Directives anticipées, intérêt et limites

Directives anticipées, intérêt et limites

Directives anticipées, intérêt et limites

 

Introduite par la loi « fin de vie » d’avril 2005 (dite loi Leonetti), le système des directives anticipées a été renforcé et précisé en février 2016, par la seconde loi « fin de vie » (dite loi « Claeys Leonetti »). Sous la forme d’un document écrit et signé, les directives anticipées « expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux ».

Elles sont destinées à prendre le relais quand le patient est « hors d’état d’exprimer sa volonté » sur le moment (même s’il n’est pas forcément en fin de vie).

Rappelons les trois éléments essentiels de dispositif actuel :

  • « Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées. »
  • « A tout moment et par tout moyen, elles sont révisables et révocables. »
  • « Les directives anticipées s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale. »

Sur ce 3ème point, la loi a évité de faire du patient un auto-prescripteur tout puissant et du médecin un exécuteur servile de ses volontés anticipées. Le Conseil Constitutionnel vient de valider le caractère non-opposable des directives anticipées dans les cas prévus par la loi, notamment, donc, si les médecins estiment que ce qui a été demandé par avance par le patient est « manifestement inapproprié » au regard de sa situation médicale. En ce cas, le dernier mot revient encore à l’équipe médicale.

Constatant le peu d’engouement des Français pour ce dispositif, le discours public, dans le débat sur la fin de vie, multiplie l’injonction à leur endroit, qu’ils soient ou non en bonne santé : « Rédigez vos directives anticipées ! » Comme si c’était facile, mais aussi comme si c’était un élément déterminant pour garantir une mort paisible. Or, non seulement cette rédaction n’a rien d’évident, mais encore elle ne constitue en rien une garantie de pertinence.

Précisons avant d’expliciter cet avis, qu’Alliance VITA, consciente de ces difficultés, a élaboré, testé, amélioré, publié et diffusé en centaines de milliers d’exemplaires un Guide des directives anticipées et de la personne de confiance. Complet, pédagogique et appropriable, ce document, par ailleurs téléchargeable, suggère d’abord de valider une charte générale ; cette charte précise l’éthique universelle de la fin de vie : ni acharnement thérapeutique, ni euthanasie mais traitements proportionnés et soins palliatifs ; le document permet ensuite d’exprimer des désirs et précisions spécifiques, liés à ses convictions et pas seulement aux conséquences prévisibles d’une maladie déjà déclarée. Il va donc au-delà du cadre strict des directives anticipées.

Si l’idée d’anticiper des situations où l’on ne serait plus en mesure de s’exprimer est séduisante, elle se heurte en réalité à de multiples obstacles. Plusieurs questions se posent :

  • Suis-je capable, alors que je suis en bonne santé d’envisager par avance ce qui sera bon pour moi si je devenais dépendant ? Bien des patients se découvrent « en situation », capables de vivre – et de trouver du goût à la vie –, alors qu’en bonne santé, elles auraient cru la mort préférable à ce type de vie. Prendre au mot une personne sur des déclarations passées peut paradoxalement conduire à ne pas respecter la volonté présente qu’elle n’est plus capable d’exprimer.

 

  • Comment envisager, sans compétence médicale particulière, non seulement les multiples scénarios médicaux catastrophiques auxquels on peut être confronté, mais encore les réponses adéquates que nous revendiquerions en ces cas (réanimation ou pas ? trachéotomie ou pas ? alimentation artificielle ou pas ?). C’est simplement impossible, et peut-être inhumain ou simplement naïf de nous demander de nous projeter ainsi.

 

  • Comment envisager – sans compétence médicale spécifique – les consentement ou refus de tel ou tel traitement alors qu’on n’est pas encore concerné ? La plupart des personnes ne veulent pas finir leur vie « bardés de tuyaux », mais – en cas d’accident, les diverses perfusions et machines vitales qui soulagent et sauvent (analgésiques, antibiotiques, sérum physiologique, sang, air) sont bienvenues. On ne saurait les récuser par avance.

 

  • Même incertitude, sur des sujets périphériques non inclus dans les directives officielles : qu’on pense au lieu où l’on voudrait mourir. La plupart des Français en bonne santé affirment vouloir terminer leurs jours à domicile ; or, si certains patients sont heureux de retourner finir leurs jours chez eux, beaucoup d’autres demandent d’être hospitalisés quand l’hôpital semble leur offrir une meilleure sécurité, un meilleur soulagement… Là encore, trop d’anticipation peut conduire à contredire la volonté : « à chaque jour suffit sa peine ! »

 

  • Il y aurait enfin le risque que les directives anticipées se transforment en exigence anticipée – plus ou moins consciente – d’euthanasie, grevée des mêmes critiques que toute anticipation. Sans compter que cette demande d’un acte – aujourd’hui manifestement illégal –serait inopérante. A noter que nombre de personnes qui avaient cru devoir rédiger ce genre de « testament de vie » ont pu témoigner a posteriori (ayant recouvré leur capacité de communication) avoir craint qu’on ne trouve ce document dans leur poche et qu’on exécute cette « volonté » anticipée. Un médecin de famille canadien avait reçu d’un de ses patient une lettre demandant – s’il devenait gravement malade – à bénéficier de l’euthanasie. Et voilà qu’atteint d’une maladie mortelle, le patient s’est mis à surveiller avec anxiété les prescriptions de ce même médecin qu’il suspectait de passer à l’acte. Le praticien conclut : « Se peut-il que l’on ne voit pas la vie de la même manière selon que l’on soit en santé ou malade et en fin de vie ? »

 

Il ne faut donc pas s’étonner que, tout comme la majorité des Français, des experts et des ministres qui encouragent les directives anticipées ne les ont, pour la plupart… pas rédigées ! Deux remarques s’imposent : d’abord, le respect de l’éthique médicale, partout et pour tous, est plus essentiel que celui des directives anticipées ; ensuite, il est assez illusoire d’attendre que toute personne bien-portante écrive quelque chose de sensé et d’efficace sur future sa fin de vie.

En revanche, une personne gravement malade, d’une maladie évolutive, devra discuter avec son médecin et décider par avance qu’elle refusera tel ou tel traitement invasif. On pense par exemple à la mise en place d’une respiration artificielle, lorsqu’elle sera devenu vitale.

Correctement éclairée, la volonté du patient de refuser un tel dispositif (qui l’empêcherait de parler) devra être respectée, et ce sera juste, même quand le patient sera incapable de le confirmer. Même chose pour une gastrostomie (intervention consistant à réaliser, au niveau de l’abdomen, un orifice faisant communiquer l’estomac avec l’extérieur) en vue d’une alimentation artificielle.

En conclusion, plus que la seule rédaction de directives anticipées, c’est la désignation d’une personne de confiance qui est essentielle. Même si, à son tour, elle ne saurait garantir une mort paisible. La personne de confiance n’a pas à porter la prescription les traitements.

Aucun document, aucune procédure ne sauraient remplacer les échanges entre les soignants, les soignés et leurs proches, et l’instauration d’une confiance réciproque dans le respect des compétences de chacun et sans transgresser l’éthique immuable de la médecine telle que codifiée avec sagesse par l’antique serment d’Hippocrate. Certes, si d’aventure une loi prévoyait de valider l’euthanasie, il faudrait tenter de s’en protéger par des directives anticipées adéquates.

Mais sans jamais être certain de l’efficacité absolue d’un document. La qualité d’une procédure ne saurait remplacer celle d’une relation.

 

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Projections démographiques : le 8 milliardième humain serait né le 15 novembre

Projections démographiques : le 8 milliardième humain serait né le 15 novembre

1 milliard en 1800, 2 milliards en 1927, 6 milliards d’humains en 1999, 7 milliards en 2011, et le cap des 8 milliards franchi le 15 novembre selon les projections démographiques du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) publié en juillet dernier.

Abondamment commentés, ces projections déclenchent des polémiques et alimentent des scénarios divergents, et souvent pessimistes. Le film Soleil vert, récemment rediffusé, en est une illustration.

Projections démographiques : le probable et l’incertain.

Les projections sont le résultat de modèles comportant des hypothèses qui cherchent à rendre compte d’une réalité complexe. De l’incertitude est nécessairement attachée à toute projection. Les articles spécialisés de démographie n’utilisent pas le mot “prévision” qui pourrait faire croire que le futur est connu. Selon une étude publiée par l’INED en octobre dernier, le phénomène de croissance démographique sans précédent que le monde connait depuis quelques décennies est lié au phénomène de transition démographique. Celui-ci est défini comme un régime où le taux de mortalité baisse avant le taux de natalité, ce qui alimente la hausse de la population. Sur les données démographiques observées, la croissance de la population mondiale a atteint un pic à 2% autour de 1965-1970, et se situe aujourd’hui un peu en dessous de 1%. La population va continuer à croitre dans les prochaines décennies mais un pic serait atteint au cours du 21° siècle selon les projections. L’ONU le projette en 2100 entre 8.9 et 12.4 milliards à 95% de probabilité, dans son modèle. Un économiste de la Banque HSBC a publié l’été dernier une étude avec des projections nettement plus basses. Selon son modèle, le pic serait atteint en 2050 avec une population humaine de 8.6 milliards pour redescendre à 4.2 milliards d’humains en 2100. Ce résultat provient essentiellement d’une projection du taux de fécondité plus basse que celle de l’ONU. Celle-ci a baissé fortement, et plus vite que beaucoup de démographes ne s’y attendaient dans les années 1960-1970. La fécondité moyenne par femme était à 5 enfants en 1950, elle est autour de 2,3 en 2022. En Inde, pays qui va dépasser la Chine pour sa population totale d’ici quelques années, elle se situe à 2,0. Elle est de 1.83 en France selon une donnée de 2021. Les disparités géographiques sont importantes : alors qu’une majeure partie de l’Asie et l’Amérique latine affichent des taux similaires aux pays européens, l’Afrique, l’Asie Centrale (Pakistan, Kazakhstan…) conservent des taux plus élevés. Un humain sur 6 vit en Afrique aujourd’hui, les projections estiment cette proportion à un sur quatre en 2050 et peut-être un sur trois ou plus en 2100. Comme toute projection, l’incertitude augmente en fonction de l’horizon considéré.

L’évolution de la population comporte un élément important d’inertie. Les mentalités, les opinions relayées par les médias et les politiques gouvernementales impactent la fécondité des couples. Le cas de la Chine est régulièrement cité. Malgré les annonces gouvernementales, après la politique imposée de l’enfant unique entre 1979 et 2015, le taux de fécondité ne remonte pas selon les dernières données, restant à 1,2. Information plus anecdotique, mais qui souligne l’incertitude sur toute projection, selon l’INED : “Il est possible que le seuil de 8 milliards ait été franchi un ou deux ans plus tôt que 2022, ou un ou deux ans plus tard“.

Malthusianisme version 21° siècle.

L’anxiété liée à la taille de la population est ancienne. Les thèses de Thomas Malthus (1766 -1834) sont bien connues : la population augmente plus vite que les ressources alimentaires disponibles. Le malthusianisme est souvent synonyme de mentalité poussant à la restriction. L’économiste Alfred Sauvy parlait de malthusianisme comme “état d’esprit affectif autant que raisonnement“. Le néo-malthusianisme est défini comme une actualisation de la doctrine de Malthus avec un accent sur les ressources limitées de la terre, et une insistance sur le contrôle des naissances comme un droit et un devoir humains. Alors que l’accent pouvait être mis auparavant sur les ressources alimentaires, l’accent est souvent mis de nos jours sur un lien entre population et émission de gaz carbonique contribuant au réchauffement climatique.

Par exemple, une étude datant de 2017 avançait que la façon la plus effective de réduire l’accumulation des gaz à effets de serre était que chaque couple réduise d’un enfant la taille de leur famille. Le “coût climatique” d’un enfant calculé dans cette étude serait de 60 tonnes de CO2 par an. Cette affirmation se retrouve encore dans de nombreux articles. Pour comparaison, la consommation moyenne d’un Français est estimée à 11.2 tonnes de CO2 par an. Une enquête de l’INED en 2019 montrait que pour plus des trois quarts des enquêtés, l’évolution de la population mondiale est perçue seulement comme un risque, comme un risque et une chance pour 12%, et comme une chance pour 3%.

En 2020, une campagne publicitaire de l’organisation Population Balance au Canada affirmait sur son affiche “le plus beau cadeau d’amour que vous pouvez faire à votre premier enfant est de ne pas en avoir d’autre”. Paru dans Elle, une enquête par questionnaire auto-administré réalisée par l’IFOP sur le désir d’enfants des femmes citent l’éco-anxiété et la crainte de surpopulation parmi les cinq facteurs du motif de non-désir d’enfant.

Auteur du livre paru en septembre “Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète”, Emmanuel Pont démonte cette idée de « bombe démographique ». Dans plusieurs articles parus récemment, dont une tribune dans le Monde, il pointe les limites des raisonnements avancés.

Ainsi, le chiffre cité plus haut de 60 tonnes de CO2 par an pour un bébé inclut “les émissions à très long terme dans les cas où les émissions moyennes par personne ne baisseraient pas”. Un raisonnement “ceteris paribus” qui ne prend pas en compte les changements possibles de comportement.

Par ailleurs, les écarts de niveau de vie et de consommation entre les régions du monde sont très importants. Les pays avec un taux de fécondité au-dessus de trois enfants par femme représentent seulement 3,5% des émissions de CO2 mondiales, pour 20% de la population.

De plus, le niveau de vie et de technologie est également un critère qui masque des fortes différences. Les Etats Unis ont un niveau d’émission de 15.74 tonnes de CO2 émis par habitants (données de 2017) et l’Union Européenne est à 6.97.

Au total, réclamer une baisse de la population mondiale comme levier pour réduire le phénomène de réchauffement climatique est vraiment contestable.

Surtout, on ne peut oublier les graves dérives éthiques observées lorsque des autorités veulent réduire les naissances. Par exemple en Chine, les avortements sélectifs, les campagnes de stérilisation forcée ont été largement pratiquées. Et vouloir résoudre un phénomène complexe par une solution unique est illusoire.

IVG dans la constitution : La commission des lois adopte la proposition de loi Renaissance

IVG dans la constitution : La commission des lois adopte la proposition de loi Renaissance

IVG dans la constitution : La commission des lois adopte la proposition de loi Renaissance

 

A l’Assemblée nationale, deux propositions de loi seront examinées fin novembre en séance publique pour inscrire un droit à l’IVG dans la constitution, l’une revendiquée par le groupe de la majorité présidentielle Renaissance, l’autre par le groupe La France Insoumise. Arrivant en premier en commission des lois, la proposition de loi portée par la présidente du groupe Renaissance, Aurore Bergé, a été adoptée ce mercredi 9 novembre.

Défendue par Aurore Bergé, rapporteure, la proposition de loi constitutionnelle entendait ajouter dans la constitution un article 66-2 formulé initialement ainsi : « Nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse. ». Cet article serait placé juste après l’article 66-1 sur l’interdiction de la peine de mort.

Les amendements déposés portaient à la fois sur l’emplacement et sur la rédaction de l’article. Par un amendement, La France Insoumise a tenté, sans succès, de remplacer la formulation proposée par la rédaction contenue dans sa proposition de loi : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits. » Des amendements des groupes socialiste et écologiste ont également tenté d’ajouter la contraception dans le texte ainsi que la notion d’accès.

De leur côté, des députés des groupes RN et LR ont mis en garde contre l’inscription dans la constitution d’un droit à l’IVG qui serait inconditionnel et absolu, reprenant ainsi les réserves de plusieurs juristes spécialistes du droit constitutionnel. Parmi eux, le professeur Bertrand Mathieu avait expliqué dans un entretien au journal La Croix que la reconnaissance d’un droit à l’avortement dans la constitution aboutirait à reconnaître à la femme « un droit absolu sur la vie de son fœtus ».

Aujourd’hui, la loi encadre l’IVG qui ne peut être réalisée que sous un certain délai. Le député LR Xavier Breton a rappelé qu’actuellement, « notre législation, à la fois la loi Veil mais également la jurisprudence du Conseil Constitutionnel – concilie deux principes, le principe de liberté de la femme et le principe de la protection de la vie à naître ».

Il a insisté sur la nécessité de préserver un équilibre entre ces deux principes, et a interpellé la rapporteure Aurore Bergé : « Est-ce que vous pouvez nous dire expressément que votre texte cherche à concilier ces deux principes, et en disant notamment « la protection de la vie à naître » ? »

Plusieurs amendements, écologistes et socialistes, ont visé à introduire dans le texte une notion d’autonomie, qu’elle soit « procréative » (groupe écologiste) ou « personnelle » (groupe socialiste), Pour les socialistes, l’objectif de leur amendement était de rappeler que « le droit  constitutionnel à l’IVG se fonde sur le seul principe de l’autonomie personnelle », balayant ainsi complètement toute considération d’un principe de respect de la vie du fœtus.

Au terme des débats, l’article finalement adopté dispose que « nulle femme ne peut être privée du droit à l’Interruption Volontaire de Grossesse ». L’ajout du mot « femme » par un amendement de la députée Aurore Bergé (Renaissance) vise à éviter que l’avortement puisse être imposé par un tiers.

La prochaine étape pour cette proposition de loi est l’examen en séance publique le 28 novembre. S’il est possible qu’elle soit adoptée par l’Assemblée nationale, il est peu probable en revanche qu’elle aboutisse, puisqu’une modification de la constitution doit être adoptée dans les mêmes termes à l’Assemblée nationale et au Sénat. Or le Sénat a rejeté le 19 octobre la proposition de loi défendue par la sénatrice écologiste Mélanie Vogel pour inscrire l’IVG dans la Constitution.

Pour Alliance VITA, ces différentes propositions de loi occultent la réalité de l’IVG aujourd’hui. Non seulement le dernier rapport de la DREES montre que le taux global de recours à l’IVG a tendance à augmenter, mais la DREES a également établi en 2020 que ce sont les femmes les plus pauvres qui avortent le plus souvent (rapport 2020). L’IVG s’avère ainsi un marqueur d’inégalités sociales. La prévention de l’IVG a été une nouvelle fois la grande absente des débats.

 

ivg dans la constitution sénat assemblée nationale

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Opposabilité des directives anticipées

Opposabilité des directives anticipées

Opposabilité des directives anticipées : la limite fixée par la loi, validée par le Conseil constitutionnel

 

Le Conseil constitutionnel était saisi d’un conflit opposant des proches d’un patient à ses soignants autour de l’application de ses directives anticipées.

Un patient en situation de coma irréversible (Abdelhami M., 43 ans), à la suite d’un accident, avait indiqué, par écrit, vouloir être maintenu en vie à tout prix s’il se retrouvait dans cette situation. Or, dix jours après l’accident, ses soignants ont estimé que les soins le maintenant artificiellement en vie relevaient de l’obstination déraisonnable. Jugés inutiles et disproportionnés, ces soins lourds constituaient à leurs yeux de l’acharnement thérapeutique.

La déontologie médicale l’interdit ; la loi aussi. Mais des proches ont aussitôt saisi la justice, invoquant ses écrits, pour empêcher l’arrêt des soins. L’affaire est remontée jusqu’au Conseil constitutionnel.

La loi du 2 février 2016, dite Claeys-Leonetti, a renforcé les directives anticipées. Elles sont considérées, en complément de l’avis de sa personne de confiance, comme expression privilégiée de la volonté du patient hors d’état de communiquer sa volonté.

Dans l’affaire évoquée, l’alinéa 3 de l’article 8 de cette loi était en cause : « Les directives anticipées s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale. » L’alinéa recèle une formulation qu’on peut juger ambiguë voire contradictoire en ce qu’elle utilise le verbe « s’imposent » immédiatement assorti d’exceptions notables.

C’est la partie finale de ces exceptions dont le Conseil constitutionnel était appelé à juger de la validité, au travers d’une « question prioritaire de constitutionnalité ».

 

Qui doit l’emporter des directives anticipées – opposables – ou de l’avis – collégial – des médecins ?

Inconscient, sous respirateur, hydraté et alimenté artificiellement, bénéficiant de transfusions (une situation différente de celle de Vincent Lambert, qui respirait spontanément de façon stable) son état est à la fois jugé catastrophique et irréversible par les soignants.

Leur avocat note par ailleurs que le maintien artificiel en vie du patient pèse inévitablement sur le système de santé. Il invoque surtout cet article 1111-11 alinéa 3 du code de la santé publique (l’article 8 précité de la loi) qui a pour objet d’atténuer la portée des directives anticipées puisque les médecins ne sont pas tenus de les respecter quand « elles apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale. »

En révisant la loi fin de vie de 2005, le législateur, tout en renforçant le caractère « opposable » des directives anticipées avait souhaité éviter leur excès : les rendre vraiment opposables aurait fait du patient son propre prescripteur et du médecin un exécuteur de cette prescription. La compétence médicale – l’art médical – interdit de soumettre le soignant aux exigences, potentiellement excessives voire médicalement infondées, des patients ou de leurs proches.

Ce sont les soignants qui sont en principe compétents. L’alinéa en cause permet aussi de résister à d’éventuelles exigences préalables s’apparentant à des demandes d’euthanasie, une pratique illégale.

 

La décision du Conseil constitutionnel

Au travers de ce cas d’espèce, le Conseil constitutionnel a finalement validé l’article 1111-11 alinéa 3 dans sa rédaction actuelle incluant donc la limite que le législateur a choisi d’apporter à l’opposabilité des directives anticipées.

« Les mots « lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » figurant au troisième alinéa de l’article L. 1111-11 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020 relative au régime des décisions prises en matière de santé, de prise en charge ou d’accompagnement social ou médico-social à l’égard des personnes majeures faisant l’objet d’une mesure de protection juridique, sont conformes à la Constitution. »

Plus généralement, le maintien de l’alinéa confirme les médecins dans leur part d’autorité sur la poursuite ou non des traitements de maintien en vie. En filigrane, cette affaire confirme que les directives anticipées, utiles, ne sont aucunement la garantie d’une « bonne mort » et qu’elles ne sauraient garantir non plus contre des conflits. Ajoutons qu’il n’est pas certain qu’un patient exigeant par avance d’être maintenu en vie « à tout prix » ait une conscience éclairée de ce qu’il demande.

Le Conseil constitutionnel indique d’ailleurs qu’ « en permettant au médecin d’écarter des directives anticipées, le législateur a estimé que ces dernières ne pouvaient s’imposer en toutes circonstances, dès lors qu’elles sont rédigées à un moment où la personne ne se trouve pas encore confrontée à la situation particulière de fin de vie dans laquelle elle ne sera plus en mesure d’exprimer sa volonté en raison de la gravité de son état. Ce faisant, il a entendu garantir le droit de toute personne à recevoir les soins les plus appropriés à son état et assurer la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie. »

En validant la rédaction actuelle de cet article, le Conseil constitutionnel confirme l’équilibre de ce texte au regard des principes constitutionnels dont il est le garant.

 

Voir le guide des directives anticipées d’Alliance VITA.

opposabilité des directives anticipées : la limite fixée par la loi, validée par le conseil constitutionnel

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Nouvel avis du CCNE : Repenser le système de soins sur un fondement éthique

Nouvel avis du CCNE : Repenser le système de soins sur un fondement éthique

Après la publication en septembre d’un avis ouvrant la porte à une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, le CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) vient de rendre un nouvel avis, sous le numéro 140, intitulé “Repenser le système de soins sur un fondement éthique”. Adopté à l’unanimité des membres présents en séance plénière du 20 octobre 2022, cet avis entend proposer des repères solides face à la crise profonde que traverse le système de soins en France.

La pandémie, un détonateur d’une crise déjà présente

Le sous-titre de l’avis “Leçons de la crise sanitaire et hospitalière, diagnostic et perspectives” illustre leur démarche. La crise sanitaire liée à la pandémie de la COVID 19 a été un révélateur à grande échelle des tensions, et un accélérateur des tendances, qui pèsent négativement sur le système de soins, et plus largement sur le système de santé en France.

Le CCNE définit les deux termes dès le début de son avis. Le système de soins inclut toutes les formes d’organisation et de coordination de la médecine. Le système de santé inclut le système de soins dans “une perspective large, étendue au champ social et aux facteurs déterminants de la santé“.

La crise du système de soins est largement documentée et analysée. Les rapports officiels se sont multipliés, comme celui du Sénat “Hôpital : sortir des urgences“. Elle est également dans les préoccupations principales des Français, qui ont pu en voir des illustrations dramatiques avec des grèves des services des urgences hospitalières cette année.

Le système de soins est “fragilisé” selon l’expression du CCNE. Tout en saluant le travail remarquable des soignants, en particulier pendant la pandémie”, le CCNE livre son diagnostic sur une crise “systémique” et “profonde“.

Les facteurs de la crise selon le CCNE

Le document répertorie un certain nombre de facteurs ayant contribué à la crise. Les réflexions du CCNE rejoignent celle de nombreux analystes. L’espérance de vie en France a augmenté “de façon significative” sur les 30 dernières années, entrainant une hausse des besoins. Le vieillissement de la population entraine par ailleurs des besoins supplémentaires spécifiques, liés par exemple aux maladies chroniques, ainsi que l’indiquait l’étude annuelle de la DREES. La démographie médicale est allée à contre-courant. Ainsi, entre 1977 et 1997, le nombre de places ouvertes dans les études de médecine (numerus clausus) était passé de 8671 à 3576. Un redressement a eu lieu pour retrouver un chiffre équivalent à 1977 en 2018 (8205 places). Cette évolution va de pair avec une approche mettant l’accent sur la maîtrise des coûts. Le CCNE estime que “cette nouvelle forme de gouvernance a voulu appliquer à la santé des concepts et méthodes issus du monde de l’industrie (concept « d’hôpital-entreprise »). Il en a résulté une transformation de la fonction du soin au profit d’une logique purement économique par le biais d’incitations et d’indicateurs…“. Cette approche, avec par exemple une tarification à l’acte, couplée aux progrès indéniables des techniques médicales et pharmaceutiques, a favorisé une culture du soin entendu comme traitement en vue d’une guérison au détriment d’une approche intégrant davantage la relation avec les patients, alors qu’elle est centrale dans la motivation de beaucoup de soignants à choisir leur métier. Le temps passé auprès des patients par les soignants s’est trouvé comprimé dans les temps techniques au détriment de l’écoute. Des cloisonnements dans le système de soins : médecine de ville versus hôpital, soignants versus administratifs, contribuent également à des inefficacités.

Les conséquences de la crise

Première conséquence:

Des inégalités d’accès qui se creusent au détriment des personnes les plus vulnérables, inégalités que la crise de la Covid 19 a illustrées de façon dramatique.

Deuxième conséquence :

Une “crise de confiance” à la fois dans la population et chez les soignants vis-à-vis des autorités, confiance déjà entamée par une série d’affaires (sang contaminé, Mediator…), accentuée par une gestion centralisée de la crise sanitaire.

Troisième conséquence :

Des situations de souffrance pour tous les acteurs du système de soins. Souffrance de patients de ne pas accéder aux soins, de ne pas être écoutés dans leurs besoins. Souffrance des soignants, allant jusqu’à la perte de sens et au désinvestissement produisant des souffrances psychiques. Le CCNE écrit ainsi que “la dégradation des conditions de travail à l’hôpital est à l’origine d’une souffrance éthique résultant de la confrontation des soignants et des autres professionnels du secteur à des dilemmes éthiques souvent tus“. La souffrance éthique “apparait lorsque les professionnels de santé sont contraints d’agir en opposition avec leurs valeurs sociales, professionnelles ou personnelles, sans qu’elles puissent s’exprimer ouvertement sur ces tensions et les sentiments qu’elles génèrent.”

Les propositions du CCNE

Tous ces constats et signaux d’alerte conduisent le CCNE à lancer un appel pour “remettre l’éthique au cœur de la santé”. Partant de l’exigence que “l’accès pour tous aux soins et à la santé est le signe le plus fort de la solidarité nationale face aux aléas de la maladie, de la dépendance et du mal-être“, le CCNE avance 4 axes de travail.

Premier axe: Intégrer et déployer la culture éthique dans les pratiques professionnelles.

Cet axe inclut par exemple de favoriser une culture du dialogue entre soignants, le souci de ne pas cantonner les réflexions éthiques à des comités, la formation et la valorisation des réflexions éthiques dans les équipes.

Deuxième axe : garantir la justice sociale dans l’accès à la santé.

La France fait partie des pays où le reste à charge des ménages est le plus faible concernant les dépenses de santé, mais ce constat global cache de nombreuses disparités. Le CCNE écrit que “le modèle économique doit être profondément revisité et inclure l’ensemble des activités et services en prenant en compte les spécificités des territoires“. Qualifié de “véritable colonne vertébrale du système de soins“, le service public en santé doit faire l’objet d’une grande vigilance.

Troisième axe : faire vivre la notion d’une éthique du respect des parties prenantes.

Derrière ces mots, le CCNE propose plus concrètement que le temps de la relation soignant-patient soit valorisé, et que les métiers soignants soient aussi revalorisés financièrement et dans la qualité de vie au travail. Les instances de démocratie en santé sont une pièce du puzzle à ne pas négliger selon le CCNE.

Quatrième axe : rétablir la confiance par le partage de la connaissance et l’éducation aux enjeux.

Si la confiance entre la population et les soignants reste forte malgré les tensions du système, le CCNE reprend la proposition de son avis 137 de “mise en œuvre des états généraux pour une éthique de la santé publique, qui pourrait se faire en coordination avec les instances de santé publique nationales ou régionales et avec les Espaces de réflexion éthique régionaux“.

En conclusion

Le CCNE appelle de ses vœux une “rénovation profonde” dans 3 directions :

Assurer l’égalité d’accès au système de santé, incluant les soins,

Redonner du sens aux métiers de soignants,

Ecouter tous les acteurs du système.

Le “modèle français qui a pris en compte jusqu’ici ces grandes valeurs éthiques est aujourd’hui fragilisé” déclare le CCNE.

Des tendances lourdes traversent la société qui mettent à mal ce “modèle français” : le primat de la volonté individuelle, la marchandisation du vivant, l’exigence de performance.

Acteur récent d’un revirement sur la question de l’euthanasie et du suicide assisté au nom de l’autonomie individuelle, le Comité peut-il appeler à une solidarité tout en privilégiant cette autonomie dans ses récentes décisions ?