NOTEEXPERT L’euthanasie aux Pays-Bas
L’euthanasie est légale aux Pays Bas depuis maintenant 10 ans. Les conditions strictes établies par la loi sont progressivement interprétées de façon extensive, donnant lieu à des dérives croissantes et à une “fuite en avant” inquiétante.
Actuellement, des pressions fortes s’exercent pour que le Parlement autorise le suicide assisté des personnes de plus de 70 ans qui en feraient la demande, en n’invoquant pas d’autre mobile que l’âge et la “fatigue de vivre”.
Ainsi, l’association “De plein gré” (Uit vrije will) a organisé une pétition d’initiative citoyenne début 2010, ce qui a obligé le Parlement à débattre du sujet. D’autres initiatives se multiplient de la part de cette association, du NVVE (autre asociation pour la fin de vie volontaire) et de diverses personnalités, comme par exemple :
- créer une “clinique de la fin de vie” spécialisée pour réaliser les euthanasies ;
- mettre en place des “équipes volantes” chargées de mettre fin à la vie de ceux qui n’obtiennent pas satisfaction auprès de leur médecin de famille ;
- élargir la définition des “souffrances insupportables et sans perspective d’amélioration” en prenant en compte l’accumulation de problèmes de santé liés à la vieillesse ;
- inciter à “arrêter volontairement de manger et de boire” pour mourir avec une sédation palliative.
Après le rappel des conditions légales et un bilan quantitatif, cette note a pour objectif de recenser les principales dérives dont on peut avoir connaissance à ce jour.
1. La législation actuelle aux Pays-Bas
L’euthanasie est devenue légale en 2001 par la loi dite « de contrôle d’interruption de la vie sur demande et l’aide au suicide », et a été mise en application à partir du 1er avril 2002. Les Pays Bas sont le premier pays à avoir autorisé cette pratique. Sans dépénaliser l’euthanasie à proprement parler, la législation néerlandaise l’encadre. En effet, l’incitation au suicide, l’euthanasie et l’aide au suicide demeurent juridiquement des infractions pénales. Mais la loi introduit une excuse exonératoire de responsabilité pénale au profit du médecin qui respecte cinq « critères de minutie »[1. Rapport d’information fait au nom de la mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, Assemblée Nationale, Jean Leonetti, Tome 1,page 131.] :
1) La demande du patient doit être volontaire et mûrement réfléchie. Le consentement du patient qui n’est plus en état de l’exprimer peut être pris en compte, s’il a préalablement établi une déclaration écrite en ce sens et est âgé d’au moins 16 ans.
2) Les souffrances du patient sont insupportables et sans perspective d’amélioration.
3) Le patient doit avoir été pleinement informé de sa situation et des perspectives qui sont les siennes.
4) Le médecin et le patient sont parvenus conjointement à la conclusion qu’il n’existe pas d’autre solution raisonnable.
5) Un autre médecin indépendant doit avoir été consulté et doit avoir donné par écrit son avis sur les critères de minutie. Dans l’hypothèse où la demande d’euthanasie est formulée par un patient souffrant de troubles mentaux, deux médecins indépendants doivent avoir été consultés dont au moins un psychiatre.
La loi s’applique également aux mineurs : la loi prévoit que le médecin peut accepter la demande d’un mineur, à condition que ses parents soient associés à sa prise de décision (lorsque le mineur a entre seize et dix-huit ans) ou donnent leur accord (lorsqu’il a entre douze et seize ans). Par ailleurs, depuis 2005, un protocole appelé “protocole de Groeningen” énumère les conditions et les étapes à suivre dans le cadre des décisions de fin de vie de jeunes enfants, essentiellement des nouveau-nés.
2. Euthanasie aux Pays-Bas : Bilan quantitatif
D’après les rapports des commissions régionales de suivi de l’euthanasie, le nombre de cas officiels a fortement progressé depuis l’entrée en vigueur de la loi : 1800 en 2003, 2.120 en 2007, 2. 331 en 2008 (+10%), 2.636 en 2009 (+13%), 3136 cas en 2010 (+19%). Cela représente une augmentation de 74 % en sept ans, avec une accélération importante les deux dernières années. La plupart des procédures ont eu lieu au domicile du patient.
3. Les dérives constatées
A) Une interpellation du Comité des Droits de l’homme de l’ONU
En juillet 2009, le Comité des Droits de l’homme de l’ONU s’est inquiété du nombre élevé de cas d’euthanasies et de suicides assistés. Il a demandé instamment aux Pays Bas de réviser sa législation pour se mettre en conformité avec les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.
Deux sujets ont été abordés en particulier :
- Le nombre important d’euthanasies et de suicides assistés, et sa progression chaque année ;
- Certaines modalités posent question : le fait d’autoriser un médecin à mettre fin à la vie d’un patient sans recourir à l’avis d’un juge, et le fait que le deuxième avis médical requis puisse être obtenu au travers d’une ligne téléphonique d’urgence [2. Human Rights Committee , 15 July 2009.]
B) Des euthanasies clandestines persistantes
Courant 2008, des députés français se sont rendus aux Pays-Bas dans le cadre de l’évaluation de la loi fin de vie de 2004. Le Rapport d’information de novembre 2008 [3. Rapport d’information fait au nom de la mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, Assemblée Nationale, Jean Leonetti, p 131 à 136.] relève que le taux de signalement des cas d’euthanasie est en constante augmentation depuis 2002 ; cela n’empêche pas un fort taux d’euthanasies clandestines, estimé par le Ministère de la Santé néerlandais à 20%, et donc pose la question de la transparence de cette législation.
C) Un manque de respect et de contrôle des procédures
Par ailleurs, l’application de cette loi présente plusieurs caractéristiques qui interrogent les parlementaires français :
- « les critères d’évaluation du degré de la souffrance du patient sont flous, l’existence même d’un contrôle a posteriori faisant porter la vérification plus sur le respect de la procédure que sur la réalité des motifs médicaux ;
- l’appréciation du médecin est subjective et la méconnaissance de la loi n’est pas sanctionnée ;
- il y a quelque paradoxe à revendiquer haut et fort un droit à l’autonomie de la personne et à s’en remettre avec cette réglementation à la décision du médecin, cette législation consacrant de fait le pouvoir médical [4. Rapport d’information fait au nom de la mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, op. cit.] ». L’analyse se poursuit : jusqu’à présent, « aucune poursuite pénale n’a été exercée à l’encontre d’un médecin sur les fondements des articles 293 (euthanasie) et 294 (aide au suicide assisté) du code pénal.
24 cas litigieux ont été transmis par les commissions de contrôle au Collège des procureurs généraux en 6 ans. Dans la plupart des cas les médecins concernés ont été invités à s’entretenir avec le Procureur de la Reine pour un simple rappel à l’ordre, le parquet, semble-t-il, n’ayant pas été saisi de deux avis de violation de la loi par le même médecin [5. Rapport d’information fait au nom de la mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, op. cit.]».
D) Des euthanasies sur des personnes ne remplissant pas les conditions
Le rapport 2009 des commissions régionales de contrôle néerlandaises fait état de 12 cas d’euthanasie pratiquée pour des maladies neurologiques, dont des personnes démarrant la maladie d’Alzheimer.
E) Des soins palliatifs sous-estimés
En décembre 2009, Madame Els Borst, Ministre de la Santé des Pays Bas en 2001, responsable de la loi légalisant l’euthanasie, s’est confiée dans un ouvrage d’entretiens[7. Ceux qui donnent la délivrance à côté de Dieu, Entretiens Els Borst, Anne-Mei The.] avec Anne-Mei The, anthropologue et juriste : pour elle, la légalisation de l’euthanasie est intervenue « beaucoup trop tôt ». Elle pense que les pouvoirs publics n’ont pas prêté l’attention nécessaire aux soins palliatifs et à l’accompagnement des mourants.
« Aux Pays Bas, nous avons d’abord écouté la demande politique et sociétale en faveur de l’euthanasie. Evidemment, ce n’était pas dans le bon ordre. » Elle met en cause notamment la « pression sociale » venant des médecins, qui cherchaient à soulager leurs patients de leurs souffrances sans avoir à réaliser des « bricolages » illégaux.
30 Janvier 2012
Henri de Soos