Projet européen sur le cerveau humain : 3 questions au Dr Grégoire Hinzelin, neurologue.

Projet européen sur le cerveau humain : 3 questions au Dr Grégoire Hinzelin, neurologue.

Projet européen sur le cerveau humain : 3 questions au Dr Grégoire Hinzelin, neurologue

 

1. Qu’est-ce que le projet européen sur le cerveau humain ?

Le projet sur le cerveau humain a été lancé au niveau européen fin 2013 pour une durée de 10 ans. Son ambition initiale visait de nombreux axes de recherche, au confluent de plusieurs disciplines : la neurologie, l’informatique médicale, les technologies de l’information et de la communication. En neurologie, l’objectif est d’établir un atlas le plus détaillé possible du cerveau qui permettra des traitements médicaux plus précis.

Une meilleure modélisation du mode de fonctionnement du cerveau est aussi attendue : elle est utile à la fois pour les recherches médicales et dans les technologies qui cherchent à copier ce mode de fonctionnement pour les sciences de l’informatique.

Un des objectifs est par exemple de travailler à une Intelligence Artificielle répliquant le cerveau dans l’espoir d’obtenir des économies d’énergie. On sait en effet que le cerveau est très nettement plus efficace que l’ordinateur dans sa consommation d’énergie pour traiter l’information et calculer. AlphaGo, de DeepMind (filiale de Google) qui a battu en 2016 le meilleur joueur mondial du jeu de go consommait 20,000 watts par jour, quand un cerveau consomme entre 20 et 40 watts !

Le cerveau humain combine à la fois le traitement de l’information et le stockage dans le réseau de neurones, alors que l’ordinateur est conçu en séparant les unités de calcul et de mémoire. Ces recherches pour trouver des solutions éco énergétiques s’appliquent à de nombreuses tâches cognitives : reconnaissance d’images et reconnaissance vocales, mais aussi drones, satellites… Pour reconnaître un chat, un enfant a besoin de 12 itérations, il en faut 15000 actuellement pour une machine IA.

Un autre objectif était d’obtenir un atlas le plus complet possible du cerveau, en trois dimensions, et mis à la disposition des équipes de chercheurs.

Ce projet a bénéficié de 607 millions d’euros de subventions européennes, et de la collaboration de plus de 500 chercheurs dans 19 pays.

 

2. Quelles sont les réalisations et les avancées de ce projet ?

La cartographie détaillée du cerveau n’a pas changé le modèle de compréhension actuelle de son fonctionnement mais a permis de l’affiner considérablement. Cette cartographie permettra par exemple que les opérations sur des tumeurs du cerveau soient plus précises. De même pour la rééducation cérébrale qui s’appuie sur la plasticité du cerveau.

La mesure de la conscience peut aussi s’affiner. Après des lésions sévères du cerveau, le malade peut être déclaré inconscient, mais ce diagnostic n’est pas toujours correct, car certains patients peuvent être conscients mais incapables de le montrer.

En France, des chercheurs ont mis au point des modèles cérébraux personnalisés de patients épileptiques qui ne répondent pas aux médicaments. De tels modèles de cerveaux virtuels aident à identifier les zones du cerveau où les convulsions apparaissent.

A l’intersection des neurosciences, de la robotique et de l’informatique, un projet comme SpiNNaker cherche à répliquer le fonctionnement du cerveau humain. A la différence des super-ordinateurs, il n’a pas de puissants processeurs de calcul mais des petits processeurs intégrés comme sur les téléphones portables très connectés entre eux pour obtenir le haut degré de connectivité des neurones dans le cerveau. Selon un des directeurs de ce projet, le professeur Steve Furber :

SpiNNaker permet aux utilisateurs d’explorer des hypothèses et des théories sur le fonctionnement du cerveau. Parce que la façon dont le cerveau fonctionne en tant que processeur d’information est encore un mystère pour la science, et c’est l’un des grands défis des neurosciences d’essayer de commencer à utiliser des explications convaincantes sur la façon dont le cerveau fait son travail.

Mais jusqu’à ce que de telles explications soient disponibles, la science progresse en proposant des théories et en testant ces théories, et un modèle informatique est un bon moyen de tester une théorie“.

 

3. Quelles sont les limites de ce type de projet ?

Le rêve de modéliser la pensée reste une utopie qui n’est pas atteignable à l’heure actuelle.

Pour le projet SpiNNaker par exemple, selon son directeur, “même avec un million de processeurs, nous sommes loin d’atteindre l’échelle du cerveau humain complet. De manière optimiste, nous pouvons modéliser l’approche d’environ un pour cent du cerveau humain, ou peut-être 0,1 pour cent“.

Les implants cérébraux dont on parle beaucoup font l’objet de recherches depuis des décennies dans des unités à Grenoble, à Lausanne par exemple. Des résultats sont obtenus mais ces implants nécessitent des précautions : quid des infections ? De la durée de vie ? Du retentissement psychologique de l’implant ?

Il faut distinguer aussi la capacité de réparer et la capacité de prédire. On connait le vieux rêve de détecter les mensonges, ou d’identifier les émotions en surveillant le cerveau. Les expériences actuelles, avec des machines lourdes, pour décrypter les messages du cerveau se font avec le consentement des patients. Il n’est pas possible pour le moment de lire le cerveau contre la volonté d’un patient.

De plus, le mode de fonctionnement du cerveau utilise beaucoup l’oubli, pas uniquement la capacité de stocker de l’information comme un super-ordinateur le fait. Pour qu’une machine se rapproche du cerveau, il faudrait mieux comprendre comment le cerveau oublie.

Enfin, la question du sens reste une question intimement liée à l’humain. Dans une société du tout numérique qui pourrait se profiler, quel est le sens de ces machines qui nous indiqueraient que faire, que choisir, comment nous orienter, sur les routes ou dans la vie ? L’augmentation de la puissance de la machine se fait au risque de la réduction des expériences humaines. Le perfectionnement des machines ne doit pas occulter la singularité de chaque personne humaine, dont le cerveau est d’ailleurs unique.

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Note d’analyse : Proposition de règlement européen sur la filiation

Note d’analyse : Proposition de règlement européen sur la filiation

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Note d’analyse – 27 janvier 2023

 

Proposition de règlement du Conseil européen relatif à la filiation

La proposition de règlement du Conseil relatif à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance des décisions et à l’acceptation des actes authentiques en matière de filiation ainsi qu’à la création d’un certificat européen de filiation


 

Le droit de l’Union, tel qu’il est interprété par la Cour de justice de l’Union européenne, prévoit que la filiation établie dans un État membre doit être reconnue dans tous les autres États membres de l’Union européenne (UE) aux fins des droits que tire l’enfant du droit de l’Union, en particulier de ceux relatifs à la libre circulation.

En revanche, les Etats membre ne sont, pour l’heure, pas tenus de reconnaître la filiation établie dans un autre État membre aux fins des droits que tire l’enfant du droit national tels que la succession, les obligations alimentaires, le droit de garde ou le droit des parents d’agir en tant que représentants légaux de l’enfant (pour les questions de scolarité ou de santé).

Dans le but affiché d’imposer aux Etats membres de reconnaître la filiation d’un enfant telle qu’établie dans un autre Etat membre à toutes les fins, la Commission européenne a présenté, le 7 décembre 2022, une proposition de règlement en matière de reconnaissance de filiation entre les Etats membres.

Les principaux éléments de la proposition sont les suivants :

  • la désignation de la juridiction compétente : la proposition détermine les juridictions des États membres compétentes pour statuer sur les questions de filiation ;
  • la désignation de la loi applicable : le règlement prévoit que la loi applicable à l’établissement de la filiation devra être celle de l’État dans lequel « la personne qui accouche »[1] a sa résidence habituelle. Lorsque cette règle donne lieu à l’établissement de la filiation par rapport à un seul des parents, d’autres options sont prévues pour garantir que la filiation puisse être établie par rapport à chacun des deux parents ;
  • les règles de reconnaissance de la filiation : la proposition prévoit la reconnaissance systématique des décisions de justice et des actes authentiques établissant la filiation ou attestant l’établissement de la filiation. Le règlement prévoit que la filiation établie dans un État membre devra être reconnue dans tous les autres États membres, sans procédure spéciale ;
  • la création d’un certificat européen de filiation : les enfants (ou leurs représentants légaux) pourront demander ce certificat à l’État membre qui a établi la filiation et choisir de l’utiliser pour prouver leur filiation dans tous les autres États membres. La Commission propose un modèle harmonisé, commun à l’ensemble de l’UE. L’utilisation du certificat sera facultative pour les familles, mais celles-ci auront le droit de le demander et de le faire accepter dans toute l’UE.

Force est toutefois de constater que, en l’état, cette proposition de règlement contrevient aux principes d’attribution (I.) et de proportionnalité (II.) fixés par les traités de l’Union.

 

I. Sur la violation du principe d’attribution

 

Prévu par l’article 5 du Traité sur l’Union Européenne (TUE), le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’UE et implique que celle-ci n’agisse que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent.

Toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités relève de la seule compétence des États membres.

Ainsi, en vertu des traités de l’Union européenne, le droit matériel de la famille, y compris le statut juridique des personnes, relève de la compétence exclusive des Etats membres.
Cette exclusivité souffre une seule exception, prévue par l’article 81 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), aux termes duquel :

« Par dérogation au paragraphe 2, les mesures relatives au droit de la famille ayant une incidence transfrontière sont établies par le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale. Celui-ci statue à l’unanimité, après consultation du Parlement européen.
Le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter une décision déterminant les aspects du droit de la famille ayant une incidence transfrontière susceptibles de faire l’objet d’actes adoptés selon la procédure législative ordinaire. »

Toutefois, comme le rappelle elle-même la Commission européenne, ces mesures ne peuvent consister en une harmonisation du droit matériel des Etats membres en ce qui concerne l’établissement de la filiation d’une personne [2].

Or, c’est précisément l’objet de la proposition de règlement du 7 décembre 2022, qui impose à chaque Etat membre de reconnaître tout acte d’établissement de filiation émanant d’un autre Etat membre.

La proposition va jusqu’à mettre en place un certificat européen de filiation, qui ferait l’objet d’une procédure identique dans tous les Etats membres (procédure fixée par l’annexe V de la proposition) et constituerait « un document valable pour l’inscription de la filiation dans le registre pertinent d’un Etat membre »[3].

En forçant de la sorte la reconnaissance par un Etat membre A de la filiation établie conformément aux règles nationales de droit de la famille d’un Etat membre B aux fins des droits tirés de la filiation en vigueur dans l’Etat membre A, la Commission européenne gomme les différences entre les règles de fond des Etats membres relatives à l’établissement de la filiation et les prive ainsi d’effet utile.

Elle outrepasse donc largement le cadre de l’exception prévue à l’article 81 du TFUE et s’octroie une compétence réglementaire qu’elle ne possède pas.
En tout état de cause, à supposer que la Commission européenne soit compétente en la matière, les mesures proposées sont disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

II. Sur la violation du principe de proportionnalité

Le principe de proportionnalité exige que le contenu et la forme de l’action de l’UE n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif des traités[4].
Comme chaque institution européenne, la Commission est tenue de veiller, de manière continue, au respect de ce principe[5].

Or, la présente proposition excède manifestement ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs dès lors qu’elle contrevient aux principes fondamentaux du droit français de la filiation (A.) et est incompatible avec notre ordre public national (B.).

A. Sur la violation des principes fondamentaux du droit français de la filiation

Alliance Vita n’ignore pas qu’un certain nombre de pays membres de l’Union européenne, comme la Belgique, la Roumanie, les Pays-Bas, Chypre, la Grèce ou encore le Portugal, autorisent, ou du moins n’interdisent pas, la gestation pour autrui (GPA).

L’ordre juridique interne de certains de ces pays prévoit la reconnaissance de la filiation de l’enfant issue de la GPA à l’égard de ses seuls « parents d’intention », soit le couple commanditaire, et non à l’égard de la mère porteuse, qui a accouché de l’enfant. C’est notamment le cas du Portugal, de la Grèce et de Chypre.

Or, ce type de filiation est parfaitement incompatible avec le droit civil français, qui exige que la mère d’un enfant soit celle qui en a accouché[6].

L’exigence de transcription automatique par la France de ces filiations, pourtant incompatibles avec les principes fondamentaux de son droit civil, apparaît ainsi comme une atteinte disproportionnée à sa souveraineté et à sa compétence exclusive en la matière.

Plus grave encore, cette exigence porte également atteinte à l’ordre public français, dès lors que le détournement des règles de filiation maternelle est sanctionné par notre code pénal.

B. Sur l’atteinte à l’ordre public français

Le chapitre VII du code pénal français, portant sur les atteintes aux mineurs et à la famille, sanctionne les atteintes à la filiation au moyen de plusieurs délits.
D’une part, l’article 227-12 du code pénal sanctionne :

« Le fait de provoquer soit dans un but lucratif, soit par don, promesse, menace ou abus d’autorité, les parents ou l’un d’entre eux à abandonner un enfant né ou à naître est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.

Le fait, dans un but lucratif, de s’entremettre entre une personne désireuse d’adopter un enfant et un parent désireux d’abandonner son enfant né ou à naître est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Est puni des peines prévues au deuxième alinéa le fait de s’entremettre entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre. Lorsque ces faits ont été commis à titre habituel ou dans un but lucratif, les peines sont portées au double.
La tentative des infractions prévues par les deuxième et troisième alinéas du présent article est punie des mêmes peines. »

D’autre part, l’article 227-13 du code pénal prévoit que :

« La substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
La tentative est punie des mêmes peines. »

Comme indiqué précédemment, ces délits ont principalement pour objet d’empêcher tout détournement des règles de la filiation maternelle.

Le délit de « substitution volontaire » et de « simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant » vise précisément la tentative, par le couple commanditaire d’une GPA, de transcription en France des actes civils étrangers de l’enfant issu de la GPA7.

Partant, la transcription en droit interne de la filiation d’un enfant né d’une GPA à l’égard du couple commanditaire, telle qu’elle est exigée par la proposition de la Commission européenne, reviendrait précisément à commettre « la substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant », infraction passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Par ailleurs, l’imposition d’une reconnaissance systématique, dans n’importe quel pays membre, de la filiation à l’égard du couple commanditaire d’une GPA revient à encourager cette pratique, qui constitue pourtant un délit pénal sanctionné par l’article 227-12 du code pénal français.

En l’état, la proposition de la Commission revient donc à entériner et à systématiser la commission de deux délits, portant ainsi une atteinte manifeste à l’ordre public français.
Plus globalement, ce règlement serait contraire au principe d’attribution et de proportionnalité en outrepassant les compétences attribuées à l’UE.

 

[1] Article 17 de la proposition de règlement

[2] Page 6 de la proposition de règlement

[3] Article 53 de la proposition de règlement

[4] Article 5 du TUE

[5] Article 1 du Protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité

[6] Articles 311-25 et 332 du code civil

[7] TGI Créteil, ord. 30 septembre 2004

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Note d’analyse : Proposition de règlement européen sur la filiation

Parlement européen : vote en commission d’une proposition controversée sur la filiation

Parlement européen : vote en commission d’une proposition controversée sur les actes de filiation

 

La commission des affaires juridiques du parlement européen a voté le 7 novembre 2023 en faveur de la proposition de règlement initiée par la Commission européenne relative à la reconnaissance des actes de filiation entre pays de l’Union européenne.

En 2021, en réponse à la consultation de la Commission européenne, Alliance VITA a émis un avis qui mettait en garde contre une systématisation des reconnaissances de filiations au sein de l’UE en maintenant le principe de subsidiarité des Etats en la matière.

Dans une note d’analyse publiée en janvier 2023 à destination des parlementaires et de la Commission, Alliance VITA a analysé la manière dont cette proposition contrevenait aux attributions fixées par le traité de l’Union et à l’ordre public français en ce qui concerne la GPA. En effet le code pénal français sanctionne les atteintes à la filiation relative à la maternité de substitution.

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Journée des défunts : la mort, fin incontournable de toute vie

Journée des défunts : la mort, fin incontournable de toute vie

Journée des défunts : la mort, fin incontournable de toute vie

 

Il est d’usage de se rappeler les êtres chers qui nous ont quittés, d’aller fleurir leur tombe ou de se retrouver en famille pour évoquer leur souvenir. Il s’agit là d’une des rares incursions de la mort dans notre quotidien occidental qui semble vouloir la cacher. Or la mort nous concerne tous et face à elle, nous sommes tous égaux.

L’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), qui milite en faveur de la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, a décidé de profiter de ce jour pour pousser ses revendications, arguant que les Français « n’en peuvent plus d’attendre » une loi autorisant la mort provoquée.

Comment donner à la mort sa juste place ?

 

Le paradoxe de la mort dans la modernité  

Dans les films, les jeux vidéo, l’imaginaire culturel et fictif, la mort est partout. Et pourtant dans les rites funéraires aujourd’hui, sa réalité est réduite à la portion congrue : on ne veille plus les corps, l’incinération est souvent privilégiée à l’inhumation, les proches sont moins présents autour du défunt… On privilégie également l’emploi de verbes considérés comme plus doux : « partir », « quitter » pour évoquer le décès comme une sorte d’endormissement indolore. La mort d’une personne confine désormais à l’intime, on ne traverse plus la ville en procession, on ne porte plus le deuil ; tout se passe comme si, à l’échelon de la société, la mort devait être cachée.

Le philosophe Michel Foucauld analyse le passage à l’époque moderne comme le passage d’une société du “faire mourir et laisser vivre” à une société du “faire vivre et laisser mourir. Selon lui, notre société moderne est une société où le pouvoir vise à organiser la vie et la santé des sujets, et où la mort devient l’intime par excellence. Le concept d’autonomie devient dominant, dans un contexte libéral où chacun veut pouvoir décider de son propre sort.

Notre société semble considérer que la mort est le dernier instant de décision de notre vie, l’occasion d’exercer une maîtrise toujours plus grande. Ainsi les tenants de la mort provoquée parlent souvent d’une loi « de liberté » ou encore « du libre choix » lorsqu’ils évoquent la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. Pure idéologie ou irrationnelle pulsion de mort ?

Certains semblent presque avoir peur de mourir de façon naturelle avant que la loi ne leur permette de le faire dans un cadre médical !

Ainsi voit-on des personnes en bonne santé comme Jacqueline Jencquel (qui s’est finalement donné la mort en 2022) se faire les porte-parole de la mort provoquée, alors qu’aucune affection médicale sérieuse ne paraît justifier le passage à l’acte. Elles semblent appeler de leurs vœux une nouvelle société du « faire mourir », où l’Etat et la société organiseraient la mort des citoyens, dans un retournement de leur désir de maîtrise.

Derrière l’invocation d’un « droit individuel » et d’un « choix personnel », la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté concernerait en réalité toute la société, chargée d’organiser et de mettre en œuvre ce nouveau « droit ».

 

Journée des défunts : ne pas masquer la mort mais savoir la montrer 

Le fantasme d’une mort douce, « consentie, sereine et digne », porte en lui le paradoxe évoqué plus haut. On appelle la mort provoquée de ses vœux, on la rend omniprésente en l’invoquant comme le droit ultime dans la vie de chacun mais on souhaite dans le même temps l’aseptiser, la rendre pour ainsi dire neutre en la médicalisant.

L’image d’Epinal, apparue récemment, de la personne mourant par euthanasie une coupe de champagne à la main, le sourire aux lèvres pour elle et ses proches, nie cette réalité fondamentale : la mort est toujours un drame, car elle s’oppose à l’instinct de survie en tout homme, car elle laisse un trou béant dans le cœur des proches.

La mort par euthanasie ou suicide assisté est en fait plus brutale encore : on pense par exemple à cet Américain ayant appris via Facebook que ses deux sœurs (en bonne santé) étaient allées se suicider en Suisse. L’incompréhension devant un tel choix augmente la douleur des proches.

L’aseptisation et la médicalisation de la mort mènent à des drames humains. L’épidémie de covid-19 a privé un grand nombre de personnes des rites de deuil qu’ils auraient dû vivre.

Pour des raisons sanitaires, de nombreuses familles n’ont pas eu la possibilité de visiter une dernière fois leur proche, de veiller son corps ou même de voir sa dépouille, enveloppée dans un sac pour éviter la contagion. Orphelins de père traumatisés par cette situation, Stéphanie Bataille et Laurent Frémont ont lancé le collectif « Tenir ta main » pour dénoncer de graves reculs éthiques et anthropologiques, et militent désormais pour un « droit de visite aux patients dans tous les établissements de santé ».

Ne pas avoir le droit de voir la dépouille de son proche, c’est être privé d’une étape essentielle pour faire son deuil. En tant que civilisation, c’est aussi un retour en arrière : « On est devenus humains au moment où on a su enterrer nos morts », rappelle Stéphanie Bataille dans une émission en mars 2021.

Si les rites funéraires permettent de voir la mort en face, il est essentiel également de pouvoir mettre des mots sur ce drame intime. Ainsi les membres d’Alliance VITA sont-ils allés en 2014 à la rencontre des Français dans la rue, en leur proposant des « conversations essentielles » sur la manière dont ils avaient vécu la mort d’un proche.

Les personnes qui le souhaitaient pouvaient se confier et échanger sur ce que la mort d’un proche leur avait « appris de la vie » : la richesse de derniers moments avec une grand-mère, ou au contraire le regret de ne pas avoir été présent pour un père… autant de révélateurs de ce que la fin d’une vie est toujours la vie, jusqu’au bout.

 

Accompagner les vivants jusqu’à leur mort  

Aujourd’hui, les progrès médicaux et les innovations thérapeutiques ont profondément modifié notre rapport à la mort et les modalités du décès. Un quart des personnes seulement meurent chez elles, ce qui signifie que la majorité des décès a lieu dans un cadre médicalisé ou du moins institutionnalisé (maison de retraite…). Les progrès de la réanimation et de la chimiothérapie ont fait augmenter l’espérance de vie, ce qui est évidemment positif.

Toutefois, le risque est désormais que l’on considère que la médecine doit régir toute fin de vie. La loi Leonetti de 2005 et celle de 2016 relatives aux droits des malades et des personnes en fin de vie encadrent la tentation de l’acharnement thérapeutique en disposant que « les actes mentionnés […] ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable […] lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés… ».

Au fond, vouloir prolonger obstinément la vie ou y mettre fin sont les deux faces d’une même médaille : un désir de toute-puissance, de maîtrise totale de la vie humaine, qui peut venir du corps médical ou de la personne elle-même.

Heureusement, la France s’est engagée depuis plusieurs dizaines d’années maintenant dans une autre voie : celle de l’accompagnement et des soins palliatifs, qui consistent à soulager les souffrances en prenant en compte toutes les dimensions de la personne, lorsque sa guérison n’est plus possible. Une des associations de bénévoles a pris pour nom la devise « Jusqu’à la mort, accompagner la vie ».

Donner sa juste place à la mort nous rendra plus humains, car la mort fait partie intégrante de la vie. A l’heure où certains voudraient médicaliser et provoquer la mort, nous appelons à ne pas la masquer ni la provoquer mais bien à la regarder et à en parler.

Tout le monde est digne, même dans la maladie, même dans la mort. Vivre et mourir dignement, cela passe par la réponse aux vraies demandes des Français : pouvoir être soignés et soulagés, pas être euthanasiés. En ce 2 novembre, honorons les défunts qui nous sont chers en apprenant à redonner sa juste place à la mort dans nos vies.

 

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Le Canada bat le triste record du nombre d’euthanasies

Le Canada bat le triste record du nombre d’euthanasies

Le Canada bat le triste record du nombre d’euthanasies

 

Santé Canada vient de publier son 4ème rapport annuel sur l’Aide médicale à mourir (AMM). Englobant euthanasie et suicide assisté, l’AMM représente 4,1% des décès en 2022, atteignant un record depuis sa légalisation.

La situation du Canada est particulièrement alarmante quand on considère que la première loi date de 2016. En 6 ans, ce pays affiche le pourcentage le plus élevé de décès par euthanasie/suicide assisté parmi ceux qui ont légalisé une mort administrée.

 

Des chiffres en hausse et des critères d’éligibilité extensifs au Canada

En 2022, 13 241 cas d’euthanasie ont été déclarés soit un taux de croissance de 31,2 % par rapport à 2021. L’assistance au suicide demeure très exceptionnelle : moins de 7 personnes se sont « autoadministrés » des produits mortels.

La principale affection médicale est le cancer (63,0 %) : les troubles neurologiques atteignent 12,6 % dont 9% pour démence. Au total, 22,6 % des personnes étaient signalées par les praticiens dans le groupe « autre affection » ou « comorbidités multiples ».

« Un quart des personnes atteintes de ces affections étaient atteintes de fragilité (25,0 %). Les autres affections les plus courantes étaient le diabète (11,9 %), les douleurs chroniques (8,0 %) et les maladies auto-immunes (5,0 %). Un certain nombre de personnes étaient atteintes d’arthrose, d’ostéoporose, de fractures, de perte de vision et d’audition et de dysphagie et faisaient des chutes fréquentes. »

Comme le note une étude parue 2022, les critères d’éligibilité se sont considérablement assouplis depuis 2016.

Les sources de souffrance les plus souvent citées sont « la perte de la capacité à participer à des activités significatives (86,3 %), suivie de la perte de la capacité à accomplir les activités de la vie quotidienne (81,9 %) et du contrôle inadéquat de la douleur ou de l’inquiétude au sujet du contrôle de la douleur (59,2 %) ».

Enfin 35,1% des patients citent le fait d’être une charge pour l’entourage – famille, amis ou aidants – et 17,1% l’isolement ou la solitude comme souffrance conduisant à demander l’euthanasie. Ces constats ne peuvent qu’interroger la société tout entière sur le rapport à la vulnérabilité et aux solidarités intergénérationnelles.

Diversité des lieux et des praticiens pourvoyeurs d’euthanasie

Près de 40% des euthanasies ont lieu à domicile, 30,5 % à l’hôpital et 20,8 % en soins palliatifs. Près de 70 % des praticiens assurant l’euthanasie sont des médecins de famille ce qui correspond au médecin généraliste en France, 9,4 % des infirmiers, 8% des soignants de soins palliatifs. Viennent ensuite différentes spécialités oncologues, anesthésistes, urgentistes etc. et pour 0,8% des psychiatres.

Votée en 2021, l’extension de l’AMM aux personnes souffrant de maladies mentales a vu son application repoussée au 17 mars 2024 en raison notamment de la difficulté à distinguer tendances suicidaires et problèmes de santé mentale susceptible de justifier une demande d’AMM. Pour le psychiatre John Maher, spécialiste des maladies mentales et rédacteur en chef du Journal of Ethics in Mental Health « L’AMM sape profondément des décennies d’efforts de prévention du suicide. »

Doublement des euthanasies sans pronostic de mort prévisible

La loi révisée en 2021 a étendu les critères d’éligibilité à l’AMM aux personnes handicapées souffrant d’une maladie « grave et incurable » sans pronostic de mort prévisible.

463 personnes ont été euthanasiées alors que leur « mort naturelle n’était pas raisonnablement prévisible », soit le double de l’année précédente où ce critère a été rendu légal. Pour la moitié d’entre elles, leurs affections étaient de nature « neurologique ».

Parmi elles, 34,8 % ont reçu des soins palliatifs et 53,8 % ont eu besoin de services de soutien aux personnes handicapées. Plusieurs situations de patients candidats à l’euthanasie parce qu’ils ne parvenaient pas à obtenir des aides adaptées faute de moyens financiers suffisants, ont été médiatisées ces deux dernières années. Des experts de l’ONU ont tiré la sonnette d’alarme dans une déclaration commune à propos de la loi canadienne : « Le handicap ne devrait jamais être une raison pour mettre fin à une vie ».

Une hausse alarmante des euthanasies au Québec

Les plus grands nombres d’administration de l’euthanasie ont lieu au Québec (4801), en Ontario (3934) et en Colombie Britannique (2515). Le Québec et la Colombie-Britannique ont connu le pourcentage le plus élevé de décès par euthanasie (6,6 % et 5,5 % respectivement).

Devant la hausse de près de 46% de l’AMM au Québec, la ministre québecoise Sonia Bélanger, responsable des Aînés et déléguée à la Santé, a demandé des explications au Collège des médecins. Elle lui demande de contrôler les médecins qui ont provoqué la mort de 23 patients qui ne répondaient pas à tous les critères de la loi.

Déjà en septembre dernier, la Commission sur les soins fin de vie avait enjoint les médecins, à suivre la loi avec plus de rigueur. En effet une étude scientifique parue en août 2023 sur le site des Presses universitaires de Cambridge alertait sur les graves lacunes du dispositif d’euthanasie. Les auteurs y dénonçaient le déficit de surveillance et de contrôle du régime canadien.

Nota : Les chiffres indiqués plus bas sont issus du rapport de l’ensemble du Canada sur 2022. Les liens avec des articles parus dans la presse du Québec montrent des variations, car le Québec a simultanément publié son propre rapport annuel d’activités sur une période légèrement décalée du 1er avril 2022 au 31 mars 2023.

L’AMM impacte le développement des soins palliatifs et plus globalement l’ensemble de la société

Au Canada, l’AMM est présentée aux patients même s’ils ne la demandent pas, comme une « option thérapeutique ».

Depuis quelques années, plusieurs études montrent le manque de développement des soins palliatifs. La Société canadienne des médecins de soins palliatifs souligne que seulement 15% des personnes qui en auraient besoin y ont accès. Est pointé également un déficit de praticiens spécialistes de la douleur.

En 2022, 19,6% des canadiens euthanasiés n’ont pas reçu de soins palliatifs.

Un rapport publié fin octobre 2023 par la Société canadienne du cancer (SCC), insiste sur le sous-équipement grandissant « en soins palliatifs de qualité aux personnes atteintes de maladies évolutives comme le cancer, en particulier dans les maisons de soins palliatifs, qui comptent peu de lits et sont dispersées ». Pour assurer des soins palliatifs de qualité, le Canada devrait disposer de 7 lits pour 100 000 habitants. Or le rapport montre que le pays n’en dispose que de 3,97.

« Depuis la légalisation de la mort provoquée, |le Canada] a perdu 10 places dans les classements internationaux » souligne la présidente de la SFAP (Société française d’accompagnement en soins palliatifs). En revanche la mort provoquée a été intériorisée comme une nouvelle norme.

La légalisation de l’AMM aboutit à une évolution inquiétante des mentalités : un sondage de l’Institut Research co. datant de mai 2023 sur la loi fédérale canadienne révèle que 73% des sondés disent approuver la loi actuelle et 20% approuvent l’euthanasie sans condition ; quand on mentionne des situations spécifiques relatives à la situation économique, 28% se disent favorables à étendre les critères à des personnes en raison de leur statut de sans-abri et 27% en raison de leur pauvreté.