Le projet de loi fin de vie, actuellement examiné par les 71 membres de la commission spéciale, envisage l’ouverture de l’accès à l’euthanasie et au suicide assisté. Or, ce texte a prévu d’exclure explicitement les pharmaciens de leur droit à l’objection de conscience, alors même qu’il prévoit que ces professionnels de santé soient tenus de réaliser la préparation magistrale létale et de la délivrer, en officine comme en milieu hospitalier.
Réaliser et délivrer la substance létale sont deux actes indispensables dans le processus qui conduirait le patient à la mort et constituent donc une participation active à l’acte d’euthanasie ou de suicide assisté. Pourtant, et sans aucune justification, le texte envisage d’exclure les pharmaciens de toute clause de conscience. Une injustice dénoncée cette semaine dans Le Figaro dans une tribune d’une soixantaine de pharmaciens et de juristes. Une injustice que le Conseil d’Etat a validée, dans son avis, se justifiant derrière l’idée que « les missions de réalisation de la préparation magistrale létale et de délivrance de la substance létale […] ne concourent pas de manière suffisamment directe à l’aide à mourir pour risquer de porter atteinte à la liberté de conscience ».
Pour comprendre la responsabilité morale incombant aux pharmaciens, il faut regarder le régime juridique applicable au crime d’empoisonnement. A l’heure actuelle, comme l’explique le juriste Nicolas Bauer, initiateur de la tribune, « un pharmacien qui préparerait ou délivrerait une substance létale en vue de son ingestion par une personne serait poursuivi pour complicité d’empoisonnement. Il encourrait trente ans de réclusion criminelle. Le fait que la personne soit consentante ou non à son empoisonnement ne change pas la lourdeur de la peine ». Le Code pénal condamne d’ailleurs tout autant celui qui fournit la substance que celui qui l’administre.
Mais désormais avec ce projet de loi, le gouvernement entend rendre obligatoires la préparation et la délivrance de substances létales par des pharmaciens… Faisant alors passer un même acte, actuellement puni jusqu’à trente ans de prison, en une obligation. C’est une aberration.
Paradoxalement, le Conseil d’Etat reconnait que le projet de loi introduit une rupture par rapport à la législation en vigueur en autorisant, pour la première fois, un acte ayant pour intention de donner la mort. Il reconnait aussi que les missions confiées par le projet de loi aux autres professionnels de santé, chargés d’étudier la demande de mourir des personnes ou de les accompagner dans l’administration de la substance létale « peuvent heurter leurs convictions personnelles dans des conditions de nature à porter atteinte à leur liberté de conscience ».
Pourtant, imposer aux pharmaciens de délivrer des produits destinés à provoquer la mort constituerait une grave atteinte à leur liberté de conscience. Ils ne sont pas de simples exécutants. Ce projet de loi, en rupture directe avec leur vocation, contredit le Code de la santé publique qui précise que «le pharmacien exerce sa mission dans le respect de la vie et de la personne humaine» (article R4235-2) ou encore que « tout pharmacien doit, quelle que soit sa fonction et dans la limite de ses connaissances et de ses moyens, porter secours à toute personne en danger immédiat, hors le cas de force majeure » (article R4235-7).
Il entre aussi en contradiction avec le Serment de Galien (équivalent du serment d’Hippocrate) – prononcé par tous les pharmaciens lors de la soutenance de leur thèse – dont la version moderne mentionne qu’« En aucun cas, je ne consentirai à utiliser mes connaissances et mon état pour corrompre les mœurs et favoriser des actes criminels ». La version d’origine du Serment des apothicaires contenait la promesse « de ne donner jamais à boire aucune sorte de poison à personne et ne conseiller jamais à aucun d’en donner, non pas même à ses plus grands ennemis ».
Malgré tout ça, il est notable de relever que trois députés socialistes Messieurs Delautrette, Guedj et Madame Pires Beaune ont proposé un amendement pour que les sanctions contre les pharmaciens objecteurs ne soient pas seulement disciplinaires, mais aussi pénales, prévoyant 15 000 euros d’amende et un an d’emprisonnement…
« La clause de conscience est la condition pour que les pharmaciens puissent jouir, dans le cadre de leur fonction, d’une pleine liberté de conscience, laquelle est consacrée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme rappelait déjà en 2016 Jean-Baptiste Chevalier, avocat au barreau de Paris dans une tribune pour La Croix.
Cette année-là, le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens (CNOP) avait engagé une consultation auprès de ses adhérents sur la refonte du Code de Déontologie des pharmaciens. Or, 85% des 3395 pharmaciens répondants s’étaient prononcés en faveur de l’instauration d’une clause de conscience selon laquelle « le pharmacien peut refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine ». Sous la pression politique et médiatique, cette demande n’avait pas été retenue par le CNOP.
Si le projet de loi avançait selon ces dispositions, la France ferait largement figure d’exception, et au regard de tant d’autres dispositions extrêmement graves « adopterait le texte le plus permissif au monde », comme le dénonce Laurent Frémont dans une tribune dans Le Figaro. Car, bien que quelques rares pays à l’étranger aient basculé dans une autorisation de l’euthanasie et/ou du suicide assisté, cette clause de conscience a été reconnue.
En Belgique, la loi dispose qu’« aucune autre personne n’est tenue de participer à une euthanasie » (article 14 de la loi relative à l’euthanasie). Même chose en Espagne et aux Pays-Bas, au Luxembourg pour le suicide assisté et au Canada pour l’« aide médicale à mourir». Quant aux Etats-Unis, où perdure la peine capitale, seuls des pharmaciens volontaires préparent les substances létales.
Plusieurs députés de différents bords politiques (Les Républicains, le RN, la Nupes, non inscrits) ont déposé des amendements au projet de loi pour introduire une clause de conscience pour les pharmaciens. Espérons qu’ils soient retenus. La liberté de conscience sur un sujet aussi grave que participer à un acte qui donne la mort est un droit fondamental.
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