La Cour d’assises de Rennes a condamné, le 15 septembre 2015, Mme Laurence Nait Kaoudjt à cinq ans de prison avec sursis, pour avoir tué en 2010 sa fille de 8 ans, Méline, gravement handicapée depuis la naissance.
Le procès a mis une fois de plus en lumière la situation des personnes qui accompagnent au quotidien une personne gravement malade ou handicapée, souvent avec un grand dévouement, mais qui peuvent progressivement basculer dans un enfermement et un épuisement dramatique.
Cette mère de 49 ans, qui élevait seule son enfant depuis sa naissance, a exprimé au cours du procès combien la relation avec sa fille occupait toute sa vie : « Le handicap ; c’est sept jours sur sept. On dormait toutes les deux ensemble parce que j’avais peur qu’elle tombe. (…) Ca été ça notre vie, toujours l’une avec l’autre, fusionnelles ». Ainsi, elle a toujours affirmé avoir tenté de se suicider à diverses reprises dans la nuit du drame, sans y parvenir. Et son avocat, en plaidant pour son acquittement, a insisté sur ce commentaire d’un expert : « Elles ne faisaient qu’une, elles étaient fusionnelles, c’était une peau pour deux… ».
Elle a expliqué également sa méfiance des institutions et sa conviction que personne d’autre ne pouvait bien s’occuper de son enfant : « Pour moi, c’était très compliqué de laisser ma fille à des tierces personnes, j’avais l’impression de l’abandonner, simplement parce que c’était un être sans défense ». Alors que sa fille allait pouvoir être accueillie dans un institut médico-éducatif prochainement, cette perspective de la voir partir n’a-t-elle pas été vécue comme un arrachement qui est devenu mortifère ?
Plusieurs témoins ont souligné sa méfiance et son angoisse, sa « grande souffrance » devant une situation de handicap perçue sans issue positive. Des experts ont décrit son « épuisement psychique et physique » : cet état l’aurait fait basculer dans une volonté de « suicide altruiste » motivé par un « désespoir au point de se donner la mort et tuer l’enfant qu’elle aimait ». Son avocat a résumé le drame ainsi : « C’est un crime et c’est un acte d’amour en même temps, c’est à la fois terrifiant et sublime ».
L’avocat général (procureur représentant la société au cours d’un procès d’assises) a demandé aux jurés de faire preuve « d’empathie » devant la douleur de cette mère qui avait tenté de se suicider, mais aussi de « raison » car il s’agit bien d’un meurtre. Il explique pourquoi il est si important de déclarer cette culpabilité sur le plan du symbole : « Personne n’est propriétaire de son enfant. Même si cet enfant est handicapé, il est autonome, il a sa vie, il a son humanité : si vous dites aujourd’hui qu’elle n’est pas coupable, vous niez cette humanité. Dans le référentiel commun de la société, on a toujours le choix de ne pas étrangler une petite fille ».
Pour Alliance VITA, ce procès met, une fois de plus, en lumière la situation douloureuse des personnes qui accompagnent au quotidien une personne gravement malade ou handicapée, souvent avec un grand dévouement, mais qui peuvent progressivement basculer dans un enfermement et un épuisement dramatique. Une peine symbolique de prison était nécessaire pour rappeler que nul ne peut tuer « par amour », que toute vie est précieuse et doit être respectée, même si elle est très fragile. En même temps, le sursis peut être compris comme la volonté de tenir compte de la grande confusion et d’une forme de désespoir de cette mère épuisée et isolée.
N.B : Le jour-même où se tenait ce procès, les députés examinaient en seconde lecture le projet de loi sur l’adaptation de la société au vieillissement. Ce texte contient une mesure symbolique qui concerne les « aidants » qui s’occupent d’un proche âgé, dépendant ou handicapé : la reconnaissance d’un « droit au répit », en affectant une enveloppe de 80 millions d’euros pour financer une semaine de prise en charge d’une personne dépendante afin que leur proche puisse souffler. Cette possibilité de souffler, permettant de prendre du recul et de se faire aider, n’aurait-elle pas été bien nécessaire pour la maman de Méline ?