Projet européen sur le cerveau humain : 3 questions au Dr Grégoire Hinzelin, neurologue.
Projet européen sur le cerveau humain : 3 questions au Dr Grégoire Hinzelin, neurologue
1. Qu’est-ce que le projet européen sur le cerveau humain ?
Le projet sur le cerveau humain a été lancé au niveau européen fin 2013 pour une durée de 10 ans. Son ambition initiale visait de nombreux axes de recherche, au confluent de plusieurs disciplines : la neurologie, l’informatique médicale, les technologies de l’information et de la communication. En neurologie, l’objectif est d’établir un atlas le plus détaillé possible du cerveau qui permettra des traitements médicaux plus précis.
Une meilleure modélisation du mode de fonctionnement du cerveau est aussi attendue : elle est utile à la fois pour les recherches médicales et dans les technologies qui cherchent à copier ce mode de fonctionnement pour les sciences de l’informatique.
Un des objectifs est par exemple de travailler à une Intelligence Artificielle répliquant le cerveau dans l’espoir d’obtenir des économies d’énergie. On sait en effet que le cerveau est très nettement plus efficace que l’ordinateur dans sa consommation d’énergie pour traiter l’information et calculer. AlphaGo, de DeepMind (filiale de Google) qui a battu en 2016 le meilleur joueur mondial du jeu de go consommait 20,000 watts par jour, quand un cerveau consomme entre 20 et 40 watts !
Le cerveau humain combine à la fois le traitement de l’information et le stockage dans le réseau de neurones, alors que l’ordinateur est conçu en séparant les unités de calcul et de mémoire. Ces recherches pour trouver des solutions éco énergétiques s’appliquent à de nombreuses tâches cognitives : reconnaissance d’images et reconnaissance vocales, mais aussi drones, satellites… Pour reconnaître un chat, un enfant a besoin de 12 itérations, il en faut 15000 actuellement pour une machine IA.
Un autre objectif était d’obtenir un atlas le plus complet possible du cerveau, en trois dimensions, et mis à la disposition des équipes de chercheurs.
Ce projet a bénéficié de 607 millions d’euros de subventions européennes, et de la collaboration de plus de 500 chercheurs dans 19 pays.
2. Quelles sont les réalisations et les avancées de ce projet ?
La cartographie détaillée du cerveau n’a pas changé le modèle de compréhension actuelle de son fonctionnement mais a permis de l’affiner considérablement. Cette cartographie permettra par exemple que les opérations sur des tumeurs du cerveau soient plus précises. De même pour la rééducation cérébrale qui s’appuie sur la plasticité du cerveau.
La mesure de la conscience peut aussi s’affiner. Après des lésions sévères du cerveau, le malade peut être déclaré inconscient, mais ce diagnostic n’est pas toujours correct, car certains patients peuvent être conscients mais incapables de le montrer.
En France, des chercheurs ont mis au point des modèles cérébraux personnalisés de patients épileptiques qui ne répondent pas aux médicaments. De tels modèles de cerveaux virtuels aident à identifier les zones du cerveau où les convulsions apparaissent.
A l’intersection des neurosciences, de la robotique et de l’informatique, un projet comme SpiNNaker cherche à répliquer le fonctionnement du cerveau humain. A la différence des super-ordinateurs, il n’a pas de puissants processeurs de calcul mais des petits processeurs intégrés comme sur les téléphones portables très connectés entre eux pour obtenir le haut degré de connectivité des neurones dans le cerveau. Selon un des directeurs de ce projet, le professeur Steve Furber :
“SpiNNaker permet aux utilisateurs d’explorer des hypothèses et des théories sur le fonctionnement du cerveau. Parce que la façon dont le cerveau fonctionne en tant que processeur d’information est encore un mystère pour la science, et c’est l’un des grands défis des neurosciences d’essayer de commencer à utiliser des explications convaincantes sur la façon dont le cerveau fait son travail.
Mais jusqu’à ce que de telles explications soient disponibles, la science progresse en proposant des théories et en testant ces théories, et un modèle informatique est un bon moyen de tester une théorie“.
3. Quelles sont les limites de ce type de projet ?
Le rêve de modéliser la pensée reste une utopie qui n’est pas atteignable à l’heure actuelle.
Pour le projet SpiNNaker par exemple, selon son directeur, “même avec un million de processeurs, nous sommes loin d’atteindre l’échelle du cerveau humain complet. De manière optimiste, nous pouvons modéliser l’approche d’environ un pour cent du cerveau humain, ou peut-être 0,1 pour cent“.
Les implants cérébraux dont on parle beaucoup font l’objet de recherches depuis des décennies dans des unités à Grenoble, à Lausanne par exemple. Des résultats sont obtenus mais ces implants nécessitent des précautions : quid des infections ? De la durée de vie ? Du retentissement psychologique de l’implant ?
Il faut distinguer aussi la capacité de réparer et la capacité de prédire. On connait le vieux rêve de détecter les mensonges, ou d’identifier les émotions en surveillant le cerveau. Les expériences actuelles, avec des machines lourdes, pour décrypter les messages du cerveau se font avec le consentement des patients. Il n’est pas possible pour le moment de lire le cerveau contre la volonté d’un patient.
De plus, le mode de fonctionnement du cerveau utilise beaucoup l’oubli, pas uniquement la capacité de stocker de l’information comme un super-ordinateur le fait. Pour qu’une machine se rapproche du cerveau, il faudrait mieux comprendre comment le cerveau oublie.
Enfin, la question du sens reste une question intimement liée à l’humain. Dans une société du tout numérique qui pourrait se profiler, quel est le sens de ces machines qui nous indiqueraient que faire, que choisir, comment nous orienter, sur les routes ou dans la vie ? L’augmentation de la puissance de la machine se fait au risque de la réduction des expériences humaines. Le perfectionnement des machines ne doit pas occulter la singularité de chaque personne humaine, dont le cerveau est d’ailleurs unique.
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