La fin de vie en France : état des lieux
1-Vivre et mourir en France : faits et chiffres
Un accroissement continu de l’espérance de vie
Les progrès médicaux ont permis un accroissement continu de l’espérance de vie et ont changé la donne en France : même si c’est l’espérance de vie en bonne santé qui croît le plus vite, la mort intervient de plus en plus à l’hôpital, parfois après de longues périodes de dépendance toujours éprouvantes.
Quelques chiffres :
- 555 000 décès en 2011 (source Insee), dont 30% de maladies cardio-vasculaires et 30% de cancer
- Espérance de vie en 2011 : 78,2 ans pour les hommes ; 84,8 ans pour les femmes (source Insee)
Plus de la moitié des Français meurent à l’hôpital
Lorsqu’on les interroge, 70% des Français affirment désirer mourir à domicile.
Or, aujourd’hui 59,5% des personnes meurent à l’hôpital et 12% en maison de retraite en raison, d’une part, des exigences techniques de la médecine moderne et, d’autre part, de l’éclatement ou de l’éparpillement des familles dont le rythme de vie est difficilement conciliable avec l’exigence de l’accompagnement de fin de vie des proches.
La loi de 1999 sur le droit à l’accès aux soins palliatifs donne cependant droit à un congé d’accompagnement aux salariés du privé et aux fonctionnaires. Le congé d’accompagnement de fin de vie, remplacé en 2003 par le congé de solidarité familiale, permet à tout salarié de s’absenter pour assister un proche souffrant d’une pathologie mettant en jeu le pronostic vital. La loi n° 2010-209 du 2 mars 2010 a créé une « allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie » de 3 semaines pour un proche bénéficiant de ce congé.
L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a rendu un rapport en janvier 2010 sur la mort à l’hôpital pour que sa prise en charge figure explicitement dans la mission de l’hôpital. Le ministère de la Santé a lancé un plan d’action. Parmi les préconisations, figure notamment la nécessité d’ « humaniser » les services de réanimation et d’adapter les services d’urgences aux situations de décès.
Le développement des soins palliatifs depuis vingt ans
« Les soins palliatifs sont des soins actifs délivrés dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave, évolutive ou terminale. L’objectif des soins palliatifs est de soulager les douleurs physiques et les autres symptômes, mais aussi de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle. Les soins palliatifs et l’accompagnement sont interdisciplinaires. Ils s’adressent au malade en tant que personne, à sa famille et à ses proches, à domicile ou en institution.
La formation et le soutien des soignants et des bénévoles font partie de cette démarche. » Extrait de la charte des soins palliatifs de la SFAP.
On ne doit pas confondre les soins palliatifs avec l’abandon d’une personne atteinte de maladie incurable dans un mouroir, sans soutien et sans accompagnement moral.
La culture des soins palliatifs s’est progressivement développée depuis la première circulaire de 1986 sous l’impulsion notamment de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs. Elle vient, d’une certaine façon, corriger les effets d’une médecine de plus en plus technique qui avait tendance à éclater les soins en fonction des spécialités au risque de perdre un regard global sur la personne.
Les soins palliatifs, ce ne sont pas seulement des services d’hospitalisation spécialisés, ce sont aussi des unités mobiles capables d’intervenir dans l’ensemble des services de l’hôpital, des lits identifiés en soins palliatifs situés au sein d’un service d’hospitalisation et, de plus en plus, des services au domicile des personnes.
Une enquête en cours sur les conditions de la fin de vie en France
L’Institut national d’études démographiques (Ined) a lancé en mai 2010 une enquête sur les conditions de la fin de vie en France auprès de plusieurs milliers de médecins. Elle devrait apporter aux autorités sanitaires et à l’opinion publique des données objectives sur les conditions de la fin de vie en France : diffusion des soins palliatifs, traitement de la douleur, la nature des décisions médicales (non-instauration, poursuite, arrêt ou limitation de traitements, sédation etc.).
L’étude est menée avec le concours de l’Inserm et de l’Observatoire de la fin de vie et avec le soutien de la Direction Générale de la Santé et du Conseil national de l’Ordre des médecins.
L’acharnement thérapeutique : un malentendu ?
Selon le vocabulaire médical, il y a acharnement thérapeutique quand des traitements sont devenus inutiles ou disproportionnés. La déontologie médicale recommande de les éviter, puisque le bénéfice qu’on en attend est nul ou sans rapport avec les inconvénients que de tels traitements provoquent.
Pour la plupart des Français, l’acharnement thérapeutique fait référence à de longues périodes pendant lesquelles une personne qui s’approche de la mort est hospitalisée dans une situation physique et morale inconfortable voire insupportable, parce que maintenue artificiellement en vie alors qu’elle ne guérira pas.
Dans la réalité, on peut distinguer les cas où l’obstination thérapeutique continue de guérir et sauver de ceux où, effectivement, on n’a pas su « s’arrêter à temps » et laisser la personne mourir naturellement.
Aujourd’hui on imagine trop souvent que la seule façon d’échapper à l’acharnement thérapeutique serait de consentir à l’euthanasie. La façon dont ces deux réalités sont encore présentées les met effectivement en concurrence comme si elles constituaient une alternative.
En réalité, ce sont les deux excès d’une médecine dite « de toute-puissance » qui, dans un cas, maintient artificiellement en vie et, dans l’autre, tue le patient. Sortir de ce malentendu implique de promouvoir une troisième voie, véritablement humaine, qui consiste à prendre soin d’une personne jusqu’au terme naturel de sa vie, sans administrer ni traitements inutiles, ni piqûre létale. C’est cette troisième voie qui a été proposée dans la loi fin de vie de 2005. On constate aujourd’hui qu’elle reste peu connue des Français, et qu’elle a besoin d’être mieux présentée, expliquée et mise en œuvre.
Rappel
L’euthanasie consiste à provoquer intentionnellement la mort, par un acte (injection, administration de substance…) ou par l’absence délibérée des soins indispensables à la vie.
2- Ce que dit la loi sur la fin de vie
Plusieurs lois sont venues répondre aux besoins essentiels des personnes malades, dépendantes et en fin de vie. Chacune confirme, explicite et actualise les éléments anciens de déontologie médicale.
- Loi n°99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs
Article 1 « Toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. »
- Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé
Article 11 : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix.
Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. »
- Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie
Article 1 : « Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10. »
Ces textes confirment essentiellement :
- les droits d’accéder aux soins palliatifs, c’est-à-dire d’être soigné jusqu’au terme naturel de sa vie ;
- le droit de refuser des traitements, c’est-à-dire le droit d’exercer la liberté éclairée par les informations médicales.
Ce sont des lois exigeantes qui mobilisent aujourd’hui les soignants et toute la société. Le ministre de la Santé avait qualifié ce dispositif, au moment du vote unanime de la loi fin de vie, comme « une troisième voie française » refusant à la fois l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie.
Vigilance sur la mise en application de la loi
Le plan de développement des soins palliatifs 2008-2012 a été mis en place. Avec un budget de 230 millions d’euros, il prévoie un doublement de 100 000 à 200 000 patients pris en charge en 4 ans.
La mise en pratique de ces mesures représente un enjeu médical et social qui appelle la vigilance de tous, pour que le progrès technique ne se fasse pas au détriment d’un accompagnement pleinement respectueux de la dignité des personnes en fin de vie. Le rapport de la mission d’évaluation de la loi fin de vie de 2005 publié en 2008 souligne des inégalités géographiques encore fortes en France, qui ont conduit le ministère de la Santé à allouer en priorité des crédits aux régions les plus défavorisées.
3- L’état du débat
Méconnaissance de la loi et pression pour l’euthanasie
A ce jour, on constate que les Français connaissent mal la loi, les droits des personnes en fin de vie ainsi que la réalité des soins palliatifs. Un sondage IPSOS de juin 2009 sur la représentation sociale des soins palliatifs indique que 89% des Français considèrent les soins palliatifs comme une réponse nécessaire à la souffrance des personnes gravement malades ou en fin de vie.
Près de 9 Français sur 10 estiment que les soins palliatifs permettent aux personnes gravement malades de vivre le plus sereinement possible leur fin de vie, dans la dignité. Mais près de deux Français sur trois ont le sentiment d’être mal informés sur les soins palliatifs.
Cette situation est confirmée par un autre sondage d’OpinionWay réalisé en janvier 2011 : 68% des Français ne savent pas qu’il existe une loi interdisant l’acharnement thérapeutique, et 60% des Français considèrent le développement de soins palliatifs de qualité comme la priorité en termes de fin de vie, bien avant la légalisation de l’euthanasie (38%).
On observe pourtant une pression continue depuis quelques années de groupes constitués pour demander la légalisation de l’euthanasie.
D’où vient le déséquilibre ?
- Les soins palliatifs font « peu de bruit » alors qu’ils mobilisent des milliers de soignants et de volontaires à l’accompagnement. « Le droit de vivre dans la dignité sollicite davantage nos responsabilités humaines et sociales que consentir à octroyer la mort au nom d’une conception pour le moins restrictive de l’idée de dignité » écrit Emmanuel Hirsch, directeur de l’Espace éthique de l’AP-HP, le 20 mars 2009 à la suite de l’affaire Sébire.
- L’euthanasie est au contraire mise en avant au travers de faits divers spectaculaires qui suscitent l’émotion et souvent la peur. Contrairement aux idées reçues, les situations que l’on a présentées comme exceptionnelles et nécessitant de déroger au principe de refus de l’euthanasie ont révélé la méconnaissance des propositions de la médecine de fin de vie et des droits des personnes concernées. A titre d’exemple, il a fallu la mort de Chantal Sébire pour que l’on découvre qu’elle avait refusé tous les traitements médicaux (y compris l’intervention chirurgicale) ainsi que les soins anti douleurs et, vers la fin de sa vie, le bénéfice des soins palliatifs.
Euthanasie et suicide sont intimement liés
« Déjà nous mesurons les effets néfastes d’un prétendu « droit au suicide » avancé ici ou là. Tous les efforts de la société pour sauver et consoler les désespérés et garantir leur place aux personnes dépendantes, sans les juger sur l’apparence, ont été contredits. Quel type de pitié poussait à croire qu’il valait mieux que Chantal Sébire meure vite ?» Le Figaro 20 mars 2008 Une mort qui brouille l’image des soins palliatifs par X.Mirabel, O. Jonquet, T.Derville
Une proposition de loi rejetée au Sénat le 25 janvier 2011
Un débat sur « l’aide active à mourir » a été organisé le 25 janvier au Sénat, sur proposition de la présidente de la Commission des affaires sociales, Muguette Dini. Trois propositions de loi similaires avaient été déposées : une par le sénateur PS de la Manche Jean-Pierre Godefroy, une autre par Alain Fouché, sénateur UMP de la Vienne, et enfin une dernière par François Autain (Loire-Atlantique) et Guy Fischer (Rhône), du groupe communiste et des sénateurs du Parti de gauche.
Ces propositions de loi, regroupées dans un seul texte présenté par le rapporteur Godefroy, prévoyaient « une aide active à mourir » pour des personnes en fin de vie en raison de souffrances physiques ou psychiques. A l’issue d’un long débat, la proposition de loi a été rejetée.
Rappel
Une proposition de loi relative au droit de finir sa vie dans la dignité, à l’initiative du parti socialiste, a été débattue le 19 novembre 2009 à l’Assemblée nationale et rejetée.
4- La mission d’Alliance VITA
Fondée en 1993, Alliance VITA a comme objectif de promouvoir la protection de la vie humaine et le respect de la dignité de toute personne. Elle rassemble aujourd’hui 32 000 personnes dans toute la France. 73 équipes agissent localement sur le terrain. Alliance VITA développe des actions d’écoute et d’aide aux personnes vulnérables confrontées aux épreuves de la vie. Elle organise régulièrement des campagnes d’information du public.
Son président, le docteur Xavier Mirabel, a été auditionné à l’Assemblée nationale lors de l’élaboration de la loi relative à la fin de vie de 2005 puis lors de son évaluation en 2008.
Elle a créé en 2004 le service SOS fin de vie : www.sosfindevie.org.
Sa mission : soutenir les personnes malades ou en fin de vie, leur soignants et leurs proches, ainsi que les personnes endeuillées ; leur apporter des éclairages qui les aideront à instaurer un vrai dialogue, à trouver les meilleures solutions, à sortir de certaines impasses et à surmonter les épreuves de la fin de vie. Sosfindevie.org n’entend pas se substituer aux équipes soignantes, ni aux familles.
L’association joue un rôle de médiation dont le besoin est important autour de l’évènement jamais anodin de la fin de vie : la mort est « désocialisée » et les rites funéraires et du deuil se sont beaucoup effacés, laissant souvent la place au non-dit, au vide et à l’angoisse.
Le nombre d’échange varie suivant les problématiques. Il peut y avoir un suivi sur plusieurs semaines avant et après le décès d’une personne.
Environ 25 % des échanges sont réalisés avec des soignants : essentiellement des demandes de formation en soins palliatifs ou de précisions sur la législation avec une croissance exponentielle de questions d’étudiants. En moyenne, le site reçoit 100 000 connections par an.
Coordonateurs du service SOS fin de vie : Docteur Xavier Mirabel et Tugdual Derville.