Faut-il autoriser la recherche sur l’embryon humain ?

Faut-il autoriser la recherche sur l’embryon humain ?

La proposition de loi n° 473 tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, adoptée en première lecture par le Sénat, est inscrite à l’ordre du jour de la séance publique de l’Assemblée nationale du 28 mars 2013. Elle est examinée par la Commission des affaires sociales le 20 mars.

En plus de la levée de l’interdiction de la recherche, plusieurs dispositions proposées réduiraient ou supprimeraient des règles qui visent à garantir la pertinence de ces recherches : par exemple, les autorisations données par l’Agence de la Biomédecine (ABM) n’auraient plus besoin d’être motivées, et les ministres chargés de la santé et de la recherche n’auraient plus un droit de regard sur ces autorisations.

Les enjeux de cette recherche sont liés aux stocks d’embryons congelés progressivement constitués à la suite de cycles de Fécondation in vitro (FIV) depuis 1994, ces embryons surnuméraires suscitant la convoitise des chercheurs. Pour bien saisir ces enjeux, un rappel de la législation actuelle s’impose (I), ainsi qu’une mise en perspective avec les recherches alternatives à partir de cellules non embryonnaires, qui ont donné ces dernières années des résultats encourageants (II). Ces données factuelles établies, il convient de mettre en lumière les principales questions éthiques posées par la recherche sur l’embryon (III), alors même que celle-ci est de plus en plus contestée au niveau européen (IV).

I – La législation actuelle en France

– La loi du 6 août 2004 a autorisé le don d’embryons congelés surnuméraires pour la recherche, avec l’assentiment des parents. Auparavant, les parents avaient seulement la possibilité de les transférer dans l’utérus maternel, de demander leur destruction ou de les donner à un autre couple. En contradiction avec le principe d’interdiction de recherche sur les embryons posé depuis les premières lois bioéthiques de 1994, une dérogation a été introduite dans cette loi pour une période de 5 ans, pour des recherches à visée thérapeutique et sans recherche alternative possible d’efficacité comparable.

– La loi du 7 juillet 2011 a maintenu le principe d’interdiction de recherche sur l’embryon avec cependant l’élargissement des dérogations : sans limite de temps et dans un cadre plus large de recherche à visée « médicale », qui remplace la notion de « progrès thérapeutique majeur ». L’article 41 précise ainsi les nouvelles conditions :

L’article L.2151-5 est ainsi rédigé :

I.- La recherche sur l’embryon humain, les cellules souches embryonnaires et les lignées de  cellules souches est interdite.

II. – Par dérogation au I, la recherche est autorisée si les conditions suivantes sont réunies :

1° La pertinence scientifique du projet de recherche est établie ;

2° La recherche est susceptible de permettre des progrès médicaux majeurs ;

3° Il est expressément établi qu’il est impossible de parvenir au résultat escompté par le biais d’une recherche ne recourant pas à des embryons humains, des cellules souches embryonnaires ou des lignées de cellules souches ;

4° Le projet de recherche et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Les recherches alternatives à celles sur l’embryon humain et conformes à l’éthique doivent être  favorisées.

– Une clause de conscience est reconnue à tout « chercheur, ingénieur, technicien ou auxiliaire de recherche, médecin ou auxiliaire médical » qui ne souhaite pas faire de recherche sur les embryons ou les cellules souches embryonnaires (article 53).

– La loi prévoit également un encadrement pour le recueil des cellules souches issues de sang de cordon ombilical, pour inciter à son développement. Le choix retenu par la France est celui du recueil par des banques publiques allogéniques, c’est-à-dire pour une utilisation indifférenciée par les patients qui en ont besoin, sachant que le patient doit avoir une compatibilité immunitaire avec le donneur (article 19).

– Dans un délai d’un an à compter de la publication de la loi, soit avant le 8 juillet 2012, le gouvernement devait remettre un rapport au Parlement sur les pistes de financement, notamment public, et de promotion de la recherche en France sur les cellules souches adultes et issues du cordon ombilical ainsi que sur les cellules souches pluripotentes induites (article 44).

– Chaque année, l’Agence de la Biomédecine doit par ailleurs établir un rapport d’activité, rendu public, qu’elle adresse au Parlement, au Gouvernement et au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la santé. Ce rapport doit notamment comporter une « évaluation de l’état d’avancement des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, incluant un comparatif avec les recherches concernant les cellules souches adultes, les cellules pluripotentes induites et les cellules issues du sang de cordon, du cordon ombilical et du placenta, ainsi qu’un comparatif avec la recherche internationale » (article 50).

– Enfin, toute réforme de cette loi doit être précédée d’un large débat public sous forme d’états généraux. L’article 46 stipule en effet : Le code de la santé publique est ainsi modifié : 1° Après l’article L. 1412-1, il est inséré un article L. 1412-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1412-1-1. − Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. Ceux-ci sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

A la suite du débat public, le comité établit un rapport qu’il présente devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation » (…).

chiffres recherche bioethique

II – Les recherches alternatives à la recherche sur l’embryon

Les cellules souches adultes et, parmi elles, les cellules issues de sang de cordon et placentaire

Le Rapport de la mission d’information parlementaire de révision des lois de bioéthique (20 janvier 2010) fait état des thérapies existantes à partir des cellules de sang de cordon ombilical : « Certaines cellules souches adultes ont prouvé depuis plus de trente ans leur potentiel thérapeutique. Ainsi, les thérapies recourant aux cellules souches hématopoïétiques issues de la moelle osseuse ou du sang périphérique bénéficient à plus de 3 000 malades par an traités pour des hémopathies malignes, pour des tumeurs solides ou pour contrer les effets de chimiothérapies sur la moelle osseuse. Depuis les essais cliniques du docteur Éliane Gluckman, en 1989, on sait utiliser les cellules du sang placentaire. (…) Le prélèvement de ces cellules ne présente pas de difficultés techniques. (…) D’autres indications de thérapies à partir de cellules souches issues du sang placentaire sont envisageables selon le docteur Gluckman. (…) Le laboratoire de recherche du centre de transfusion sanguine des armées de Percy travaille sur les cellules souches mésenchymateuses afin d’améliorer la production en culture d’épiderme pour les grands brûlés ».

La reprogrammation des cellules souches humaines adultes

La découverte des techniques de reprogrammation des cellules somatiques (cellules iPS – découvertes en 2007) a réorienté la recherche, bien que posant encore des problèmes à résoudre. Cette voie est reconnue comme prometteuse par la communauté scientifique : le prix Nobel de médecine  a été attribué à l’automne 2012 au biologiste britannique John Gurdon et au médecin et chercheur japonais Shinya Yamanaka, pour leurs recherches sur la reprogrammation nucléaire. Le premier essai clinique utilisant des cellules reprogrammées pour traiter une maladie de l’œil, la dégénérescence maculaire liée à l’âge qui affecte la vision de près de 30 % des plus de 55 ans dans le monde, est prévu pour la fin de l’année 2013 au Japon par l’équipe de Yamanaka.

Les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires n’ont donné quant à elles aucun résultat probant à ce jour, ni en France, ni dans les autres pays qui y recourent, en particulier les Etats Unis.

 

III – Les principales questions éthiques posées par la recherche sur l’embryon

La destruction des embryons

L’utilisation des embryons pour la recherche conduit à leur destruction. En effet, pour obtenir des cellules souches embryonnaires, les embryons sont disloqués et mis dans un milieu de culture synthétique.

Des conflits d’intérêt

La « course aux annonces » cache des conflits d’intérêt majeurs au sein de la communauté scientifique. Cette précipitation ne respecte pas les malades, qui vivent souvent des situations dramatiques, en faisant naître chez eux de faux espoirs à court terme.

A titre d’exemple, par son annonce de juillet 2010, la firme de biotechnologie Geron Corporation semblait faire espérer une thérapie aux personnes paralysées à la suite d’une lésion de la moelle épinière, traduite par certains comme le premier traitement à base de cellules souches embryonnaires humaines. Or, il ne s’agissait en réalité que d’un essai clinique sur moins de 10 personnes pour évaluer la tolérance du patient à des cellules dérivées de cellules souches embryonnaires. Le 15 novembre 2011, Geron a annoncé qu’elle avait mis fin à cet essai clinique en raison de son coût, préférant se concentrer sur d’autres programmes de recherche plus prometteurs. Le même type de publicité a été fait ensuite en novembre 2010 par la société Advanced Cell Technologie, pour un essai clinique concernant une pathologie oculaire.

L’embryon humain comme cobaye « gratuit »

– Un des intérêts mis en avant est de pouvoir tester de nouveaux médicaments (criblage pharmaceutique) ou réaliser des recherches sans passer par les tests sur les animaux qui, eux, sont onéreux et nécessitent une formation et des installations spécifiques. Ainsi, par exemple, des embryons écartés lors de DPI (diagnostic pré-implantatoire), parce que porteurs de gènes de maladies héréditaires, sont actuellement objets de recherche.

Depuis le 1er février 2013, les contraintes de la recherche sur animal ont été renforcées avec la transposition en droit interne de la Directive 2010-63-UE. Le décret n° 2013-118 du 1er février 2013 protège les animaux y compris avant leur naissance, jusqu’à un stade très précoce, pour leur éviter « d’éprouver de la douleur, de la souffrance ou de l’angoisse ou de subir des dommages durables ». Il insiste sur le remplacement par « d’autres méthodes expérimentales », chaque fois que possible, pour diminuer le nombre d’animaux concernés.

Comme les exigences éthiques et matérielles de la recherche sur l’animal sont de plus en plus grandes, la tentation est réelle de se reporter sur l’embryon humain, car sa protection fait l’objet d’une réglementation beaucoup moins précise et contraignante.

Dans ce nouveau contexte, la proposition de loi que l’Assemblée nationale va examiner le 28 mars 2013 accentue ce risque. Elle transforme notamment l’objectif de permettre des « progrès médicaux majeurs » en une simple référence à une « finalité médicale ». Elle supprime une exigence inscrite dans la loi de bioéthique de 2011, qui précise que « les recherches alternatives à celles sur l’embryon humain et conformes à l’éthique doivent être favorisées ».

 

IV – La recherche sur l’embryon contestée au niveau européen

– La Convention européenne sur les droits de l’homme et la biomédecine, dite Convention d’Oviedo, a été ratifiée par la France le 13 décembre 2011 (application au 1er avril 2012). Cette convention du Conseil de l’Europe, adoptée en 1997, définit un certain nombre de règles éthiques fondées sur le respect de la personne humaine, la non-commercialisation du corps humain et le consentement éclairé des patients. L’article 18 concerne spécifiquement la recherche sur les embryons in vitro, insistant sur la « protection adéquate » dont ils doivent bénéficier.

– Un jugement de la Cour européenne de justice du 18 octobre 2011, qui est contraignant à l’égard des 27 Etats-membres, bannit la brevetabilité des technologies de recherche qui s’appuient sur les cellules souches, elles-mêmes obtenues au moyen de la destruction d’embryons humains.

La Cour européenne de justice a reconnu la nullité du brevet du professeur allemand Brüstle, car elle a estimé que la destruction d’un embryon humain nécessaire dans le processus de production des cellules précurseurs neurales, pour lesquelles il avait déposé ce brevet, ne respectait pas la dignité humaine de cet embryon. Son objectif, le traitement hypothétique de maladies neurodégénératives, n’a pas justifié aux yeux de la Cour de porter atteinte à la dignité de l’être humain en mettant fin à sa vie. Les seules techniques brevetables, et qui donc pourraient faire l’objet d’une utilisation commerciale, seraient les techniques qui viseraient à soigner l’embryon humain.

La Cour a donné de l’embryon une définition large et claire : «  Tout ovule humain doit, dès le stade de sa fécondation, être considéré comme un embryon humain dès lors que cette fécondation est de nature à déclencher le processus de développement d’un être humain ». Constitue donc aussi un embryon humain «  tout ovule humain non fécondé dans lequel le noyau d’une cellule humaine mature a été implanté, et tout ovule humain non fécondé induit à se diviser et à se développer par voie de parthénogénèse ». Autrement dit, même produit de façon artificielle, un être humain reste un être humain, dès le début de la conception.

Cosmétiques : fin des tests animaux

Cosmétiques : fin des tests animaux

Cosmétiques : fin des tests animaux

 

A partir du 11 mars 2013, entre en vigueur l’interdiction totale de l’expérimentation animale pour tester les produits cosmétiques commercialisés en Europe.

L’Union européenne interdit déjà l’expérimentation animale pour les produits cosmétiques depuis 2004 et ce sont les dernières dérogations autorisées qui viennent de prendre fin.
Bruxelles reconnait cependant que le remplacement complet des tests animaux par d’autres méthodes n’est pas encore possible. La Suisse a, quant à elle, maintenu des exceptions, notamment quand le bénéfice sur la santé humaine l’emporte sur celui de l’animal. L’office vétérinaire fédéral (OVF) signale que des tests ont été effectués en 2010 et 2011 sur des rats pour vérifier la qualité des filtres ultraviolets de crèmes solaires.

Paradoxalement, cette nouvelle mesure intervient alors que la France s’apprête à examiner à l’Assemblée nationale le 28 mars prochain une proposition de loi destinée à lever l’interdiction de recherche sur les embryons humains conduisant à leur destruction. Par ailleurs, l’Union européenne discute actuellement du financement des programmes de recherche (Horizon 2020), notamment ceux impliquant des embryons humains.

Entre 2007 et 2011, les institutions européennes ont alloué 50 millions d’euros à des programmes de recherche sur les embryons humains et 238 millions à la recherche alternative à l’expérimentation animale.

 

Alliance VITA.

tests animaux expérimentation animale laboratoire

Suivez-nous sur les réseaux sociaux :

Leonetti pour un droit à la sédation

Une proposition de loi « visant à renforcer les droits des patients en fin de vie », avec notamment l’introduction d’un droit du malade à demander une sédation en phase terminale.

Le Code de la santé serait complété par le paragraphe suivant : « Toute personne en état d’exprimer sa volonté et atteinte en phase terminale d’une affection grave et incurable, dont les traitements et les soins palliatifs ne suffisent plus à soulager la douleur physique ou la souffrance psychique, est en droit de demander à son médecin traitant l’administration d’un traitement à visée sédative, y compris si ce traitement peut avoir pour effet secondaire d’abréger la vie selon les règles définies à l’article L. 1110-5.

La mise en oeuvre du traitement sédatif est décidée de manière collégiale. La demande formulée par le malade et les conclusions de la réunion collégiale sont inscrits dans le dossier médical. » La proposition de sédation existant déjà dans la pratique médicale en fin de vie, on peut s’interroger sur les intentions d’une nouvelle loi. S’agit-il de préciser le cadre de cette pratique ou d’aller plus loin… ? Cette initiative intervient quelques jours après l’avis du Conseil de l’Ordre national des Médecins  dans le même domaine.

Dans une déclaration rendue publique le 9 février dernier, l’Ordre propose une « sédation adaptée, profonde et terminale » qui serait réservée à des situations exceptionnelles. Mais son insistance à évoquer le « caractère autonome de la demande » et la « liberté » du patient, associée à une clause de conscience dont le médecin pourrait se prévaloir, laisse apparaître une intention euthanasique troublante.

Dans un communiqué du 28 février 2013,  les professeurs Denys Pellerin et Jean-Roger Le Gall de l’Académie de Médecine dénoncent cette position :  « Dès lors que l’on parle de sédation terminale, le but n’est plus de soulager et d’accompagner le patient, mais de lui donner la mort. 

Le but de la sédation n’est plus seulement, comme le recommandait la loi Leonetti, de soulager et d’accompagner le patient, parvenu au terme de sa vie, plaçant le médecin dans son rôle d’accompagnement, conforme à l’humanisme médical, quand bien même cette sédation « puissante » précipiterait sa fin ».

Ces deux propositions visent vraisemblablement à prendre date dans le débat actuel sur la proposition 21 de François Hollande, concernant la mise en place d’une « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Après le rapport Sicard du 18 décembre 2012, qui recommande une utilisation de la sédation terminale dans une vision proche de celle de l’Ordre des Médecins,  et avant la remise de l’avis du CCNE sur ce sujet, un travail de clarification s’impose pour éviter tout risque d’ inquiétante confusion.

L’euthanasie en Belgique : des dérives croissantes

L’euthanasie en Belgique : des dérives croissantes

L’euthanasie en Belgique : des dérives croissantes

 

Depuis le vote de la loi dépénalisant l’euthanasie en Belgique en 2002, deux évolutions majeures peuvent être soulignées :

  • l’augmentation constante du nombre d’euthanasies pratiquées officiellement, avec un doublement du total tous les 4 ans.
  • la volonté continuelle du lobby de l’euthanasie d’élargir les cas possibles, comme aux Pays-Bas : les mineurs, les personnes âgées de plus de 70 ans, les personnes considérées comme “démentes” (par exemple en cas de maladie d’Alzheimer), les adultes dépressifs (personnes anorexiques, handicapées, en prison…).

 

1. La législation actuelle

La loi qui a dépénalisé la pratique de l’euthanasie sous certaines conditions a été votée le 28 mai 2002. Le texte protège le médecin qui « met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle-ci », à condition qu’elle soit dans « une situation médicale sans issue et un état de souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable».

Le médecin doit consulter un second praticien qui vérifie que ces conditions sont remplies, dans certains cas un troisième médecin, psychiatre ou spécialiste de la pathologie concernée.

Une commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, composée de 16 membres, est chargée de vérifier à postériori la conformité de tous les actes d’euthanasie pratiqués en Belgique. Si elle estime que les conditions n’ont pas été respectées, elle doit saisir la justice. Elle transmet tous les deux ans un rapport au Parlement. Des « kits euthanasie » sont vendus en pharmacie aux médecins.

 

2. Bilan quantitatif

Le nombre d’euthanasies officiellement recensées en Belgique double quasiment tous les quatre ans : il est passé de 349 en 2004 à 704 en 2008, et à 1432 en 2012. Entre la première année complète d’application (235 cas en 2003) à 2012, le total a été multiplié par six.

Une étude[1. Legal Euthanasia in Belgium: Characteristics of All Reported Euthanasia Cases – Smets, Tinne MA*; Bilsen, Johan PhD*; Cohen, Joachim PhD*; Rurup, Mette L. PhD†; Deliens, Luc PhD*† Février 2010 ] a récemment été menée par le professeur Luc Deliens, de l’Université libre flamande de Bruxelles : selon cette enquête portant sur 1917 cas, la majorité des personnes euthanasiées sont plutôt jeunes (seulement 18% de personnes âgées de plus de 80 ans), atteints de cancer en phase terminale (93,4%) et ne supportant plus la douleur physique, selon les déclarations qu’elles ont faites à leur médecin.

Les hommes sont un peu plus nombreux que les femmes. L’euthanasie est plus couramment pratiquée en Flandres (83%) qu’en Wallonie (17%) : des chiffres étonnants qui, pour les chercheurs, peuvent s’expliquer par des « différences de pratiques médicales ».

La Commission de contrôle et d’évaluation a examiné plus de 2000 déclarations depuis sa création. Aucune déclaration n’a fait l’objet d’un signalement au procureur.

 

3. Les dérives constatées

 

A) Des euthanasies sur des personnes ne remplissant pas les conditions

Dès 2007, plusieurs cas d’euthanasie de patients souffrant de dépression majeure irréductible ont été dénoncés par une association travaillant dans ce domaine (« Netwerk Depressie Vlaanderen »), qui rappelle que la dépression ne peut être considérée comme une maladie incurable.

Plusieurs cas litigieux ont été médiatisés en Belgique, et dans au moins un cas (cf L’Express du 24 avril 2008), la justice s’est autosaisie du dossier et a nommé un juge d’instruction. Deux ans après les faits, les enquêteurs ont décidé de ne pas poursuivre.

Une étude publiée en 2009 dans la revue American Journal of Critical Care révèle que des médecins et des infirmières ont eu recours à l’euthanasie pour 25 enfants, alors que cette pratique est interdite pour les mineurs.

 

B) De nombreuses euthanasies clandestines ou réalisées sans consentement du malade”

Les auteurs d’une étude parue en septembre 2010 sur les pratiques de fin de vie au regard de la loi sur l’euthanasie ont constaté que beaucoup de cas d’euthanasie[2. « Medical End-of-life Practices under Euthanasia Law in Belgium » (The New England Journal of Medecine, September 10). En 2007, les auteurs ont mené une étude de suivi de deux vastes enquêtes sur les pratiques de fin de vie médicalisée réalisées en 1998 et 2001. 58,4 % des médecins sondés ont répondu au questionnaire qui leur a été adressé. ] ne sont pas rapportés aux autorités, et même que le consentement du patient n’a pas été obtenu dans un très grand nombre de cas.

En effet, selon cette enquête, sur les 54.881 morts recensées en Flandres en 2007, 1042 décès (1,9%, contre seulement 0,3% en 2001) seraient survenues à la suite d’une euthanasie pratiquée sur demande. Cette même année 2007, seulement 495 euthanasies ont été déclarées à la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’application de la loi sur l’euthanasie, dont 412 l’ont été en néerlandais et 83 en français (cf. Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, Troisième rapport aux Chambres législatives, années 2006 et 2007, p. 11).

 

C) Une mauvaise maitrise des soins palliatifs”

Pour le docteur Bernard Devalois[3.« De plus en plus d’euthanasies en Belgique », article paru dans la revue La Vie, 15 mars 2010], spécialiste français des soins palliatifs, l’étude citée plus haut menée par le professeur Luc Deliens, de l’Université libre flamande de Bruxelles ” démontre que la majorité des demandes d’euthanasie en Belgique sont liées à des douleurs physiques insupportables et donc à des mauvaises pratiques médicales dans le traitement de la douleur, car les souffrances vraiment réfractaires – que nous traitons en France en endormant le malade – restent très rares”.

Une analyse corroborée par le fait que la grande majorité des euthanasies belges ont lieu au domicile du patient. “On peut penser qu’elles sont effectuées par des généralistes démunis car mal formés au maniement des techniques antalgiques complexes”, constate le médecin français.

Pour le docteur Devalois, “à la lecture de cette étude, la Belgique semble choisir de privilégier la formation de ses généralistes au maniement de produits provoquant une mort rapide du patient (barbituriques et curares). Le malade n’a donc que le choix entre souffrir ou demander l’euthanasie. Je préfère nettement qu’on lui offre un troisième choix : être soulagé de sa douleur ! C’est la voie qu’a choisie la France à travers les plans Douleur et Soins Palliatifs“.

 

D) Un manque de respect et de contrôle des procédures

Une autre importante étude d’évaluation[4. « Euthanasia Policy and Practice in Belgium : Critical Observations and Suggestions for Improvement », revue Issues in Law and Medicine (volume 24, number 3, 2009, p. 187-218)] a été menée en 2009 par le professeur Raphaël Cohen-Almagor, de l’Université de Hull (Royaume-Uni). Cette étude met en lumière plusieurs difficultés sérieuses. A titre d’exemple, concernant la nécessité légale de l’avis d’un second praticien, des cas sont signalés où le médecin consulté rend son avis par téléphone et n’examine pas la personne malade. Ces médecins feraient naturellement appel à des confrères, souvent les mêmes, connus pour leur ouverture à la pratique de l’euthanasie.

 

E) Une « fuite en avant », avec l’élargissement de la loi à de nouvelles catégories de personnes

Plusieurs  propositions de loi sont en cours d’examen. En octobre 2010, une proposition de loi sur l’accès à l’euthanasie des mineurs a été déposée devant la Chambre des représentants , pour aligner la législation belge sur celle des Pays Bas qui autorise déjà l’euthanasie pour les enfants âgés de 12 à 17 ans.

Une autre proposition de loi a été déposée le même mois pour autoriser l’euthanasie de personnes considérées comme “démentes” ou plongées dans un état d’inconscience.  Début mai 2012, des textes similaires ont été déposés au Sénat, à l’occasion du 10ème anniversaire de la loi de légalisation. Une des propositions de loi vise également à réduire l’objection de conscience des médecins. A partir de février 2013, des dizaines de spécialistes seront auditionnés, avant de soumettre ces textes au vote des parlementaires.

Les cas particuliers se multiplient. En janvier 2013, la presse se faisait l’écho d’euthanasies récentes  de personnes qui se semblaient pas à priori rentrer dans les conditions d’application de la loi : deux frères jumeaux, âgés de 45 ans et sourds de naissance, ont été euthanasiés en invoquant des souffrances psychiques liées à la perspective de devenir progressivement aveugles ; une femme   de 44 ans, souffrant d’anorexie, a été euthanasiée en raison de sa souffrance psychiatrique ; dans les prisons, cinq demandes d’euthanasie sont à l’étude, après qu’un détenu ait été euthanasié en 2012 à sa demande.

Le don d’organes est officiellement autorisé en Belgique à l’occasion d’une euthanasie. Des pressions semblent s’exercer de la part des organismes de transplantation, car il n’y a pas assez de donneurs au regard des demandes. 9 patients ont déjà accepté cette procédure depuis 2005.

Janvier 2011, mis à jour en février 2013

euthanasie en belgique dérives croissantes

En savoir plus sur la fin de vie à l’étranger.

L’amour en question – Entretien avec Tugdual DERVILLE

Selon un sondage réalisé du 12 au 14 février 2013,  seulement 39 % des Français soutiendraient la loi Taubira. Tugdual Derville, délégué général d’Alliance VITA, explique pourquoi mariage et adoption sont intimement liés, et combien la reconnaissance de l’amour homosexuel est une question complexe qui mérite mieux que des slogans.

 

Pourquoi le sondage Ifop révé­lé par Alliance VITA en contredit-il tant d’autres ?

Les sondages habituels posent séparément les questions du mariage et de l’adoption, alors que le mariage est indissociable dans notre pays de la capacité d’adopter des enfants. Nous constatons sur le terrain que le slogan « mariage pour tous » trompe encore les personnes qui n’ont pas conscience que le projet de loi inclut l’adoption plénière… Nous avons voulu en avoir le cœur net. Le résultat est édifiant.

Quelle synthèse en faire ?

Seulement 39 % des Français soutiennent la loi Taubira. Et parmi les sympathisants de gauche, une forte minorité y reste hostile. Cela tranche avec la quasi-unanimité des votes socialistes dictés par la consigne du parti. On peut dire qu’une baudruche se dégonfle.

C’est trop tard !

Pas du tout ! Le jour du vote à l’Assemblée, j’ai entendu les promoteurs du projet se désoler de la durée des discussions : le temps joue en leur défaveur. Notre mobilisation a mis l’enfant au cœur du débat, puis la filiation, puis la procréation artificielle. Le voile se lève. Il faut persévérer, sans craindre la répétition… Selon Napoléon, c’est la meilleure figure rhétorique !

Vous avez posé la question du PACS « amélioré », est-ce la position d’Alliance VITA ?

Certainement pas. Nos services d’écoute comme les récentes enquêtes de l’OCDE montrent que tous les succédanés de mariage fragilisent le lien parents-enfants, avec surtout un risque d’effacement des pères. Ce sont des contrats précaires. Leur rupture laisse sur le carreau les plus fragiles, en premier lieu les femmes. La cohésion sociale a besoin que la stabilité familiale soit encouragée.

Et l’Union civile ?

Si elle était réservée aux personnes homosexuelles, ce serait un dispositif stigmatisant. Les promoteurs du « mariage pour tous » ont raison de le récuser. Et ce type d’union serait sans doute contraire à la Constitution… Je comprends que des responsables politiques aient le souci de proposer une alternative. Pourquoi pas un contrat patrimonial « non sexuel » pouvant faciliter la vie de deux personnes ou plus vivant ensemble ? Il répondrait à un besoin de justice pour des petites communautés de vie. On peut penser à des sœurs âgées vivant ensemble, etc.

Certains perçoivent dans les « manifs pour tous » une certaine promotion de l’homosexualité…

Ce sujet est complexe et sensible. Je me sens proche des analyses et recherches de Philippe Ariño : tout en plaidant contre l’homophobie — c’est-à-dire toute stigmatisation ou discrimination — il dénonce le poncif qui voudrait que l’amour entre deux hommes ou deux femmes doive-t-être comparé à l’amour conjugal. Derrière certains slogans virulents des pro-mariage homosexuel, s’exprime le besoin de reconnaissance inhérent à toute personne. Ce besoin mériterait une analyse en profondeur qu’escamote le discours sur « l’égalité des droits ». Je pense comme Philippe Ariño que nous ne devons pas faire l’économie de creuser la question de l’amour…

Le sujet de l’« amour vrai » n’est-il pas tabou ?

Ce serait dommage. La chape de plomb qui pèse sur ce thème est révélatrice. La pensée unique l’impose vis-à-vis des personnes homosexuelles. Est-ce leur rendre service ? Je me souviens d’un fascicule de prévention du SIDA destiné aux jeunes. il commençait par : « Être homosexuel, c’est bien. » Je ne crois pas qu’une évaluation morale aussi abrupte réponde au besoin d’un jeune concerné par un « désir homosexuel » (c’est l’expression qu’utilise Philippe Ariño pour rendre compte sans idéologie de ce sujet qu’il connaît bien).

Ne craignez-vous pas qu’on vous accuse d’homophobie, comme lorsque vous avez exprimé que les personnes ayant un handicap mental pouvaient aussi souffrir quand elles ne peuvent pas se marier ?

Résister au lobby LGBT comporte le risque de recevoir cette tarte à la crème. Mais elle est désormais fourrée d’un pétard mouillé. J’ai certes été désolé que mes propos aient été déformés en un amalgame que je récuse… Cette affaire m’a permis de mesurer la sensibilité au regard des autres de ceux qui se sentent dévalorisés voire rejetés. Est-ce la bonne réponse que de galvauder le mariage et d’établir des filiations fictives ? Ce n’est jamais en cédant à l’escalade des plaintes victimaires qu’on satisfait ceux qui les expriment. L’émergence d’un ressentiment contre l’impossibilité de l’engendrement homosexuel le confirme. J’admire d’autant plus les personnes homosexuelles qui refusent cette logique, en manifestant à nos côtés.