Mauvais regard

Près de Grenoble, à la suite d’une futile bagarre de sortie de lycée, l’expédition punitive d’une bande improvisée a fait deux morts. La France s’interroge sur cette violence.
Un mauvais re­gard ? Trente-sept coups de couteau, deux morts. Pour passer du banal incident de sortie de lycée à l’absurde barbarie, il a tout de même fallu, ce 28 septembre 2012, quelques heures et une escalade de quatre bagarres, avec des protagonistes et des lieux différents du faubourg de Grenoble.
A la sortie d’un lycée, la première confrontation oppose deux jeunes gens, mais ce sont entre leurs grands frères et leurs amis que les choses vont dégénérer. Tour à tour, deux aînés des premiers bagarreurs se mêlent de « l’embrouille ». Finalement, l’un d’entre eux monte une expédition punitive. La bande, inorganisée, est recrutée en quelques minutes par téléphones portables… Au parc Maurice-Thorez d’Échirolles, les secours arriveront trop tard pour Kevin Noubissi – celui qui avait initialement voulu « aider » ou « venger » son jeune frère – et Sofiane Tadbirt. L’ultime lynchage est consommé.
Dans les jours qui suivent le drame, les suspects sont interpellés. Le 5 octobre, dix sont finalement écroués. Tous sont peu ou prou connus des services de police, l’un sortant tout juste d’un passage en prison en raison d’une agression à l’arme blanche. Pour le procureur de la République de Grenoble, Jean-Yves Coquillat certains « sont connus pour leur extrême violence ». Mais cette fois, il ne s’agit ni de drogue, ni de territoires, ni de bandes rivales. Sidérante gratuité de la violence qui semble avoir explosé sans une once de réflexion.
Est-ce un hasard si les deux garçons de 21 ans n’ont pas le profil type de victimes d’un règlement de compte ? Kévin, le premier visé, suivait un BTS à Aix-en-Provence. Sa mère est une gynécologue bien implantée dans un quartier cossu de Grenoble. Quelques analystes évoquent le rejet par les jeunes en échec de ceux qui sont « intégrés ». La bande meurtrière est en effet composée de garçons désœuvrés et sans perspectives professionnelles, à l’exception de deux jeunes hommes qui ont récemment intégré l’armée.
Arrivé sur place par sur­prise le lundi soir, le président de la République se veut compatissant et rassurant : « Je suis là pour apporter sécurité, justice et réussite. » Puis, le 2 octobre, quelque 10 000 personnes défilent sur les lieux du drame, derrière les parents des deux victimes, particulièrement dignes. Lâcher de colombes et de ballons, fleurs blanches, tee-shirts à l’effigie de Sofiane et Kévin : autant de symboles pour exorciser la violence. « Une grande réussite pour la paix » se console Mohamed Tadbirt, l’édifiant père de Sofiane, tandis que la mère de Kévin, le docteur Aurélie Noubissi, partage sa terrible douleur en reconnaissant que « pour l’atténuer il y a la solidarité et l’amour », tout en réclamant davantage de vidéo-surveillance et la protection de la justice.
Le lendemain, c’est un imam en pleurs qui célèbre les obsèques dans la mosquée de la ville.
Mauvais regard : deux mots dérisoires pour décrire le facteur déclenchant d’une tragédie, « sans qu’il n’y ait trace d’aucun conflit d’intérêt », précise le procureur.
Par la stupidité de son détonateur et son résultat irréparable, le drame d’Échirolles atterre la France. Comment comprendre ? Interrogée par L’Express, la psycho-criminologue Michelle Agrapart estime que « ce genre de comportement destructeur peut être causé par une faille narcissique importante, c’est-à-dire un problème dans la construction de l’estime de soi ». La spécialiste constate la montée de ces gestes gratuits, commis par des bandes éphémères et que leurs auteurs sont incapables de regretter.
Où sont les pères ? Celui de deux des principaux protagonistes du drame doublement mortel a précipitamment rejoint l’Algérie dès le lendemain. Et c’est sa femme qui affronte les médias pour défendre ses deux fils. C’est encore une femme — voilée — qui osera interpeller le président Hollande devant les caméras pour lui crier sa détresse : « Ces deux-là, il ne faut pas qu’ils soient morts pour rien […] C’est devenu le Texas ! »
Faut-il se rendre à l’évidence ? En bien des lieux ou des moments, la sécurité exige qu’on fixe ses pieds  d’un œil neutre, pour éviter tout risque de relation. Parce que les codes sociaux sont devenus ceux de la domination et de la soumission, bien connus des… zoologues !
En interdisant le regard bienveillant et tout sourire, c’est l’humanité qu’on assassine. 

Mariage gay : 66% des Français pour un référendum

La course de vitesse est engagée entre les pro-mariage gay et ceux qui leur résistent. Face à la volonté gouvernementale de légiférer vite, sans trop soulever les questions gênantes, la pression pour un référendum se fait de plus en plus forte, et unitaire.
Deux Français sur trois estiment qu’ils doivent être consultés par référendum sur le « projet de loi autorisant le mariage homosexuel avec droit d’adopter des enfants […] qui va modifier en profondeur le code civil et le droit de la famille ». C’est le résultat marquant d’un sondage effectué par l’Ifop à la demande d’Alliance VITA auprès d’un échantillon représentatif de 1003 adultes. Le détail des réponses selon les sensibilités politiques montre que même une majorité des sondés se situant à gauche sont favorables à ce référendum. Un tel résultat relance le débat tout en renforçant la motivation des opposants au projet. Révélé par lefigaro.fr, premier site d’information sur Internet, le sondage a été occulté par l’Agence France Presse, après « débat au sein de l’agence »…
En l’absence du vote d’une loi organique organisant l’application du très complexe « référendum d’initiative populaire » prévu par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, le référendum en question doit être décidé par le président de la République conformément à l’article 11 de la Constitution. La loi constitutionnelle du 4 août 1995 a en effet ajou­té la possibilité pour lui d’en appeler aux Français pour des réformes relatives « à la politique économique ou sociale de la Nation ». La réforme du mariage entrerait dans ce champ social, même si ce point est controversé.
Christine Boutin, présidente du Parti chrétien démocrate, a lancé l’idée de ce référendum dès le début de l’été 2012. Des personnalités politiques variées pourraient reprendre cette revendication. Interrogée par Le Parisien, Rama Yade a d’ores et déjà estimé « légitime de proposer un référendum sur les questions sociétales », en englobant dans cette formule le vote des étrangers et le « mariage » homosexuel : « On verra si la gauche a le courage de donner la parole au peuple » a commenté la vice-présidente du Parti radical.
Au gouvernement, on affirme en substance que la mesure 31 du candidat Hollande n’a pris personne par surprise et que, d’une certaine façon, le référendum a déjà eu lieu avec son élection. « Le fait même d’avoir voté pour François Hollande était une manière de lui permettre de mettre ce beau projet en œuvre », a conclu Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement. On peut lui rétorquer que de nombreuses autres promesses présidentielles sont d’ores et déjà passées aux oubliettes…En pleine campagne pour la présidence de leur parti, les ténors de l’UMP hésitent sur la conduite à tenir. En privé, certains confient leur embarras. Comment se positionner dans ce qui apparaît de plus en plus comme une grande bataille sociétale comme la France en a l’expérience, avec le risque de générer de profondes fractures au cœur de la société ?
Chez les maires, la mo­bilisation monte, avec notamment quelques voix discordantes à gauche qui rompent l’unanimisme de façade que la majorité présidentielle tentait de présenter. Élus locaux et mouvements d’adoption notent tour à tour que le lobby homosexuel est le seul à avoir été consulté par le pouvoir, alors que la réforme aurait un impact généralisé sur le mariage et la famille, et concernerait tous les Français.
Du côté des associations hostiles au mariage et à l’adoption homosexuels, au milieu des multiples pétitions et appels qui fleurissent sur Internet (on en compte une bonne dizaine), se dégage actuellement la « demande officielle de référendum national sur l’ ”ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe” ». Cinq jours après son lancement elle dépassait les 20 000 signatures, avec un exposé des motifs résolument sobre : « La question du mariage et de l’adoption d’enfants est fondamentale et doit faire l’objet non seulement d’un débat public et démocratique, auquel chaque citoyen est en droit de participer, mais aussi d’un référendum permettant de s’assurer de l’opinion de l’ensemble des Français. » Ce type d’exposé, qui n’entre pas dans l’argumentaire des pro et des anti, pourrait-il convaincre au-delà des fronts de résistance à la réforme ? Les promoteurs de l’appel tablent surtout sur la capacité de la société de revenir à la raison grâce à un vrai débat révélant les véritables conséquences du prétendu « mariage pour tous ».
Le lobby homosexuel, ne critique-t-il pas déjà un avant-projet gouvernemental qui n’intègre pas le droit à la procréation artificielle ? Remarque logique : l’institution du mariage étant liée à l’accès à la filiation, le droit d’adopter des enfants lui est indissociable, surtout dans un contexte homosexuel ; or, cette adoption sera revendiquée par un compagnon ou une compagne de même sexe, sur des enfants que l’autre aura obtenus par des procédés artificiels, notamment à l’étranger. Et dans les cas de « bricolages procréatifs », ces arrangements entre deux hommes et deux femmes qui impliquent de négocier une garde alternée avant même la conception, la revendication est déjà de reconnaître à l’enfant quatre « coparents »…
Plutôt que d’affronter de telles perspectives qui, cette fois, heurtent frontalement l’opinion, la majorité tente de passer par la petite porte d’un « mariage pour tous » escamotant délibérément la question de l’enfant. Quitte à valider une demi-réforme, insatisfaisante pour tous. Et sans cohérence.
 

12 résistances au "mariage gay"

Un « avant-projet de loi » gouvernemental instaurant le mariage entre deux personnes de même sexe avec droit d’adopter a été divulgué par la presse. Aussitôt les représentants du lobby homosexuel se sont dit «  déçus  », réclamant le droit à la procréation artificielle. Face à ces groupuscules, minoritaires parmi les personnes homosexuelles, la résistance se développe sur 12 fronts.

1/ Personnes adoptées

Les personnes adoptées ont vécu dans leur première enfance une rupture ou un deuil avant d’être confiées à une vraie famille. Beaucoup sont indignées  : pourquoi priver d’autres enfants adoptés de cette chance d’avoir un papa et une maman  ? Aucun « droit à l’enfant » ne peut conduire à discriminer ceux qui sont déjà très vulnérables, et dont on connaît la fréquente quête d’identité.

2/ Couples en attente d’enfants adoptables

Parmi les 25 000 couples en attente d’enfants à adopter, beaucoup sont choqués qu’on présente l’adoption homosexuelle comme alternative à l’orphelinat. Car en réalité, moins de 1 000 enfants nés en France sont confiés chaque année à l’adoption. Et l’adoption internationale concerne de moins en moins d’enfants (2 000 en 2 011). Si la France légalisait l’adoption homosexuelle, la plupart des pays étrangers deviendraient plus restrictifs pour confier leurs enfants à l’adoption.

3/ Personnes concernées par les situations dites « d’homoparentalité »

La « pensée unique » prétend que tout va pour le mieux pour les enfants élevés dans un cadre homoparental… Mais la réalité est autre : des jeunes adultes élevés par deux hommes ou deux femmes ont commencé à confier les difficultés liées au manque d’un père ou d’une mère ; des grands-parents aussi ont été témoins attristés de ces souffrances. D’ailleurs une bonne part des adultes qui éprouvent un désir homosexuel récuse, au nom de l’intérêt des enfants, le droit de se marier et d’en adopter.

4/ Parents engagés dans les associations familiales

Le mouvement familial met en garde contre la déstructuration de la famille, même s’il faut bien sûr aider les parents en difficulté. Avec le mariage homosexuel, d’autres bouleversements sont à attendre : par exemple, dans le livret de famille de tous les couples, il faudra supprimer les mentions « père » et « mère » pour les remplacer par « parent A » et « parent B », ou  « parent 1 » et « parent 2 ». Les fêtes des mères et des pères devraient être fusionnées en « fête des parents ».

5/ Féministes

Derrière le prétendu « droit à l’enfant », se pose la question des mères porteuses que revendiquent certains hommes. Instrumentalisation du corps de la femme, ce « nouvel esclavage » inquiète les féministes. Il risque d’être promu au nom d’un principe de non-discrimination entre les femmes et les hommes, ces derniers étant incapables d’enfanter.

6/ Professionnels de l’enfance

Bien placés pour constater les dégâts provoqués par l’instabilité affective des adultes et les ruptures familiales, les éducateurs sont déjà confrontés aux souffrances des enfants auxquels on a fait croire qu’ils ont deux papas ou deux mamans. Comment affronter avec une telle fiction les étapes de l’adolescence  ? Même si l’impasse éducative dans laquelle sont enfermés les tenants de « l’homoparentalité » reste un sujet tabou, elle est dans toutes les têtes.

7/ Psychologues et psychanalystes

Pour ces praticiens, prétendre qu’un enfant peut parfaitement se passer d’un père ou d’une mère, c’est nier les découvertes récentes sur la construction psychique précoce de l’être humain. Des « psy », témoins des souffrances identitaires des enfants privés de toute référence paternelle ou maternelle, dénoncent les conséquences de « l’homofiliation ».

8/ Maires et conseillers municipaux

Les maires sont en première ligne pour faire le lien entre déstructuration familiale et précarité sociale. Au nom de l’intérêt de l’enfant, une majorité d’entre eux et de leurs adjoints, en tant qu’officiers d’état civil, ne veulent pas célébrer en mairie un « mariage » entre deux hommes ou deux femmes. Certains de ces « réfractaires » ont prévenu qu’ils feraient jouer la clause de conscience que le gouvernement prétend leur refuser.

9/ Associations de protection de la dignité humaine et de la vie

La revendication du « mariage homosexuel » comprend l’accès à la procréation artificielle. Les femmes réclament l’insémination artificielle (qui occultera totalement le père biologique) et les hommes les mères porteuses (qui ne seront considérées que comme des « gestatrices »). Par ailleurs, la prétendue « homofiliation » alimente le rêve de bricolages génétiques visant à fabriquer des êtres humains avec les gènes de plusieurs hommes ou femmes. A partir du mariage homosexuel, on fantasme sur l’abandon de la reproduction sexuée.

10/ Représentants des religions

Les religions reconnaissent que le couple composé d’un homme et d’une femme est le fondement de la famille, et offre le meilleur cadre pour accueillir et élever des enfants. Les prises de parole des autorités spirituelles gardent un réel impact dans une société en attente de repères solides.

11/ Experts

Philosophes, juristes, sociologues, scientifiques : des personnalités de sensibilités variées alertent contre les dangers d’une dénaturation de la notion de famille. Elles révèlent les imbroglios juridiques, la confusion culturelle et les aberrations scientistes qui se cachent derrière le fantasme d’un « mariage pour tous ».

12/ Décideurs politiques

Le sujet de société est devenu politique. A droite, mais aussi à gauche, les fronts de contestation s’organisent. Ils argumentent sur le fond ou la forme. Des élus estiment ainsi qu’en période de crise économique, bouleverser les fondements de la société, c’est prendre le risque de diviser durablement les Français.

Mortelle exception

Mortelle exception

En France, après le lancement de la mission Sicard, c’est autour du mot “exception” que se concentre désormais le débat sur l’euthanasie. 

Le mot euthanasie est dans toutes les têtes, mais reste aussi tabou au gouvernement que dans l’engagement du candidat socialiste :

« Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »

Comment mettre en œuvre cette promesse ambiguë ? Interrogé début juin par la station nantaise Radio Fidélité, le Premier ministre, affichant sa volonté de perfectionner la loi Leonetti — votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale en 2005 — ajoute :

« Je ne sais pas s’il faudra une loi » et annonce une « concertation ».

C’est le 17 juillet 2012, dans le centre de soins palliatifs Notre Dame-du-Lac, que Hollande relance le débat de l’euthanasie, le président Hollande rend publique sa modalité : une mission confiée au professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) doit rendre son rapport avant la fin de l’année.

Après avoir pris soin de saluer la loi Leonetti, le chef de l’État s’exprime alors sous forme interrogative, en tournant encore autour du mot interdit :

« Ne peut-on aller plus loin dans les cas exceptionnels où l’abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager les patients aux prises avec une douleur irréversible et qui appellent un acte médical assumé au terme d’une décision partagée et réfléchie ? »

Que penser du mot exception sur un principe aussi intangible que l’interdit de tuer ?

L’exception peut-elle confirmer pareille règle ou bien la ruiner ?

La réponse à cette question pourrait diviser aujourd’hui les opposants à un « droit » à l’injection mortelle.

Pour les uns, il faut « lâcher du lest » sur les situations les plus difficiles. Pour les autres, les cas belges et hollandais ont démontré qu’à partir des prétendus cas limite, une dépénalisation de l’euthanasie ne ferait qu’ouvrir une brèche. Imaginerait-on maintenir l’abolition de la peine de mort en assortissant ce principe de quelque exception ?

C’est en l’an 2000 que le débat sur l’exception fut lancé quand le CCNE, alors présidé par le même Didier Sicard, rendait un rapport titré « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie».

Il envisageait l’instauration d’une « exception d’euthanasie » comme moyen juridique à soulever par la défense dans un procès pénal (donc a posteriori), pour exonérer les auteurs de certains actes euthanasiques dénués de mobile crapuleux.

Une modification du Code de procédure pénale aurait délégué au juge la question de l’éventuelle exonération des auteurs de l’acte.

De nombreuses voix s’élevaient alors face au risque de dépénalisation jurisprudentielle de l’euthanasie ou du suicide assisté. D’autant que, vite lu ou délibérément déformé, le rapport du CCNE avait été compris comme une ouverture à l’euthanasie d’exception.

Dans son article « L’exception d’euthanasie » (Études sur la mort, 2/2001, www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2001-2-page-35) qui n’a rien perdu de son actualité, Patrick Verspieren, propose une analyse des limites du concept juridique proposé par le CCNE. à la question « Le droit peut-il définir l’exception ? » il répond non.

A la suite de la France en 2005, l’Allemagne, l’Italie, la Suède puis l’Espagne ont débattu de lois proches de la loi Leonetti, au contraire des pays du Benelux qui font figure… d’exception mondiale.

En France, ce sont des histoires médiatiquement manipulées qui ont fait entrer dans les esprits l’idée de l’exception « a priori » (cf. La Bataille de l’euthanasie, Salvator, 2012).

Dans l’émotion de l’affaire Sébire en 2008, le député socialiste Gaétan Gorce, qui avait présidé la commission spéciale ayant abouti à la loi de 2005, avait ainsi plaidé pour une « formule d’exception » à instaurer par modification de cette loi : il se serait agi pour un patient de « saisir une haute autorité morale » habilitée à autoriser un médecin à prodiguer l’injection létale demandée par son malade.

Le professeur Jean-Claude Ameisen, président du comité d’éthique de l’Inserm, lui préférait à l’époque une formule non-législative. Il la présentait sous la forme d’une question : « Est-ce que la loi envisage tous les cas les plus extrêmes ou est-ce que la loi s’arrête et qu’il faut essayer d’envisager l’exception, un pas plus loin ? » Formulation proche de celle du président Hollande… Et Jean-Claude Ameisen est aujourd’hui membre de la commission Sicard qui vient d’entamer ses consultations.

Handisport équitable ?

Handisport équitable ?

Les Jeux paralympiques se déroulent à Londres du 29 août au 9 septembre 2012 : occasion unique de combattre les préjugés et stéréotypes quant aux personnes handicapées.

Second événement sportif de l’année après les Jeux olympiques, par le nombre d’athlètes participants (4200, de 166 pays), ces « autres Jeux » mettent en scène 20 sports. Plusieurs disciplines sont spécifiquement conçues pour les personnes handicapées, tels la boccia, jeu de boules adapté aux personnes souffrant de lésions cérébrales affectant le contrôle de la motricité, ou le goalball, jeu de ballon sonore inventé pour les personnes atteintes de cécité.

Les personnes souffrant de déficits mentaux avaient été exclues des jeux précédents en raison de la difficulté de « garantir » leur handicap. L’équipe de basket espagnole de Sydney, en 2000, avait fait scandale : elle était presque entièrement composée de sportifs mentalement valides ! Avec des grilles d’évaluation révisées, les personnes handicapées mentales ont été réintégrées à Londres. Désormais seules les personnes sourdes, qui disposent de leurs propres compétitions, restent à l’écart de l’événement.

Même si le paralympisme ne cesse de s’ouvrir aux pays pauvres, ils y sont plus défavorisés encore que pour le sport des « valides ». Pour certaines disciplines, la technologie des orthèses et prothèses a pris une place considérable : des jambes artificielles en fibre de carbone peuvent coûter 20 000 euros… Selon le Comité paralympique camerounais, un seul de ses « dix athlètes qui ont le niveau mondial » a pu s’inscrire à Londres. Le voyage est coûteux, et le handisport intéresse peu les gouvernements… Pourtant, ce sont les pays du Sud qui laissent naître les plus nombreuses personnes handicapées. Les techniques de dépistage en vogue dans les pays du Nord y rendent désormais rarissimes les naissances d’enfants souffrant d’anomalies congénitales, comme l’absence d’un membre. Il reste les accidentés ou amputés, mais ce n’est pas le moindre des paradoxes de constater qu’un événement sportif « consensuel » rend hommage à des personnes que les sociétés développées s’acharnent à empêcher de naître.

Pour la France, qui détient le record mondial de leur exclusion anténatale, une polémique s’est ouverte sur leur déficit d’image. Elle expliquerait la couverture décevante des Jeux paralympiques par la télévision publique. La visibilité des performances des sportifs handicapés souffre aussi de leur éparpillement en multiples catégories. Équité oblige, il n’y a pas moins de 15 finales du 100 mètres pour les diverses classes de sportifs infirmes moteurs, en fauteuil, malvoyants ou amputés.

Ces jeux glorifient-ils la force ou la faiblesse ? C’est surtout le courage et le dépassement personnel que l’on voit. Ambiguïté : alors que le handicap, sésame indispensable pour participer, vient affaiblir, ce seront tout de même les plus forts qui seront glorifiés par une médaille.

D’authentiques sportifs de haut niveau chez les valides participent d’ailleurs à la compétition réservée aux personnes handicapées, à l’image du français Arnaud Assoumani, l’un des meilleurs sauteurs en longueur de l’Hexagone avec un record personnel à 7 m 91. Médaille d’or paralympique à Pékin, Assoumani, qui souffre de l’absence congénitale d’un avant-bras, n’a été écarté de la sélection olympique qu’en raison d’une blessure.

Troisième Français chez les « valides » en 2010, c’est un professionnel sponsorisé, comme la « star » Oscar Pistiorius. Le Sud-Africain a pu se mesurer aux athlètes valides sur 400 mètres, à Londres, alors qu’on avait contesté « l’avantage » que ses prothèses de double amputé lui donneraient sur eux… Autre handisportif français emblématique, Ryadh Sallem est passé en quatre paralympiades du basket-fauteuil au rugby-fauteuil, deux disciplines très spectaculaires. Refusant tout « misérabilisme », il réclame qu’on parle « performance sportive ».

Les jeux paralympiques n’échappent pas au fléau du trucage. On évoque notamment la pratique du « boosting » : dangereuse, elle consiste, pour les personnes souffrant de lésions de la colonne vertébrale, à s’infliger des blessures et violences volontaires — parfois des fractures — destinées à augmenter leur pression sanguine, et leurs performances de 15%. Jusqu’à un tiers des compétiteurs concernés auraient usé de cet artifice désormais interdit.

Pour nombre de ceux qui voient dans la pratique sportive une revanche sur la vie, participer ne suffit pas. Mais la grande victoire de ces Jeux-là restera le rayonnement des personnes handicapées. Interrogé par L’Humanité, Ryadh Sallem en témoigne : « Ce n’est pas parce qu’on est des mecs abîmés que la vie ne continue pas… ».