Décryptage des liens établis par l’OMS entre restrictions à l’avortement et santé des femmes

Décryptage des liens établis par l’OMS entre restrictions à l’avortement et santé des femmes

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Note d’analyse – Avril 2022 (suite)

Dans son dernier communiqué, l’OMS propose de nombreuses recommandations non seulement médicales mais aussi politiques visant à limiter les risques de l’avortement non sécurisé sur la santé des femmes. La fiabilité des chiffres de mortalité maternelle liée à un avortement  a été interrogée dans une première note d’analyse.

Nous abordons dans cette note les liens que tente d’établir l’OMS entre les restrictions légales liées à l’avortement et la santé des femmes pour justifier leur suppression. 

“Les données montrent que les restrictions en matière d’accès à l’avortement ne permettent pas de réduire le nombre d’avortements.”

Cette affirmation est issue de la publication d’un article de Juillet 2020 publié dans The Lancet Global Health Journal [1] dont la méthodologie a été présentée dans la première note d’analyse. Notamment, les auteurs indiquent qu’entre les périodes 1990-95 et 2015-19, le taux d’avortement estimé dans les pays l’ayant libéralisé aurait baissé de -43% en excluant la Chine et l’Inde. A contrario, les pays ayant maintenu de fortes restrictions, auraient vu leur taux d’avortement estimé augmenter de +12% (avec une marge d’erreur possible comprise entre –4% et +30% ce qui signifie qu’une baisse serait même possible dans les limites de l’incertitude du modèle). Selon les auteurs, l’exclusion de la Chine et de l’Inde est justifiée par le fait que “les moyennes étaient fortement décalées car ces pays représentent 62% des femmes en âge de reproduction”. Si on peut envisager l’exclusion de la Chine en raison de la politique coercitive de l’enfant unique jusqu’en 2015, l’exclusion de l’Inde reste difficile à comprendre.

En effet, en analysant les chiffres de [1], l’exclusion de la Chine et de l’Inde (les deux pays représentant près de 3 milliards des 7,9 milliards habitants sur terre) change fortement les conclusions de l’analyse :

  • Parmi les pays légalisant l’avortement, l’exclusion de la Chine et de l’Inde modifie le taux d’avortement (nombre d’avortements pour 1000 femmes en âge de procréer) estimé de 40/1000 à 26/1000 soit un écart de 35% !   Ainsi, en incluant la Chine et l’Inde, l’évolution à la baisse du taux d’avortement estimé dans les pays ayant libéralisé l‘avortement entre les deux périodes n’est que de –8% avec une marge d’erreur de –20% à +9% (ce qui rend même plausible une hausse dans les limites d’incertitudes du modèle) au lieu des –43% retenus par l’OMS dans son communiqué.
  • Et lorsqu’on observe la période la plus récente 2015-19, le taux d’avortement dans les pays légalisant l’avortement est estimé à 40/1000 en incluant la Chine et l’Inde tandis qu’il est estimé à 36/1000 dans les pays restreignant l’avortement. Là où l’avortement est légal le taux d’avortement serait supérieur de 11%. Et cet écart est encore plus significatif sur la période 1990-95 avec 44/1000 versus 33/1000 (écart de 33%).

Ainsi, contrairement à la conclusion de l’OMS, des “données” (issues de modèles) montrent que la légalisation de l’avortement augmenterait le nombre d’avortements.

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“Dans les pays où les restrictions sont les plus sévères, seul un avortement sur quatre est sécurisé, contre près de neuf sur dix dans les pays où la procédure est largement légalisée.”

Cette affirmation est issue d’ un article publié dans The Lancet en novembre 2017 [2] qui propose des estimations basées sur un modèle statistiques en l’absence de données fiables (méthodologie présentée dans la première note d’analyse ). L’estimation de 25% d’avortements “sécurisés” dans les 62 pays restrictifs (pays où l’avortement est interdit ou permis pour sauver la vie de la mère ou pour sa santé physique) est donc une valeur estimée moyenne dont la marge d’erreur est comprise entre 14,5% et 41% ce qui correspond à une amplitude très importante et montre la très faible validité du modèle). En comparaison, parmi ces mêmes pays, l’estimation des avortements “les moins sécurisés” oscille entre 21% et 41,9% (moyenne à 31,3%).  (cf la première note d’analyse –  l’article de The Lancet fournit des estimations sur deux catégories d’avortements : “moins sécurisés” et “les moins sécurisés.)

 

“Supprimer les obstacles politiques à l’avortement sécurisé qui ne sont pas justifiés d’un point de vue médical, tels que (…) les limites quant au moment de la grossesse où l’avortement peut être pratiqué. ”

Parmi ses recommandations, l’OMS indique que “Gestational age limits have been found to be associated with increased rates of maternal mortality” ( « les limites d’âge gestationnel sont associées à une augmentation du taux de mortalité maternelle »).

Cette déclaration s’appuie notamment sur une compilation d’articles par l’OMS dans le “Supplementary material 1: Evidence-to-Decision frameworks for the law and policy recommendations”:  de l’abortion care guidelines.

Parmi les publications relatives aux coûts du système, une étude [3] est mentionnée faisant le lien entre les délais d’avortement et la mortalité maternelle. Cette étude [3] réalisée aux Etats Unis conclut que “dans les États qui ont promulgué des limites d’âge gestationnel, la mortalité maternelle augmente de 38%, par rapport aux États qui ne l’ont pas fait”. Cette conclusion est reprise telle quelle à la page 130 dans le rapport de l’OMS “Supplementary material 1”.

Notons tout d’abord qu’une première limite forte de cette approche est que l’étude [3] est une étude américaine et est donc par définition très dépendante du contexte américain ( si l’arrêt Roe vs Wade garantit depuis 1973 le droit à l’avortement au niveau fédéral, chaque état en organise l’accès selon des politiques très différentes plus ou moins permissives ou restrictives ; en outre aux Etats-Unis, l’avortement est payant, l’accès aux soins pour les mères dépend de leurs couvertures maladies privées …).  Dès lors, la généralisation par l’OMS de ces conclusions au plan mondial pose question.

Au-delà de cette limite, en creusant cette publication (dont un résumé est disponible ici), plusieurs problèmes  apparaissent:

  1. Dans cette étude la mortalité maternelle inclut toutes les causes de mortalité et pas seulement celles liées à un avortement. Parmi ces causes, on trouve également des hémorragies, hypertensions et septicémies.
  2. Les données compilées ne concernent que 39 Etats sur les 50 que comptent les Etats-Unis. Quelles ont été les hypothèses qui ont conduit à exclure 11 Etats sur 50 dont la Californie qui représente 40 millions de personnes sur 330 millions d’habitants ?
  3. Selon l’étude, “entre 2007 et 2015, 12 des Etats ont passé des lois restreignant l’avortement en se basant sur l’âge gestationnel. Nous avons trouvé que ces changements sont significativement liés aux accroissements de mortalité maternelle.” L’étude ne tient donc pas compte de la date d’introduction de la mesure restrictive (délais) sur les chiffres totaux de décès maternel sur la période 2007-15. Par exemple, dans les Etats du Wisconsin et de l’Ohio, des restrictions de délais ont été promulguées dans la loi en 2015. Comment peut-on imputer un taux plus élevé de décès maternel sur une période antérieure (2007-2015) à l’introduction de la mesure restrictive?
  4. Plus encore, en compilant les chiffres disponibles et avec les réserves précédentes, il apparaît que les conclusions chiffrées sont fausses. Sur les 12 Etats ayant promulgués des contraintes sur les délais d’avortement, le taux de décès maternel (incluant toutes les causes et pas seulement l’avortement) est de 19% plus haut que sur les 27 restants, et non de 38%, chiffre repris par l’OMS.

Une étude sérieuse des causes de cette mortalité, incluant la qualité des systèmes de soins, leur accessibilité… s’avère indispensable.

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Bibliographie scientifique

[1] Unintended pregnancy and abortion by income, region, and the legal status of abortion: estimates from a comprehensive model for 1990-2019, Guttmacher Institute, WHO, University of Massachussets, July 2020, The Lancet Global Health Journal https://www.thelancet.com/journals/langlo/article/PIIS2214-109X(20)30315-6/fulltext
[2] Global, regional, and subregional classification of abortions by safety, 2010–14: estimates from a Bayesian hierarchical model, Guttmacher Institute, WHO, University of Massachussets, November 2017, The Lancet Journal https://www.thelancet.com/action/showPdf?pii=S0140-6736%2817%2931794-4
[3] Impact of State-Level Changes on Maternal Mortality: A Population-Based, Quasi-Experimental Study, Summer Sherburne Hawkins, Marco Ghiani, Sam Harper, Christopher F Baum, Jay S Kaufman, American Journal of Preventive Medicine 2020 Feb;58(2):165-174. Abstract available here: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31859173/ Data available here: https://www.ajpmonline.org/article/S0749-3797(20)30236-1/pdf

Triste suicide de Jacqueline Jencquel

Triste suicide de Jacqueline Jencquel

jacqueline jencquel

Deux tweets du 31 mars 2022 ont annoncé le décès de Jacqueline Jencquel : l’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD, promotrice de l’euthanasie), dont elle avait été vice-présidente, a fait part de sa tristesse ; son président actuel, Jonathan Denis ajoutait « elle me manquera. Elle manquera à bien des combats. »

Agée de 78 ans, ne souffrant pas de pathologie mettant sa vie en danger, Jacqueline Jencquel avait fait savoir, en 2018, par une interview choc du site Kombini, son intention de mourir en janvier 2020, en ayant recours au suicide assisté en Suisse. L’information avait fait le buzz. Militante du suicide assisté, même pour des personnes en relative bonne santé, elle affirmait dans son livre Terminer en beauté : « J’ai l’âge de mourir. Le danger est de vieillir encore plus. La dépendance et la décrépitude me font bien plus peur que la mort ».

Jacqueline Jencquel avait maintes fois accompagné en Suisse des français y recourant au suicide assisté ; mais ce n’est pas là qu’elle a finalement « choisi de mourir ». Dans l’ultime post de son blog, elle explique : « Je veux mourir chez moi, entourée de mes livres, de mes photos et de mes objets familiers. » Elle a donc mis fin à ses jours dans son grand appartement parisien. Mère de trois enfants, Jacqueline Jencquel avait annoncé une première fois avoir reporté son geste, puis y avoir transitoirement renoncé grâce à la naissance d’un petit fils, programmée le jour même où elle avait prévu de mourir.

Derrière la militante du suicide, se cachait une personnalité complexe, qui cherchait un sens à sa vie comme à la vie. Jacqueline Jencquel avait d’ailleurs semblé surprise – voire dépassée – par l’onde de choc de son témoignage initial. Provocateur – à cause d’allusions sexuelles – il pouvait aussi gêner les promoteurs de l’euthanasie. En effet, c’est toujours par les cas limite qu’ils tentent de faire voter une loi qui réserve l’euthanasie aux personnes en fin de vie. C‘est ensuite qu’ils revendiquent et obtiennent son extension comme on l’observe aux Pays bas en Belgique et au Canada. Jacqueline Jencquel laissait entendre que la séparation d’avec son mari – de nationalité allemande – l’avait réduite à la solitude.

Son dernier post confirme qu’elle ne voulait pas peser sur lui « qui ne m’aime plus », ni sur ses trois fils, éparpillés dans le monde. Elle avoue des soucis matériels et de solitude. Son ode à la liberté de mourir ne cache pas sa détresse existentielle.

Certes, on lit dans ce dernier message une profession de foi libertaire « Je ne suis un exemple pour personne. Une hédoniste qui peut choisir le moment de sa mort » mais aussi un regard désabusé sur le monde et un aveu d’inutilité : « J’aurais aimé pouvoir mettre mes talents au service de la communauté mais je ne sais pas comment m’y prendre ni à qui m’adresser. Je réfléchis sans trouver de réponse ni de solution, alors je suis résignée et en même temps, je n’aime pas ce mot car – au risque de me répéter – je ne suis pas une victime. »

À cause de plusieurs associations agissant en Suisse, des « voyages sans retour » de personnes en bonne santé s’y multiplient. Ils endeuillent brutalement certaines familles. Un américain a découvert en février dernier que ses deux sœurs avaient été « suicidées » depuis plus de dix jours ! Lila et Susan, respectivement âgées de 54 et 46 ans, vivaient richement près de Phoenix, en Arizona. Le quotidien belge Le Soir rapporte les propos de Philip Nitschke, directeur de Exit International : « Les deux sœurs n’étaient pas heureuses (…) elles étaient saines d’esprit, fatiguées de la vie et elles voulaient mourir ensemble. C’est leur droit mais la loi américaine ne permet pas cela ». Elle se sont donc envolées en Suisse le 3 février, sans prévenir leur frère. Il témoigne dans le New-York Times : « Je suis dévasté et je n’ai pas la moindre idée des raisons qui les ont poussées à faire ça. »

Fléau national, drame de l’isolement et de la désespérance, le suicide touche en France deux fois plus les personnes de plus de 75 ans que le reste de la population. Sa prévention ne souffre aucune exception. Alliance VITA s’associe à la tristesse de ceux qui ont connu et aimé Jacqueline Jencquel et fait sienne la remarque du président de l’ADMD : elle nous manque, car elle manque à la vie. Qu’elle repose en paix.

Décryptage de l’ADN : les scientifiques font de nouvelles découvertes sur le génome humain

Décryptage de l’ADN : les scientifiques font de nouvelles découvertes sur le génome humain

génome humain

La revue Science vient de publier six articles : « des régions de l’ADN encore inexplorées ont pu être lues ». Hormis le chromosome Y, masculin, un génome complet a été décrypté.

En 2001, après plus de dix ans de travail et un investissement de 3 milliards de dollars, le déchiffrage de l’ADN avait abouti à la lecture d’une immense partie du génome. Mais depuis lors, environ 8% était resté en suspens, en raison de zones qu’on dit « ultra-répétées » dispersées sur le génome ou de zones très « enroulées » ou nichées dans les centromères ou les télomères (au centre et aux extrémités des chromosomes). Ces zones n’étaient pas accessibles avec les techniques de l’époque qui ne pouvaient pas lire plus de mille bases à la fois – notre ADN compte environ trois milliards de paires de bases- donc seulement de petites séquences de fragments d’ADN. « Pour obtenir la séquence d’un génome entier, nous devons donc le déchiqueter en petits morceaux, séquencer ces petits morceaux, puis trouver où ils se chevauchent et les recoller » explique Nicolas Altemose, chercheur à Berkeley (Etats-Unis) et premier auteur d’une des nouvelles publications.

Mais de nouvelles technologies ont été mises au point et permettent de déchiffrer des séquences de 20 000 à 100 000 bases. Le consortium Telomere-to-Telomere (T2T) a été lancé en 2018. Il est financé par les instituts américains de la santé et associe 33 institutions et universités, principalement américaines. Il a travaillé au séquençage complet du génome d’un seul être humain, à partir de cellules prélevées sur un embryon non viable.

Les scientifiques ont séquencé 225 millions de paires de bases supplémentaires qui n’avaient pas été identifiées ou bien localisées. Ces nouvelles régions permettent de supposer que 182 protéines présentes dans l’espèce humaine n’avaient pas encore été repérées. Les centromères quant à eux jouent un rôle spécifique pendant la division cellulaire (mitose). Les étudier permettra de mieux comprendre ce mécanisme et apportera des informations sur le rôle que jouent ces parties de nos chromosomes dans l’hérédité.

Les débouchés de ces progrès sont importants. Ils permettront notamment une meilleure compréhension du vieillissement, des cancers, de découvrir le fonctionnement de nouvelles maladies génétiques ainsi que de nouvelles thérapies.

Cette méthode « crée encore des erreurs », précise Christophe Lanneau, directeur du département recherche du Génopole, à Évry (Essonne). Par ailleurs, il s’agit du génome d’une personne, l’objectif du consortium T2T est de continuer ces travaux pour avancer dans la description de la diversité de l’espèce humaine, au moyen du séquençage du génome de centaines de personnes autour du monde.

L’amélioration continue des connaissances dans le domaine de la génétique constitue d’immenses sources de progrès aux indéniables bénéfices, notamment thérapeutiques. L’ère “post-génomique”, dans laquelle nous nous trouvons rend obsolète tout postulat d’un “déterminisme génétique”. Nous savons qu’il faut se garder de tout “réductionnisme génétique”, qui consisterait à croire que nos caractéristiques humaines ne sont déterminées que par nos gènes.

De nombreuses découvertes sur l’ensemble des facteurs qui jouent dans l’hérédité, en particulier l’influence de l’environnement sur l’expression des gènes, nous permettent de prendre conscience que tout est bien plus complexe. Les gènes interagissent entre eux et avec l’environnement. La modulation de l’expression de gènes dépend de milliers de facteurs aussi insoupçonnés que variés, influencés par notre mode de vie, notre environnement, notre histoire.

L’épigénétique reste encore un domaine plein de mystères. L’homme reste un mystère. Sans nier l’importance de la pièce maîtresse qu’est le génome, unique et infiniment respectable, nous sommes plus qu’un “code-barres génétique”. Comme le rappelle l’Unecso dans la déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme :

« Chaque individu a droit au respect de sa dignité et de ses droits, quelles que soient ses caractéristiques génétiques. Cette dignité impose de ne pas réduire les individus à leurs caractéristiques génétiques et de respecter le caractère unique de chacun et leur diversité ».

Exposition – Aux frontières de l’humain

Exposition – Aux frontières de l’humain

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Le musée de l’homme propose jusqu’au 30 mai une exposition-événement “aux frontières de l’humain” dont l’enjeu, selon les organisateurs, est “d’explorer nos limites et d’interroger notre devenir en tant qu’humain, et plus globalement celui de la planète”.

Limite et frontière sont des façons de définir une identité, et c’est bien l’identité humaine qui est questionnée dans cette exposition. Une première partie est consacrée à la frontière homme-animal.  D’emblée, un des premiers panneaux précise que les frontières entre l’Homme et le reste du vivant sont floues, mobiles et sujettes à révisions et discussions “au sein des sociétés qui se transforment”. Relatives et non objectives, évolutives et non définitives, ni nécessaires, ni souhaitables ni indépassables, elles sont « culturellement construites ». La science, nous dit-on, a “besoin de construire des catégories pour parler de ce qui existe. Et ces catégories amènent les scientifiques à proposer des frontières objectives mais révisables”. Nous ne saurons pas cependant comment on peut allier l’objectif avec le révisable, ni qui décide des révisions possibles sur cette question de la frontière homme-animal : discussion démocratique, convention citoyenne, comité d’experts ?

Les enjeux sont pourtant considérables. L’exposition note que définir le propre de l’homme est une constante des philosophes et de l’ensemble des sociétés mais aucune réponse simple ne semble appropriée : ni le langage, puisque les dauphins, par exemple, communiquent, ni l’utilisation d’outils puisque des singes, des corbeaux, savent en user, ni la bipédie. L’exposition se questionne sur les critères de la conscience de soi et la création d’œuvres d’art, mais ne mentionne pas la science ou l’abstraction, ni la spiritualité, ni la complexité. Une intéressante étude en 2021 a pourtant noté que l’abstraction, la capacité à comprendre des figures géométriques semblaient distinguer les jeunes enfants des babouins, et les anthropologues et ethnologues s’appuient sur des rites funéraires pour parler d’espèce humaine. Et si le questionnement sur notre propre identité est une constante, comme le notait un panneau de l’exposition, voilà peut-être sous les yeux du visiteur un facteur de plus qui peut nous distinguer des animaux ?

Une citation de l’écrivain et Résistant Vercors, dans son roman “les animaux dénaturés”, est affichée en grand dans une des salles. “L’humanité ressemble à un club très fermé : ce que nous appelons humain n’est défini que par nous seuls”. La population mondiale étant estimée à 7.87 milliards d’humain en 2021, la notion de “club très fermé” semble relative.

De subtiles distinctions nous sont proposées dans un panneau sur “l’Homme, un animal ?”. Après avoir noté que “la pensée occidentale d’héritage grec et de tradition judéo-chrétienne, a majoritairement construit la séparation entre l’Homme et le reste du vivant”, nous apprenons que “du point de vue de l’histoire naturelle on n’envisage pas de frontière mais une classification par emboitements successifs : l’Homme est un primate, un mammifère…”. Certes, mais une boite ayant un intérieur et un extérieur, comment ne pas voir que les bords de la boite fixent une frontière !

“Les animaux les moins complexes, de même que l’Homme ressentent évidemment le plaisir et la douleur, le bonheur et le malheur”. Cette autre citation affichée en grand (Charles Darwin, la filiation de l’homme et la sélection liée au sexe, 1871) annonce le critère de sentience comme le plus valable pour déterminer une frontière entre vivants. Cela pose cependant quelques questions. Autant le plaisir et la douleur ont des manifestations physiologiques, autant définir le bonheur ou le malheur reste sujet à longs débats. Une simple assimilation plaisir/bonheur n’est-elle pas réductrice de l’expérience du bonheur ?

L’exposition nous conduit ensuite à réfléchir à la frontière entre le biologique et le technologique. La médecine et l’armée ont déjà posé des jalons pour un homme réparé, amélioré, voire “augmenté”. Un porteur de pace-maker, de prothèse ou d’implants, une personne utilisant un exo-squelette sont-ils déjà un peu hybrides ? L’exposition souligne que ces possibilités ne vont pas sans questionnement éthique. Ainsi, qui aura accès, et qui contrôlera les augmentations promises par certains partisans du transhumanisme ?  Si les puces implantées dans le cerveau ont récemment alimenté l’actualité, un petit panneau dans l’exposition note avec justesse une limite : “vous n’oublierez plus jamais rien (d’autorisé)”. Autre question pratique : combien d’hommes pourront payer ces augmentations ? Dans son Manifeste cyborg, Donna Haraway imaginait un être sans frontière ni limite. Il est possible que l’argent en soit rapidement une.

L’exposition nous apprend que quelques artistes ont franchi le pas vers “l’hybridité”. L’Australien Stelarc s’est fait implanter une troisième oreille dans le bras, équipé d’une puce sonore. Dans une approche artistique où le corps accueille une œuvre technologique”. Le “body artist” Lukas Zpira est quant à lui photographié avec des implants en teflon dans le torse, ainsi que des piercings et des tatouages. Ces exemples d’art corporel ne sont-ils pas d’ailleurs des signes de culture finalement typique de l’humain ?

Une grande salle est consacrée à la génétique, avec de nombreuses informations. Evoquant le séquençage de l’ADN, la technique CRISPR-Cas9, l’exposition note les législations différentes ouvrant une brèche vers un “bébé ou un individu parfait”. Aux Etats Unis, 42% des établissements de santé pratiquent le DPI sur simple demande pour le choix de la couleur des yeux, des cheveux, pour la somme de 18000$. Connor Levy, un bébé né en 2013 à Philadelphie, est issu d’un choix après séquençage du génome de plusieurs embryons obtenus par fécondation in vitro. Le mur de la salle porte le mot “Eugénisme” et le chiffre de 160 millions (le déficit du nombre de femmes estimé dans le monde en conséquence du DPN -diagnostic pré-natal-) souligne les dérives déjà présentes, et leur dramatique conséquence. De façon interactive, le visiteur, dans un jeu-simulation, est invité à choisir les caractéristiques d’un bébé sur mesure fictif. Seulement 34% des participants n’ont pas choisi le sexe de ce bébé, et si la possibilité d’un gène supplémentaire est donnée, le choix se porte à 40% sur la bio-luminescence, faculté des poulpes et d’autres créatures essentiellement marines, juste devant (38%) l’écholocation des chauve-souris. Une expérience qui questionne la capacité des hommes à renoncer à des choix dont les dérives sont pourtant explicitement décrites sur un panneau à côté.

La dernière partie de l’exposition est consacrée aux liens entre les hommes et leur environnement, et à l’importance de penser la terre comme un éco-système global où toute action (politique, économique…) à des impacts sur l’ensemble des êtres vivants. Les thèmes de la crise climatique, la possibilité d’effondrement de sociétés sont abordés comme une possible limite à la toute-puissance technologique. La finitude de l’homme, sa mortalité, est aussi évoquée. Ainsi, un crâne orné de papillons naturalisés, œuvre de Philippe Pasqua intitulée “vanité aux papillons” s’inscrit dans une longue lignée d’œuvres soulignant la fragilité humaine. La légèreté des papillons, image de “l’âme qui s’échappe du corps et s’élève” inscrit une touche spirituelle dans cette exposition.

À contrario, le rêve transhumaniste d’abolir la mortalité humaine ne manifeste-t-il pas un refus de toute limite dont les conséquences négatives sont justement décrites dans l’exposition ?

À la sortie, le magasin du musée met en vente un magnet portant une citation de Boris Vildé, ethnologue et résistant fusillé en 1942. “Résister, c’est déjà garder son cœur et son cerveau”. Un beau programme pour tous ceux qui veulent défendre tout humain et tout l’humain.

Sondage Opinionway : le renforcement des liens intergénérationnels plébiscité

Sondage Opinionway : le renforcement des liens intergénérationnels plébiscité

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Sondage Opinionway : le renforcement des liens intergénérationnels plébiscité

 

Le premier « baromètre des relations intergénérationnelles », réalisé par Opinionway dans un sondage, révèle les effets positifs des relations entre jeunes et âgés sur la santé physique et psychique des séniors ainsi que sur la cohésion sociale.

Le baromètre a été lancé à l’occasion du premier anniversaire de la mise en place du Service Civique Solidarité Seniors[1] en mars 2021. Ce sondage, effectué auprès de jeunes (16 à 25 ans) et de séniors (plus de 65 ans) en février 2022, confirme que « le nouveau dispositif est une réponse adaptée à la crise de solitude identifiée chez nos jeunes comme nos anciens. Il est plébiscité par 96% des jeunes et 99% des seniors comme l’une des solutions majeures à développer. »

Les deux générations ont été éprouvées par le manque de sociabilité durant la pandémie de COVID 19. « Le sentiment de solitude ou d’isolement social est ressenti fortement par 41% des seniors interrogés. L’information phare révélée par l’étude est que les jeunes partagent ce sentiment pour 65% d’entre eux. »

En 2021, 2 millions d’aînés se déclarent isolés des cercles familiaux et amicaux selon le baromètre Solitude et Isolement des Petits Frères des Pauvres qui alertent sur la mort sociale et l’aggravation de l’isolement des ainés. La perception du manque de lien entre les générations est déplorée par les jeunes (61%) et encore plus par les plus vieux (71%). Quand on les interroge sur les bénéfices de ces liens, chaque génération en tire des profits différents.

Les jeunes apprécient l’apport en nouvelles connaissances, en matière de bien-être, d’empathie tandis que les seniors citent en premier l’ouverture d’esprit, puis la curiosité et l’apport d’énergie que provoque la rencontre avec des jeunes.

Les deux groupes estiment que les échanges intergénérationnels contribuent à éviter la dégradation de la santé mentale et physique des séniors, à lutter contre leur isolement. Enfin, les effets sur la vie en société sont également plébiscités par l’ensemble des sondés. Cela impacte positivement la cohésion sociale dans son ensemble, le changement de regard des jeunes sur les séniors et vice-versa, la meilleure connaissance et compréhension des uns et des autres, et la lutte contre les préjugés sur les séniors et la vision négative du vieillissement.

Ces résultats rejoignent les constats d’Alliance VITA qui appelle à développer la solidarité intergénérationnelle comme axe prioritaire pour le prochain quinquennat.

À découvrir : des témoignages de terrain ont été déposés en ce sens dans l’espace Élections 2022, ainsi que la position des candidats à l’élection présidentielle.


[1] Cette mobilisation lancée en mars 2021 avec le Ministère Délégué à l’autonomie et le Secrétariat d’Etat à la Jeunesse, grâce à l’engagement du groupe Malakoff Humanis dans le cadre de la gestion de la retraite complémentaire Agirc-Arrco, s’intègre au cadre du service civique mis en place en 2010. Son objectif : Rompre l’isolement des personnes âgées à domicile ou en établissement grâce à la solidarité intergénérationnelle ; Aider à bien vieillir par la prévention, le lien social, l’accès au numérique, le soutien à la mobilité… ; Promouvoir les métiers du grand âge auprès des jeunes, ;  Développer durablement la solidarité intergénérationnelle envers les seniors isolés ou vulnérables.

 

sondage opinionway : le renforcement des liens intergénérationnels plébiscité

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