Avortement : la Cour suprême abroge l’arrêt Roe vs Wade

Avortement : la Cour suprême abroge l’arrêt Roe vs Wade

Avortement : la Cour suprême abroge l’arrêt Roe vs Wade

 

Par une décision du 24 juin 2022, la Cour suprême des Etats Unis a abrogé l’arrêt Roe vs Wade établissant une protection fédérale constitutionnelle au « droit à l’avortement ». L’impact juridique de ce renversement est de revenir à la situation prévalant avant 1973, date de l’arrêt Roe vs Wade. Concrètement, il appartiendra à chacun des 50 Etats américains de légiférer sur l’avortement, sauf si le Congrès américain votait une loi au niveau fédéral.

 

La décision de la Cour, porte sur la constitutionnalité d’une loi de l’Etat du Mississipi de 2018 restreignant la possibilité d’un avortement à 15 semaines de grossesse à l’exception de cas d’urgence médicale ou de malformation grave du foetus. La Cour suprême a entendu en décembre 2021 les arguments oraux des deux parties, le Département de la Santé de l’Etat du Mississipi représenté par Thomas Dobbs, et la clinique Jackson Women’s Health Organization, située dans la ville de Jackson, et seule clinique pratiquant l’avortement dans l’Etat du Mississipi.

 

Loi ou jurisprudence ?

Dans de nombreux pays, dont la France, l’avortement est régulé par une loi votée par le Parlement. En France, récemment, la loi a étendu le délai d’accès à l’avortement de 12 à 14 semaines de grossesse. L’analyse de cette extension se trouve sur le site d’Alliance VITA.

Aux Etats Unis, le Congrès, constitué du Sénat (100 sièges) et de la Chambre des Représentants (435 sièges) n’a pas voté de loi régulant ou bannissant l’accès à l’avortement.

Ainsi, récemment, le Sénat n’a pas trouvé de majorité pour une proposition de loi votée par la Chambre des Représentants. Cette proposition de loi visait à codifier la jurisprudence établie par l’arrêt Roe vs Wade et celle issue d’un arrêt de 1992 Planned Parenthood vs Casey. Ce dernier consolidait l’arrêt de 1973 Roe vs Wade tout en modifiant les critères selon lesquels un Etat américain peut encadrer l’avortement.

 

Ce qu’établit l’arrêt Roe vs Wade

L’arrêt Roe vs Wade a établi, par 7 voix contre 2, que la Constitution américaine protège le droit d’une femme de choisir d’avorter sans que l’Etat puisse opposer une « restriction excessive » à ce droit.

Jane Roe est le pseudonyme de Norma Mc Corvey, une femme enceinte en 1969 de son troisième enfant, souhaitant avorter, et Henry Wade le nom du procureur du Comté de Dallas. Le Texas restreignait l’avortement aux cas de danger pour la vie de la mère. L’arrêt s’appuie sur deux principaux éléments juridiques.

Tout d’abord, la Cour suprême a statué que la possibilité pour une femme de choisir un avortement, bien que non mentionné explicitement dans la Constitution, relevait du droit à la vie privée (“right to privacy”) réaffirmé par le quatorzième amendement à la Constitution dans sa section 1.

Ainsi cette clause (“Due process clause”) spécifie notamment qu’”Aucun État ne peut adopter ou appliquer une loi qui abrégera les privilèges ou immunités des citoyens des États-Unis; aucun État ne peut non plus priver une personne de la vie, de la liberté ou des biens, sans procédure régulière; ni refuser à quiconque relevant de sa juridiction l’égale protection des lois“. Ce quatorzième amendement a été voté en juillet 1868.

Dans le contexte de la fin de la guerre civile américaine et de l’abolition de l’esclavage, il garantissait dans la Constitution l’égalité des droits de tout citoyen, quelle que soit sa race ou son statut (ancien esclave ou pas).

D’après l’arrêt Roe vs Wade, les Etats pouvaient avoir un intérêt à réguler l’accès à l’avortement en considération de la santé des femmes et de la vie prénatale du fœtus, s’ils respectaient de strictes conditions (“strict scrutiny”) déclinées en trois concepts ou tests :

  1. La charge de la preuve (“burden of proof”) de l’intérêt d’apporter une restriction revient à l’Etat,
  2. L’Etat doit poursuivre un intérêt impérieux (“compelling interest”),
  3. De la façon la plus étroite possible (“pursued in the narrowest possible way”).

Le droit de recourir à l’avortement étant considéré comme un droit fondamental, les lois l’encadrant devaient être évaluées à l’aune de ces critères stricts.

Dans la pratique, l’arrêt établissait une distinction par trimestre de grossesse pour juger du bienfondé de législation d’un Etat. Lors du premier trimestre, aucune restriction n’était possible. Dans le courant du second trimestre, une régulation par des Etats était possible. Lors du dernier trimestre de grossesse, des restrictions étaient possibles sous réserve de question de santé et d’urgence médicale pour les femmes.

L’introduction du critère de viabilité, arrêt Planned parenthood vs Casey.

En 1992, la Cour suprême a rendu un nouvel arrêt sur le sujet de l’avortement. Elle affirme ce qu’elle déclare être les trois principales conclusions de l’arrêt de 1973, à savoir :

  1. Le droit des femmes de choisir d’arrêter leur grossesse sans que l’Etat puisse interférer de façon indue,
  2. Le droit d’un Etat de restreindre l’avortement quand le fœtus est viable (“fœtal viability”)
  3. L’intérêt légitime d’un Etat dès le début de la grossesse à protéger la santé des femmes et la vie du fœtus.

Le respect du précédent (“stare decisis”), c’est-à-dire le fait de ne pas renverser une décision précédente de la Cour suprême, était un des arguments également invoqué pour ne pas revenir sur l’arrêt Roe vs Wade.

La distinction par trimestre pour analyser les législations des Etats est remplacée dans cet arrêt par un critère de viabilité du fœtus (“viability analysis”), ouvrant la possibilité que les connaissances médicales modifient l’évaluation de la date de cette viabilité.

Par ailleurs, cet arrêt modifie également un point important : l’analyse des législations des Etats sur l’avortement par le critère des strictes conditions est remplacé par un critère de “fardeau indû” (“undue burden”). En conséquence, l’arrêt avait validé une législation de Pennsylvanie demandant le consentement informé au moins 24 heures avant l’acte d’avortement par la femme enceinte, un consentement parental pour les mineures, mais avait invalidé la nécessité pour une femme d’informer son mari de la procédure.

Plusieurs arrêts de la Cour suprême ont ensuite affiné la notion de fardeau indû. En 2020, un arrêt de la Cour Suprême  June Medical Services llc vs Russo, a ainsi réaffirmé que “les nombreuses restrictions qui n’imposaient pas d’obstacle important étaient constitutionnelles, tandis que la restriction qui imposait un obstacle important était inconstitutionnelle”.

 

Conclusion

Ces différentes interventions de la Cour suprême montrent que les législations des Etats américains sur l’avortement ont fait l’objet de nombreuses évolutions après l’arrêt Roe vs Wade. La législation du Mississipi, objet de l’arrêt, ainsi que celle votée au Texas en septembre 2021, en sont des exemples. En tout état de cause, la comparaison de la situation américaine avec celle de la France est hasardeuse.

Les systèmes juridiques des deux pays sont très différents. Par ailleurs, le débat sur ce sujet est toujours resté vif outre-Atlantique, divisant l’Amérique et séparant les politiques en deux camps. En France, un tel débat est difficile et plus déséquilibré, poussant à toujours plus d’extension de l’IVG. Les prises de position de l’OMS, décryptées récemment sur le site d’Alliance VITA, sont dans cette lignée. L’urgence est de s’interroger sur une véritable politique de prévention d’un acte qui n’a rien d’anodin, et que beaucoup de femmes voudraient éviter.

 

Pour Alliance VITA tout avortement étant un drame et un échec, le renversement de l’arrêt Roe vs Wade doit inciter les Etats à développer des politiques d’alternative à l’avortement et de soutien aux femmes enceintes en difficulté.

 

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[CP] – 20 ans d’euthanasie en Belgique : un anti-modèle pour la France

[CP] – 20 ans d’euthanasie en Belgique : un anti-modèle pour la France

euthanasie belgique 2019

COMMUNIQUE DE PRESSE –  25 mai 2022

20 ans d’euthanasie en Belgique : un anti-modèle pour la France

Alliance VITA voit dans la situation belge un anti-modèle pour la France, 20 ans après le vote d’une loi dépénalisant l’euthanasie alors qu’Emmanuel Macron s’est dit à titre privé favorable au « modèle belge » dans certains cas.

Le nombre d’euthanasies officiellement recensées a décuplé en 20 ans pour atteindre 2699 en 2021 soit un décès sur quarante en Belgique. Ce chiffre tranche radicalement avec l’argument avancé en 2002 selon lequel l’euthanasie devait être seulement permise dans des situations exceptionnelles.

En effet, la réalité belge montre l’inefficacité des gardes fous qui devaient éviter ces dérives : l’application élastique de la loi est d’ailleurs dénoncée dans une étude parue en 2021 dans le Journal of Medicine and Philosophy.

Cette étude rappelle la persistance des euthanasies clandestines : 30% des euthanasies ne seraient pas déclarées en Flandres, région qui concentre 75% des demandes. La Commission qui prétend contrôler a posteriori le respect de la loi, sur la base de la déclaration des médecins, admet elle-même qu’elle n’a pas les moyens de contrôler les euthanasies non déclarées ! Les médecins membres de la Commission peuvent même être amenés à se prononcer sur la conformité de leurs propres euthanasies !

Au fil des rapports de la Commission de contrôle, s’opère un glissement vers l’acceptation de cas d’euthanasies pour des pathologies mentales ou des polypathologies avec un laxisme choquant quant à l’appréciation de l’incurabilité et de la notion de souffrance qui ne pourrait être soulagée. Le nombre d’euthanasies pratiquées sur des personnes qui ne sont pas en fin de vie a ainsi doublé ces dix dernières années :

  • l’approche subjective de la souffrance a par exemple conduit la commission à valider une euthanasie pour une maladie de l’œil ! L’addition de pathologies en rien mortelles constitue le mobile d’une euthanasie sur 5 en 2021 ;
  • plusieurs dizaines d’euthanasies sont pratiquées chaque année pour des pathologies mentales (dépression, autisme…). Des praticiens belges se sont insurgés contre cette possibilité d’euthanasie qui fragilise les personnes souffrant de troubles psychiques, pointant ses effets délétères sur la prévention du suicide.

Alors qu’en 2014, la loi a été élargie aux mineurs, contre l’avis de nombreux pédiatres, des membres de la Commission fédérale de contrôle plaident aujourd’hui pour élargir encore la pratique euthanasique aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

Pour le porte-parole d’Alliance VITA, Tugdual Derville : « Les scandales de l’anti-modèle belge ont au moins le mérite de nous montrer la façon dont, à partir de prétendues exceptions, une société peut basculer, étape par étape, dans une culture d’exclusion – voire d’auto-exclusion – des plus vulnérables. Avec – c’était logique – des soins palliatifs déboussolés et dénaturés… Règle d’or de la confiance entre soignants et soignés, l’interdit de tuer ne souffre pas d’exception. Cet interdit protecteur encourage la créativité indispensable pour faire avancer la recherche et améliorer l’accompagnement des personnes fragiles. De même, aucune catégorie de personne ne doit être privée de la politique de prévention du suicide. Face à ce piège des prétendus cas-limite, à partir duquel la Belgique a tant dérivé, nous devons reconnaitre que les plus fragiles méritent davantage d’attention : la France doit promouvoir de nouvelles manières d’accompagner les personnes âgées et rendre les soins palliatifs accessibles à tous et partout. C’est la voie choisie par le législateur dès 2005 : ni acharnement thérapeutique, ni euthanasie, mais soulagement de la souffrance, accompagnement et soins palliatifs. »

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Jacqueline Jencquel’s Sad Suicide

Jacqueline Jencquel’s Sad Suicide

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On March 31, 2022, the death of Jacqueline Jencquel was announced by two tweets. Activist for assisted suicide, she had been vice-president of the Association for the Right to Die with Dignity (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité). The current president of the association, Jonathan Denis expressed his sorrow: “I will miss her. She will be missed in many fights.”

At 78 years of age, Jacqueline Jencquel, who was not suffering from any life-threatening disease, had made headlines in a shocking interview with Konbini in 2018, in which she announced that she was planning to die in January 2020 by assisted suicide in Switzerland. She advocated assisted suicide, even for people in relatively good health. She explained in her book “Terminer en beauté” (“Finish in Style”): “I am old enough to die. The danger is to become even older. Addiction and decrepitude scare me far more than death.”

Jacqueline Jencquel had frequently taken French people to Switzerland where assisted suicide is legal; however, it was not there that she finally chose to die. In her last post on her blog, she explained that she wanted to end her life in her luxurious Parisian apartment, “I want to die at home, surrounded by my books, photos, and familiar objects.” Jacqueline, a mother of three boys, had already backed out from her initial date, then she had temporarily postponed again when the birth of her grandson was scheduled for the same day that she had planned to die.

Besides being an activist for assisted suicide, Jacqueline was a complex person, who was trying to find a meaning and purpose in her life, as well as to life itself. She had also seemed surprised, and even overwhelmed, that her testimony had created such a shock wave. Even some euthanasia activists were offended, due to her sexual allusions. As always, cases with extenuating circumstances are used to get a law on euthanasia for people at the end of life. And afterwards, as we have seen in the Netherlands, Belgium and Canada, the law is extended to include other circumstances. Jacqueline Jencquel had implied that the separation from her German husband had left her extremely lonesome.

But her last post confirmed that she didn’t want to be a burden to her husband “who no longer loves me”, nor to their three sons, who are dispersed around the world. She admits worrying about material issues and feeling lonely. Her ode to euthanasia does not hide her existential distress.

Indeed, her last message is quite libertarian: “I am not an example to anyone. A hedonist who can choose the moment of her death”. But one who also feels disheartened by the world and admits to feeling useless: “I would have liked to have been able to offer my talents to help others in the community, but I do not know how to go about it or whom to address. Reflecting on this, but without ever finding an answer or a solution, I feel resigned. But at the same time, I do not like this word since – at the risk of repeating myself – I am not a victim. »

Switzerland is increasingly functioning as a hub for healthy people buying “one-way tickets” since there are many associations now offering assisted suicide in this country. This is a brutal shock for some families. Last February, an American discovered the demise of his two sisters only 10 days after the event! On February 3, his two well-off sisters, Susan and Lila, aged 46 and 54 respectively, flew from their comfortable homes near Phoenix, Arizona to Switzerland without informing him. He declared in the New York Times: “I’m devastated, and I have no idea why they did this.” The director of “Exit International”, Philip Nitschke, is quoted in the Belgian daily newspaper Le Soir” as saying: “The two sisters were unhappy (…) they were of sound mind, tired of life and they wanted to die together. This is their right, but it is not permitted under U.S. law.”

In France, suicide is a national scourge, a real tragedy of loneliness and despair, and affects twice as many people over 75 compared to the rest of the population. Suicide prevention should have no exception.

Alliance VITA offers its condolences to those who knew and loved Jacqueline Jencquel and endorses the words of the president of the ADMD association: we miss her, because she is missing in life. May she rest in peace.

Avortement : approche extrémiste et biaisée de l’OMS

Avortement : approche extrémiste et biaisée de l’OMS

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L’OMS a profité du 8 mars dernier, instituée journée internationale des femmes, pour présenter les recommandations sanitaires révisées en 2021 concernant la pratique de l’avortement.

L’organisme entend par ce guide des soins d’avortement (abortion care guidelines) présenter les meilleures pratiques et propositions pour des « soins d’avortement de qualité ».

Les premières publications ont démarré en 2003. Progressivement l’OMS s’est faite plus extrémiste dans ses propositions sans évoquer les enjeux d’une véritable politique de prévention.

Abordant la question sous le vocable d’« avortement sécurisé », l’OMS plaide pour de moindres restrictions de cette pratique en supprimant « les obstacles » à l’avortement qui, d’après cette instance, ne seraient pas justifiés d’un point de vue médical. Outre le développement des téléconsultations, l’organisme recommande de lever les peines liées au non-respect de la loi nationale, de supprimer les délais de réflexion entre les consultations ainsi que l’autorisation parentale pour les mineures ou d’un tiers.

L’OMS va jusqu’à recommander la suppression de tout délai pendant les 9 mois de la grossesse.

Il est pour le moins inquiétant que l’OMS se détache de toute éthique quant à la vie humaine avant la naissance et plaide pour des avortements sans limite de temps. Une tentative de quelques députés en France d’étendre l’avortement sans délai pour des « raisons psychosociales » lors de l’examen de la loi bioéthique en 2020  avait provoqué un électrochoc chez des personnes de tous bords. Elles étaient choquées à l’idée de ces avortements tardifs de fœtus, proposés pour des femmes confrontées à une situation de vulnérabilité ou de précarité.

Pour justifier ses recommandations, l’OMS présente des chiffres sujets à caution. Ils font l’objet d’une note d’analyse publiée par Alliance VITA.

En effet l’organisme affirme que 39 000 décès de femmes consécutifs à un avortement « non sécurisé » ont lieu chaque année. Compte tenu de la difficulté de comptabilisation de la mortalité maternelle liée à l’avortement, ce chiffre est le résultat d’une estimation d’un modèle statistique (qui s’appuie sur une publication du Lancet de 2014) : il donne des plages de variation entre 14 000 et 39 000 décès par an. Le chiffre retenu par l’OMS est le haut de la plage de variation.  Pis, en regardant derrière chiffres, on découvre que la catégorie “décès de la mère par avortement” inclut non seulement les IVG (induced abortion) mais aussi les fausses couches (miscarriage) et grossesses extra-utérine (ectopic pregnancy).

L’OMS entame sa crédibilité en publiant des recommandations radicales fondées sur des données qui ne s’avèrent pas fiables. D’autre part, si l’objectif de veiller à la santé des femmes est primordiale, qui plus est lorsque leurs vies sont en jeu, aucune donnée n’est fournie sur les causes et les conséquences psychologiques et sociales de l’avortement, éléments cruciaux de compréhension qui pourraient objectivement aider à éviter cette pratique.

Décryptage des chiffres de l’OMS sur l’avortement dans le monde

Décryptage des chiffres de l’OMS sur l’avortement dans le monde

Décryptage des chiffres de l’OMS sur l’avortement dans le monde

Note d’analyse – Avril 2022

 

 

Résumé  

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) publie des chiffres officiels appelés “fact sheet” sur l’avortement. Ces chiffres concernant le nombre d’avortements dans le monde, le nombre d’avortements non sécurisés et le nombre de décès maternels suite à un avortement sont présentés comme des données venant de statistiques officielles recensant ces cas à travers le monde. En étudiant les sources des articles sur lesquels s’appuie l’OMS, et en l‘absence de données officielles suffisamment disponibles, il apparait que ces chiffres sont le résultat d’estimations issues de modèles statistiques.

Ces derniers utilisent des hypothèses en amont pour prédire ces grandeurs. Cette note se propose donc d’analyser les méthodologies derrière les estimations de l’OMS, les limites de leur validité ainsi que la manière dont sont présentés les chiffres.

 

Evaluation du nombre d’avortements dans le monde

“Environ 73 millions d’avortements provoqués ont lieu chaque année dans le monde.”

Cette affirmation de l’OMS s’appuie sur un article de Juillet 2020 publié dans The Lancet Global Health Journal [1]. Ces 73 millions sont présentés comme des affirmations (“ont lieu”) alors qu’ils sont le résultat d’une estimation. En effet, selon [1], il y aurait entre 67 et 82 millions d’avortements dans le monde dans un intervalle d’incertitude assez faible de 80% ce qui laisse une marge d’erreur assez importante. Le nombre correspondant d’avortements ramené par femme serait entre 36 et 44 avortements pour 1000 femmes en âge de procréer sur la période 2015-19.

Les auteurs de l’article [1] constatent la faible disponibilité des données officielles sur ce sujet :

  • les données sur l’avortement sont relativement faibles et ont de grandes incertitudes dans les pays ayant des politiques restrictives”,
  • la disponibilité de plus en plus grande de l’IVG médicamenteuse rend difficile le calcul du nombre d’avortements à l’intérieur et à l’extérieur du système de santé”,
  • les données pour des naissances non voulues sont relativement faibles dans les pays légalisant l’avortement”.

Ainsi, en l’absence de données directes suffisamment importantes, une approximation statistique est développée par [1] qui consiste à estimer :

  1. le taux de grossesses non voulues à partir
    • du nombre de femmes souhaitant la contraception et n’y ayant pas accès,
    • du nombre de femmes utilisant une contraception mais qui a fait défaut
    • et du risque de grossesse dans chaque catégorie
  2. l’intention de donner naissance parmi les grossesses non voulues, (basé notamment sur le London Measure of Unplanned Pregnancy).

Afin de valider leur modèle, les auteurs ont comparé leurs résultats avec les points de références disponibles dans les pays recensant correctement le nombre d’avortements. Les écarts entre les sorties du modèle et les points de comparaison se révèlent importants. (De l’ordre de 30% en erreur relative absolue).

En outre, si l’on compare avec d’autres sources de l’OMS, ce chiffre de 73 millions est beaucoup plus élevé que dans des références antérieures. 3 ans auparavant en 2016, un article publié dans The Lancet [2] (avec en partie les mêmes auteurs) estimait à 56 millions le nombre d’avortements annuels dans le monde (entre 52 et 70 millions dans un intervalle d’incertitude plus élevé de 90%) sur la période 2010-14  (estimations reprises par l’INED). Or l’estimation de l’article de 2019 pour la même période (avec les corrections sur la croissance de la population, ce qui correspond à une augmentation de 4,8% sur 4 ans) est de 71 millions d’avortements.

Cet écart de plus de 26% n’est aucunement expliqué dans la publication [1].

On peut noter que les méthodologies sont très différentes entre les deux articles :  celui de 2016 [2] se base sur la fréquence des rapports sexuels, la fécondité, la “force” des femmes de mener une grossesse à leur terme et la capacité à agir selon leurs préférences (basés sur leur niveau d’éducation et le PIB). Tous ces “prédicteurs” sont particulièrement subjectifs et mériteraient une discussion approfondie des hypothèses choisies.

On peut conclure que la méthode et les variables d’entrée des modèles d’estimations du nombre total d’avortements dans le monde par l’OMS ont une influence très forte sur les chiffres publiés.

Ces écarts appellent à creuser les hypothèses qui ont été retenues pour ces estimations.  

 

 

Nombre d’avortements non sécurisés dans le monde

“Environ 45 % de l’ensemble des avortements sont non sécurisés”

Cette affirmation de l’OMS s’appuie sur un article de Novembre 2017 publié dans Le Lancet [3]. Ces 45% sont présentés comme des affirmations (“sont non sécurisés”) alors qu’ils sont le résultat d’une estimation.

En effet, selon [3], il y aurait entre 40,6% et 50,1% d’avortements non sécurisés dans un intervalle d’incertitude de 90%. Selon [3], ces 45% correspondent à 25 millions d’avortements sur les 56 millions pris comme référence issus de l‘article [2].  Cette répartition est dans la continuité avec des sources précédentes correspondant à 20 millions sur 42 millions d’avortements dans un article de l’OMS de 2009 [4].

Les auteurs de [3] insistent sur la très grande pauvreté (“data paucity”) des données disponibles concernant les avortements sécurisés et les autres non sécurisés selon les méthodes recommandées par l’OMS pour pouvoir vérifier leurs chiffres. Ils doivent donc passer par une estimation à partir d’autres facteurs.

Le modèle pour estimer le nombre d’avortements “sécurisés” s’appuie sur 4 prédicteurs (variables d’entrée du modèle : le nombre d’années depuis que le mifepristone est autorisé dans le pays, la proportion de la population vivant dans les zones urbaines, l’indice d’inégalité entre les sexes, le statut d’autorisation du misoprostol pour capturer les avortements réalisés en dehors du système de santé).  

L’absence de transparence sur les critères de sélection rend les fondements de cette méthodologie discutables. De plus, aucun résultat de validation du modèle par rapport aux données de recensement n’est fourni dans l’article.

Compte tenu de la spécificité du modèle, les auteurs indiquent en particulier que “des comparaisons avec des estimations préalablement faites sur les proportions d’avortements sécurisés et non sécurisés ne peuvent pas et ne doivent pas être réalisées en raison de la méthodologie, les données utilisées et les approches d’analyses très différentes”.

Ce modèle conduit à donner une estimation chiffrée à deux catégories d’avortement :

  • Les avortements “moins sécurisés” représentent 30%. Ils concernent l’utilisation d’une méthode non recommandée par l’OMS (ex curetage) par une personne qualifiée et une méthode recommandée par l’OMS (ex l’avortement médicamenteux) sans suivi par une personne qualifiée.
  • Les avortements “les moins sécurisés” représentent 15%. Ils incluent toutes les méthodes non recommandées par l’OMS réalisées par des personnes non qualifiées.

On peut noter que l’OMS communique sur 45% plutôt que les 15% de l’article [3].

 

 

Nombre de décès maternels liés à un avortement dans le monde

“4,7 % à 13,2 % des décès maternels peuvent être attribués à un avortement non sécurisé”

Cette affirmation de l’OMS s’appuie sur un article de Juin 2014 publié dans Le Lancet [5]. La large plage d’incertitude de 4,7% à 13,2% correspond à un intervalle de confiance à 95% ce qui est élevé, l’estimation moyenne étant de 7,9%. Ces pourcentages ont été convertis par l’OMS à 39 000 décès par an sur leur site ce qui correspond au 13,2% (en considérant les 295 000 décès annuels de la fact sheet de l’OMS sur la mortalité maternelle).

On notera que l’OMS, dans sa communication, préfère retenir l’estimation haute plutôt que l’estimation moyenne qui aurait conclu à 23 000 décès par an.  Notons que les auteurs de l’article [5] mentionnent un possible sous reporting des décès qui ne seraient pas dans les statistiques.

Les auteurs de [5] ont exploité des données médicales de classification internationale des maladies (ICD-10) pour classer les causes de décès maternels : avortement, embolie, hémorragie, hypertension, septicémie, autres causes directes et autres causes indirectes. Un biais important apparait dans la mesure où la catégorie “décès de la mère par avortement” inclut les situations suivantes : IVG (induced abortion) mais aussi fausse couches (miscarriage) et grossesses extra-utérine (ectopic pregnancy). L’article ne fait aucune distinction entre ces 3 catégories.

Ces estimations de décès maternels liés à l’IVG ne s’avèrent pas fiables.

De plus, le lien entre les avortements non sécurisés tels que définis par l’OMS et les décès maternels n’est pas établi.  

En effet, les auteurs de la publication [3] ont tenté de relier les estimations d’avortements non sécurisés tels que définis par l’OMS (comprenant les avortements “moins sécurisés” et les avortements “les moins sécurisés”) avec des taux estimés de mortalité maternelle liés à l’avortement tout type confondu (Case fatality rate) pour vérifier l’hypothèse d’impact sur la santé des femmes d’avortements non sécurisés.  

Or, ils n’aboutissent pas à trouver un lien et déclarent qu’”aucune association claire n’a été observée entre les proportions d’avortement non sécurisés et les taux de mortalités maternelles”. 

Ils indiquent cependant qu’ils peuvent observer une association entre le taux de mortalité maternelle et le taux d’avortement “les moins sécurisés”.  La figure 8 (ci-dessous) montre pourtant des disparités de corrélation très fortes d’une région à une autre. La corrélation est négative en Amérique Centrale et en Afrique du Nord avec un fort taux d’avortement “les moins sécurisés” et très peu de mortalité alors que la corrélation est positive en Afrique de l’Ouest et du Centre où les conditions générales de santé sont mauvaises.   

tableau tx avortement tx mortalite maternelle

En conclusion, la fiabilité des données, très contestable, remet en cause la pertinence des  recommandations et appelle à la plus grande prudence.

 

Bibliographie

[1] Unintended pregnancy and abortion by income, region, and the legal status of abortion: estimates from a comprehensive model for 1990-2019, Guttmacher Institute, WHO, University of Massachussets, July 2020, The Lancet Global Health Journal https://www.thelancet.com/journals/langlo/article/PIIS2214-109X(20)30315-6/fulltext

[2] Abortion incidence between 1990 and 2014: global, regional, and subregional levels and trends,  Guttmacher Institute, WHO, University of Geneva, Ibis Reproductive Health California, University of Massachussets, July 2016, The Lancet Journal https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5498988/pdf/nihms863976.pdf

[3] Global, regional, and subregional classification of abortions by safety, 2010–14: estimates from a Bayesian hierarchical model, Guttmacher Institute, WHO, University of Massachussets, November 2017, The Lancet Journal https://www.thelancet.com/action/showPdf?pii=S0140-6736%2817%2931794-4

[4] Unsafe Abortion: Global and Regional Incidence, Trends, Consequences, and Challenges, WHO, December 2009, Journal of Obstetrics and Gynaecology Canada,  https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1701216316343766.

[5] Global causes of maternal death: a WHO systematic analysis, WHO, University of California, University of Birmingham, National University of Singapore, June 2014, The Lancet Global Health Journal https://www.thelancet.com/action/showPdf?pii=S2214-109X%2814%2970227-X

 

Avortement : approche extrémiste et biaisée de l’OMS.

décryptage des chiffres de l’oms sur l’avortement dans le monde

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