L’adoption internationale pourrait-elle être interdite en France ?
L’adoption internationale pourrait-elle être interdite en France ?
Le 5 septembre, la Chine a annoncé la fermeture de ses portes à l’adoption internationale. Cette annonce intervient dans un contexte d’un effondrement des adoptions internationales depuis 2005, alors que depuis quelques années les pays occidentaux prennent conscience de dérives voire de scandales dans les procédures d’adoption dans les pays d’origine.
Publié en mars 2024, un rapport interministériel pointe le caractère systémique de ces dérives et formule plusieurs recommandations pour renforcer les contrôles et donner suite aux demandes d’accès aux origines des enfants adoptés. A terme, c’est la possibilité même d’adopter des enfants à l’étranger qui pourrait être remise en question.
Ces vingt dernières années, la France a vu le nombre d’adoptions d’enfants venus de l’étranger s’effondrer, passant de 4 136 en 2005 à seulement 176 en 2023. Si l’adoption internationale était vue dans les années 1970 comme un geste altruiste, voire une obligation morale envers des enfants issus du Tiers-Monde menacés par la guerre, la famine ou les maladies, et une possibilité de devenir parents pour des couples « en mal d’enfant », elle est devenue de plus en suspecte au tournant des années 2000, quand des personnes adoptées ont commencé à dénoncer certaines pratiques.
En effet, ces personnes, en recherchant leurs origines, ont pu découvrir de nombreuses irrégularités dans la façon dont elles avaient pu être adoptées : absence de consentement des parents ou falsification de papiers par exemple.
Début 2021, l’association Réseau des Adopté-es à l’International en France (RAIF) a ainsi lancé une pétition pour réclamer la mise en place d’une commission d’enquête sur les adoptions illégales à l’international depuis 1970 en France. Cette pétition est signée par près de 50 000 personnes.
De son côté, la France a depuis plusieurs années renforcé les contrôles et les restrictions pour l’adoption internationale, rendant la procédure de plus en plus complexe. En 1993, la Convention de la Haye, ratifiée par la France en 1998, marque une étape importante puisqu’elle consacre le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant privé de famille et le principe de subsidiarité. Elle fixe un cadre juridique et définit les responsabilités respectives des pays d’origine et d’accueil.
Cette convention prévoit la mise en place d’autorités centrales dans chaque pays concerné qui doivent accompagner les démarches d’adoption. Les Etats d’origine doivent vérifier le consentement libre et éclairé des parents ou des représentants légaux.
La loi du 4 juillet 2005 crée l’agence française de l’adoption (AFA) chargée de faciliter les démarches des parents qui souhaitent adopter à l’étranger. En février 2022, la loi visant à réformer l’adoption dite « loi Limon » interdit les démarches individuelles et instaure un contrôle plus rigoureux des organismes intermédiaires.
Ces dernières années, prenant en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, la France a été conduite à suspendre les adoptions internationales en Haïti (mars 2020), en Russie et en Ukraine (mars 2022), au Burkina Faso et au Mali (septembre 2023), puis à Madagascar (octobre 2023). Le Quai d’Orsay a fait prévaloir l’absence de garanties nécessaires en termes de « sécurité et d’éthique des procédures » pour justifier ces suspensions (Réponse du Ministère des affaires étrangères du 22/02/2024).
Dans ce contexte, le gouvernement a mis en place fin 2022 une mission interministérielle chargée d’enquêter sur les pratiques illicites de l’adoption internationale et de formuler des recommandations. Au total, cette mission a auditionné 179 responsables, professionnels et témoins aussi bien en France qu’à l’étranger, entre décembre 2022 et juin 2023. Ses conclusions ont été publiées en mars 2024 dans un rapport de 118 pages.
Au terme de ses travaux, la mission reconnaît l’existence d’importantes dérives dans l’essor de l’adoption internationale : versement de sommes d’argent, défaut de consentement, falsification de pièces…Dans les cas les plus graves, la mission fait état de kidnapping, vol, achat ou vente d’enfants. Ces pratiques sont dites « illicites » puisqu’elles n’étaient pas toutes illégales au moment où elles ont lieu. La mission attribue un caractère systémique à ces pratiques au vu de « l’importance du nombre de pays concernés » et de « l’étalement dans le temps des pratiques recensées ».
Elle cite une enquête menée en mai 2020 par l’association la Voix des adoptés auprès de ses adhérents sur les pratiques illicites. Sur un échantillon de 203 répondants, 29 % déclarent avoir en leur possession des éléments sur des irrégularités dans le cadre de leur adoption.
La mission reconnaît aussi tout le travail accompli par la France pour encadrer l’adoption et minimiser les risques. Elle estime que « le dispositif français de l’adoption internationale est désormais solide et bien tenu ». Néanmoins, elle demande que la France reconnaisse « les carences collectives dans la protection des enfants ». Dès les années 1980, des ambassadeurs et des consuls ont alerté sur certains risques repérés et ont dénoncé des pratiques illicites dont ils avaient été témoins. Pourtant, les autorités publiques ont tardé à prendre les mesures qui s’imposaient.
Ainsi, le rapport formule une série de recommandations, notamment la reconnaissance officielle de l’existence des pratiques illicites qui ont pu accompagner les adoptions internationales et des manquements qui les ont permises. Plusieurs recommandations portent sur le renforcement du contrôle et sur la coordination entre les différents acteurs. Enfin, le rapport donne ses recommandations pour mieux accompagner les personnes adoptées et faciliter l’accès à leurs origines. Le rapport préconise ainsi de créer une commission indépendante ayant pour mission « d’accueillir et écouter les personnes dont l’adoption à l’étranger a été affectée par des pratiques illicites, et de leur proposer un accompagnement adapté ».
Au même moment, des travaux ont également été menés dans d’autres pays européens sur les dérives de l’adoption à l’étranger. Ainsi, en début d’année 2024, un rapport danois a révélé que les agences d’adoption exerçant sous le contrôle de l’Etat danois étaient informées de falsifications d’identités chez les enfants adoptés en Corée du Sud dans les années 1970 et 1980. Ces révélations ont conduit le Danemark à suspendre toutes les adoptions internationales.
En mai 2024, le gouvernement néerlandais, à son tour, a annoncé mettre un terme de manière définitive aux adoptions dans d’autres pays, en raison d’abus structurels systémiques. Un rapport publié en 2021 avait montré l’existence de nombreuses pratiques illicites et mis en cause le gouvernement néerlandais dans le traitement de ces pratiques.
Alors que le nombre d’enfants adoptés à l’étranger est passé sous la barre des 200 adoptions l’an dernier et que la liste des pays interdits ne cesse de s’allonger, la France va-t-elle continuer d’autoriser l’adoption internationale ? La question peut légitimement se poser. En tout cas, dans le bulletin de la Mission de l’adoption internationale (MAI) publié en août, son chef Etienne Rolland-Piègue ne l’exclut pas. La France devrait, selon lui, « prendre le temps de débattre d’une telle option, avec pour seule boussole l’intérêt supérieur des enfants ».
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