Mardi 10 et mercredi 11 mars 2015, l’Assemblée nationale a examiné et voté les 11 articles de la proposition de loi « créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ». Le vote solennel sur l’ensemble du texte aura lieu mardi 17 mars.
Rappel : les deux députés rapporteurs, Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (UMP), avaient élaboré ce texte à la demande du président de la République. Après près de deux années de consultations diverses, l’objectif était de donner un contenu concret à l’engagement n°21 de sa campagne présidentielle, exprimé en janvier 2012 : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».
LE CHIFFRE
1068 amendements ont été déposés sur ce texte, preuve que des clivages importants se sont manifestés sur les mesures proposées. Elles ont pourtant été présentées par le gouvernement comme le fruit d’un travail exprimant un consensus national. En réalité, ce consensus n’existe pas, parce que les mesures contestées vont trop loin pour certains, pas assez loin pour d’autres.
LE RESUME DES DEBATS SUR LA PROPOSITION DE LOI FIN DE VIE
a) La discussion générale et les annonces du gouvernement
Pendant les quatre premières heures du débat parlementaire, de nombreux députés se sont succédés à la tribune pour exprimer leurs convictions sur la fin de vie. Parmi les thèmes principaux abordés, on peut citer :
- l’accompagnement des patients et le soulagement de la souffrance ;
- les critiques sur les prises en charge insuffisantes en soins palliatifs ;
- le conflit de valeurs entre ceux qui donnent priorité à l’éthique de l’autonomie (sacralisation de la liberté de choix) et ceux qui privilégient l’éthique de la vulnérabilité (priorité au respect de la dignité des plus faibles) ;
- l’ambiguïté de la proposition 21 du candidat Hollande qui est à l’origine des interprétations divergentes sur les mesures à prendre ;
- les risques réels de dérives vers des euthanasies ou des suicides assistés déguisés ;
- l’inutilité d’une nouvelle loi, tant que les soins palliatifs ne sont pas réellement mis en œuvre partout.
Dans son exposé introductif, la ministre Marisol Touraine a fait plusieurs annonces :
– Un plan triennal de développement de soins palliatifs (attendu depuis 2012) sera lancé dans les prochaines semaines. Il sera centré sur l’accès aux soins palliatifs dans les maisons de retraite pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et à domicile, sur la formation du personnel soignant à ces pratiques, et sur l’élaboration par la Haute Autorité de Santé de référentiels pour les professionnels de santé.
– Sur les directives anticipées, elle a contesté l’inscription sur la Carte Vitale et a proposé en remplacement la création d’un registre national automatisé, consultable rapidement par les médecins.
– En conclusion, tout en considérant que ce texte constitue « un point d’équilibre », la ministre a ouvert la porte à d’autres évolutions, en déclarant : « À l’évidence, le débat reste ouvert (.). Il s’agira par la suite de voir comment cette loi est appliquée et, au cas où une étape supplémentaire paraîtrait nécessaire, de réfléchir à la meilleure manière de l’engager. »
b) Les amendements visant à légaliser l’euthanasie et/ou le suicide assisté
Pour éviter que ces amendements soient votés en fin de soirée du mercredi 11 mars par une petite minorité de députés présents, le gouvernement a changé l’ordre du jour pour s’assurer d’un nombre plus important de députés en milieu d’après-midi (après les questions au gouvernement). Le risque était grand d’aboutir à une loi introduisant l’euthanasie explicite en France, par le biais d’un amendement au détour d’un article sur la sédation.
Le gouvernement a pris le risque d’ouvrir la « boîte de Pandore » euthanasique, à partir du moment où le Parlement était saisi de mesures qui, en réalité, pouvaient être prises sans recourir à une loi.
L’amendement principal, présenté par le député PS Jean-Louis Touraine et soutenu par 121 députés, visait à créer une « assistance médicalisée active à mourir » (euphémisme pour ne pas utiliser le mot euthanasie qui, comme plusieurs élus l’ont souligné, ferait peur aux Français).
Avec deux autres amendements identiques, l’un présenté par le radical Roger-Gérard Schwartzenberg et l’autre par la députée écologiste Véronique Massonneau, un vote commun par scrutin public a été demandé : sur 161 votants, 70 députés se sont prononcés Pour, dont 50 socialistes, et 89 ont voté Contre, dont 40 socialistes et 43 UMP.
Deux autres amendements légèrement différents mais poursuivant le même but, l’un de Roger-Gérard Schwartzenberg, et l’autre de Véronique Massonneau, ont ensuite été repoussés par un vote « assis-debout », c’est-à-dire sans décompte nominatif comme lors d’un scrutin public.
c) Les autres amendements significatifs
– D’une façon générale, les deux rapporteurs et la ministre ont fait en sorte que la quasi-totalité des amendements soit refusée, qu’ils viennent de droite ou de gauche. Ils ont seulement accepté quelques ajustements mineurs et donné quelques accords verbaux pour mieux formuler des expressions litigieuses lors de la navette avec le Sénat. Mais toutes les propositions de l’opposition pour clarifier les ambiguïtés ou éviter les dérives euthanasiques du texte ont été repoussées.
– L’article 1 introduit le principe de base que « toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée ». Dans ce cadre, le vote d’un amendement de François de Mazières (UMP) a permis d’affirmer le principe d’un droit à une formation aux soins palliatifs pour le personnel médical, sachant que la mise en œuvre concrète reste du ressort du gouvernement. C’était une manière symbolique, comme l’a résumé le député, de « dire oui aux soins palliatifs après avoir dit non à l’euthanasie ».
– L’article 2 concerne l’arrêt des traitements et les conditions de l’obstination déraisonnable (ou acharnement thérapeutique). Aucun amendement n’a été accepté, parmi ceux visant à mieux faire la différence entre soins et traitements, ou à définir plus clairement l’expression « maintien artificiel de la vie ». La définition qu’en a donnée Jean Leonetti – « lésions cérébrales majeures et irréversibles, entrainant une absence de conscience de soi et une absence de relation à l’autre » – méritera certainement d’être approfondie, car il s’agit d’un enjeu majeur pour les patients en fin de vie, mais aussi pour les personnes gravement handicapées (l’exemple de Vincent Lambert a été plusieurs fois cité).
De même, l’affirmation selon laquelle « la nutrition et l’hydratation artificielles constituent des traitements » continue de poser de graves problèmes, puisque les rapporteurs ont refusé toute idée d’atténuer ce principe contestable : comme toute personne peut exiger l’arrêt de ses traitements, même s’il n’est pas en fin de vie, la porte reste ouverte vers des demandes de suicide assisté, que les médecins seront tenus de mettre en œuvre.
– L’article 3 constitue le cœur de la proposition de loi, avec la création d’un droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Dans deux des trois cas où ce droit s’imposerait au médecin (voir leurs définitions dans le Décodeur n°40 du 19 décembre 2014), les risques d’euthanasies déguisées restent importants. Durant plus de deux heures, les députés de l’opposition ont tenté de faire clarifier aux rapporteurs le sens qu’ils donnaient à certaines expressions essentielles, notamment :
* sur l’expression « ne pas prolonger inutilement sa vie » (peut-on affirmer qu’une vie est inutile ?), ils ont obtenu qu’une meilleure formulation sera recherchée dans le cadre de la navette avec le Sénat.
* sur l’expression « pronostic vital engagé à court terme », Jean Leonetti a affirmé que ce terme serait plus précis pour les professionnels, et qu’il se mesurait en jours ou en semaines, alors que l’expression « en phase terminale » serait plus vague et se mesurait en semaines ou en mois. Cette affirmation méritera également d’être approfondie avec les professionnels concernés par la fin de vie.
* sur la pénalisation des soins palliatifs dans le dispositif de tarification des actes médicaux(T2A), la ministre s’est engagée à revoir les cotations de ces actes, actuellement moins bien valorisés que ceux relevant de la culture curative, comme par exemple des opérations chirurgicales ou des traitements lourds.
Par contre, tous les autres amendements pour clarifier les situations ou restreindre les risques euthanasiques des cas n°2 ou n°3 ont été repoussés, ainsi que ceux visant à introduire une clause de conscience. Il en a été de même pour des amendements inverses cherchant à réintroduire subrepticement des formes d’exceptions d’euthanasie.
– L’article 4 concerne le droit au soulagement de la souffrance. Dans la proposition de loi, l’expression « effet secondaire » a été supprimée, laissant entendre que des traitements pour soulager des douleurs réfractaires pourraient désormais avoir pour objectif premier de mettre fin à la vie. Devant la demande de députés de réintroduire cette notion, Jean Leonetti a expliqué que ces traitements (avec l’analyse sémantique de l’expression « même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie ») restent toujours encadrés par le principe dit du double effet.
– L’article 4 bis a été ajouté par la Commission des Affaires sociales le 17 février pour que des rapports régionaux annuels fassent le point du développement des soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. En complément, un amendement de Mme Le Dain (PS) a été voté, contre l’avis des rapporteurs et du gouvernement, pour que chaque cas de sédation profonde et continue soit recensé dans un registre spécial tenu par chaque établissement concerné.
– Les articles 5 à 7 ont été adoptés sans aucune modification significative.
– L’article 8 concerne les directives anticipées devenues contraignantes pour le médecin, sauf cas d’urgence vitale ou si elles « apparaissent manifestement inappropriées ». Là encore, tous les amendements pour éviter de transformer les médecins en prestataires de service n’ayant qu’à appliquer les « ordres » du patient ont été refusés. Alain Claeys a rappelé que le respect de l’autonomie de la personne était au centre du texte, et Jean Leonetti a précisé que ces directives étaient contraignantes, mais pas opposables en toutes circonstances puisqu’on pouvait s’en délier.
Par contre un point important mérite d’être rappelé. Dans le cas de directives manifestement inappropriées, il était prévu dans le texte initial que le médecin pouvait s’en délier en consultant un confrère et en motivant sa décision inscrite dans le dossier médical.
La Commission des Affaires sociales a voté un amendement de Véronique Massonneau (Verts) qui modifie la procédure : désormais le médecin devra solliciter un avis collégial, et c’est la décision collégiale qui s’imposera(sans que l’on sache d’ailleurs qui participe à la décision). Cette nouvelle formulation, passée largement inaperçue, réduit fortement le pouvoir d’appréciation du médecin.
Le gouvernement a fait voter un amendement visant à faciliter la conservation et la consultation de ces directives : l’inscription sur la Carte Vitale est supprimée, elle estremplacée par la création d’un registre national automatisé consultable par les médecins. Ce registre, mis en œuvre après avis de la CNIL, sera facultatif.
– L’article 9, qui concerne le statut de la personne de confiance, a été complété par un amendement de Véronique Massonneau (Verts) qui autorise cette personne à consulter le dossier médical du patient concerné.
– Les derniers articles 10 et 11 ont donné lieu au vote de quelques amendements sur diverses conséquences du texte, dont le principal, introduit par Sandrine Hurel (PS), charge le Gouvernement de remettre chaque année au Parlement un rapport sur l’application de la loi et sur le développement des soins palliatifs.
NOTRE COUP DE COEUR
Un groupe de députés s’est fortement engagé durant les débats sur la proposition de loi. Membres de l’Entente parlementaire pour la famille, ils ont essayé d’en infléchir les aspects les plus dangereux. Parmi les plus actifs durant les deux jours : Xavier Breton, Nicolas Dhuicq, Philippe Gosselin, Marc Le Fur, Hervé Mariton, François de Mazières, Jean-Frédéric Poisson, Frédéric Reiss.
Quatre d’entre eux – MM. Breton, Gosselin, Mariton, Poisson – sont venus soutenir le mouvement Soulager mais pas tuer lors de son rassemblement sur l’Esplanade des Invalides le 10 mars, quelques heures avant le début du débat parlementaire.
NOTRE COUP DE GUEULE
Gare au piège du « pied dans la porte » face à l’ambivalence de nombreux leaders de la majorité, qui affirment vouloir rechercher le consensus et le rassemblement, mais qui ne rêvent que de la prochaine étape vers une légalisation pure et simple de l’euthanasie dans notre pays ?
Les déclarations de ces derniers jours sont éloquentes :
– Le premier Ministre Manuel Valls demande que le Parlement « puisse dépasser ses clivages et se retrouver sur l’essentiel », mais laisse entendre que « c’est sans aucun doute une étape », rappelant avoir porté lui-même un texte de légalisation de l’euthanasie en 2009.
– Marisol Touraine, ministre de la Santé, appelle les députés à « ne pas brusquer la société française », mais affirme dans le même temps « qu’il s’agira, par la suite, de voir comment cette loi est appliquée et, si une étape supplémentaire est nécessaire, de réfléchir à la meilleure manière de l’engager », en assurant que « le gouvernement apportera son appui à cette réflexion ».
– Bruno Le Roux, président du groupe PS à l’Assemblée nationale, qui souhaite « que nous ayons un débat serein, apaisé, et qu’au bout du compte nous nous retrouvions sur un pas supplémentaire, une position de compromis qui ne fermera aucune évolution ».
POUR ALLER PLUS LOIN