La saisine du CCNE est à situer dans le cadre des consultations demandées par François Hollande, en vue de mettre en œuvre sa Proposition n°21 formulée dans son projet présidentiel en avril 2012 : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».
40 membres composent le CCNE, qui a vocation à représenter les différents courants de pensée et les experts concernés par la bioéthique. Dans la réalité, les pouvoirs publics ont la haute main sur les nominations :
- Le président du CCNE et cinq personnalités appartenant aux principales familles philosophiques et spirituelles sont désignés par le Président de la République.
- Dix-neuf personnalités qualifiées, choisies en raison de leur compétence et de leur intérêt pour les problèmes d’éthique, sont désignées essentiellement par les ministres du Gouvernement.
- Quinze personnalités appartenant au secteur de la recherche sont choisies par les organismes médicaux ou scientifiques relevant presque tous du secteur public.
LE RESUME DE L’AVIS n° 121 du CCNE
Le CCNE a mené une réflexion approfondie sur les trois questions posées, en les situant dans un cadre plus vaste d’analyses et de propositions pour améliorer les conditions de la fin de vie en France. Il considère qu’il faut poursuivre ce travail par « un véritable débat public national sur la fin de vie et la mort volontaire », en organisant des états généraux tels que prévus par la loi bioéthique du 7 juillet 2011.
1) Le suicide assisté
a) La législation actuelle
La personne qui tente de se suicider, par un acte personnel volontaire, n’est plus pénalisée en France depuis deux siècles. Mais la « provocation au suicide » est réprimée par trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende (article 223-13 du Code pénal). La « non-assistance à personne en danger » est punie encore plus sévèrement : cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (article 223-6 du Code pénal).
D’une façon générale, la société tout entière est mobilisée contre le suicide et consacre d’importants moyens financiers et humains pour :
- prévenir le suicide des personnes considérées comme fragiles (parmi les catégories-cibles : personnes dépressives, jeunes, homosexuelles, détenues, âgées) ;
- réagir immédiatement à tout acte suicidaire (pompiers, police, hôpitaux…) ;
- accompagner les personnes qui ont fait une tentative de suicide pour leur « redonner goût à la vie » (services médicaux et sociaux, services d’écoute, psychologues, famille, etc.).
La prévention du suicide doit devenir une Grande Cause Nationale, selon le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), dans un important avis rendu en février 2013.
b) Le rapport Sicard
Dans ses conclusions remises le 18 décembre 2012, la mission dirigée par le Professeur Didier Sicard ne recommande pas d’introduire le suicide assisté en France : « Pour la commission, l’assistance au suicide ne peut en aucun cas être une solution proposée comme une alternative à l’absence constatée de soins palliatifs ou d’un réel accompagnement ».
Mais pour tenir compte de certaines demandes très rares, le rapport a donné des orientations au Gouvernement, si celui-ci prenait la responsabilité de légiférer sur ce sujet.
c) L’avis du CCNE
Face à la volonté de mourir exprimée par un malade en fin de vie ou une personne gravement handicapée, on distingue habituellement deux cas de figure :
- le suicide assisté, qui consiste à donner les moyens à une personne de se suicider elle-même, comme par exemple en Suisse ou en Oregon (Etats Unis) ;
- l’euthanasie, où l’acte de tuer est accompli par un tiers, souvent membre du corps médical. Seuls les trois pays du Benelux ont légalisé cette pratique : Pays-Bas, Belgique, Luxembourg.
Le CCNE opère des distinctions encore plus subtiles, notamment entre « suicide assisté » et « assistance au suicide ». Mais quelle que soit la forme ou la méthode utilisée, la majorité des membres du CCNE considère qu’il ne faut légaliser aucune de ces pratiques.
Après une longue réflexion et une analyse des dérives à l’étranger, le CCNE considère que l’interdit de tuer doit rester un principe fondateur dans notre société, pour garantir la solidité de la confiance entre soignants et soignés.
La distinction entre « laisser mourir » et « faire mourir », même si elle devient floue dans certaines circonstances, reste essentielle pour le discernement des médecins confrontés à des fins de vie difficiles.
2) La sédation
a) La législation actuelle
La sédation est un acte médical qui consiste à endormir un patient pour supprimer sa souffrance physique ou psychique. Dans son principe, la sédation est réversible, temporaire ou continue, mais on ne meurt pas d’une sédation en tant que telle. Une définition précise a été donnée par la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP), reprise officiellement par la Haute Autorité de Santé (HAS).
b) Sédation terminale et sédation en phase terminale
– Sédation terminale : l’expression sous-entend aujourd’hui une volonté non seulement d’endormir, mais aussi d’accélérer la survenue de la mort dans un délai rapide.
- Le rapport Sicard suggère la « décision d’un geste létal » (c’est à dire qui provoque la mort) ou un « geste accompli par un médecin, accélérant la survenue de la mort ».
- L’Ordre national des médecins, par une initiative inattendue, a pris position le 8 février 2013 en faveur d’« une sédation adaptée, profonde et terminale ». Dans ce projet, « le médecin peut (…) se récuser en excipant la clause de conscience » (pourquoi une clause de conscience, si ce n’est parce qu’il y a volonté de mettre fin à la vie ?) ; par ailleurs, « l’interdit fondamental de donner délibérément la mort à autrui (…) ne saurait être transgressé par un médecin agissant seul » (donc à l’inverse, on pourrait donner la mort sur la base d’une décision collégiale ?).
- Fait assez exceptionnel, l’Académie de médecine a réagi le 28 février au texte de ses confrères : « dès lors que l’on parle de sédation terminale, le but n’est plus de soulager et d’accompagner le patient, mais de lui donner la mort ».
– Sédation en phase terminale : l’expression concerne la sédation dans les derniers jours ou les dernières semaines de la vie, sans volonté de provoquer la mort, même si les produits utilisés peuvent avoir comme conséquence indirecte un décès plus rapide (mais dans un délai impossible à mesurer précisément).
c) L’avis du CCNE
En phase terminale d’une maladie grave et incurable, « le CCNE estime qu’un patient doit pouvoir, s’il le demande, obtenir une sédation continue jusqu’à son décès. Il s’agirait d’un droit nouveau qui viendrait s’ajouter au droit de refuser tout traitement. »
En dehors des situations de fin de vie (patient gravement handicapé par exemple), la médecine devrait accompagner la personne qui « demande d’arrêter tout traitement susceptible de contribuer au maintien des fonctions vitales », avec une sédation appropriée.
En distinguant ces deux cas de figure, mais en concluant apparemment au même « droit à la sédation », l’ambiguïté demeure forte sur la question de l’alimentation et de l’hydratation : si on les considère comme un traitement que le patient a le droit d’interrompre, la sédation profonde (que le CCNE légitime) devient en réalité un acte à visée euthanasique.
3) Les directives anticipées
a) La législation actuelle
Toute personne a la possibilité de rédiger des consignes, appelées « directives anticipées », pour exprimer ses souhaits relatifs à sa fin de vie (article L1111-11 du Code de la santé): par exemple, ne pas subir d’acharnement thérapeutique, ne pas être réanimée dans telle circonstance, mourir chez soi, etc. Ces directives doivent dater de moins de trois ans. Le médecin est tenu d’en prendre connaissance et de les suivre dans toute la mesure du possible, sans y être formellement obligé.
b) Le rapport Sicard
Il propose de mieux distinguer deux sortes de directives anticipées :
- Un premier document de portée générale, que tout adulte pourrait écrire quel que soit son état de santé, à réactualiser régulièrement.
- Un second document, concernant spécifiquement les traitements en fin de vie, serait à rédiger en cas de maladie grave diagnostiquée, ou avant une opération chirurgicale pouvant comporter un risque majeur. Cosigné par le malade et son médecin traitant, il serait plus engageant pour l’équipe médicale.
c) L’avis du CCNE
Dans la même perspective, le CCNE distingue des « déclarations anticipées de volonté » (comparables aux consignes actuelles) et les véritables « directives anticipées » : ces dernières seraient mieux préparées avec le corps médical et auraient valeur obligatoire, sauf cas exceptionnels qui donneraient lieu à une décision motivée versée au dossier médical du malade.
***
Dans ce débat complexe et évolutif, il faut noter que Jean Leonetti a voulu apporter sa contribution. Le député des Alpes-Maritimes est à l’origine de la grande loi du 22 avril 2005 sur la fin de vie votée à l’unanimité du Parlement, et l’auteur de plusieurs rapports qui ont déjà abouti à des aménagements progressifs de cette législation. Il a déposé une proposition de loi le 27 février 2013 qui a été débattue à l’Assemblée nationale le 25 avril dernier : le texte a été renvoyé en commission dans l’attente des conclusions du CCNE.
Jean Leonetti propose de créer un droit à un « traitement à visée sédative » et d’aller plus loin dans le caractère contraignant des directives (voir notre note analysant de façon approfondie ces propositions, en annexe). L’avis du CCNE va dans le même sens.
NOTRE COUP DE CŒUR
Le bilan des expériences étrangères, qui fait l’objet d’une longue annexe à la fin du rapport du CCNE, recense les principales dérives qu’il est essentiel de connaître quand on débat de l’euthanasie ou du suicide assisté.
Ces analyses rejoignent en tout point celles réalisées depuis plusieurs années par Alliance VITA dans ses notes et dossiers sur les Pays-Bas, la Belgique et la Suisse.
NOTRE COUP DE GUEULE
François Hollande ne sort toujours pas de l’ambiguïté : malgré deux rapports très clairs (celui du Professeur Sicard et celui du CCNE) contre la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté en France, le Président ne veut pas en prendre acte officiellement.
Alors qu’il avait annoncé qu’un projet de loi serait présenté au Parlement en juin 2013, le chef de l’Etat vient de le repousser à fin 2013 au plus tôt : au terme des états généraux proposés par le CCNE, il y aurait « un projet de loi qui complètera, améliorera la loi Leonetti », ce qui laisse encore la porte ouverte à toutes les hypothèses.
Une grande vigilance s’impose dans les mois à venir, y compris dans le suivi des propositions de loi (deux ont été déposées en juin 2013, une au Sénat, une à l’Assemblée nationale) qui visent à introduire l’euthanasie ou le suicide assisté en catimini, dans le cadre d’une « niche parlementaire ».
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