Pénurie de médicaments : le Sénat propose des remèdes

Pénurie de médicaments : le Sénat propose des remèdes

La pénurie de médicaments en France est une source d’inquiétude et a fait récemment l’objet d’un rapport détaillé du Sénat

Publié à la suite de la Commission d’enquête sur cette pénurie de médicaments et sur les choix de l’industrie pharmaceutique française, le rapport a pour but d’analyser la situation, les facteurs explicatifs, et proposer des solutions pour lutter contre ces pénuries de médicaments dans le cadre d’une politique volontariste de production sur le sol européen. Le rapport

appelle à décloisonner les politiques du médicament, trop souvent menées en silos, à reconquérir une vision d’ensemble de la très complexe chaîne des produits de santé et à s’attaquer enfin aux causes profondes des pénuries“.

 

La pénurie de médicaments, un “phénomène en aggravation constante”

La crise sanitaire a révélé et peut-être accéléré ce phénomène de pénurie de médicaments. Le rapport cite un chiffre pour 2023 : 37% des Français déclarent avoir été confrontés à une pénurie. Ils étaient 29% en 2022. Le phénomène touche toutes les classes de médicaments, mais surtout les médicaments anciens : doliprane, amoxicilline par exemple.

Le Sénat estime que les pénuries de médicaments ont été multipliées par plus de 10 entre 2008 et 2017, et chiffre à 1602 le nombre de ruptures de stock signalées à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Il faut y ajouter 2159 risques de ruptures, également signalés à l’ANSM. Le délai moyen des ruptures est de 2 mois, avec de grandes différences entre les produits.

Les raisons de ces ruptures d’après des données de l’ANSM sont d’abord l’insuffisance des capacités de production et l’augmentation des volumes de vente, pour 27% et 20% des cas. Dans presque 30% des cas, l’Agence ne peut indiquer de causes, ce qui limite la capacité d’action des pouvoirs publics.

 

Pénurie de médicaments : un phénomène mondial

Le rapport du Sénat ouvre les perspectives de cette situation au-delà des frontières françaises. Citant le vers fameux de La Fontaine “ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés“, les auteurs rappellent que le phénomène est d’ampleur mondiale. D’une part, 80% des principes actifs passés dans le domaine public sont fabriqués en Asie, “Chine et Inde en particulier“. Déjà en 2017, l’OMS avait publié un rapport sur le sujet : « Lutter contre la pénurie mondiale de médicaments et de vaccins et en favoriser l’accès”.

Aux Etats-Unis, “56 % des hôpitaux américains avaient indiqué avoir modifié les soins aux patients, ou retardé une thérapie en raison de ruptures d’approvisionnement, et près de 37 % avoir reprogrammé ou reporté des soins“.

 

Pénurie de médicaments : des facteurs multiples

 

Le rapport structure son analyse des causes en trois grands axes :

  • Premièrement, la production de médicaments est aujourd’hui insérée dans une chaîne de fabrication mondialisée, marquée par des délocalisations hors de France et de l’Europe, des concentrations géographiques d’usine, et une “financiarisation” dans les choix stratégiques des laboratoires.

 

  • Ensuite, la consommation mondiale en forte hausse (+36% entre 2012 et 2022), aggravée au moment de la pandémie de  la COVID-19, a “mis en tension” un appareil de production “vulnérable“. La pratique de la production “juste à temps” réduit les stocks des industriels. Le développement de la sous-traitance réduit aussi la visibilité dans la chaîne d’approvisionnement. Le haut degré de réglementation de cette industrie, nécessaire puisqu’il s’agit de santé humaine, a une incidence sur les coûts et la capacité à s’adapter aux aléas de production.

 

  • Enfin, le rapport dénonce le déséquilibre dans le pouvoir de négociation entre les firmes pharmaceutiques, détentrices des brevets et des choix de recherche et d’innovation, et les pouvoirs publics. En 2017, la Cour des Comptes notait déjà que

les entreprises pharmaceutiques ont aussi fait évoluer leurs stratégies en matière de prix. Dans la négociation, leurs objectifs se sont déplacés de la mise en avant d’un retour sur leurs dépenses investies en recherche et développement vers des demandes de prix établies en fonction de la capacité à payer des acheteurs publics“.

L’objectif constant des pouvoirs publics de maîtrise des dépenses de santé conduit parfois à des baisses de prix de médicaments “matures“, dont la production est abandonnée ou délocalisée par des laboratoires quand la rentabilité devient faible.

 

Un double impact

Ce phénomène de pénurie de médicaments a un double impact négatif : pour les patients bien sûr, mais aussi pour les soignants qui sont touchés dans les conditions d’exercice de leur profession. L’impact direct pour les malades est difficile à mesurer avec des outils statistiques, mais bien réel. Le rapport cite des témoignages de soignants et quelques études. L’INSEE estime dans une note datant de juin 2023, “que l’épidémie de la covid-19 a pu entraîner depuis 2020 une hausse des décès en raison d’effets indirects, comme des reports d’opérations ainsi qu’une baisse du nombre des dépistages d’autres maladies“.

Un autre angle, moins visible et tout aussi réel, est l’impact pour les soignants dans l’exercice de leur mission. Ainsi, les pharmaciens consacreraient en moyenne une heure par jour à gérer les pénuries.

 

Le rapport consacre une partie importante à des propositions pour résoudre ce problème. A court terme, par une meilleure surveillance des niveaux de stocks et la circulation de l’information dans la chaîne de distribution ; à long terme, par des politiques plus incitatives de production sur le sol européen pour les médicaments dits critiques, entre autres. Au total, les auteurs ont émis 36 recommandations sur le sujet.

 

Ces pénuries de médicaments constituent une facette supplémentaire de la dégradation des services de soins en France, dégradation largement relayée dans les médias et sujet majeur de préoccupation des Français. Pour les pouvoirs publics, il s’agit d’une urgence de plus dans le domaine de la santé que les Français placent en tête de leurs priorités. L’urgence est à soigner plutôt qu’à « aider » à mourir.

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Chiffres IVG 2022 en France : Pour aller plus loin

Chiffres IVG 2022 en France : Pour aller plus loin

Chiffres IVG 2022 en France

 

Les statistiques françaises des interruptions volontaires de grossesse (IVG) en 2022 font état d’un nouveau record du nombre absolu d’IVG : 234300, soit 17000 de plus qu’en 2021 (+8% d’augmentation).

 

Derrière ce nombre, au plus haut depuis 1990, l’enquête de la DREES révèle d’autres réalités :

1. Problème de double comptage d’IVG

La DREES a détecté un problème de double comptage d’IVG pour des interventions de reprises (ou ré-interventions) d’IVG qui ont eu lieu dans un délai inférieur à 9 semaines qui auparavant étaient comptabilisées comme des IVG.

Ces interventions ont été estimées à 7281 cas en 2022 (soit 3% des IVG) et ont entrainé une ré-estimation à la baisse du nombre total d’IVG sur 2022 (234300) ainsi que sur les 2 dernières années (2021 et 2020).

Outre le fait qu’il faut toujours être vigilant sur les chiffres annoncés, cette correction met en avant un phénomène non négligeable de “complications ayant donné lieu à une hospitalisation ou d’un échec de la première méthode utilisée”. Cela illustre la réalité parfois difficile du déroulement des IVG qui ne se passent pas comme prévu.

 

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2. Un chiffre record

Sur la période d’observation 1990-2023, le ratio IVG sur naissances de 2023 a dépassé un record en atteignant 0,32 (234300 IVG /726 000) naissances) soit une progression de plus de 10% par rapport à 2021 (0,29).

Cette hausse est principalement due à l’augmentation des IVG de 8% mais aussi à la baisse de la natalité en France de –2% qui correspond à 12000 naissances manquantes. Il serait intéressant de creuser dans quelle mesure cette hausse significative des IVG a pu contribuer à la baisse de la natalité.

Cette dernière tendance est en train de se confirmer fortement avec une comparaison au mois le mois de –7% depuis le début de l’année 2023 par rapport aux mêmes mois de l’année 2022 (analyse d’Alliance VITA ici). A niveaux d’IVG constants et si cette tendance baissière se confirme, le ratio IVG/Naissances de l’année 2023 sera de l’ordre de 0,35 IVG/Naissance.

 

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3. La DRESS fait référence aux statistiques de ventes de contraceptions d’urgence comme un exemple de l’évolution des pratiques contraceptives.

 

En effet, l’étude relève une forte hausse de l’utilisation de la contraception d’urgence depuis 2017 et une explosion des ventes de +40% en 2021 et 2022 soit 2 millions de boites vendues. Cette tendance viendrait-elle compenser les défaillances des modes de contraceptions dont la fiabilité est réduite dès que les conditions d’utilisation ne sont pas respectées ? L’enquête périnatale 2021 (p.112) montre aussi une baisse de l’utilisation de la pilule (une baisse estimée d’utilisation d’environ -10% de 62% à 52%) mais aussi une augmentation des dispositifs de stérilets (passant de 9% à 14% d’utilisation).

Rappelons que la contraception d’urgence peut perturber la nidation selon la molécule utilisée. En outre, depuis le 1er janvier 2023, la contraception d’urgence hormonale est gratuite (prise en charge à 100 % sans avance de frais) pour toutes les femmes en âge de procréer, quel que soit le médicament demandé (lévonorgestrel ou ulipristal).  Cette gratuité viendra probablement renforcer cette tendance en 2023.

Pourtant, les autorités sanitaires soulignent que l’utilisation de la contraception d’urgence nécessite quelques précautions.

 

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4. En parallèle au taux de recours qui atteint 16,74 IVG pour 1000 femmes, l’indice conjoncturel d’avortement atteint 0,59 IVG par femme.

 

Autrement dit, une femme de 49 ans, ou plus, a 59% de probabilité d’avoir vécu un avortement dans sa vie. Plus exactement, il représente la probabilité d’une femme d’avoir vécu une IVG sur les 35 ans de sa vie féconde de 15 à 49 ans en se basant uniquement sur les chiffres 2022 et en retenant l’hypothèse que chaque femme ne connait pas plus d’une IVG dans sa vie.

Cette hypothèse est cependant douteuse. En effet, selon une étude de l’INED de 2015les IVG répétées (2 ou plus) représentaient presque 40% (0,2) de l’indicateur conjoncturel qui était à l’époque de 0,5 IVG/femmes, le reste (0,3) correspondant à la proportion des femmes ayant vécu une IVG unique. Actualiser ces études permettrait de mieux comprendre la hausse des IVG ainsi que les facteurs conduisant à ces répétitions.

 

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5. Les taux de recours à l’IVG par département sont très divers

 

Les taux de recours à l’IVG par département sont très divers notamment en métropole variant du simple (la Mayenne à 9,9) à plus du double (les Alpes Maritimes à 23,7). Aucune étude de la DREES ou d’autres organismes n’a été réalisée dans les années récentes pour expliquer ces disparités sur le territoire métropolitain. Comprendre les facteurs macro-économiques, sociaux et culturels causant de telles différences, est pourtant essentiel.

 

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Conclusions : 

L’arbre du nombre total d’IVG en France ne doit pas cacher la forêt de situations et de questions qui restent à ce jour ignorées par les pouvoirs publics :

  • Un nombre non négligeable d’IVG ne se déroulent pas comme prévu.
  • La hausse des IVG concomitante avec la baisse de la natalité nécessite des recherches sur de possibles facteurs communs expliquant ces tendances.
  • Comment l’évolution des pratiques contraceptives (notamment liée à la forte hausse de la contraception d’urgence) affecte le recours à l’IVG ?
  • La part des IVG répétées (potentiellement significative) n’est pas isolée dans le total du nombre d’IVG.
  • Quelles sont les causes des fortes disparités de taux de recours à l’IVG en particulier sur le territoire métropolitain ?

 

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La fausse couche : un deuil périnatal trop souvent invisible

La fausse couche : un deuil périnatal trop souvent invisible

La fausse couche : un deuil périnatal trop souvent invisible

 

La journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal du 15 octobre est l’occasion de lever l’invisibilité qui entoure encore les fausses couches malgré les avancées dans l’accompagnement des couples qui subissent cette épreuve.

 

Des progrès ont été réalisés dans l’accompagnement du deuil périnatal mais ils n’ont concerné que les pertes de grossesse à compter de la quinzième semaine d’aménorrhée, c’est-à-dire les fausses couches tardives, les interruptions médicales de grossesse (IMG), les morts in utero et les enfants mort-nés… comme si la souffrance et le deuil n’existaient pas avant 14 semaines d’aménorrhée.

Très fréquentes, les fausses couches concernent environ 15% du total des grossesses et touchent une femme sur dix, au cours de sa vie. Environ 23 millions par an dans le monde se produisent, ce qui correspond à 44 fausses couches par minute, d’après une série de 3 études publiée par The Lancet en 2021.  En France, cela concernerait environ 200 000 femmes chaque année. Malgré, ou à cause de sa fréquence, la fausse couche est souvent encore considérée comme un événement banal dont l’accompagnement reste en conséquence mal ajusté.

Or ce qu’on appelle aussi une interruption spontanée de grossesse peut laisser des traces physiques et psychologiques importantes. Les femmes qui en ont subi présentent un risque plus élevé d’anxiété, de dépression voire de stress post-traumatiques. Leurs conjoints peuvent également présenter des symptômes dépressifs.

C’est forte du double constat du traumatisme que peut générer une fausse couche et du manque de soutien approprié que la députée Sandrine Josso a initié et porté une loi votée à l’unanimité le 29 juin dernier et visant « à favoriser l’accompagnement des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse».

Concrètement cette loi prévoit un parcours d’accompagnement “pluridisciplinaire” sous la responsabilité des Agences régionales de Santé (ARS) pour accompagner les femmes et les couples. Ce parcours doit associer des professionnels médicaux et des psychologues hospitaliers et libéraux. Les sage-femmes pourront adresser les couples à un psychologue conventionné, dans le cadre du dispositif “MonParcoursPsy. Lancé en avril 2022, ce dispositif boycotté par une écrasante majorité de psychologues permet en théorie à toute personne angoissée, déprimée ou en souffrance psychique de bénéficier de huit séances remboursées par l’assurance maladie avec un psychologue conventionné.

Le texte instaure aussi un arrêt maladie sans jour de carence pour les femmes ayant subi une fausse couche, le différenciant d’un arrêt maladie classique.

Enfin la loi modifie le code du travail pour une meilleure protection des femmes : « Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée pendant les 10 semaines suivant une interruption spontanée de grossesse médicalement constatée ayant eu lieu entre la 14e et la 21e semaine d’aménorrhée incluses. » 

Alliance VITA suivra avec vigilance la mise en place effective de ces mesures. En effet, nos services d’écoute accueillent nombre de femmes touchées par ce deuil souvent invisible dans la société ou les familles. La réalité de leurs souffrances témoigne aussi du lien avec cette vie commençante en leur sein. Comme le signalait une tribune sur ce sujet des fausses couches, « rien n’est faux parce que tout est vrai ».

 

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« Modèle d’embryons » : l’Agence de Biomédecine publie un avis

« Modèle d’embryons » : l’Agence de Biomédecine publie un avis

« Modèle d’embryons » : l’Agence de Biomédecine publie un avis

 

Des recherches sur ce qu’on peut appeler des “modèles d’embryons” fabriqués de manière artificielle en laboratoire sont menées depuis quelques années dans quelques équipes (Angleterre, Israël, Etats-Unis….). Elles ont fait l’objet de récentes publications scientifiques, avec un certain écho médiatique – entre faits, fantasmes et illusoires promesses- dont Alliance VITA a proposé un décryptage fin juin. Or, à l’heure actuelle, dans les rares pays où ces recherches sont menées, les équipes scientifiques s’appuient, en l’absence de législation, sur les recommandations émises par la Société Internationale de Recherche sur les Cellules Souches (ISSCR).

C’est dans ce contexte qu’en France, le Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine (ABM) a souhaité définir un « avis cadre » à poser pour ce type de recherche, qu’elle vient de publier. L’ABM souligne dans son communiqué de presse qu’il “s’agit du premier document de ce type produit par une instance éthique au niveau national et international“, ce qui est notable.

Depuis la dernière loi de bioéthique votée en 2021 – qui a considérablement assoupli certaines règlementations entourant la recherche sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires –  certains protocoles de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines sont soumis à déclaration auprès de l’Agence de la biomédecine qui sollicite obligatoirement son Conseil d’orientation pour avis. C’est dans ce cadre que cet avis est publié.

Selon cet avis, si les premières publications sur des recherches sont récentes (2014), les progrès se sont accélérés au cours des dernières années, avec la publication de la constitution de modèles d’embryon, chez la souris et pour l’espèce humaine. Les auteurs soulignent également que leur réflexion dépend de l’état actuel des connaissances scientifiques, qui par définition, sont des connaissances en mouvement.

Concernant la terminologie, l’Agence de la biomédecine choisit d’utiliser deux dénominations :  celui de « modèle embryonnaire », terme préférentiellement choisi par la société internationale de recherche sur les cellules souches (ISSCR), et celui d’ « embryoïdes », de façon équivalente.

 

Un avis qui s’appuie sur les guidances ISSCR

Il n’existe donc pas de réelles législations dans le monde consacrées de manière précise à ces modèles. Les guidances de l’ISSCR servent alors, par la force des choses, de référentiel.

Dans sa dernière édition, ces guidances distinguent des enjeux différents autour des “modèles non intégrés” et des “modèles intégrés”, se distinguant par les types de cellules utilisées.

  • Le premier cas est un modèle dont on estime, au stade actuel des connaissances, qu’il n’aura pas la capacité de former un embryon complet.
  • Dans le deuxième cas, le “modèle embryonnaire intégré”, s’il était implanté, toujours selon les connaissances scientifiques actuelles, pourrait initier un début de développement.

L’ISSCR préconise donc que “les recherches concernant les modèles intégrés doivent recevoir un aval des comités d’éthique alors que les recherches concernant les modèles non-intégrés doivent seulement être notifiées à ces mêmes comités”.

L’ISSCR maintient une interdiction d’implantation de ces modèles dans un utérus humain ou animal.

En revanche, l’ISSCR a supprimé de ses recommandations l’interdiction de culture des embryons humains au-delà de 14 jours. Au contraire, les auteurs de l’avis estiment que si “ la fixation d’une limite revêt toujours un côté arbitraire“, la limite au quatorzième jour est fondée sur des “événements embryologiques“, entre autres la possibilité pour un embryon de se scinder pour donner des jumeaux monozygotes.

Une position intermédiaire

Dans son paragraphe “sur quelles considérations éthiques peut-on s’appuyer ?“, l’avis de l’ABM présente d’abord l’intérêt scientifique des recherches dans ce domaine, et souligne que “de nombreuses applications biomédicales peuvent être envisagées“. L’avis se présente comme une voie moyenne entre une position restrictive (encadrer la recherche sur ces modèles comme la recherche sur les embryons humains) et une position dite permissive (ces modèles sont des “amas cellulaires” sans aucun encadrement spécifique à prévoir).

La “position intermédiaire” estime que les modèles d’embryons ” méritent donc un encadrement spécifique qui doit être plus souple que celui concernant la recherche sur l’embryon, mais plus strict que celui concernant la recherche sur les lignées de cellules classiques“.

Le statut des modèles

Si la position de l’ABM rejoint celui de l’ISSCR sur cette position moyenne, l’avis comporte également une position tranchée sur le statut des modèles embryonnaires.

Selon ses auteurs, ” les embryoïdes humains, par essence, ne peuvent pas être équivalents à des embryons“, et ils citent deux raisons.

  • D’une part, l’absence de fécondation entre deux gamètes comme origine du modèle d’embryon,
  • d’autre part “l’intentionnalité“, distinguant le “projet parental” initial d’un embryon, même s’il est ensuite donné à la recherche, de l’absence d’un tel “projet” pour les modèles embryonnaires.

L’avis n’élabore pas sur la validité de ce critère dans l’hypothèse où un chercheur aurait l’intention de créer un modèle en vue d’une implantation pour une grossesse.

 

Les auteurs écrivent que “le parallèle qu’on est en permanence amené à effectuer entre embryoïdes et embryons, nous impose de nous interroger sur le statut de l’embryon humain“.

Ils notent que “le développement, du zygote à la naissance, constitue ainsi un continuum, dont toute segmentation revêt un caractère artificiel” tout en citant la position du CCNE qui ” considère que définir un statut pour l’embryon est impossible“. Une forme de grand écart éthique qui interroge.

 

S’appuyant sur des principes généraux (proportionnalité, précaution) le Conseil d’Orientation de l’ABM édicte plusieurs recommandations concrètes à la fin de son avis :

  • Un avis défavorable à l’extension de la limite à 14 jours pour la culture des embryons humains “même si les progrès scientifiques le permettent”
  • L’autorisation des recherches sur des “modèle d’embryons intégrés”, notamment les plus complets, jusqu’à un stade de développement équivalent au 28ème jour du développement de l’embryon naturel, avec arrêt complet de toute expérimentation au-delà de ce stade
  • L’interdiction de leur implantation in vivo.
  • L’avis recommande aussi de revisiter la question du consentement pour les donneurs d’embryons ou de cellules somatiques destinées à générer des cellules souches IPS.

Une approche partielle et partiale

Pour Alliance VITA, l’avis a le mérite de poser un cadre sur des recherches récentes dont les développements sont rapides et fascinants pour des chercheurs.

Il est également louable que leur avis ne suive pas la ligne de l’ISSCR sur l’extension de la culture d’embryons humains au-delà de 14 jours.

Il reste que s’appuyer sur l’intérêt scientifique ou sur des principes subjectifs comme l’intention, pour étayer une vision éthique reste une approche partielle et partiale venant d’une Agence de recherche.

Fondamentalement, les possibilités qu’offrent les biotechnologies ne doivent pas dicter les décisions éthiques ni modifier notre regard et notre rapport aux vivants et à la vie vers un sens plus utilitariste.

 

 

Pour aller plus loin :

Des tentatives de “modèles d’embryons” fabriqués artificiellement ? Juin 2023.

Vers l’embryon artificiel : progrès scientifiques et risques éthiques. Septembre 2023.

modèle d'embryon

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France : attention aux plus fragiles !

France : attention aux plus fragiles !

Journée mondiale de la Santé Mentale : France : attention aux plus fragiles !

 

Le 9 octobre, à la veille de la journée mondiale de la santé mentale, Santé publique France a confirmé la dégradation de la santé mentale des Français en 2023, notamment celle des jeunes.

Cette aggravation s’observe depuis septembre 2020 et le début de la grande pandémie.

Parmi les indicateurs inquiétants signalés, l’appel aux urgences pour troubles de l’humeur, idées et gestes suicidaires qui avait « fortement augmenté en 2021 puis 2022 », est resté « à un niveau élevé », avec une hausse « marquée », chez 18-24 ans en 2023. Chez les 11-17 ans, les passages pour idées suicidaires sont même encore en hausse en 2023. En s’alarmant de cette situation, Santé publique France, note que le recours à l’aide reste encore largement taboue sur ces problématiques. Des actions sont annoncées pour encourager des moyens de prévention des souffrances psychiques (l’activité physique, le sommeil et les loisirs) et insister sur « l’importance d’en parler ».

En mars 2023, un autre rapport – émanant cette fois du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge – s’était inquiété d’un problème spécifiquement français : la forte consommation de médicaments psychotropes par les enfants de 6 à 17 ans. Ils étaient 500.000 en 2019, soit deux fois plus nombreux qu’en 2010 à consommer de tels médicaments, souvent hors des conditions règlementaires de prescription. Pour 700 professionnels du soin aux petits enfants cosignataires en 2022 d’une tribune, la hausse des pratiques suicidaires chez les jeunes est liée à trois facteurs : délitement des structures de soins, faiblesse du tissu social et familial et sentiment d’isolement.

Ces constats alarmants interviennent alors que la France débat de la levée de l’interdit de tuer, un interdit légal qui structure la relation entre soignants et soignés depuis 2500 ans. En septembre 2022, le Comité consultatif national d’éthique s’est prononcé – malgré la réserve de 8 de ses membres – pour la légalisation du suicide assisté. Le CCNE a bien noté l’argument des spécialistes de la prévention qui relevaient « l’ambiguïté de la coexistence de politiques de prévention du suicide et d’une demande d’ouverture d’un droit à l’assistance au suicide chez certaines personnes, même dans des situations exceptionnelles ».

Mais il est passé outre, laissant même entendre en annexe de cet avis n°139 que « La neutralité du terme suicide, qui est sans doute son aspect le plus problématique, devrait s’établir » progressivement. Le risque de banalisation d’un drame qui touche à la fois de plus en plus les jeunes et majoritairement les personnes âgées choque les tenants d’une prévention universelle du passage à l’acte. On risque de signifier à nos concitoyens les plus vulnérables qu’ils ne sont plus dignes de prendre leur place dans la société.

En juillet 2023, une tribune, signée par une centaine de « professionnels de la psychiatrie, de la psychanalyse et de la psychologie » pointait à son tour « les angles morts » du débat actuel : ce sont essentiellement des bien-portants qui sont favorables au suicide ; il n’est que très rarement demandé par les personnes dépendantes ; quant aux personnes qui sont passées à l’acte et ont survécu, dans l’immense majorité des cas, elles sont heureuses d’avoir été sauvées. C’est que la volonté suicidaire est ambiguë et non pas définitive.

Eriger un droit au suicide consacrerait à leurs yeux l’abandon des personnes en souffrance psychique, et le renoncement à la créativité des soignants pour accompagner. Cette menace prend une acuité particulière au moment où l’on constate que la santé mentale des Français s’est encore dégradée.

 

Pour aller plus loin :

Quand les enfants vont mal : un rapport lance une alerte sur l’état de santé mentale des enfants – Alliance VITA

 

journée mondiale de la santé mentale france attention aux plus fragiles