Avortement en Espagne : des cliniques privées condamnées pour publicité mensongère par le Tribunal Suprême

Avortement en Espagne : des cliniques privées condamnées pour publicité mensongère par le Tribunal Suprême

Le Tribunal Suprême espagnol a confirmé en septembre dernier un jugement du Tribunal d’Oviedo condamnant l’ACAI pour publicité mensongère. L’ACAI (Asociacion de Clinicas Acreditadas para la Interrupcion Voluntaria del Embarazo) est un groupement d’une trentaine de cliniques privées, accréditées pour pratiquer des avortements.

Une affirmation générale trompeuse

Avant ce jugement, sur son site et dans une rubrique dédiée aux questions fréquentes, à la question “de quels risques puis-je souffrir si je pratique un avortement?” la réponse informait que “L’interruption de grossesse est une opération qui ne laisse pas de séquelles, donc quand vous tombez enceinte, ce sera comme si vous n’aviez pas eu d’avortement précédent. Il n’y a pas non plus de risque de stérilité de subir un ou plusieurs avortements. L’avortement est l’intervention chirurgicale la plus fréquente en Espagne qui ne laisse pas de séquelles et l’incidence des complications est très faible“.  Un groupe d’avocats avait attaqué l’ACAI sur l’affirmation de l’absence de séquelle, affirmation de portée générale. Le Tribunal d’Oviedo, dans son jugement confirmé par le Tribunal Suprême, a retenu l’appellation de publicité mensongère suite à différents témoignages apportés devant le tribunal au sujet de possibles séquelles. Un gynécologue, une chirurgienne et une thérapeute ont ainsi été entendus, leur témoignage portant sur l’existence de cas où des séquelles, en particulier psychologiques, avaient été observées.

Suite au jugement, le site web de l’ACAI a modifié la réponse à la question de la façon suivante : “L’avortement est l’une des interventions instrumentales les plus fréquentes en Espagne, son incidence de complications est faible lorsqu’il est effectué par des professionnels formés pour effectuer cette intervention et lorsqu’un accompagnement psychologique correct a été effectué. Les professionnels des centres vous informeront au cours du processus des complications possibles et / ou des effets secondaires de l’intervention, et il sera enregistré que cela a été le cas en signant un consentement éclairé.

L’avortement en Espagne : une situation différente de la France

L’avortement en Espagne est régi par une loi de 2010 qui autorise l’avortement jusqu’à la quatorzième semaine de grossesse, et la vingt-deuxième “en cas de risque grave pour la vie ou la santé de la femme enceinte ou risque d’anomalies graves pour le fœtus”. Le gouvernement espagnol a présenté en mai dernier un projet de loi pour éliminer le délai de réflexion de 3 jours et l’obligation du consentement parental pour les mineures, une clause qui avait été réintroduite dans une loi datant de 2015. Les chiffres les plus récents publiés par les autorités font état de 88269 avortements en Espagne en 2021, soit un taux de recours à 10.3 pour 1000 femmes âgées de 15 à 44 ans. Ce taux est à 15.5 en France selon les dernières statistiques publiées. Par ailleurs, 15% des avortements sont opérés dans des hôpitaux publics, le reste se faisant dans des cliniques privées. Les statistiques en répertorient environ 200 sur le territoire espagnol.

Cette décision juridique à l’encontre de certaines cliniques rappelle l’importance de ne pas occulter les réalités vécues par des femmes au profit d’une approche à la fois idéologique et commerciale.

Banaliser la pratique et les conséquences de l’avortement pour des femmes ne peut être un objectif de santé publique.

Sondage Elle Magazine : 13% des femmes ne veulent pas d’enfant

Sondage Elle Magazine : 13% des femmes ne veulent pas d’enfant

Désir d’enfant : le sondage commandé par le Magazine Elle révèle que 13% des femmes sondées déclarent ne pas vouloir d’enfant. A la question « Dans l’idéal, combien d’enfants souhaiteriez-vous ou auriez-vous souhaité avoir d’enfants? », 45% répondent deux, 32% trois, et 10% un seul, et pour 13% d’entre elles : aucun. Elles n’étaient que 2% en 2006 à faire cette même réponse.

Lorsqu’on se penche sur ces 13%, on constate que les femmes qui répondent ne vouloir aucun enfant sont majoritairement les plus jeunes, les personnes aux revenus les plus faibles, les parisiennes, celles se déclarant comme très féministes ou affiliées au parti Europe Ecologie Les Verts (EELV) et les deux extrêmes de la catégorie socioprofessionnelle (ouvrières et cadres supérieures). Ce sont aussi celles qui n’ont pas d’enfant. On parle aujourd’hui d’un mouvement « childfree ».

Sur le segment des femmes n’ayant pas d’enfant et en âge de procréer la question : « Vous-même souhaitez-vous avoir des enfants, que ce soit maintenant ou plus tard ? », 30% affirment ne pas vouloir d’enfant. On constate que ce sont là aussi largement les plus riches, celles qui se disent très féministes, écologistes, proches d’EELV ou du PS qui affirment le plus ne jamais vouloir d’enfant.

La préoccupation écologique, pourtant très prégnante, ne semble pas la cause prioritaire. C’est au contraire, d’après ELLE, un « mouvement d’hédonisme qui souffle sur le (non) désir d’enfants des Françaises ». Les femmes veulent rester libres, 33% considérant qu’un enfant n’est pas nécessaire à leur bonheur, un sentiment qui aurait triplé en seulement vingt ans. Parmi celles qui ne souhaitent pas avoir d’enfant, ce serait pour 91% pour des raisons d’épanouissement personnel, pour 81% pour des raisons écologiques et climatiques et pour 63% pour des raisons financières et familiales.

Les autres raisons évoquées par les femmes sont la peur des effets de la grossesse sur le corps, le désir de privilégier ses loisirs ou sa vie professionnelle, les conditions matérielles, le manque de soutien extérieur, la peur d’être une mauvaise mère ou encore les convictions féministes qui font craindre les inégalités de genre existant au sein des couples avec enfant…

L’autre signe du profond changement culturel à l’œuvre, serait la rupture du schéma classique : « trouver le bon, emménager, se marier, faire un bébé » analyse le magazine.  L’ouverture de la PMA à toutes les femmes, avec don de sperme anonyme, aurait conduit à un changement de mentalité, conduisant presque une femme sans enfant sur deux à répondre qu’elle pourrait tenter d’avoir recours au don de sperme. En d’autres termes, à se passer de père pour son enfant.

Autre chiffre marquant, les femmes seraient nombreuses à dire regretter leur « vie d’avant » leur enfant, et 12% carrément ne feraient pas le choix d’avoir leur enfant, si c’était à refaire. Ce mouvement dit de « regret maternel » observé dans la société s’alimente largement de témoignages médiatisés. Ces résultats mettent en lumière les nouvelles normes culturelles autour du désir d’enfant, marqués par une société de plus en plus repliée sur elles-mêmes, sur les préoccupations matérielles, l’individualisme et « l’enfant projet ».

Un autre sondage publié l’an dernier par l’Union nationale des associations familiales sur sa dernière enquête montrait au contraire que les Français souhaiteraient avoir plus d’enfants. Le désir d’enfant reste présent : « En moyenne, les personnes interrogées veulent, ou auraient voulu, 2,39 enfants.-soit 0,58 enfant de plus que le nombre d’enfants qu’ils déclarent avoir eus jusqu’à présent.-… et 0,56 enfant de plus que l’indice conjoncturel de fécondité Insee actuel ». L’indicateur de fécondité n’était que de 1,87 en 2019. « Lorsque 9 personnes sur 10 déclarent vouloir, ou avoir voulu, au moins un enfant, et 83% au moins deux, et 36% au moins trois, cela doit inciter les pouvoirs publics et la société à s’interroger sur ce qu’il est possible de faire pour aider ces souhaits à devenir réalité ».

Parmi les facteurs bloquant cette réalisation du désir d’enfant, il y aurait les difficultés matérielles et financières des familles ne leur permettant pas de s’agrandir (enjeu de trouver un emploi stable, un logement fixe et décent, etc.). Il y a également l’équilibre difficile entre la vie privée et professionnelle, avec un emploi du temps peu aménageable. Enfin, les politiques publiques de prestations et de prélèvements s’avèrent de moins en moins avantageuses pour les parents, avec des coupes budgétaires importantes et une augmentation la charge liée au logement dans les budgets familiaux.

Sédation continue jusqu’au décès : 3 questions à Olivier Jonquet, Professeur émérite médecine intensive-réanimation

Sédation continue jusqu’au décès : 3 questions à Olivier Jonquet, Professeur émérite médecine intensive-réanimation

1- En quoi consiste la sédation profonde et continue ?

Le terme de sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMJD) est apparu dans la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. La loi encadre les situations dans lesquelles cette modalité est susceptible d’être employée.

Quand on parle de sédation, de quoi s’agit-il ?

D’une manière générale, la sédation consiste à administrer aux patients des produits sédatifs (qui diminuent la vigilance) pour lutter contre une situation jugée insupportable pour le patient malgré des traitements spécifiques bien conduits.

-Une sédation peut être transitoire, intermittente. Elle doit être adaptée au but recherché, c’est-à-dire « proportionnée et elle est réversible. Des échelles de sédation permettent d’adapter les doses de produits au but recherché.

La sédation profonde continue maintenue jusqu’au décès (SPCMJD)est une modalité introduite par la loi Claeys-Léonetti. Elle consiste en l’administration de produits sédatifs (Midazolam le plus souvent) auxquels on ajoute des neuroleptiques (Chlorpromazine) en cas d’agitation. Des opioïdes peuvent être associés pour calmer les douleurs ou les troubles respiratoires. Comme son nom l’indique, l’administration est poursuivie jusqu’au décès qui peut survenir en quelques heures ou en quelques jours.

 

2- Quelles sont les conditions de mise en place ?

Le but est de soulager des souffrances réfractaires chez une personne dont le pronostic vital est engagé à court terme.

 

Qu’est-ce qu’une souffrance réfractaire ?

Une souffrance est dite réfractaire si tous les moyens thérapeutiques et d’accompagnement disponibles et adaptés ont été proposés et/ou mis en œuvre :

  • sans obtenir le soulagement escompté par le patient ;
  • ou qu’ils entraînent des effets indésirables inacceptables ;
  • ou que leurs effets thérapeutiques ne sont pas susceptibles d’agir dans un délai acceptable pour le patient.

Le patient est le seul à pouvoir apprécier le caractère insupportable de sa souffrance, des effets indésirables ou du délai d’action du traitement.

Dans le cas où le patient ne peut pas exprimer sa volonté, le code de la santé publique prévoit aussi la possibilité de la SPCMJD.  Lorsqu’un arrêt des traitements est décidé (dialyse, ventilation artificielle…), au titre du refus de l’obstination déraisonnable, cela se fait sur décision médicale dans le cadre d’une procédure collégiale qui implique l’avis des proches ou de la personne de confiance, si elle a été désignée.

Qu’est- ce qu’un pronostic vital engagé à court terme ?

La notion de court terme est caractérisée lorsque le décès est proche, attendu dans les heures ou les quelques jours qui viennent. La décision médicale est fondée sur des arguments médicaux et une réflexion collégiale.

Lorsque le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, on doit recourir à une sédation transitoire, intermittente, proportionnée, réversible.

La prescription d’une SPCMJD n’est pas anodine, elle fait suite à la demande d’un patient en fin de vie dont le pronostic vital est engagé à court terme quelques heures, quelques jours. Elle nécessite une procédure collégiale impliquant une équipe pluri-professionnelle pour en évaluer la pertinence et les modalités. Elle a pour but unique de calmer la souffrance jugée insupportable par un patient en fin de vie, pas de lui donner la mort. On ne fixe pas la date et l’heure d’un décès qui de toutes les façons devrait survenir dans les heures ou les jours qui suivent.

 

3- Qui peut affirmer qu’on ne souffre pas dans cet état, sans alimentation ni hydratation.

La profondeur de la sédation peut être appréciée par des échelles d’évaluation comme par exemple celle de Richmond (RASS) : la RASS est un instrument conçu pour évaluer le niveau de vigilance et de comportement chez les patients gravement malades.

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On atteint en quelques heures le palier -4/-5. Le niveau de sédation atteint permet d’envisager la suppression de la douleur, de la souffrance comme le disent les patients qui ont eu une sédation dans ces paliers et pour lesquels le processus a été interrompu. La suppression de l’alimentation et de l’hydratation est souvent invoquée pour dire que ces patients meurent de faim. C’est faux. Ces patients sont en fin de vie, sous sédation et on ne meurt pas de faim dans les quelques heures ou quelques jours suivant l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation.

Cela dit, la loi dit que « la nutrition et l’hydratation constituent des traitements qui peuvent être arrêtés ». La loi ne dit pas « doivent être arrêtés », laissant une marge d’appréciation. Que ce soit la suppression de l’hydratation et/ou l’alimentation, leur valeur symbolique peut poser problème pour les proches et les soignants. On peut dire aussi que les besoins en fin de vie sont diminués, que la poursuite de l’hydratation et/ou de la nutrition peut entrainer un inconfort délétère. Le maintien d’un apport hydrique minimal autour de 250 cc/24h peut être maintenu.

 

4- En cas de SPCMJD, qu’est-ce qui provoque la mort ?

C’est d’abord la maladie qui provoque la mort puisque le patient se trouve « à quelques heures ou à quelques jours » de la fin de sa vie.

Ensuite, la sédation avec les produits utilisés (anxiolytiques, et éventuellement les opioïdes morphiniques) est susceptible de diminuer la fréquence ventilatoire et d’accélérer les décès.

On est ici dans le principe du double effet : l’apaisement de la douleur doublé de l’accélération éventuelle du décès qui n’est pas recherchée pour elle-même. On l’accepte alors chez quelqu’un qui, de toutes les façons va mourir et pour lequel il n’y a pas d’autre moyen de calmer ses souffrances. Dans ces situations souvent complexes on respecte la vie, mais on accepte la mort inéluctable.

Dans l’euthanasie et ses différentes dénominations (suicide médicalement assisté, aide active à mourir…), le but recherché et l’intention sont de provoquer le décès du malade immédiatement qu’il soit en fin de vie ou non.

 

Référence
https://www.has-sante.fr/jcms/c_2832000/fr/comment-mettre-en-oeuvre-une-sedation-profonde-et-continue-maintenue-jusqu-au-deces

 

 

Pornographie : le Sénat alerte sur l’enfer du décor

Pornographie : le Sénat alerte sur l’enfer du décor

Un rapport d’information cosigné par 4 sénatrices de différents partis alerte sur l’emprise de l’industrie pornographique et ses impacts néfastes, sous le titre choc de “l’enfer du décor”. Publié le 27 septembre au nom de la Délégation aux droits des femmes, ce rapport de 205 pages étudie en profondeur l’importance de ce secteur, ses modes de fonctionnement, la banalisation de son usage, et les dangers et menaces que cette industrie fait peser sur les jeunes et la société entière, selon l’expression du rapport.

23 recommandations finalisent le rapport, autour de la lutte contre les violences pornographiques, de la suppression de contenus numériques, de la protection des mineurs et de l’éducation des adolescents. Ce rapport sénatorial n’a pas de caractère législatif, mais a valeur d’appel auprès du public et du gouvernement. Les rédactrices vont jusqu’à écrire qu’il y a “urgence à engager un débat public sur les pratiques de cette industrie et sur son existence même”.

Un accès massif depuis l’avènement du numérique.

La pornographie est une industrie qui a “fait de l’exploitation et la marchandisation du corps et de la sexualité des femmes un business à l’échelle mondiale”. Les chiffres sont connus et méritent d’être rappelés. Selon les sources citées par le rapport, la pornographie représente 27% du trafic vidéo en ligne. 136 milliards de vidéos sont visionnées chaque année. Si le chiffre d’affaires stricto sensu du secteur de la pornographie est estimé à 7.5 Mds au niveau mondial, il faut ajouter les revenus générés par le trafic : l’estimation fournie dans l’étude est de 140 milliards $. Le chiffre d’affaire de Netflix, pour comparaison, est de 25 Mds. Les intérêts financiers sont donc colossaux. Ces intérêts économiques ont engendré un phénomène classique de concentration de l’industrie, la société Mindgeek basée au Canada détenant les plus grosses plateformes de diffusion de contenus. La France est le 4° pays le plus consommateur, derrière les Etats Unis, le Royaume Uni et le Japon, avec une estimation de 19.3 millions de personnes qui se rendent au moins une fois dans le mois sur un site classifié “adulte”, dont 2.5 millions de mineurs. Le public consommateur s’est élargi avec cet accès massif et facilité. 2/3 des enfants de moins de 15 ans et 1/3 des enfants de moins de 12 ans ont déjà eu accès à des images pornographiques. Avant 18 ans, 95% des garçons et 86% des filles ont été exposés à des images de ce type. La consommation est donc à la fois banalisée et généralisée. Le rapport note que la massification de la consommation à partir des années 2000, avec un accès quasi libre et gratuit, a pu être un facteur dans l’apparition et le développement de contenus de plus en plus violents.

Une industrie imposant une norme dégradante et violente pour les femmes.

Le titre du rapport “l’enfer du décor” s’applique en particulier aux conditions de production des images. Des chercheurs auditionnés établissent un lien entre la production pornographique et la prostitution. De nombreux témoignages recueillis soulignent la violence et les pressions exercées sur les femmes lors de la production des scènes. Une étude par des associations estime que 88% des scènes comportent des violences physiques. Les viols sont nombreux et souvent jamais dénoncés. Une procureure de la République a déclaré que “le milieu pornographique est quasi-exclusivement celui de la violence”. La responsable de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) Madame Elvire Arrighi a fait état de “la porosité entre le monde de la prostitution et celui de la pornographie”. Une responsable du mouvement du nid a corroboré ce fait par son expérience de terrain. Certains qualifient l’industrie pornographique de “proxénétisme 2.0”. De plus, un cercle vicieux s’installe avec une demande de la part des clients de la prostitution de pratiques visionnées auparavant. La lecture du rapport est une illustration dramatique de l’impossibilité de contrôler les pratiques de ce secteur, et l’impact catastrophiques pour de nombreuses femmes. Le témoignage d’une ancienne actrice, Mia Khalifa, est emblématique. Le document du Sénat questionne également la réalité du consentement de la part des femmes qui tournent les scènes. Leur position de vulnérabilité jette un doute sur la présentation par l’industrie d’une activité contractuelle commerciale comme une autre. Lors de son audition, Mme Arrighi a souligné que “les actes, même consentis, découlent d’une nécessité matérielle et d’une précarité économique dont souffrent ceux qui s’y livrent plutôt que d’un choix libre et éclairé. (…) C’est bien l’esprit de notre droit de dire que, même si l’intérêt économique est partagé, personne ne doit profiter matériellement des services sexuels tarifés d’un tiers. La notion de dignité humaine est objective et supplante dans notre droit celle du consentement, qui est, elle, subjective, et donc sujette à manipulation”. Alors que des voix plus nombreuses s’élèvent pour demander une banalisation de la prostitution renommée “travail du sexe”, il est intéressant de noter ces mots dans le rapport : “À partir du moment où on considère l’échange, la transaction sexe contre argent comme un métier comme un autre, on va se retrouver confrontés à ces situations d’abus”.   

Les ramifications de cette situation pour la société entière sont dénoncées : l’accès pour les mineurs au mépris de la loi, une hyper sexualisation précoce, le développement des conduites à risques ou violentes, ainsi que des troubles psychiques.

La lutte est inégale entre les associations cherchant à protéger les personnes et l’industrie pornographique. Le cas de l’accès des mineurs est emblématique. La question du contrôle effectif de l’âge est régie par une loi datant de juillet 2020. Le décret d’application n’est sorti qu’en octobre 2021. 5 sites ont été sommés par le CSA de mettre en place des dispositifs adaptés pour le contrôle de l’âge en décembre 2021. Après plusieurs rebondissement devant la justice, la cour de Cassation va devoir se pencher sur cette question.

Pornographie “éthique” ?

Un dernier point vaut d’être mentionné. Certains acteurs de cette industrie, ainsi que des chercheurs, ont plaidé pour un encadrement de l’industrie permettant la production de pornographie “éthique” ou “alternative”. Des chercheurs parlent d’une situation “plurielle” de l’industrie. Les sénatrices ont qualifié l’approche réglementariste de “feminist washing” et estiment qu’elle est “vouée à l’échec“. La section de ce rapport s’intitule “des formes de pornographie plus respectueuses des personnes ? Une goutte d’eau dans un océan de violence” !

Il serait souhaitable que sur d’autres sujets de société, comme la GPA, cette lucidité s’applique. Au rebours d’une vision qui fait de la contractualisation et du consentement l’alpha et l’oméga de la réglementation des activités, ce rapport est un rappel opportun de l’importance de l’interdit, affirmé par la loi et sanctionné par la justice. Selon le mot connu de Lacordaire, il est des situations où “entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit“.

Euthanasie au Canada : les inquiétudes justifiées de pente glissante

Euthanasie au Canada : les inquiétudes justifiées de pente glissante

Le chercheur Tom Koch, spécialiste en éthique, a analysé comment la situation de l’Aide médicale à mourir (AMM) qui recouvre euthanasie et suicide assisté avait évolué au Canada depuis sa légalisation en 2016. Son étude porte plus particulièrement sur la question de savoir si les inquiétudes des personnes opposées à la légalisation (les sceptiques) s’étaient avérées justes ou sans fondement. Son approche n’est pas philosophique mais basée sur des faits.

Il analyse deux types d’arguments :

  • l’effet probable de « pente glissante » qui verrait les conditions d’accès progressivement élargies et le nombre de décès augmenter;
  • la probabilité que l’euthanasie se substitue aux soins palliatifs, spécialement dans les lieux où ils n’étaient pas développés.
 Premier argument : Les critères d’éligibilité rapidement élargis et la croissance des décès

Le nombre annuel d’euthanasies a crû fortement en 5 ans passant de 1018 à 7589. L’auteur mentionnait que cette augmentation se poursuivait sur 2021. Le dernier rapport statistique, paru après cette étude, fait état de 10 064 décès en 2021 soit 3,3% des décès canadiens et une augmentation de 32% par rapport à l’année précédente.

La loi relative à « l’aide médicale à mourir » votée en 2016, fixe dès le début des critères d’admissibilité larges et subjectifs, d’autant que le médecin ou l’infirmier qui les invoque peut en avoir «une croyance erronée » sans pour autant qu’ils soient condamnables, selon l’article 227(3). Pour avoir accès à l’euthanasie ou au suicide assisté, la personne doit être majeure et « affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables ». Cette expression  signifie notamment que « sa maladie, son affection, son handicap ou le déclin avancé et irréversible de ses capacités lui cause des souffrances physiques ou psychologiques persistantes qui lui sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge acceptables », et que « sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible compte tenu de l’ensemble de sa situation médicale, sans pour autant qu’un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie. » Outre l’avis d’un second médecin ou infirmier praticien, un délai de 10 jours est nécessaire entre la demande écrite d’une personne et la mise en œuvre de l’euthanasie ou du suicide assisté. Ce délai peut être raccourci, à la seule appréciation du personnel médical, si « la mort de la personne ou la perte de sa capacité à fournir un consentement éclairé est imminente ». En cas d’incapacité à dater et signer sa demande « un tiers qui est âgé d’au moins dix-huit ans et qui comprend la nature de la demande d’aide médicale à mourir peut le faire expressément à sa place, en sa présence et selon ses directives. »

En 2021, une nouvelle loi a été adoptée, la loi C 7  qui supprime le critère de fin de vie à brève échéance et le délai de mise en œuvre. En pratique, cet élargissement signifie qu’une personne physiquement handicapée ou atteinte d’une maladie chronique est désormais éligible à l’euthanasie. La loi prévoit qu’il est possible d’effectuer l’euthanasie sur un patient ne pouvant exprimer son consentement final (par exemple s’il est inconscient) et dont la mort est raisonnablement prévisible, dans le cas où celui-ci a fait une déclaration anticipée en ce sens, ou lorsque l’injection létale qu’il s’est lui-même administrée a échoué.

Et la possibilité d’élargir l’euthanasie aux atteintes d’une maladie mentale est actuellement débattue au Canada.

Depuis 2016, les critères d’éligibilité se sont tellement assouplis que les personnes qui ont simplement peur d’éventuelles maladies futures peuvent choisir de mettre fin à leurs jours. Le rapport fait état du cas d’un couple, médiatisé en 2018 : Georges et Shirley Brickendens (Grant, 2018) ont obtenu l’euthanasie non pas à cause de douleurs ou de détresse mais parce qu’ils craignaient une future maladie invalidante.

Dans un rapport récent de la Conférence mondiale sur le cancer du poumon[1], des chercheurs canadiens ont signalé qu’avec l’élargissement de l’accessibilité à l’AMM, “Les patients recherchent cette option malgré la disponibilité d’options de traitement plus efficaces et plus tolérables.».

Deuxième argument : l’euthanasie deviendrait-elle un substitut aux soins palliatifs ?

L’autre sujet d’inquiétude était que l’euthanasie devienne un substitut aux soins palliatifs et à d’autres services de soutien. Les soins palliatifs sont pris ici dans leur sens le plus large pour inclure non seulement la gestion de la douleur mais l’accompagnement des malades chroniques dans leur milieu de vie. Cela peut inclure des soins continus aux personnes atteintes de maladies chroniques (SLA, sclérose en plaques, etc.) qui, avec des soins médicaux et un soutien social appropriés, ne sont pas en fin de vie.

Selon l’auteur, au Canada, le problème pourrait être dû en partie à un manque de spécialistes susceptibles d’expliquer et d’offrir ces thérapies. En effet un rapport[2] de Santé Canada de 2020 sur les raisons invoquées par les patients demandant une AMM, indique que plus de 50 % des répondants ont signalé un contrôle insuffisant de la douleur ou s’inquiètent de la possibilité que leur douleur pourrait devenir incontrôlable ; plus de 50 % ont également donné comme raison le contrôle généralement insuffisant des autres symptômes. Et, enfin, plus de 35 % ont donné comme raison le sentiment d’être un fardeau pour la famille et les amis.

 

En général, le niveau de soins spécialisés et de services de soutien dans la plupart des Etats canadiens est insuffisant. En 2016, la Société canadienne des médecins de soins palliatifs[3] a rapporté que «seulement 15 % des patients qui nécessiteraient des soins palliatifs spécialisés en reçoivent, et que ces soins ne sont souvent reçus que pendant de courtes périodes avant le décès » Une étude ultérieure de 2018 a montré la disponibilité limitée des soins de santé palliatifs dans la plupart des Etats. L’Institut canadien d’information sur la santé (CIHI) a signalé[4] que, selon les données disponibles, « peu de fournisseurs de soins de santé au Canada se spécialisent ou pratiquent principalement les soins palliatifs… »

A l’évidence, les inquiétudes des « sceptiques » étaient justifiées. Tom Koch questionne ainsi la réalité de l’autonomie et de la liberté de choix revendiqués en l’absence d’accompagnement et de soins médicaux de qualité.

 

[1][1] Susman, E. 2021. Study sheds light on physician-assisted suicide in lung cancer patients. Medpage Today (Sept. 9). http:// www. medpa get0d ay. com/ meeti ngcov erage/ iaslc/ 94429.
[2][2][2] Health Canada. (2021). Second annual report on medical assistance in dying in Canada 2020. Ottawa:Health Canada. https:// www. canada. ca/ en/ health-​canada/ servi ces/ medic al-​assis tance-​dying/ annualreport-​2020.html.
[3] CSPC. (2016). How to improve palliative care in Canada: A call to action for federal, provincial, territorial,regional and local decision-makers. Ottawa: Canadian Society of Palliative Care Physicians. http://www. cspcp. ca/ wp-​conte nt/ uploa ds/ 2016/ 11/ Full-​Report-​How-​to-​Impro ve-​Palli ative-​Care-​in-​Canada-​FINAL-​Nov-​2016. pdf.
[4] CIHI. (2018). Access to palliative care in Canada. Canadian Institute for Health Information.