Avez-vous déjà remarqué l’importance du regard dans nos relations avec les autres ? Nos yeux interviennent autant pour percevoir que pour signifier, et leur rôle est essentiel pour bien se comprendre. Au point que sur des sujets délicats, nous renonçons parfois à user du téléphone et préférons la rencontre en vis-à-vis.
D’abord, notre regard sur l’autre permet de percevoir ses expressions, ses attitudes, son humeur, toute cette communication non verbale dont on nous dit qu’elle représente souvent plus de la moitié de ce qui est exprimé. Elle nous donne accès à la personne elle-même au-delà de ce qu’elle signifie par ses paroles.
Ensuite, les mouvements de notre regard sont également révélateurs de nos sentiments, de nos intentions. Lorsque nous voyons notre interlocuteur détourner les yeux, les baisser, nous décelons une gêne. Un regard fuyant est souvent révélateur d’un malaise, suscite immédiatement la suspicion sur les intentions. Il en est du dialogue avec autrui comme du regard porté sur la vie : on peut fuir la confrontation, refuser de voir la réalité en face, mettre la tête dans le sable comme une autruche.
Le débat qui s’est envenimé autour de la vidéo de Vincent Lambert est très révélateur d’une fuite de la réalité. Le CSA affirme que le grand public n’aurait pas dû voir le visage de Vincent Lambert, et en particulier son regard étonnamment mobile, faute de bénéficier de son consentement. Mais pourquoi ces images sont-elles si choquantes ? S’agit-il de cacher son identité, alors que Vincent Lambert est connu du grand public ? Ou plutôt de cacher son état de santé ?
Flouter le visage de Vincent, c’est se voiler une partie essentielle de la vérité : il n’est pas dans le coma. Il réagit à son entourage, et si personne ne peut affirmer quel est son degré de conscience, je mets au défi tout médecin de porter un diagnostic assuré sur celui-ci : ou je l’invite à relire « Une larme m’a sauvée », d’Angèle Lieby, pour revenir à la réalité et aux limites de la connaissance médicale. Ceux qui veulent cacher le visage de Vincent le font-ils réellement pour épargner sa vie privée, ou pour épargner leur conscience face à la réalité ? Faudrait-il lui bander ainsi les yeux comme à un condamné à mort, moins pour protéger son intimité que pour épargner à l’opinion publique un possible sentiment de culpabilité ?
Par son regard qui se détourne ou se baisse, qui semble réagir à la présence et à la voix de ses proches, Vincent nous adresse silencieusement un message qui est au-delà de son silence impuissant. Qui saurait l’interpréter avec certitude ? Le message qu’il nous adresse est au minimum celui de l’extrême vulnérabilité. Quelle sera notre réponse ? Avant tout une présence bienveillante, mais aussi des soins adaptés, grâce à des personnels formés à la prise en charge de sa pathologie, au sein de structures spécialisées. Alors, au-delà d’apparences souvent trompeuses et loin des regards qui condamnent, un message de tendresse pourra continuer d’être échangé avec Vincent.