes n’étaient pas en fin de vie ; celles-ci souffraient en majorité de cancers (61,4% des cas) ou de polypathologies (18,6%).

Les premières euthanasies de mineurs ont été réalisées en 2017 sur des enfants de 9, 11 et 17 ans. Il n’y en a pas eu en 2018.

Comme toutes les années précédentes, la Commission fédérale de contrôle a estimé qu’il n’y a aucun problème d’application de la loi, aucun dossier n’ayant été transmis au procureur du Roi.

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POUR TÉLÉCHARGER LA NOTE D’ANALYSE

“Euthanasie en Belgique : bilan de 15 ans de pratique”  : cliquer ici

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I – LA SYNTHÈSE

 

La Belgique a dépénalisé l’euthanasie en 2002 pour les personnes majeures. En 2014, la loi a été étendue aux mineurs sans limite d’âge. Depuis 15 ans, le nombre d’euthanasies n’a cessé d’augmenter rapidement, et les propositions de loi se sont multipliées pour faciliter et pour élargir les conditions de la pratique de l’euthanasie.

De fait, les informations disponibles mettent en lumière de multiples dérives dans l’interprétation et dans l’application de la loi : persistance de nombreuses euthanasies clandestines, interprétation de plus en plus large des critères à respecter (notamment sur la notion de « souffrance physique ou psychique constante, insupportable et inapaisable »), rôle discutable de la commission fédérale de contrôle, évolution vers des suicides assistés médiatisés, utilisation des euthanasies pour des dons d’organes, pressions pour supprimer la clause de conscience, etc.

Les mentalités, surtout dans les régions néerlandophones, évoluent rapidement vers une banalisation de l’euthanasie, au nom de l’autonomie et de « la liberté de l’individu à disposer de sa vie et de sa mort », dans une vision utilitariste anglo-saxonne de l’existence. L’euthanasie est progressivement considérée comme un droit dont on peut réclamer l’application pour soi-même ou pour des proches, même si les conditions ne sont pas clairement réunies.

Pour autant, face à ces dérives, une réelle opposition commence à se faire entendre. A titre d’exemple : des professionnels de la santé témoignent des dérives dans leur service, des documentaires et films sur les conditions d’euthanasies se multiplient, les représentants religieux s’unissent pour défendre la dignité des personnes fragilisées, sans oublier l’activité des réseaux sociaux qui ne cessent d’informer et d’alerter, spécialement au niveau international.

II – LES DONNÉES STATISTIQUES

 

2024 déclarations d’euthanasies ont été remises à la Commission fédérale de contrôle en 2016, contre 953 en 2010, soit plus du double en six ans.

Ces chiffres officiels ne reflètent cependant pas totalement la réalité, car les euthanasies clandestines demeurent nombreuses : elles sont estimées à 27% du total des euthanasies réalisées en Flandre et à 42% en Wallonie (cf § IV-2).

Ainsi, la Belgique enregistre près de 6 euthanasies « légales » par jour (pour une population de 11,3 millions d’habitants, inférieure à celle de la région Ile-de-France).

Des statistiques plus détaillées, notamment par région (plus de 80% des euthanasies ont lieu en Flandre) et par type de pathologies, sont disponibles dans le rapport de la Commission fédérale de contrôle. Le dernier en date, publié en octobre 2016, porte sur les années 2014 – 2015. (ci-dessous : le tableau de synthèse de la page 14).

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L’Institut Européen de Bioéthique (IEB) en a publié une synthèse avec les principaux tableaux et des analyses pertinentes.

III – LA LÉGISLATION

 

1 - La loi initiale de 2002

Par une loi du 28 mai 2002, la pratique de l’euthanasie a été dépénalisée sous certaines conditions. Le texte exonère de toute responsabilité le médecin qui « met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle-ci », si certaines conditions de fond et de procédure sont réunies. Les principales dispositions de la loi (avant son extension aux mineurs) sont les suivantes :

  • Le patient est « majeur ou mineur émancipé, capable et conscient, donc apte à exprimer sa volonté».
  • Le médecin doit vérifier que le patient a formulé sa demande « de manière volontaire, réfléchie et répétée, et qu’elle ne résulte pas d’une pression extérieure».
  • Le patient doit se trouver « dans une situation médicale sans issue et un état de souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ».
  • Le médecin doit consulter un second praticien qui vérifie que ces conditions sont remplies. Si le patient n’est pas en phase terminale, un troisième médecin doit être consulté, psychiatre ou spécialiste de la pathologie concernée, et un délai supplémentaire d’un mois doit être respecté.
  • A l’issue de l’euthanasie, le médecin remplit un formulaire destiné à vérifier la légalité de l’acte accompli. Les médecins qui ne souhaitent pas réaliser d’euthanasie bénéficient d’une clause de conscience.
  • Seul le médecin peut pratiquer l’euthanasie. Les actes dits « préparatoires comme par exemple le placement d’une perfusion, ne font pas partie de l’acte d’euthanasie en lui-même », ils peuvent donc être effectués par les infirmiers. Toutefois, un infirmier peut très bien refuser de placer la perfusion (plus largement, aucune autre personne n’est tenue de participer à une euthanasie).
  • Une Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, composée de 16 membres, est chargée de vérifier a posteriori la conformité de tous les actes d’euthanasie pratiqués en Belgique. Tout médecin qui réalise une euthanasie doit en effet remettre à la Commission, dans les quatre jours, un rapport sur l’acte réalisé. Si elle estime que les conditions n’ont pas été respectées, la Commission doit saisir la justice. Elle transmet tous les deux ans un rapport au Parlement.
2 - La loi sur les mineurs du 28 février 2014

Le Sénat belge a proposé en novembre 2013 un projet d’extension de la loi de 2002, pour étendre l’euthanasie aux mineurs sans limite d’âge. Ce texte va ainsi plus loin que la législation des Pays-Bas, qui l’autorise à partir de l’âge de 12 ans.

Sur ce sujet très délicat, les débats à la Chambre des représentants (équivalent de l’Assemblée nationale en France) ont été peu approfondis, les promoteurs du texte voulant aboutir à une loi très rapidement. Les députés de la Chambre ont adopté le projet le 14 février 2014, et le texte est devenu la loi du 28 février 2014.

La Belgique est ainsi devenue le seul pays au monde à permettre d’euthanasier des enfants quel que soit leur âge, sur la seule base de leur capacité de discernement, notion particulièrement difficile à mesurer.

Pour que l’euthanasie d’un mineur puisse avoir lieu, il faut respecter certains critères spécifiques :

  • Le patient mineur doit être « doté de la capacité de discernement ».
  • Il doit se trouver « dans une situation médicale sans issue de souffrance physique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui entraîne le décès à brève échéance et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ».
  • Il doit effectuer une consultation chez un pédopsychiatre ou un psychologue en précisant les raisons de sa consultation.
  • Il faut que l’accord de ses représentants légaux (les parents en général) soit acté par écrit.

Alors que les médecins favorables à cette extension de la loi estimaient qu’une dizaine de jeunes seraient concernés chaque année, aucune demande d’euthanasie de mineurs n’a été enregistrée pendant plus de deux ans et demi. Un premier cas a été rendu public le 17 septembre 2016, à l’initiative du président de la Commission de contrôle, le professeur Wim Distelmans, qui avait beaucoup œuvré pour faire voter cette loi.

3 - Les propositions de loi pour élargir l’accès à l’euthanasie

Depuis 2002, plus d’une vingtaine de propositions de loi ont été déposées au Parlement, la plupart en vue d’étendre la possibilité d’euthanasie à des nouvelles catégories de personnes ou de simplifier le processus légal.

Les trois propositions de loi les plus emblématiques ont été déposées à la Chambre des Représentants par la députée Onkelinx. Ces textes visent à modifier la déclaration anticipée, la durée de la décision médicale et la clause de conscience.

  • La première proposition vise à « supprimer la durée de validité limitée à 5 ans de la déclaration anticipée et laisser le patient la déterminer lui-même ». Actuellement, cette déclaration anticipée (ressemblant aux directives anticipées françaises, mais centrée sur la demande d’euthanasie de l’individu « pour le cas où il ne pourrait plus manifester sa volonté ») permet aux citoyens inconscients d’être euthanasiés et ce, à la demande d’une personne de confiance qu’ils ont eux-mêmes inscrite dans leur déclaration.
  • La deuxième proposition entend réduire le temps laissé au médecin pour faire valoir sa clause de conscience: « la décision de refus doit être donnée dans les sept jours de la demande » et « le dossier doit être transmis dans les quatre jours du refus ». Actuellement, la loi dispose que le médecin consulté qui refuse de pratiquer une euthanasie doit en informer le patient « en temps utile », et il n’y a pas de délai formel pour transférer le dossier.
  • La troisième proposition vise à limiter la portée de la clause de conscience, pour qu’aucun établissement n’empêche un médecin de réaliser des euthanasies. Car ceux qui s’opposeraient à la pratique d’une euthanasie au sein de leur structure priveraient « le praticien de son droit subjectif de conscience».Sur cette question, un procès s’est tenu en mai 2016 contre la maison de retraite Sint Augustinus, de Diest en Brabant flamand. Celle-ci avait refusé en 2011 l’accès à un médecin venu pratiquer une euthanasie dans ses murs. Suite à la plainte de la famille, le tribunal de Louvain a condamné l’établissement. Un dédommagement de 6000 € a dû être versé aux membres de la famille pour le préjudice qu’ils ont subi pour avoir dû déplacer leur mère à son domicile afin que celle-ci puisse être euthanasiée.
4 - Une proposition de loi sur les soins palliatifs en cours d’examen

Une proposition de loi pour élargir l’accès aux soins palliatifs a été déposée le 29 avril 2015. Elle est en cours d’examen, la Commission de la Santé de la Chambre des représentants l’ayant adoptée le 7 juin 2016. Elle « vise à élargir la définition existante des soins palliatifs afin que ceux-ci soient mieux intégrés dans les soins de santé, de manière à « ne plus les limiter aux patients en fin de vie ».

5 - Une proposition de modification de la loi pour définir l’euthanasie comme un soin de santé

Maggie De Block, Ministre belge des Affaires sociales et de la santé publique, propose de modifier la loi du 10 mai 2015 intitulée « Loi coordonnée relative à l’exercice des professions de soins de santé », afin d’intégrer à la définition de soin de santé l’acte d’euthanasie (comme un des services dispensés par un praticien professionnel sans objectif diagnostique ou thérapeutique).

Cette modification entraînerait d’une part un renforcement de « l’intégration culturelle » de l’euthanasie en Belgique, et l’euthanasie pourrait être considérée comme un acte médical ou un acte de soin de santé.

D’autre part, cela donnerait à l’euthanasie le statut de « droit » au sens large. « La loi relative à l’euthanasie »  en Belgique reste une loi de dépénalisation, c’est-à-dire que toute euthanasie est pénalement répréhensible, sauf si elle est accomplie dans le respect des conditions strictes définies par la loi (cf § III-1). Or, considérer l’euthanasie comme un soin de santé reviendrait à faire de l’euthanasie un droit exigible par les patients, avec des critères d’application beaucoup plus larges. Ce changement de statut réduirait aussi considérablement la portée de l’objection de conscience des médecins.

IV – LES DÉRIVES LIÉES AU NON-RESPECT DES CONDITIONS FIXÉES PAR LA LOI

 

Les motifs d’inquiétude sur le non-respect de la loi sont aujourd’hui multiples.

1 - Le rôle discutable de la Commission fédérale de contrôle

La Commission fédérale de contrôle a examiné toutes les déclarations qui lui ont été soumises depuis la mise en œuvre de la loi en 2002. Jusqu’en 2015, aucune n’avait fait l’objet d’un signalement au procureur, ce qui jette un sérieux doute sur l’impartialité de cet organisme composé pour une large part de partisans de l’euthanasie, dont la présidente de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) belge.

Le 27 octobre 2015, après plus de 8000 dossiers d’euthanasie traités en 13 ans d’exercice, la Commission fédérale a, pour la première fois, transmis un dossier au Parquet. Il s’agit du suicide assisté de Simona De Moor par le docteur Marc Van Hoeys, président de l’association RWS, Recht op Waardig Sterven qui milite aux côtés de l’ADMD. Simona, 85 ans, se disait atteinte d’un « chagrin inapaisable » suite au décès de sa fille. On peut penser que la médiatisation du film « Allow me to die » a encouragé la famille à porter plainte. D’après le site Le Soir, le médecin assure, lui, que Simona « ne veut pas mourir parce qu’elle est dépressive. Non. Mais parce qu’elle en a marre ». De plus, quand le patient n’est pas en fin de vie imminente, un troisième médecin doit être consulté, ce qui n’a pas eu lieu ici.

Cette Commission fédérale, perçue comme une simple chambre d’enregistrement par un nombre croissant d’observateurs, finit par être contestée dans sa mission-même, au point d’être « en panne » et de ne pas parvenir à recruter certains membres qui doivent la composer, comme cela a été le cas fin 2015.

Dans une tribune publiée fin 2016, un collectif d’éthiciens et de médecins considère que la Commission fédérale « joue indûment le rôle d’un tribunal », en interprétant l’application de la loi d’une façon « élastique ». Deux exemples sont cités : celui du suicide assisté, non autorisé par la loi mais avalisé par la Commission fédérale, et celui de l’euthanasie en cas de perte de conscience avant l’acte euthanasique.

En mars 2017, lors d’un débat autour du dernier rapport de la Commission fédérale de contrôle, plusieurs députés ont plaidé pour un débat sociétal sur l’esprit de la loi. Ils se sont interrogés sur plusieurs problèmes récurrents, notamment l’effectivité des contrôles de la Commission fédérale, la médiatisation de certaines affaires, la confusion croissante entre euthanasie et suicide assisté. Les membres présents de la Commission fédérale se sont montrés favorables à une telle évaluation.

2 - Des euthanasies clandestines qui restent nombreuses

La Commission va jusqu’à reconnaître que tous les cas douteux ne sont pas déclarés. Son Président, le Pr Wim Distelmans, déclarait dans le cadre d’un reportage Complément d’enquête, diffusé sur France2 fin 2014 : « Les cas déclarés sont tous en conformité avec la loi. Il peut y avoir des petites erreurs de procédure mais ils respectent tous la législation. Les cas douteux évidemment, les médecins ne les déclarent pas, alors on ne les contrôle pas ».

Ce même président a commenté le rapport publié en 2015 en reconnaissant que les euthanasies officielles ne représentaient qu’une partie des euthanasies réellement effectuées en Belgique : « Reste dans l’ombre, rappelons-le, le nombre d’euthanasies posées mais non-déclarées, ce qui nous empêche d’avoir une vue réelle sur l’ampleur de la question », rapporte le site 7sur7.

Dans leur tribune de fin 2016 évoquée plus haut, le collectif d’éthiciens et de médecins dénonce cette situation et critique l’attitude de la Commission fédérale dans ce domaine : il souligne notamment son manque de volonté d’évaluer et de combattre les euthanasies non-déclarées, ainsi que son silence devant les nombreuses « sédations terminales » (à base de fortes doses de morphine et de sédatifs) qui doivent être analysées comme des euthanasies à déclarer.

A titre d’exemple, une étude menée par des chercheurs de l’Université libre de Bruxelles et de celle de Gand a été publiée dans Social Science & Medicine en juillet 2012. Il s’agit d’une enquête approfondie auprès d’un échantillon représentatif de 480 médecins de Flandre et 305 de Wallonie. Celle-ci révèle que les déclarations à la Commission de contrôle ne concernent seulement que 73% des euthanasies pratiquées par les médecins flamands et 58% pour les médecins wallons. Autrement dit, 10 ans après la mise en œuvre de la loi, 27% des euthanasies en Flandre et 42% en Wallonie n’étaient pas déclarées.

3 - Un manque de respect et de contrôle des procédures

L’étude de juillet 2012 citée ci-dessus met également en lumière que la consultation d’un second médecin (obligatoire légalement) n’a été réalisée que par 73% des médecins flamands et que par 50% des médecins wallons.

Une autre importante étude d’évaluation a été menée en 2009 par le professeur Raphaël Cohen-Almagor, de l’Université de Hull (Royaume-Uni). Publiée dans la revue Issues in Law and Medicine, elle met en lumière plusieurs difficultés sérieuses. A titre d’exemple, concernant la nécessité légale de l’avis d’un second praticien, des cas sont signalés où le médecin consulté rend son avis par téléphone et n’examine pas la personne malade. Ces médecins feraient naturellement appel à des confrères, souvent les mêmes, connus pour leur ouverture à la pratique de l’euthanasie.

L’Institut Européen de Bioéthique (IEB), dans un important dossier consacré à cette question en 2012, souligne par ailleurs les dérives sur la fourniture des « kits euthanasie » vendus en pharmacie. Le médecin qui pratique l’acte d’euthanasie à domicile est tenu de se rendre en personne à la pharmacie et d’y rapporter le surplus non utilisé. En réalité, les substances létales sont parfois délivrées à la famille, et aucun contrôle n’est réalisé sur le retour des surplus, laissant craindre des utilisations frauduleuses de ces produits.

Plus récemment, la presse a cité un exemple de dérives chez certains médecins au regard du respect des procédures. Tine Nys, 38 ans, avait été euthanasiée en avril 2010 après une rupture amoureuse. En février 2016, ses sœurs portent plainte contre la négligence des médecins. Dans une interview sur la chaîne VRT, elles témoignent du déroulement de l’euthanasie à domicile de leur sœur. Le médecin « n’avait pas le matériel nécessaire pour l’injection », « il avait oublié les sparadraps ». D’après l’IEB, la Commission de contrôle aurait reçu la déclaration de Tine deux mois après l’euthanasie, alors que la loi l’exige sous quatre jours. Les deux sœurs ont donc saisi le Parquet.

4 - Vers un développement du don d’organes après euthanasie ?

Il s’agit ici d’un nouveau risque potentiel de dérive, même si les conditions légales sont respectées. Pour augmenter le nombre de greffes d’organes, car le nombre de donneurs est insuffisant, des chirurgiens belges souhaitent favoriser cette pratique parmi les personnes engagées dans un processus d’euthanasie. Un symposium sur le thème « Euthanasie et don d’organes » s’était tenu à Bruxelles le 28 septembre 2012, à l’initiative de la Société belge de transplantation, LEIF et l’association Maakbare Mens. S’appuyant sur le constat que 9 patients euthanasiés depuis 2005 avaient fait don de leurs organes, certains médecins voulaient encourager cette démarche. Ils estimaient à environ 10 % le vivier de donneurs potentiels parmi les candidats à l’euthanasie.

Des cas médiatisés démontrent une tendance vers ce que certains appellent « l’euthanasie altruiste ». En 2015, le débat a été alimenté par un homme néerlandais, dont le foie, les reins et le pancréas ont été prélevés après son euthanasie dans un hôpital des Pays-Bas. Devant la demande de dons d’organes qui augmente, le Centre Universitaire médical de Maastricht et l’Erasmus Medical Center ont rédigé un manuel pour faciliter la démarche « euthanasie – don d’organes ». Le Pr Ysebaert, médecin belge de l’Hôpital d’Anvers, précise dans La Libre, qu’ « actuellement, on ne dit pas aux patients qu’ils peuvent faire ce choix à cause du choc émotionnel que cela représente ».

Une récente étude menée par le Dr Jan Bollen, du Centre Médical de l’Université de Maastricht, a mis en avant le fait qu’au moins 10% des personnes euthanasiées auraient pu donner au moins un organe, ce qui aurait permis de mettre à disposition 684 organes en 2015. Le Pr Jean-Louis Vincent, spécialiste en soins intensifs à Bruxelles, affirme pour sa part qu’il faudrait encourager les dons en état de « quasi mort cérébrale » (situations où la personne n’est pas complètement morte), car la qualité des organes serait meilleure.

V – UNE INTERPRÉTATION EXTENSIVE DE LA LOI

1 – De l’euthanasie au suicide assisté

La loi belge n’exige pas que la personne soit en phase terminale d’une maladie grave et incurable, objectivement évaluée par le corps médical. Pour les médecins concernés comme pour la Commission nationale de contrôle, la perception subjective de la souffrance devient donc progressivement le seul critère pris en compte. Ce qui laisse la porte ouverte à des interprétations de plus en plus larges et des dérives choquantes, au nom du respect de l’autonomie individuelle.

Voici quelques exemples de décès récents que l’on peut qualifier de « suicides assistés ». Ils sont aujourd’hui acceptés sans difficulté par la Commission de contrôle, alors qu’ils étaient exclus dans les débats à l’origine de la loi de 2002 :

- Eddy et Marc Verbessem, deux frères jumeaux de 45 ans, nés sourds

Eddy et Marc Verbessem, deux frères jumeaux de 45 ans, nés sourds et atteints d’un glaucôme qui devait les rendre progressivement aveugles, ont été euthanasiés le 14 décembre 2012 : la crainte de ne plus se voir a été considérée comme une « souffrance psychique insupportable », légitimant selon leur médecin l’accès à l’euthanasie légale.

- Ann G., 44 ans, souffrant d’anorexie

Ann G., 44 ans, souffrant d’anorexie depuis de nombreuses années et abusée sexuellement par son psychiatre, a été euthanasiée fin 2012 : elle disait « avoir un cancer dans la tête», lui causant une souffrance jugée suffisante pour entrer dans le cadre de la législation sur l’euthanasie.

- Un détenu en prison, condamné à une lourde peine et très malade

Un détenu en prison, condamné à une lourde peine et très malade, a été euthanasié en septembre 2012. C’est la première euthanasie d’un détenu en prison en Belgique. Une dizaine d’autres détenus auraient, depuis, exprimé la même demande. A l’occasion de l’affaire « Van Den Bleekenn » en 2014, (cf §V-2, ci-après), où l’euthanasie avait été accordée avant de trouver une autre solution, un débat s’est même instauré sur un retour à la peine de mort volontaire « pour motif humanitaire ». Une responsable de l’IEB a souligné à cette époque « un immense échec de la psychiatrie belge» et a dénoncé le système carcéral belge qui ouvre à la « peine de mort inversée ».

- Christian de Duve, 95 ans, Prix Nobel

Christian de Duve, 95 ans, Prix Nobel, est décédé par euthanasie le 4 mai 2013. Ses proches expliquent que ce grand scientifique, atteint d’un cancer, s’était préparé sereinement à cette échéance après un important malaise à son domicile. Il a mis à profit le mois précédent sa mort pour écrire à ses amis et anciens collègues, son dernier geste étant d’accorder une interview qui sera publiée à titre posthume dans un grand quotidien national. Son décès rappelle celui du grand écrivain belge Hugo Claus, qui avait organisé de manière similaire son euthanasie en mars 2008.

- Nathan Verhest, 44 ans, a « bénéficié » d’une euthanasie

Nathan Verhest, 44 ans, a « bénéficié » d’une euthanasie le 30 septembre 2013, après une opération de changement de sexe qui avait échoué. Née avec un sexe féminin, rejetée par ses parents qui souhaitaient un autre garçon après trois fils, cette personne rêvait depuis son adolescence de devenir un homme et avait suivi des traitements lourds pour y parvenir. Devant l’échec de la dernière opération, elle a affirmé « j’ai eu une aversion pour mon nouveau corps» et a fait état de ses souffrances psychiques pour obtenir d’être euthanasiée.

- Kevin Chalmet, d’une trentaine d’années, pompier

Kevin Chalmet, d’une trentaine d’années, pompier, a décidé de se faire euthanasier en 2014 pour « faire avancer le débat». Atteint d’une tumeur au cerveau, ce belge perd progressivement le goût, l’odorat… Le pompier prépare alors son euthanasie dans les moindres détails, passe à la caserne saluer ses collègues, écrit des lettres sur ses réflexions et planifie le jour de sa mort : « tout se déroulera à la maison et nous allons d’abord manger une couque au beurre » aurait-il livré.

- Johnny Vaes, 59 ans, atteint d’un cancer du pancréas

Johnny Vaes, 59 ans, atteint d’un cancer du pancréas a programmé son euthanasie pour le vendredi 13 mai 2016 après un dernier adieu à ses proches. D’après le site be, ce père de famille n’avait plus aucun espoir de guérison après la généralisation de son cancer. Dès lors, il a annoncé son euthanasie sur Facebook et invité ses proches à l’hôpital pour une dernière retrouvaille. « Comme repas de midi, j’ai demandé une petite frite avec de la mayonnaise et du ketchup. Après, j’aurai ma piqûre, je partirai» affirme le malade.

Ces témoignages très médiatisés par la presse belge démontrent une banalisation croissante de l’acte euthanasique, et plus récemment une mise en scène et une théâtralisation de la mort.

2 – La souffrance psychique : jusqu’où aller ?

Des personnes de plus en plus nombreuses (124 au cours des 2 années 2014 et 2015) sont euthanasiées pour des « troubles mentaux et de comportement » : dépression, Alzheimer, démence, etc. Cette tendance inquiétante est ainsi analysée dans une interview à Atlantico d’octobre 2016 : « cela signifie que, malgré leurs facultés mentales altérées, des médecins ont accédé à leur demande ».

Certains cas ont pourtant été évités, y compris au dernier moment, ou sont aujourd’hui en suspens. Voici quelques exemples emblématiques qui montrent toute l’ambiguïté de ces situations :

- Laura Emily, 24 ans

Laura Emily, 24 ans. En 2015, The Economist, a diffusé dans un documentaire « 24 and ready to die » le parcours de Laura Emilie, restée en vie après avoir programmé son euthanasie. Plongée dans une dépression après une enfance difficile, cette jeune fille avait demandé à être euthanasiée le 24 septembre 2014. Trois médecins ont accédé à sa demande, justifiant qu’il s’agit d’une « souffrance psychique incurable » comme le prévoit la loi de 2002. Le jour-J, les journalistes étaient au rendez-vous pour filmer sa mort, mais au dernier moment Laura Emily a refusé : « Je ne peux pas le faire » a-t-elle expliqué. « Ces deux dernières semaines ont été relativement supportables. Il n’y a pas eu de crises. C’est très peu clair pour moi : y a-t-il quelque chose qui a changé en moi, ou quelque chose qui a fait que cela était supportable ? » La jeune femme serait encore aujourd’hui en vie.

- Franck Van Den Bleeken, détenu interné d’une cinquantaine d’années

Franck Van Den Bleeken, détenu interné d’une cinquantaine d’années. Condamné pour plusieurs viols et pour meurtre, ce détenu belge a passé trente ans en prison. Alors qu’il était en bonne santé physique, Franck assurait ne plus supporter sa détention. L’accès à un hôpital susceptible de l’accueillir aux Pays-Bas lui avait été refusé par la justice. Il a alors demandé, et obtenu de la part des médecins qui le suivaient, l’accord pour une euthanasie en implorant une « souffrance psychique incurable». Après un débat médiatique mettant en cause l’incapacité du gouvernement à proposer une solution hospitalière, les médecins sont finalement revenus sur leur position et sont parvenus à un transfert vers une unité psychiatrique spécialisée à Gand. 

- Sébastien, 39 ans

Sébastien, 39 ans, a effectué en mars 2016 une demande d’euthanasie pour le jour de ses quarante ans. Dans une interview donnée à 20 minutes, ce pédophile expliquait : « Cela fait dix-sept ans que je suis en thérapie. J’ai passé quatre ans en hôpital psychiatrique. J’ai vu huit psychologues, quatre psychiatres, un sexologue […] désormais, je ne veux plus rien». Sa requête n’a pas, à ce jour, été autorisée. D’après la chaîne Francetv, les psychiatres belges se donnent 18 mois pour juger de la validité ou non de sa demande.

3 – La pression croissante des considérations économiques

Dans un article publié le 17 janvier 2017, le Docteur Marc Moens alerte sur le fait qu’« à la suite des problèmes budgétaires dans le domaine des soins aux personnes âgées, on commence à débattre d’une politique de l’euthanasie motivée par des considérations socio-économiques ». Dans certains médias et milieux médicaux, « on plaide aujourd’hui ouvertement en faveur de l’euthanasie des patients Alzheimer », et on affirme qu’il faudrait mieux arrêter certains traitements pour des maladies incurables, et investir l’argent dans le soin des personnes curables. Le Dr Moens conclut cependant : « Mais jamais l’euthanasie ne peut devenir une solution d’économie budgétaire dans l’élaboration de la politique de santé. Et pourtant, la « slippery slope» se rapproche dangereusement ».

 

ANNEXE : UNE OPPOSITION CROISSANTE AUX DÉRIVES

 

Depuis son introduction il y a quatorze ans, la pratique de l’euthanasie n’appelait pas de critique publique forte et semblait être « rentrée dans les mœurs ». L’opinion publique belge s’était montrée plutôt favorable en 2014 à l’extension de la loi aux mineurs. Toutefois, face à la multiplication des dérives dans l’application de la loi, les initiatives pour remettre en cause la banalisation de l’euthanasie se sont multipliées récemment. Les contestations sont de plus en plus nombreuses, aussi bien au sein de la Belgique qu’à l’international.

1 - Des oppositions par des professionnels de la santé
  • Plus de 70 personnalités, principalement des professionnels de la santé, ont signé en juin 2012 un texte important à l’occasion des dix ans de la loi belge sur l’euthanasie. Leur appel souligne combien cette loi, en ouvrant la « boîte de Pandore » et en transgressant un interdit fondateur, a dégradé la confiance au sein de la société et a fragilisé les personnes les plus vulnérables.
  • Le site internet euthanasiestop.be a été créé en mai 2013 par des médecins, professeurs et personnalités belges pour réagir aux propositions de loi visant à élargir l’euthanasie. Ce lieu d’information et d’échange suscite progressivement une prise de conscience citoyenne.
  • Plus de 172 pédiatres ont remis, le 12 février 2014, une lettre ouverte aux présidents de chaque parti politique belge. Face à la proposition de loi pour étendre l’euthanasie aux mineurs débattue à l’époque, ces professionnels de toute la Belgique ont considéré qu’un délai de réflexion était nécessaire. Ils ont souligné l’ambiguïté des termes de la proposition de loi : « En pratique, il n’existe aucune méthode objective pour apprécier si un enfant est doué de la capacité de discernement et de jugement. Il s’agit donc en fait d’une appréciation largement subjective et sujette à influences ».
  • En septembre 2014, Corinne Von Oost, responsable d’une unité de soins palliatifs en Belgique a publié le livre Médecin catholique, pourquoi je pratique l’euthanasie. Dans une interview à La Croix, elle a affirmé que pratiquer l’euthanasie n’est pas pour elle donner du sens, « c’est répondre au non-sens par le non-sens», et admettait que « le risque, c’est de s’y habituer ». Cet ouvrage médiatisé n’a pas manqué de faire réagir. Docteur en théologie et bénévole en soins palliatifs, Marie-Dominique Trébuchet y a répondu en décembre 2014 dans La Croix : « Face à la question du docteur Van Oost « Qui étais-je pour lui refuser la mort ? », répondons ceci « Qui suis-je pour donner la mort ? ». En janvier 2016, Catherine Dopchie, médecin catholique, oncologue et responsable d’une unité hospitalière de soins intensifs, a également réagi dans La Libre : « La souffrance psycho-spirituelle du « non-sens », désormais à l’origine de la plupart des demandes d’euthanasies, ne s’adresse pas à l’art médical au sens strict ».
  • Le 10 septembre 2015, un collectif de 38 professeurs d’universités, psychiatres et psychologues ont publié une Carte blanche. Dans cette tribune, ils ont exprimé leur vive inquiétude face au nombre croissant de cas d’euthanasies de personnes souffrant de troubles psychiques. Partant du cas de Laura Emily, le collectif a souligné que « la pratique confirmerait que le cadre légal relatif à l’euthanasie pour seule raison psychique est discutable». En effet, « le caractère inapaisable de la souffrance mentale ne peut être constaté car il n’y a pas de paramètres mesurables – ni prélèvement de tissu, ni élément du comportement – qui pourraient l’objectiver ».
2 - Des oppositions citoyennes croissantes dans la société
  • Le Pr Etienne Montero, doyen de la faculté de droit de Namur, a publié en septembre 2013 le livre Rendez-vous avec la mort: dix ans d’euthanasie légale en Belgique. Dans cet ouvrage, il dresse un bilan critique de la situation, souligne toutes les limites du contrôle d’une loi interprétée de façon extensive, et s’inquiète du phénomène de « pente glissante » : « Le problème est que, tant qu’on s’en tient aux seuls critères de « l’euthanasie sur base d’une volonté exprimée valablement, le dispositif législatif belge permet de justifier presque toutes les situations d’euthanasie. La souffrance est une notion subjective et la notion de maladie grave est élastique ».
  • Pierre Barnérias, journaliste français, a réalisé un film «L’euthanasie, jusqu’où ? » dans lequel il présente les dérives de l’euthanasie en Belgique. Interviewé par le quotidien La Croix en octobre 2013, il a déclaré : « Le point central, c’est l’absence de contrôle effectif des euthanasies pratiquées, en dépit de la Commission fédérale. Certains témoins, dont l’un apparaît dans le film, vont jusqu’à faire état d’homicides déguisés en euthanasies ! ». Si son but n’est pas de prendre position, il vise toutefois à montrer qu’en Belgique, « l’application de l’euthanasie n’est pas exempte de dérives ».
  • Les principaux responsables religieux de Belgique ont diffusé le 6 novembre 2013 un communiqué historique. Marquant pour la première fois l’unité des trois grandes religions monothéistes, les représentants du christianisme (catholiques, protestants, orthodoxes), du judaïsme et de l’islam ont exprimé leur vive inquiétude face au risque de banalisation de l’euthanasie. Ils se sont opposés à l’extension de la loi aux mineurs ou aux personnes démentes, car cela marquerait « une contradiction radicale de leur condition d’êtres humains», et concluaient : « Nous ne pouvons dès lors entrer dans une logique qui conduit à détruire les fondements de la société ».
  • Plus récemment, le 28 décembre 2015, le nouveau primat de Belgique, l’évêque Jozef De Kesel, a pris la parole dans le quotidien Het Belang. Il a tenu à réaffirmer la liberté des institutions de santé d’effectuer ou non des euthanasies. Certaines, dont une en janvier 2016, a refusé l’accès à une euthanasie au sein de ses locaux (cf §III-3 ci-dessus).  Le Cardinal a affirmé : « je pense que nous avons le droit de décider de ne pas les pratiquer, au niveau d’une institution. Je pense par exemple à nos institutions ».
  • L’ancien ministre des Finances et chef du groupe chrétien-démocrate flamand (CD&V) Steven Vanackere a appelé à une évaluation de la loi en février 2016. D’après le Figaro, son objectif n’est pas de supprimer la loi mais d’en « évaluer les dérives ». Il a également déploré la composition de la Commission de contrôle, en rappelant qu’« il y a des membres qui participent eux-mêmes à des activités d’euthanasie et qui peuvent donc se retrouver juge de leur propre activité». « Nous voulons permettre un véritable débat sociétal, au-delà de l’idéologie, et en associant la société civile. Je suis convaincu que cette évaluation va permettre au public de prendre conscience des dérives de la loi ».
  • L’Institut Européen de Bioéthique (IEB) analyse depuis 2001 les évolutions de la législation, des pratiques et des mentalités en Belgique. Réagissant, par exemple, à l’euthanasie des deux frères jumeaux en janvier 2013, un responsable de l’IEB a souligné combien l’euthanasie est en train de se banaliser dans la société belge. « La liste des maladies incurables est pratiquement infinie (…) ; la notion de souffrance psychologique est laissée à l’appréciation subjective de l’intéressé (….). Au total, le dispositif légal est pratiquement taillé sur mesure pour autoriser l’euthanasie sur simple demande volontaire et répétée de toute personne qui souffre de maux divers, de solitude ou de lassitude de vivre (…). Nous assistons déjà à une banalisation de l’acte euthanasique en Belgique ».En 2014, au sujet de l’extension aux mineurs et aux personnes démentes, l’IEB a souligné que « la population est désormais prête à accepter ce qu’elle aurait réprouvé dix ans plus tôt. Difficile de nier que l’euthanasie et le suicide assisté se banalisent effectivement… Est-ce la manière dont la société entend rencontrer la détresse et la souffrance des personnes vieillissantes ou fragilisées par la maladie ou un handicap ? »Le 24 octobre 2016, dans une longue interview à Atlantico, Carine Brochier a livré une analyse actualisée des dérives de l’euthanasie, appelant à un meilleur accompagnement des personnes âgées plutôt qu’à un élargissement constant des critères légaux.
3 - Des réactions internationales
  • Fin janvier 2014, 61 membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, émanant de plusieurs pays et partis politiques, ont signé une déclaration relative au projet de loi sur l’euthanasie des enfants en Belgique. Cette déclaration rappelait notamment que « l’euthanasie, lorsqu’elle consiste à tuer intentionnellement, par un acte ou par une omission, un être humain dépendant, dans son intérêt présumé, doit toujours être interdite». Les parlementaires européens considèrent aussi que la Belgique « trahit les enfants les plus vulnérables en estimant que leurs vies n’auraient plus de valeur intrinsèque ».
  • Les 10-11 février 2014 se tenait en Inde, à Mumbay, un Congrès international de soins palliatifs pédiatriques. 250 experts issus de 35 pays ont publié une déclaration pour mettre en garde la Belgique qui débattait sur l’extension de la loi de 2002 aux mineurs. La déclaration finale « appelle urgemment le gouvernement belge à reconsidérer sa récente décision». Ces médecins « réclament pour tous les enfants en fin de vie l’accès aux moyens appropriés pour contrôler la douleur et les symptômes, ainsi que des soins palliatifs de haute qualité pour rencontrer leurs besoins particuliers ». La déclaration ajoutait : « Nous croyons que l’euthanasie ne fait pas partie de la thérapie palliative pédiatrique et ne constitue pas une alternative ».

 

 

POUR ALLER PLUS LOIN :

 

  1. Euthanasie : 10 ans d’application de la loi en Belgique. Dossier de l’IEB, avril 2012. Un dossier très complet sur la législation et les pratiques, concluant à l’absence de contrôle effectif de l’application de la loi.
  2. Avis n° 121 du CCNE sur la fin de vie, 1er juillet 2013. Annexe 2 sur le bilan des expériences étrangères sur le suicide assisté et l’euthanasie : analyse du Bénélux pages 73 à 77.
  3. Rapport 2014-2015 de la Commission fédérale de contrôle, publié en octobre 2016 Bilan statistique détaillé des euthanasies réalisées en 2014 et 2015
[CP] QPC fin de vie : vigilance absolue pour les grands dépendants

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conseilconstitutionnelLe Conseil constitutionnel a jugé ce jour conformes à la Constitution, les trois articles du Code de la santé publique contestés par l’UNAFTC.

L’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébrolésés (UNAFTC) avait soumis une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour souligner combien la loi ne sécurise pas assez la situation d’un patient incapable de s’exprimer.

Pour Tugdual Derville, Délégué général d’Alliance VITA et porte-parole du mouvement Soulager mais pas tuer qui s’est mobilisé contre toute interprétation euthanasique de la loi sur la fin de vie du 2 février 2016 :

« Il faut comprendre la ténacité de l’UNAFTC qui défend les patients traumatisés crâniens contre des décisions arbitraires qui ne respecteraient pas leur vie et leur dignité. Nous aurions aimé que cette association soit reçue et écoutée lors des derniers débats parlementaires dont ils ont été écartés. Quand on situe le débat autour de la nouvelle loi fin de vie dans le contexte de la prise en charge des grands traumatisés crâniens, on comprend l’inquiétude de leurs proches.

Toute une partie de l’opinion publique a été entretenue dans l’idée que les personnes en situation pauci-relationnelle ou neurovégétative ne sont plus dignes d’être accompagnées et soignées, avec le risque de cautionner l’usage d’une sédation définitive assortie d’un arrêt d’alimentation et d’hydratation… Ce type d’euthanasie, qui ne dit pas son nom, remettrait en cause tout un champ de notre solidarité nationale s’exerçant au chevet des citoyens les plus fragiles, et tout le travail et l’amour des professionnels et des proches de ces personnes très dépendantes.

Opposés à tout acharnement thérapeutique ou obstination déraisonnable, nous sommes en revanche particulièrement vigilants à ne pas laisser croire qu’il appartiendrait aux soignants de décider si un patient incapable de s’exprimer doit vivre ou mourir. Mais attention, une telle décision de vie ou de mort n’appartient pas non plus aux proches, car un tel choix relève d’une injonction inhumaine. Tout patient, dans les limites de la déontologie médicale qui interdit acharnement thérapeutique et euthanasie, reste toujours digne, digne d’être soigné et aimé. »