Mission Claeys-Leonetti sur la fin de vie : propositions d’Alliance VITA
La présente note constitue la synthèse des positions d’Alliance VITA concernant l’accompagnement des personnes en fin de vie, suite à son audition le 24 septembre 2014 par la mission de MM. Claeys et Leonetti.
Les analyses et propositions qui suivent sont le fruit de notre expertise acquise notamment grâce à notre service d’écoute consacré à l’accompagnement des personnes en fin de vie depuis plus de dix ans[1. Site internet créé en 2004 : www.sosfindevie.fr].
I – Nos recommandations sur l’accompagnement des personnes en fin de vie
Notre conviction est qu’il ne faut pas changer le contenu de la loi du 22 avril 2005. Elle reste une loi d’équilibre, votée à la quasi-unanimité, et elle a permis d’indéniables progrès dans la prise en charge des patients et dans la pratique médicale. Des situations ou des pratiques peuvent cependant être améliorées : ces évolutions ne nécessitent pas de modifier la loi, mais seulement d’affecter des budgets, d’écrire des recommandations de bonnes pratiques professionnelles, éventuellement de publier un texte réglementaire.
Un premier point d’inquiétude majeure concerne le statut de l’alimentation pour les personnes qui ne peuvent se nourrir elles-mêmes à cause d’un grave handicap mais qui ne sont pas en fin de vie : en interdisant toute forme d’euthanasie, le législateur de 2005 n’avait certainement pas l’intention que l’on puisse arrêter d’alimenter ces personnes dans le seul but de mettre fin à leur vie.
Les notions de “traitement” (que le patient a le droit d’interrompre) et de “maintien artificiel de la vie” (qui révèlerait une obstination déraisonnable) doivent donc être clarifiées avec les professionnels compétents, pour éviter toute interprétation euthanasique.
Sur le développement des soins palliatifs, nous soutenons le consensus clairement exprimé en France pour déployer un nouveau plan national (promis par François Hollande le 17 juillet 2012, lors de sa visite à Notre-Dame du Lac, mais qui ne s’est pas concrétisé jusqu’à présent). Ce plan ambitieux doit répondre à plusieurs objectifs : mieux couvrir tout le territoire national et ne pas détourner l’argent affecté à ces soins vers d’autres dépenses ; développer la formation des étudiants en médecine et des professionnels de la santé ; travailler davantage en amont avec une meilleure concertation des acteurs concernés, etc. Alliance VITA préconise depuis longtemps un plan d’action de 500 millions d’euros[2.
Ce budget estimé correspond au doublement en 5 ans des capacités d’accueil des différents dispositifs de soins palliatifs, complété par les « 10 propositions concrètes » qui concluent le rapport 2013 de l’Observatoire National de la Fin de Vie.] sur cinq ans pour atteindre ces objectifs réalistes (contre 230 millions affectés au budget de la période 2008-2012).
Concernant les directives anticipées, elles peuvent devenir d’autant plus contraignantes qu’elles ont été élaborées avec son médecin traitant et qu’elles s’appliquent à des situations concrètes liées à l’évolution d’une maladie précise ou d’une fin de vie proche. Elles doivent être combinées avec le choix d’une personne de confiance, qui saura exprimer en temps voulu les orientations les plus conformes aux souhaits du patient devenu incapable de s’exprimer.
Mais ce dispositif ne peut aboutir à obliger un médecin à accomplir des actes contraires à sa déontologie professionnelle et à son éthique personnelle[3. Le rapport Sicard remis le 18 décembre 2012 décrit avec pertinence la complexité de ces directives anticipées].
La pratique de la sédation est encadrée depuis longtemps et répond à des situations précises. Elle doit rester conforme aux recommandations actuelles des professionnels, telles qu’énoncées par la SFAP[4. Voir les Recommandations de la Haute Autorité de Santé 2009, qui s’appuient sur les Recommandations de bonne pratique établies par la SFAP (Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs)]. Dans son principe, elle est réalisée de façon temporaire et réversible, même dans le cadre d’une « sédation en phase terminale » pour une personne en fin de vie : le but reste de soulager une souffrance, pas d’administrer la mort.
Le procès du Dr Bonnemaison a mis en lumière un usage abusif de ce procédé, avec des protocoles de « sédation terminale » mis en œuvre sans concertation et suivis de décès rapides. Quand elle est pratiquée en phase terminale, que ce soit à la demande du patient ou à l’appréciation collégiale de l’équipe médicale, le critère essentiel demeure donc celui de l’intention : ne pas “faire mourir” le patient par ce moyen, tout en assumant que cet acte peut avoir un “double effet” en accélérant la survenue du décès.
II – Nos propositions complémentaires
Plus globalement, des initiatives ambitieuses seraient nécessaires dans plusieurs domaines concernant la santé des personnes très âgées et la solidarité nationale à leur égard.
La prise en charge médicale doit être améliorée dans les maisons de retraite, pour éviter que trop de personnes âgées et malades finissent leur vie dans des services d’urgence des hôpitaux. Le procès du Dr Bonnemaison à Pau, en juin dernier, a bien montré les risques de dysfonctionnements quand survient une brusque aggravation de l’état d’un pensionnaire en maison de retraite.
Pourtant des solutions alternatives ont été identifiées et font largement consensus, comme la présence d’une infirmière de nuit dans les EHPAD (qui éviterait 18 000 hospitalisations par an), ou la formation aux soins palliatifs de base pour les multiples acteurs de santé concernés.
Le soulagement des douleurs n’est pas encore suffisamment une priorité nationale. Nous entendons encore beaucoup trop de témoignages, dans les médias ou dans notre service d’écoute SOS Fin de vie, de personnes victimes d’une mauvaise prise en charge de leurs souffrances. Pourtant des progrès considérables ont été réalisés pour soulager les douleurs physiques. Pour que ces techniques médicales soient vraiment diffusées et utilisées partout, il faut une meilleure formation du personnel médical et le déploiement plus précoce des soins palliatifs, sans attendre la fin de vie. Il s’agit d’un enjeu crucial, car la peur de souffrir est au cœur des tentations euthanasiques exprimées par l’opinion publique.
Mieux lutter contre l’isolement et le suicide des personnes âgées est également indispensable. 1,2 million de personnes âgées de plus de 75 ans sont en situation d’isolement relationnel, et ce phénomène ne fait que s’aggraver ces dernières années, d’après l’Observatoire national de la fin de vie. C’est une forme d’ « euthanasie sociale ». La dépression concerne 40% des personnes âgées en institution, elle constitue le principal facteur de risque de suicide. Environ 3 000 personnes âgées se suicident chaque année, soit près d’un tiers des suicides en France. Le taux de suicide le plus élevé se constate chez les plus de 85 ans.
De nombreuses mesures ont été mises en œuvre dans le cadre du Programme national d’actions contre le suicide[5. Programme disponible sur le site du ministère de la santé : La politique publique de prévention du suicide] pour la période 2011-2014, et également grâce au plan de mobilisation nationale contre l’isolement des âgés[6. Voir le site dédié de l’association Monalisa] (Monalisa). Mais il reste beaucoup à faire, et la prévention du suicide des personnes âgées devrait être renforcée dans le cadre d’un futur plan national à élaborer pour la période 2015-2020.
***
En conclusion, nous refusons de manière très ferme toute évolution de la réglementation vers une forme plus ou moins déguisée de suicide assisté ou d’euthanasie. La définition de l’euthanasie doit être clarifiée, dans une approche à la fois médicale et juridique, sans la limiter par exemple à la condition qu’elle soit demandée par la personne en cause : constitue une euthanasie « toute action ou omission ayant pour intention et comme résultat de provoquer la mort en vue d’éliminer toute souffrance ».
Il nous paraît essentiel de rappeler qu’il n’est pas opportun de modifier la législation issue de la loi du 22 avril 2005. Dans le climat actuel très tendu, d’un point de vue politique et social, toute initiative législative se traduira inévitablement par des surenchères militantes et des clivages partisans, rendant impossible tout consensus parlementaire[7. Le premier ministre Manuel Valls a garanti, dans une déclaration à Rome le 27 avril 2014, que la question de la fin de vie ne sera traitée qu’en cas de « consensus entre tous les parlementaires »].
En rompant l’équilibre bien résumé par l’expression « ni acharnement thérapeutique, ni euthanasie », le législateur prendrait le risque d’aboutir à des dérives impossible à maîtriser, comme on le constate dans certains pays voisins. Améliorer l’accompagnement des personnes en fin de vie est nécessaire, mais sans ouvrir la boîte de Pandore pour de rares cas individuels.