Le diagnostic prénatal et le dépistage anténatal se sont développés dans les années 1970 avec la mise au point de l’échographie médicale, puis progressivement des tests biologiques. Ces techniques ont pour objectif d’évaluer les risques qu’un fœtus soit porteur d’une anomalie grave, en particulier d’une trisomie. Elles se sont considérablement développées ces dernières années. Les diagnostics prénataux sont un progrès quand ils permettent d’apporter des soins préventifs à l’enfant à naître et à sa mère. La systématisation de la proposition des tests et des examens qui peuvent conduire, en cas de suspicion ou de diagnostic de handicap, à pratiquer des interruptions médicales de grossesse, a été vivement débattue lors de la révision de la loi bioéthique en 2011. Des professionnels de la grossesse et des associations de personnes handicapées interrogent la société sur l’émergence de dérives graves : elles s’apparentent à une nouvelle forme d’eugénisme quand ces techniques conduisent à éliminer les tout jeunes patients plutôt que les soigner et les accompagner. Par ailleurs, ces pratiques ont contribué à rendre les grossesses beaucoup plus anxiogènes pour les femmes et les couples. S’interroger sur le bénéfice de ces pratiques est un enjeu sanitaire et éthique crucial pour notre avenir.
1- Législation actuelle
L’avortement pour cause de handicap a été autorisé, dès la loi de 1975, jusqu’au dernier jour de la grossesse.
La loi de bioéthique de 1994 encadre les pratiques de diagnostic prénatal (DPN), de diagnostic préimplantatoire (DPI) et de décision d’interruption « médicale » de grossesse (IMG). La formulation légale de l’époque a laissé un large champ d’application: « Le diagnostic prénatal a pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité ». Le législateur a cependant souhaité ne pas établir de liste de maladies à dépister, pour ne pas les stigmatiser.
La loi du 7 juillet 2011 a précisé :
– les techniques médicales impliquées : « Le diagnostic prénatal s’entend des pratiques médicales, y compris l’échographie obstétricale et fœtale, ayant pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité. »
– les conditions de proposition des tests et des examens à toutes les femmes enceintes : « Toute femme enceinte reçoit, lors d’une consultation médicale, une information loyale, claire et adaptée à sa situation sur la possibilité de recourir, à sa demande, à des examens de biologie médicale et d’imagerie permettant d’évaluer le risque que l’embryon ou le fœtus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de sa grossesse ».
– les professionnels impliqués : la prescription des examens anténataux est élargie aux sages-femmes.
La loi prévoit également de proposer une liste d’associations spécialisées et agréées, expertes du handicap ou de la pathologie diagnostiquée sur leur fœtus, ainsi qu’un délai de réflexion d’une semaine avant de se prononcer pour une interruption médicale de grossesse.
Dans un délai d’un an à compter de la publication de la loi, soit le 8 juillet 2012, puis tous les trois ans, le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport établissant le bilan détaillé des fonds publics affectés à la recherche sur les anomalies cytogénétiques, en particulier ceux affectés à la recherche réalisée au bénéfice de la santé des patients atteints de ces maladies.
Concernant le diagnostic préimplantatoire (DPI), il a été autorisé dès 1994 pour éviter la transmission de maladies génétiques héréditaires : il consiste à créer des embryons par FIV, d’en prélever une cellule pour vérifier s’ils sont porteurs du gène défectueux dû à la maladie héréditaire (ex : myopathie, mucoviscidose …) pour ne réimplanter que les embryons indemnes de la maladie. C’est une technique lourde qui nécessite la création de 28 embryons pour une naissance. 59 enfants sont nés en 2009. Selon le rapport de l’Agence de biomédecine en 2010 : « La mise en œuvre du DPI reste liée à la possibilité d’avoir recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP). La qualité ovocytaire et une réserve ovarienne insuffisante pour la pratique d’une fécondation in vitro restent les facteurs limitant principaux : ils représentent un refus sur deux ». En 2007, on a découvert que cette technique avait été utilisée en France à Strasbourg dans des cas de maladies prédictives sans assurance que la maladie ne se développe, ni à quel âge il pourrait se développer (cancers familiaux héréditaires). Les médias et l’opinion s’en sont émus sans que des mesures ne soient réellement prises pour stopper cette pratique.
La loi de 2004 a introduit une transgression supplémentaire en autorisant le « bébé médicament », ou double DPI. Cette technique consiste à effectuer un diagnostic en vue de transférer in utero un embryon à la fois indemne d’une maladie génétique grave et dont les caractéristiques immunologiques, en termes de compatibilité du système HLA permettent d’envisager le prélèvement, à sa naissance, des cellules souches hématopoïétiques issues du sang de cordon ombilical pour traiter un aîné gravement malade. En France, le premier bébé issu de cette technique est né en janvier 2011. Le développement des banques de sang de cordon allogéniques conduit à reconsidérer l’intérêt du double DPI, particulièrement transgressif dans la mesure où il instrumentalise l’enfant à naître et nécessite un tri embryonnaire. La loi de 2011 confirme la technique du « bébé médicament », jusque-là autorisée à titre expérimental, sous réserve d’avoir épuisé les voies alternatives.
2- Quelques chiffres
– 80% des grossesses sont contrôlées par les tests biologiques de dépistage de la trisomie 21, qui ont donné lieu à 25 984 amniocentèses en 2009, technique qui peut provoquer des fausses couches dans 1% des cas.
– 92% des fœtus porteurs de trisomie 21 sont diagnostiqués et 96% des fœtus diagnostiqués porteurs de trisomie 21 donnent lieu à une interruption médicale de grossesse.
– La quasi totalité des grossesses est contrôlée par échographie. 60% des IMG se font à la suite de diagnostics de malformation ou de handicap posés par échographie.
– Près de 7000 IMG sont pratiquées chaque année.
– Le nombre de dossiers de demande de DPI examinés par les centres s’est accru de 26,8 % entre 2008 et 2009.
– 7 dossiers de demande d’autorisation de recourir à la pratique du bébé médicament ( DPI associé au typage HLA) ont été soumis à l’Agence de la biomédecine en 2010. Chacune des demandes a donné lieu à une décision favorable. Ces 7 autorisations portent à 17 le total des autorisations délivrées depuis le décret d’application du 22 décembre 2006. Le premier enfant conçu en France dans ce cadre juridique est né en janvier 2011.
3- Principales questions éthiques posées
a) Un taux de dépistage anténatal les plus élevés au monde
La France, en raison de son système social et de sa politique de dépistage très développée, détient le record mondial de diagnostic anténatal. Dans les faits, la surenchère de dépistage de la trisomie 21 en fait aujourd’hui un handicap emblématique, au point que des propositions de la dépister lors de diagnostic préimplantatoire (DPI) ont été avancées, mais finalement non retenues dans la rédaction de l’avant-projet de loi de 2010. Des voix commencent à se faire entendre pour dénoncer une nouvelle forme d’eugénisme : le professeur Sicard ancien président du CCNE, ou encore le professeur Mattéi, auteur des lois de bioéthique de 1994 et de 2004 s’en sont alarmés lors des Etats généraux de la bioéthique en 2009. Ils sont aujourd’hui rejoints par un nombre grandissant de professionnels de la grossesse qui ressentent un malaise croissant dans l’exercice de leurs métiers.
Des personnes handicapées se sentent discriminées et marginalisées en constatant que des embryons porteurs du même handicap sont éliminés, souvent systématiquement.
b) Les risques de judiciarisation de la naissance
Un cercle vicieux s’est progressivement installé : des praticiens se trouvent mis en difficulté par des « erreurs de dépistage » qui leur sont reprochées pour lesquels les parents demandent réparation. En 2000, la jurisprudence Perruche obtenue par les parents d’un jeune homme dont le handicap n’avait pas été diagnostiqué avant la naissance, conduisait à instituer un « préjudice d’être né » et à obtenir réparation. La mobilisation de parents d’enfants handicapés a permis de faire voter en 2002 la disposition anti-Perruche qui a donné un coup d’arrêt à ces revendications proclamant que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ». Les parents, s’ils peuvent demander réparation du préjudice moral, ne peuvent pas faire peser sur les praticiens le coût du handicap qui relève de la solidarité nationale. Les médecins, pour éviter des possibles procès, sont conduits à proposer et pratiquer le DPN de manière systématique. En 2010, des parents ont déposé un recours au conseil constitutionnel pour faire vérifier la constitutionnalité de la loi anti Perruche qui a été réaffirmée.
c) DPN et IMG : un lien souvent fatal
Aujourd’hui les grossesses deviennent anxiogènes du fait de la multiplicité des propositions de dépistage. Les femmes commencent à en témoigner ainsi que de leur souffrance après une interruption médicale de grossesses (IMG).
Lors d’une présentation en avril 2008, au collège de gynécologie du Centre Val de Loire, Dominique Decamp-Mini, juriste spécialisée en droit de la santé, soulignait que le diagnostic prénatal est fortement lié à la notion d’IMG, et que cela a valu à la médecine prénatale le qualificatif de «médecine thanatophore» c’est-à-dire d’une médecine qui n’a pas d’autre solution à apporter que celle de la mort du fœtus atteint de cette affection d’une particulière gravité.
4- Eclairage : polémique sur la systématisation des examens prénataux
Une polémique a opposé le Comité pour sauver la médecine prénatale à d’autres instances de la gynécologie obstétrique.
En réalité, la tradition médicale et la déontologie des professions de santé n’ont jamais remis en cause la liberté de prescription, qui est au fondement de la confiance entre soignants et soignés. La supprimer dans le seul cas du dépistage anténatal du handicap, ce serait accréditer l’idée d’une politique eugéniste autoritaire décidée par l’Etat.
La plupart des observateurs de l’évolution du diagnostic prénatal notent en effet qu’en pratique, les décisions individuelles des couples sont de moins en moins libres : ceux-ci sont conditionnés par les propositions qui leurs sont faites, et par le regard social qui exclut de plus en plus l’idée de la naissance avec un handicap. L’enjeu est crucial face aux progrès techniques des modalités de dépistage, qui sont de plus en plus fiables et précoces.
5- La position d’Alliance VITA sur le diagnostic prénatal et préimplantatoire
Nous demandons une prise de conscience des conséquences de la montée inédite de la sélection et de l’exclusion anténatale des êtres humains porteurs d’anomalies. Alliance VITA plaide pour une politique ambitieuse d’accompagnement au moment de l’annonce du handicap et d’accueil des personnes handicapées, impliquant le plus possible ces dernières.
Notre proposition est d’envisager autrement le diagnostic des anomalies. La France détient le record mondial du dépistage anténatal du handicap, mais aussi celui de l’IMG. De nombreux experts s’alertent du taux de 96% d’avortements en cas de détection d’une trisomie 21. Alliance VITA propose que soit conduite une autre politique d’annonce du handicap, d’accueil des nouveau-nés handicapés, et de communication sur la place que peuvent prendre les personnes handicapées dans la société.
27 Octobre 2011