Décodeur n°30: Quelle liberté de conscience pour les maires ?

L’EVENEMENT

Depuis la promulgation de la loi Taubira autorisant le mariage et l’adoption pour les couples de personnes de même sexe, le 17 mai 2013, de nombreux maires sont confrontés à un problème de conscience inédit.

En tant qu’officiers d’état civil, les maires et leurs adjoints sont tenus de procéder aux célébrations des mariages dans les mairies et de les inscrire dans les registres de l’état-civil de la commune. La « clause de conscience » leur ayant été refusée, comment peuvent-ils exprimer leur liberté de conscience, au nom de principes éthiques supérieurs à la loi ?

En tant qu’officiers d’état civil, les maires et leurs adjoints sont tenus de procéder aux célébrations des mariages dans les mairies et de les inscrire dans les registres de l’état-civil de la commune. La « clause de conscience » leur ayant été refusée, comment peuvent-ils exprimer leur liberté de conscience, au nom de principes éthiques supérieurs à la loi ?

LE CHIFFRE

14 900 maires refuseront de marier deux personnes de même sexe ; et dans 2 500 communes, maires et adjoints sont tous opposés à la loi. Ces estimations ont été diffusées en avril 2013 par le Collectif des maires pour l’enfance, qui a fédéré à ce jour 20 128 maires et adjoints ayant signé l’Appel des maires pour l’enfance.

Ces maires, revendiquant leur droit imprescriptible à suivre leur conscience plutôt qu’une loi considérée comme injuste, resteront sans doute pour la plupart dans la discrétion. Mais certains pourraient être publiquement « mis en demeure » par des militants homosexuels d’appliquer la loi, avec des menaces de sanctions.

 

LE RESUME DES ENJEUX

1) Les positions en présence

a) L’Association des maires de France (AMF), au cours de son audition à l’Assemblée nationale le 15 novembre 2012, a exprimé plusieurs demandes pour tenir compte des « cas de conscience » des maires opposés à la loi, en particulier :

  • Elargir le choix des communes où un couple peut se marier, en ajoutant les communes où résident les parents des époux (ce qui rajoute 4 lieux possibles) ;
  • Elargir les cas de délégation à ses adjoints, si le maire invoque un « empêchement moral » (forme atténuée d’une clause de conscience).

b) Le Président François Hollande, au cours d’un discours devant l’AMF le 20 novembre 2012, a d’abord donné le sentiment d’accepter ces demandes comme légitimes, « dans un souci d’apaisement ». Il a notamment déclaré : « Des possibilités de délégation existent, elles peuvent être élargies, et il y a toujours la liberté de conscience. La loi s’applique pour tous, dans le respect néanmoins de la liberté de conscience ».
Le lobby LGBT se scandalisa de ces déclarations dès le lendemain, en annonçant « suspendre toutes ses relations avec le gouvernement », et exigeant d’être reçu rapidement à l’Elysée pour « obtenir des explications sur ce qui est au mieux une maladresse, au pire une trahison ». Quelques heures plus tard, deux représentants de l’Inter-LGBT étaient reçus par le chef de l’Etat, et annonçaient à la sortie de l’entretien qu’aucune liberté de conscience ne serait reconnue dans la loi future.
c) Le Gouvernement s’est très fermement opposé à toute forme d’objection de conscience et a refusé les divers amendements déposés, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Les possibles sanctions administratives ou pénales ont été souvent rappelées dans les débats (voir ci-dessous).

2) Deux dispositions nouvelles de la loi Taubira
Le Parlement a introduit deux modifications ayant un impact potentiel sur la liberté des maires de célébrer ou non des mariages homosexuels :

  • De façon positive, par un amendement voté à l’unanimité des députés, il a élargi les lieux possibles de célébration : tout mariage pourra avoir lieu non seulement dans la commune de résidence d’un des époux, comme actuellement, mais aussi dans celle des parents de l’un d’entre eux (article 74 du code civil).
  •  De façon négative, comme pour souligner l’absence de marge de manœuvre des maires et de leurs adjoints, il a tenu à rappeler que les officiers de l’état civil « exercent leurs fonctions sous le contrôle du procureur de la République » (article 34-1 du code civil).

3) Les sanctions possibles contre un maire qui refuse de marier un couple homosexuel
a) Les sanctions administratives

  • Le Préfet, au titre de ses pouvoirs généraux comme représentant de l’Etat, peut constater la carence du maire ou de ses adjoints et se substituer à eux, directement ou indirectement (article L.2122-34 du code des collectivités territoriales).
  • Le Gouvernement, constatant le manquement à ses obligations, peut suspendre un maire par arrêté ministériel pour une durée maximale d’un mois (sanction appliquée au maire de Bègles en 2004, pour le mariage illégal d’un couple homosexuel). Il peut aussi prendre une sanction plus sévère, même si peu probable : la révocation par décret motivé pris en Conseil des ministres, avec inéligibilité pendant un an (article 2122-16 du code des collectivités territoriales).
  • Le Tribunal administratif peut également prononcer la démission d’office d’un conseiller municipal qui refuse, sans excuse valable, « de remplir une des fonctions qui lui sont dévolues par les lois », ce qui le rend inéligible pendant un an (article 2121-5 du code des collectivités territoriales).

b) Les sanctions pénales

  • Au titre du refus de marier, les sanctions peuvent être très lourdes : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende » (article 432-1 du code pénal). A titre de peine complémentaire, le juge peut prononcer l’interdiction des droits civiques, civils et de famille pour 5 ans au plus, ce qui entraine notamment l’inéligibilité (article 432-17 du code pénal).
  •  La discrimination en raison de l’orientation ou de l’identité sexuelle, commise par tout citoyen de base, est sanctionnée de trois ans de prison et 45 000 Euros d’amende. Mais dans le cas du maire, officier d’état civil, les sanctions sont encore plus lourdes : « La discrimination définie aux articles 225-1 et 225-1-1, commise (…) par une personne dépositaire de l’autorité publique (…), est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, lorsqu’elle consiste à refuser le bénéfice d’un droit accordé par la loi ou à entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque » (article 432-7 du code pénal).

4) Les marges de manœuvre des maires
Au cours des débats parlementaires et dans les médias, plusieurs attitudes ont été évoquées pour permettre aux maires d’exercer leur liberté de conscience. Celles-ci peuvent être classées selon la gradualité dans une opposition de plus en plus ferme :

  • 1ère attitude : le maire a exprimé publiquement son désaccord de principe, mais accepte de célébrer le mariage parce qu’il veut respecter la loi au nom des principes républicains.
  • 2e attitude : le maire incite les personnes à aller célébrer leur mariage dans une autre commune que la sienne, puisqu’ils ont maintenant un plus grand choix.
  • 3e attitude : le maire refuse de célébrer le mariage, mais délègue un de ses adjoints qui accepte de le faire.
  • 4e attitude : le maire et tous ses adjoints refusent de faire le mariage, et une délégation est faite à un autre membre du conseil municipal qui exerce la fonction d’officier d’état civil à titre exceptionnel, pour un mariage précis.
  • 5e attitude : le maire refuse et préfère démissionner plutôt que de se faire imposer un acte que sa conscience récuse. Cette position peut aller jusqu’à la démission de l’ensemble du conseil municipal, provoquant de nouvelles élections.
  • 6e attitude : le maire exerce une forme d’objection de conscience en refusant d’organiser la célébration du mariage, puis il attend la réaction des pouvoirs publics. En cas de mesures administratives ou de poursuites judiciaires (cf plus haut), il invoque sa liberté de conscience et entre dans un bras de fer éthique et éventuellement médiatique avec les pouvoirs publics.

5) Les initiatives récentes pour soutenir la liberté de conscience des maires
Depuis le début des débats en 2012, et plus encore ces dernières semaines, différentes initiatives ont été prises pour défendre la liberté de conscience :

  • Le Collectif des maires pour l’enfance, créé en 2005, rassemble des milliers de maires et d’adjoints qui ont exprimé leur opposition de principe à la loi Taubira, et qui réclament le respect de leur liberté de conscience (voir § sur le chiffre).
  • Maires pour le Droit Familial, site internet créé en mai 2013, propose aux maires la signature d’une charte qui exige notamment la reconnaissance du droit à l’objection de conscience.
  •  Le site Objection ! , créé également après le vote de la loi, veut défendre la liberté de conscience en France, en proposant des informations et diverses actions de soutien aux maires, mais aussi aux professions médicales, aux enseignants, etc.

 

 NOTRE COUP DE COEUR

Trois citations d’auteurs célèbres, parmi beaucoup d’autres évoquées sur Twitter ces dernières semaines :
« Ne fais jamais rien contre ta conscience, même si l’Etat te le demande », Einstein.
« Chacun est moralement tenu de désobéir aux lois injustes », Martin Luther King.
« La désobéissance civile est le droit imprescriptible de tout citoyen ; il ne saurait y renoncer sans cesser d’être un homme », Gandhi.

NOTRE COUP DE GUEULE

«Un agent public peut s’opposer à un ordre illégal, mais il ne peut pas invoquer une clause de conscience parce que, en qualité d’agent public, il doit se conformer à des principes constitutionnels, dont le premier est la neutralité du service public », Madame Taubira, débats à l’Assemblée nationale, 2 février 2013.
Pour le Gouvernement, le maire qui agit en tant qu’officier d’état civil n’a aucune marge d’appréciation vis-à-vis de la loi. Mais la liberté de conscience se situe au-dessus des lois : elle n’a pas besoin d’être officiellement reconnue pour être mise en œuvre, elle existe « en soi » et peut toujours trouver un moyen approprié pour contester une loi injuste !

POUR ALLER PLUS LOIN :

« Les clauses de conscience reconnues en droit français »

Genre à l'école : Peillon recule

Le mardi 4 juin 2013,  le ministre de l’Education nationale, Vincent Peillon, a obtenu que le pro­jet de loi “pour la refondation de l’école” n’introduise pas une sensibilisation à la théorie du genre à l’école primaire. Selon l’article voté mardi soir en deuxième lec­ture par l’Assemblée natio­nale, l‘école sensibilisera les élèves à “l’égalité entre les femmes et les hommes”. Comme les sénateurs, les députés ont renoncé à faire référence à “l’égalité de genre”.

Il s’agit de la confirmation d’un recul symbolique, lié au mouvement social qui s’est levé contre la loi Taubira. Ce recul est d’ailleurs intervenu au lendemain d’un rassemblement contre ce texte organisé au pied du ministère de la famille par la Manif pour tous, en présence de l’un de ses porte-parole, Tugdual Derville, Délégué général d’Alliance VITA.

Le 24 mai 2013, pendant les débats au Sénat, le ministre de l’Education nationale avait déjà obtenu le retrait d’un amendement similaire pour “ne pas alimenter ces polémiques malsaines, qui dégradent le débat sur l’école” et éviterun débat idéologique malsain qui déchaînera de mauvaises passions.” L’amendement initial, celui qui a déclenché la polémique, avait été déposé par la députée Julie Sommaruga (PS) dont le texte était ainsi rédigé : “Elle [la formation] assure les conditions d’une éducation à l’égalité de genre.” Mme Sommaruga avait expliqué le 28 février 2013 vouloir “substituer à des catégories comme le sexe ou les différences sexuelles, qui renvoient à la biologie, le concept de genre qui lui, au contraire, montre que les différences entre les hommes et les femmes ne sont pas fondées sur la nature, mais sont historiquement construites et socialement reproduites.” 

La reculade gouvernementale peut être analysée comme une première prise en compte par le pouvoir en place du mouvement protestataire contre la loi Taubira. Saluant une victoire d’étape, VITA reste cependant en posture de vigilance absolue contre toute présence d’une idéologie qui prétend enseigner aux écoliers l’indifférenciation sexuelle.

Les crèches à l’heure du gender

Les crèches à l’heure du gender

Une crèche de Toulouse vient d’annoncer aux parents sa décision de retirer tous les jouets à connotation sexiste, pour ne conserver que des jeux à base de formes géométriques. Pauvres filles qui ne pourront pas jouer aux petites voitures avec leurs copains ! Pauvres garçons privés du plaisir de jouer au papa et à la maman autour d’une poupée avec leurs copines ! Tous punis !

Cette mesure s’inscrit dans la ligne d’un vaste plan gouvernemental qui vise à lutter contre l’homophobie et les discriminations liées à l’identité de genre, par la déconstruction des stéréotypes sexistes de notre société. En d’autres mots, un vaste programme d’imprégnation des mentalités par la théorie du gender, depuis les écoles maternelles jusqu’à la production télévisuelle.

Le paradoxe de cette démarche est de prétendre lutter contre des violences issues d’un refus de la différence, en cherchant à normaliser le rejet de la différence naturelle entre hommes et femmes. Car telle est bien l’inspiration fondamentale du gender : refuser le déterminisme de la nature, pour promouvoir une identité sexuelle réinventée et librement déterminée. Cette idéologie est née dans les années 50 du croisement entre un féminisme radical qui revendiquait l’égalité totale entre hommes et femmes, et une lecture marxiste des rapports entre hommes et femmes dans la société : la complémentarité des sexes est alors perçue comme source perpétuelle de conflits et d’asservissement, et doit donc être abolie pour fonder les rapports sociaux sur des genres parfaitement égaux et indépendants de la réalité biologique.

Mais en imposant ce dogme, dont toute remise en cause est immédiatement taxée d’homophobie, on enferme les personnes dans le non-dit et le déni. La personne homosexuelle est condamnée à assumer son choix sans questionner un éventuel mal-être, et il devient interdit d’évoquer qu’une autre voie est possible pour vivre sa sexualité. Le plan gouvernemental pointe déjà du doigt les organismes qui offrent une réflexion approfondie sur la réalité d’une homosexualité, en les taxant de dérive sectaire. Alors que le secret du bonheur est depuis toujours « connais-toi toi-même », l’injonction contemporaine est d’oublier ce que l’on est, pour une recherche perpétuellement insatisfaite de ce que l’on voudrait être.

Or, l’insatisfaction permanente est certainement le fondement de notre société de consommation, mais certainement pas d’une société heureuse.

Manif pour tous : "Aucun parti politique n'est capable de rassembler de telles foules" – Tugdual Derville

EXTRAITS de l’interview de Tugdual Derville sur France Info le 27 mai à 19h15 (par Olivier de Lagarde)
“(…) Cette manifestation est la dernière d’un cycle ; il y aura d’autres manifestations dans les années à venir pour défendre l’enfant, pour protéger la famille. (…)
Ce fut une fête des mères extraordinaire ! La manifestation est historique par sa taille. Pourquoi tant de personnes pour une loi promulguée, démocratiquement votée mais qui, à nos yeux, blesse en profondeur la démocratie parce qu’elle ne respecte pas l’enfant qui est le plus fragile. (…)  
Depuis le début, on a toujours été piétiné, étouffé, méprisé. Notre colère s’exprime dans la non-violence ; c’est la seule solution. Le gouvernement a fait une lourde faute politique en ne voulant pas nous entendre. Nous sommes entrés dans une forme de résistance intérieure. (…)
Des barrières sont tombées entre communautés, en particulier avec nos frères musulmans. Des ponts se sont créés entre associations qui ne travaillaient pas ensemble. (…)
Nous avons toujours dit que les élus étaient les bienvenus dans notre mouvement, de droite comme de gauche, mais nous avons voulu récuser, depuis toujours, toute récupération politique. Aucun parti politique n’est capable de rassembler de telles foules. Notre mouvement est inédit.(…)
Les dizaines de milliers de jeunes qui se sont mobilisés vont construire une nouvelle société non pas individualiste, comme l”a montré la loi Taubira, mais altruiste ; c’est l’âme de la France qui est en train de se réveiller. (…)
Nous n’avons pas été compris parce que nous ne nous battons pas pour notre intérêt, mais pour un altruisme qui doit construire une société qui respecte les plus faibles et les plus fragiles”.
 

“Aucun parti politique n’est capable de… par FranceInfo

Manif pour tous du 26 mai : le bilan

EXTRAIT de l’interview de Tugdual Derville sur KTO le 26 mai à 18h
Philippine de Saint-Pierre : “Qu’est-ce que vous avez dans le coeur ce soir à 18h après cette grande mobilisation d’aujourd’hui ?”
J’ai une grande fierté de voir que cette fête des mères a été honorée, alors que Mme Taubira nous disait que l’accouchement ne fait pas la mère (…) Ca n’est pas courant de faire une manifestation quand une loi a déjà été promulguée.  Je suis plein d’espérance : l’âme de la France s’est réveillée. Des dizaines de milliers de jeunes se sont engagés, ce qui est très prometteur pour les années à venir. La révolution de l’amour est en marche.”
(Tugdual Derville à la min 18:20)