Le décryptage d’Alliance VITA sur l’actualité législative
L’EVENEMENT
Ce mardi 14 avril 2015, l’Assemblée nationale a approuvé en première lecture le projet de loi relatif à la santé : sur un total de 562 votants, il y a eu 311 voix Pour, 241 voix Contre et 10 abstentions. Le texte, présenté et défendu par Mme Marisol TOURAINE, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, avait été examiné article par article du 31 mars au 10 avril 2015.
A la suite de multiples contestations des professionnels de la santé, avec des grèves et des manifestations nationales importantes depuis fin 2014, Marisol Touraine a demandé que la procédure accélérée soit mise en œuvre. Cela signifie qu’il n’y aura qu’une seule lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat, avant une commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte qui puisse être voté de façon identique par les deux chambres. La saisine du Conseil constitutionnel a déjà été annoncée par l’opposition.
Le projet de loi initial comprenait 57 articles. Il en contient maintenant près du double, représentant 236 pages. La mesure phare pour l’opinion publique est la généralisation progressive du tiers payant. Mais ce texte complexe modifie en fait de très nombreuses dispositions dans l’organisation des soins et les politiques de santé publique.
Nous analysons ci-dessous les principales mesures qui soulèvent des enjeux bioéthiques au sens large, et en priorité les nombreuses dispositions dans le domaine de l’IVG.
LE CHIFFRE
2423 amendements ont été déposés pour la discussion publique sur ce projet de loi Santé, faisant suite aux 1698 autres examinés en Commission des affaires sociales du 17 au 19 mars dernier. C’est dire combien ce projet de loi a provoqué d’innombrables réactions. Il est finalement devenu un texte « fourre-tout », sans réelle cohérence d’ensemble.
LES MESURES QUI CONCERNENT L’AVORTEMENT
Concernant l’avortement, des évolutions majeures ont été introduites par amendement, sans réel débat public et sans étude d’impact sur leurs conséquences (de telles études sont obligatoires pour les mesures contenues dans un projet de loi). Le texte présenté à l’origine par le Gouvernement ne comprenait qu’une seule mesure dans ce domaine, l’habilitation des sages-femmes à pratiquer l’IVG médicamenteuse. Finalement, cinq autres mesures ont été proposées et votées, souvent en catimini en fin de soirée par quelques dizaines de députés présents dans l’hémicycle :
- la suppression du délai de réflexion d’une semaine pour l’IVG,
- la pratique de l’IVG instrumentale en centre de santé,
- le droit à l’information sur les méthodes abortives,
- la création de plans d’action régionaux en matière d’IVG,
- l’accès sans condition à la contraception d’urgence pour les mineures.
- L’habilitation des sages-femmes à pratiquer l’IVG médicamenteuse (article 31)
Depuis 1975 et jusqu’à aujourd’hui, seuls les médecins sont autorisés à pratiquer les IVG, que ce soit par voie médicamenteuse ou par voie instrumentale. La tentative de faire réaliser les IVG médicamenteuses également par les sages-femmes a été, par deux fois en 2009 et 2011, censurée par le Conseil constitutionnel.
Le Gouvernement a introduit à nouveau cette disposition sur les sages-femmes dans son projet de loi, en justifiant cette mesure par des inégalités d’accès à l’IVG médicamenteuse selon les régions (voir l’étude d’impact sur cet article 31). Les sages-femmes elles-mêmes sont partagées sur la portée de cette évolution, qui peut modifier en profondeur leurs missions et leurs pratiques (voir le Coup de cœur ci-après). Des amendements visant à supprimer cet article ont été déposés par l’opposition, mais ils n’ont pas été retenus.
- La suppression du délai de réflexion d’une semaine pour l’IVG (article 17bis nouveau)
Deux consultations médicales sont actuellement obligatoires avant la réalisation d’une IVG, que les femmes concernées soient majeures ou mineures. Un délai d’une semaine doit être respecté entre les deux.
Dans le même esprit, la loi exige également un délai pour d’autres actes médicaux sensibles : délai de deux semaines pour la chirurgie esthétique, et même d’un mois pour l’assistance médicale à la procréation.
La suppression de ce délai de réflexion représente le principal amendement adopté en commission des affaires sociales dans la nuit du 18 mars 2015, avec très peu de députés présents, et sans aucune étude d’impact sur les personnes concernées. Cette mesure faisait partie des recommandations de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, évoquées le 18 février dans un document commentant le projet de loi Santé.
La ministre Marisol Touraine elle-même avait envisagé une réduction de ce délai, dans le cadre du plan national pour améliorer l’accès à l’IVG annoncé le 16 janvier 2015. Mais les attentats de début janvier à Paris l’en auraient dissuadée, pour « éviter de donner à quiconque le sentiment que nous voudrions profiter du contexte d’union nationale pour faire passer des dispositions difficiles à accepter pour certains ». En commission des affaires sociales, mi-mars, elle s’est opposée à l’amendement, qui fut malgré tout adopté.
La mesure a fait l’objet d’une large polémique dans la société, reprise par de nombreux députés de l’opposition mais aussi de la part du syndicat des gynécologues et d’un grand nombre d’assistantes sociales. Et pourtant, en séance publique début avril, la ministre s’est finalement ralliée à cet amendement très controversé. Plusieurs députés de l’opposition ont déposé des amendements pour abroger cet article, mais ils n’ont pas été adoptés. Au député UMP Bernard Debré, qui jugeait utile le délai de réflexion pour une femme par exemple « poussée par son compagnon à avorter », Marisol Touraine a répondu : « une femme qui a pris sa décision n’a pas besoin de temps. Je crains (…) qu’un délai ne soit pas efficace pour sortir une femme de la domination ».
Cette disposition pose de graves questions d’égalité et de solidarité. L’enjeu majeur de la prévention de l’IVG et de l’accompagnement des femmes, spécialement celles soumises à des pressions notamment de la part de l’homme, semble totalement écarté de ces débats.
- L’autorisation de pratiquer l’IVG instrumentale en Centre de santé (article 16)
Les Centres de santé sont des structures sanitaires de proximité dispensant principalement des soins de premier recours. Au nombre de 1450 en France, ils s’inscrivent dans la tradition des dispensaires et de la médecine sociale. Ils peuvent déjà réaliser des IVG par voie médicamenteuse.
L’amendement voté ouvre aux Centres de santé le droit de pratiquer des IVG par méthode instrumentale (IVG chirurgicale). Dans son souci de multiplier les lieux autorisés à réaliser des avortements, en plus de la mesure habilitant les sages-femmes, Marisol Touraine avait exprimé la volonté du gouvernement de soutenir un tel amendement dans le cadre de son Programme national d’action relatif à l’IVG.
La ministre a précisé que la Haute Autorité de Santé (HAS) établira un cahier des charges pour fixer les conditions techniques et de sécurité applicables. En effet, ces Centres ne sont pas aujourd’hui équipés comme les hôpitaux ou les cliniques pour ce type d’interventions chirurgicales, ce qui laisse craindre un moindre niveau de sécurité sanitaire.
- Le renforcement du droit à l’information sur les méthodes abortives (article 31)
A l’occasion de l’examen de cet article qui concerne la nouvelle mission des sages-femmes en matière d’IVG, la délégation aux Droits des femmes de l’Assemblée nationale a fait voter un amendement qui fait peser sur les membres des professions médicales des contraintes supplémentaires concernant l’information sur l’IVG : « Toute personne a le droit d’être informée sur les méthodes abortives et sa liberté de choix doit être préservée. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. »
Il est difficile de mesurer la portée de cette mesure générale, le terme « professionnel de santé » étant extrêmement large, et le contenu de l’information n’étant pas précisé. Il serait souhaitable que le Sénat clarifie cette disposition.
D’autre part, en matière d’information, aucune référence n’est faite aux aides matérielles et humaines qui pourraient aider certaines femmes à éviter l’IVG, et qui ont été supprimées par la loi de 2001.
- La création de plans d’action régionaux en matière d’IVG (article 38)
Pour appliquer une des recommandations du Plan IVG annoncé en janvier dernier par le Gouvernement, un amendement a été voté dans les dernières heures de l’examen du texte.
L’ensemble de l’article 38 du projet de loi est consacré au projet régional de santé et actualise les missions des Agences Régionales de Santé (ARS). Parmi celles-ci, les ARS devront désormais prévoir des plans d’action pour l’accès à l’IVG, sur la base d’un plan type élaboré au niveau national. Ce plan régional type devra prévoir l’intégration de l’activité d’IVG dans les contrats d’objectifs et de moyens qui lient les ARS aux établissements de santé.
Si ce plan est inspiré de celui actuellement mis en œuvre en Ile-de-France (projet FRIDA), les ARS pourraient « contractualiser avec les établissements de santé publics et privés sur l’activité IVG, notamment ceux qui présentent un niveau d’activité jugé insuffisant au regard de leur activité d’obstétrique (activité IVG inférieure ou égale à 20% du total IVG + accouchements) » : autrement dit, ils pourraient fixer des objectifs en nombre d’IVG à réaliser par hôpital ou clinique. Cette approche apparaît clairement contradictoire avec des objectifs de prévention de l’IVG, qui visent par nature à diminuer le nombre d’IVG réalisées chaque année.
- L’accès sans condition à la contraception d’urgence pour les mineures (article 3)
Pour les élèves du second degré, l’accès à la contraception d’urgence auprès de l’infirmerie scolaire est soumis à des conditions restrictives précises : « si un médecin, une sage-femme ou un centre de planification ou d’éducation familiale n’est pas immédiatement accessible, les infirmiers peuvent, à titre exceptionnel (…) dans les cas d’urgence et de détresse caractérisés, administrer aux élèves mineures et majeures une contraception d’urgence ».
L’objet de l’article 3, tel que prévu dans le projet de loi initial, est de lever toutes ces restrictions, ne laissant subsister que la notion d’urgence. La possibilité pour toutes les infirmières scolaires de délivrer la pilule du lendemain pose plusieurs problèmes. Comme en témoignent nombre d’entre elles, le risque est grand de banaliser toujours plus les relations sexuelles précoces, au lieu de délivrer une vraie formation affective et sexuelle aux jeunes. Par ailleurs, bien que cette pilule ait potentiellement un effet abortif, il est quasiment impossible pour les infirmières scolaires qui ne sont pas d’accord de faire valoir une clause de conscience.
LES MESURES QUI ONT UN IMPACT SUR LES LOIS DE BIOETHIQUE
D’autres mesures modifient certaines dispositions importantes des lois de bioéthique, notamment concernant la recherche sur les gamètes et embryons transférables, et sur le dispositif de prélèvement d’organes. On peut également citer, parmi les mesures ayant des enjeux bioéthiques au sens large, l’expérimentation de salles de consommation de drogue (« salles de shoot ») ou la non-discrimination envers les personnes homosexuelles pour le don du sang.
- L’autorisation de recherche sur les gamètes et les embryons transférables (article 37)
Cet amendement, proposé par le gouvernement et adopté par les députés, modifie le Code de la santé publique relatif à la recherche sur l’embryon. Il le complète en précisant que « des recherches biomédicales menées dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation peuvent être réalisées sur des gamètes destinés à constituer un embryon ou sur l’embryon in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation si chaque membre du couple y consent. »
Malgré le questionnement éthique soulevé par cet amendement, il n’a suscité aucun débat en séance. Le Gouvernement laisse entendre qu’il s’agit simplement de réintroduire le régime applicable à certaines recherches en AMP, tel que prévu dans la loi bioéthique du 7 juillet 2011 et « oublié » dans la loi du 6 août 2013 créant un régime d’autorisation encadré.
Pourtant, le nouveau texte semble modifier en profondeur l’équilibre qui avait été mis en place en 2011. Si l’embryon avait vocation à être implanté en vue d’une grossesse, il n’était pas possible de faire des recherches entrainant la destruction de cet embryon. L’ancien article L.2151-5 du Code de la santé publique se terminait ainsi : « VI.A titre exceptionnel, des études sur les embryons visant notamment à développer les soins au bénéfice de l’embryon et à améliorer les techniques d’assistance médicale à la procréation ne portant pas atteinte à l’embryon peuvent être conduites avant et après leur transfert à des fins de gestation si le couple y consent (…). »
La nouvelle rédaction proposée par l’amendement ne garantit plus ce respect de la vie de l’embryon. Rappelons également sur ce sujet que des scientifiques, dont deux prix Nobel, ont récemment publié une mise en garde, dans la revue Science, en faveur d’un moratoire pour alerter la communauté internationale sur la modification du génome des embryons humains.
- La modification du dispositif de prélèvement d’organes (article 46 ter)
A l’heure actuelle, toute personne est présumée avoir donné son consentement pour un éventuel prélèvement d’organe après son décès, sauf si elle a exprimé son refus, notamment via un registre national qui est en réalité très peu utilisé. Dans les faits, aucun prélèvement n’est réalisé si les proches s’y opposent.
Un amendement de Jean-Louis Touraine, adopté en commission des affaires sociales, avait considérablement durci le dispositif en ne laissant que le registre national comme mode exclusif d’expression du refus. Il visait également à exclure les proches de la consultation préalable, leur consentement n’étant plus nécessaire.
De nombreuses voix de contestation se sont élevées à la suite de ce vote en commission, y compris parmi les professionnels chargés de ces prélèvements.
Jean-Louis Touraine a dès lors retiré son amendement, et un autre déposé par la ministre de la santé a été adopté. Selon ce nouvel amendement, le registre national des refus serait le moyen «principal», mais non plus exclusif, pour exprimer son refus d’un prélèvement d’organe à son décès. Les modalités par lesquelles ce refus pourrait être exprimé et révoqué sont renvoyées à un décret en Conseil d’Etat publié d’ici le 1er janvier 2017. Le texte prévoit que l’équipe médicale doit informer les proches du défunt préalablement au prélèvement d’organes, et maintient donc que le consentement au don d’organes sera présumé chez toute personne majeure décédée.
NOTRE COUP DE COEUR
Le collectif « Sages-femmes de demain », regroupant plusieurs milliers de sages-femmes, s’est opposé depuis sa création en février 2009 à la pratique de l’IVG par les sages-femmes.
Pour Olivia Déchelette, porte-parole du Collectif : « Le cœur du métier de sage-femme est d’aider les femmes en assurant la préparation, l’accompagnement et le suivi des naissances. Ce n’est pas notre rôle de prescrire l’IVG médicamenteuse, et nous refusons que l’on fasse porter à notre profession un acte qui n’entre pas dans sa nature et qui mettrait en péril la confiance que les femmes ont en nous. Avec 820 000 naissances en 2014, les sages-femmes de France souffrent déjà d’une profonde surcharge de travail, et nous sommes choquées d’imaginer que l’on puisse se décharger sur nous d’une tâche qui, je le répète, ne relève pas de l’essence de notre profession. »
Le Collectif rappelle que d’ores et déjà, nombre de sages-femmes signalent de réelles discriminations à l’embauche lorsqu’ils/elles évoquent la clause de conscience. Il recueille des témoignages d’étudiant(e)s qui ont été contraints de participer à des actes que leur conscience réfutait. Cette mesure risque de fragiliser encore plus cette clause de conscience, déjà si difficile à faire appliquer dans les conditions actuelles d’exercice et de formation du métier de sage-femme. Dans ce contexte, le Collectif Sages-femmes de demain demande de renforcer l’article L2212-8 du code de la santé publique qui dispose qu’« aucune sage-femme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical, quel qu’il soit, n’est tenu de concourir à une interruption de grossesse », et de l’étendre aux étudiant(e)s de ces filières.
NOTRE COUP DE GUEULE
Il n’est pas admissible que de si nombreuses et profondes modifications au dispositif légal de l’IVG aient pu être apportées sans un véritable débat public, et sans aucune étude d’impact sur les personnes et sur les professionnels de santé concernés. Ces questions méritent pourtant d’être largement débattues au sein de la société, sur la base d’études approfondies, pour donner aux femmes une chance d’éviter l’IVG.
De même, les lois bioéthiques ne devaient pas pouvoir être modifiées sans des états généraux préalables au sein de la population, ce qui n’a pas été le cas avec les amendements introduits discrètement dans ce projet de loi.
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