Au-delà du rapport Sicard

 

Chargé d’un rapport sur la fin de vie par François Hollande, le professeur Didier Sicard l’a rendu le 18 décembre 2012. L’Élysée a aussitôt annoncé pour juin 2013 une nouvelle loi.

Délégué général d’Alliance VITA, Tugdual Derville actualise le risque législatif.

Pouvez-vous nous rappeler dans quel contexte a été élaboré le rapport Sicard ?

Tout est parti de la mesure n°21 du candidat Hollande. Elle prévoyait « que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. » Les commentateurs ont noté qu’à aucun moment le futur président de la République n’a prononcé le mot euthanasie. C’est le 17 juillet 2012, lors d’une visite dans un établissement de soins palliatifs de Rueil-Malmaison, Notre-Dame du Lac, que François Hollande a annoncé la mission confiée à l’ancien président du Comité consultatif national d’éthique Didier Sicard, en s’interrogeant : « Faut-il, peut-on aller plus loin dans les cas exceptionnels où l’abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager les patients aux prises avec une douleur irréversible et qui appelle un acte médical assumé au terme d’une décision partagée et réfléchie ? » Le professeur Didier Sicard est réputé pour sa profondeur de pensée ; sa nomination fut aussitôt critiquée par le lobby de l’euthanasie, Jean-Luc Romero tentant de jeter le discrédit sur un homme soupçonné par Pierre-André Taguieff d’être « proche de la théologie morale catholique », alors que le professeur de médecine est protestant. Finalement Didier Sicard a largement auditionné, et rencontré de nombreux Français – parmi lesquels les « militants » des deux camps. Il s’est attaché à creuser, au-delà du débat pour ou contre l’euthanasie, la façon dont on meurt en France en comparant la situation avec les pays étrangers voisins. À ce titre, son rapport, intitulé « Penser solidairement la fin de vie » est d’une grande richesse et rejoint d’ailleurs largement les constats que nous recueillons par notre site d’écoute www.sosfindevie.org.

Que retenez-vous de ces constats « commun » ?

Didier Sicard montre que l’enjeu du « mourir en France » dépasse le débat sur les soins palliatifs, et qu’il faut envisager ce sujet de beaucoup plus haut. Il relève par exemple le risque d’une « mort sociale » des personnes devenues âgées ou dépendantes, qui sont progressivement exclues et marginalisées par les évolutions des modes de vie. Il stigmatise la « cassure » entre médecine curative et médecine palliative. On le sent très préoccupé par le risque d’une déshumanisation de la médecine. D’où l’importance de valoriser « la parole des malades », avec des verbatim éclairants. Ses auditions confirment les peurs qui font le lit de la revendication euthanasique : les Français sont angoissés à l’idée de souffrir en fin de vie, d’être abandonné et de se retrouver à la merci d’une médecine toute-puissante. Est-ce un risque réel ou un fantasme ? Sans doute un peu des deux. Mais Didier Sicard est sévère avec le monde médical. Ce qui est à ses yeux le plus effarant, c’est l’abandon des personnes âgées dans ce qu’il a appelé une « indifférence extraordinairement bouleversante de la médecine de fin de vie ». Il réclame une plus grande diffusion de la culture palliative, avec notamment la généralisation de la formation des soignants à ses principes. Il est vrai que médecine curative et médecine palliative doivent être articulées au cours d’une même prise en charge, et mériteraient souvent, comme il le note, d’être simultanées. Didier Sicard dénonce aussi la façon dont la pression économique menace l’éthique en fin de vie… Car on finit par économiser sur l’écoute, le respect et la consolation. Toutes ces questions sont à ses yeux prioritaires sur une nouvelle législation qu’il n’appelle pas de ses vœux.

N’est-ce pas pourtant la perspective d’une loi que les médias ont retenue ?

Il fallait s’y attendre. Ce sont les toutes dernières pages du rapport qui ont focalisé l’attention. Chacun peut imaginer que leur rédaction a fait l’objet d’âpres négociations. Avec visiblement des tensions entre les différents acteurs, et, ultimement, une surenchère du côté de l’exécutif, qui a bousculé les conclusions du rapport. Du coup, la confusion est entretenue autour de ses préconisations, qui nous paraissaient déjà contestables.

Qu’y trouve-t-on en matière d’euthanasie ?

Certes, la préconisation de ne pas légiférer en faveur de l’euthanasie est explicite. Le rapport souligne que, depuis la législation belge de 2002, « 25 projets d’extension des cas de figure prévus par la loi ont été proposés ».

Toutefois, Didier Sicard valide, à propos de la loi Leonetti, une interprétation extensive que nous avons toujours contestée avec notre président, le docteur Xavier Mirabel : l’arrêt d’alimentation et d’hydratation à visée euthanasique avec utilisation d’une sédation ultime. C’est un sujet extrêmement complexe et grave : en cette matière, c’est l’intention qui compte, autant que le résultat, la mort du patient.

Or Didier Sicard semble bien valider, lorsqu’on a interrompu « tout traitement susceptible de prolonger [la] vie, voire toute alimentation et hydratation », l’hypothèse d’« un geste accompli par un médecin, accélérant la survenue de la mort. » Ne s’agit-il pas d’une euthanasie ? Tout dépend de l’intention : ne pas prolonger artificiellement la vie est une chose ; accepter le risque d’accélérer la mort en est une autre… Mais c’est quand on la provoque délibérément qu’on bascule dans la toute-puissance euthanasique… La frontière est ténue.

Aux yeux du professeur Sicard, « cette grave décision relève d’édictions de recommandations de bonnes pratiques d’une médecine responsable, plutôt que d’une nouvelle disposition législative. » Laisser les médecins décider ultimement et collégialement nous semble juste, mais à condition que ce soit dans l’éthique du serment d’Hippocrate, non pas dans la toute-puissance.

Pourquoi a-t-on beaucoup parlé de suicide assisté ?

C’est une autre hypothèse formulée par Didier Sicard, un peu comme une alternative à l’euthanasie explicite qu’il veut écarter. Cette idée court chez certains adversaires de l’euthanasie : peut-on éviter une législation de type Benelux en se tournant vers l’exemple américain de l’Oregon ?

à un certain stade d’une maladie incurable, le patient peut y obtenir du médecin une substance létale à prendre lui-même. Le geste paraît plus « autonome » et, aux yeux de certains praticiens, moins lourd de conséquence pour la médecine. Il semble laisser sa chance au patient puisqu’une proportion non négligeable renonce au passage à l’acte (50 % selon Didier Sicard). Le rapport Sicard évoque ce suicide assisté comme un moyen légitime, non pas pour des personnes n’ayant pas accès aux soins palliatifs, mais pour celles qui les refuseraient pour des raisons personnelles. On pense au cas de Chantal Sébire que je décris en détail dans mon livre La Bataille de l’euthanasie (Salvator 2012).

En réalité, refuser délibérément les soins qui pourraient apaiser et y préférer le suicide n’est pas éthique. De plus, faire entorse à la politique de prévention du suicide, même à partir de « très rares cas » ouvrirait une boîte de Pandore. Selon quel critère rendre ce suicide éligible ? À partir du moment où un tel droit serait validé, des patients seront incités à le revendiquer lors de la découverte d’une rechute voire lors d’un coup de déprime. Certains se sentiront le devoir de demander ce suicide pour soulager leurs proches ou la société. Dans l’Oregon le suicide assisté a ainsi augmenté de 450 % entre 1998 et 2011 !

Nous pensons donc qu’il est très grave d’alimenter l’idée que certaines vies de personnes devenues vulnérables pourraient être abrégées, alors même que c’est justement le moment où elles ont davantage besoin qu’on leur témoigne de leur dignité. C’est pourquoi nous nous opposerons avec fermeté à ce type de projet.

Quelles sont pour finir les perspectives législatives ?

Elles sont à hauts-risques. D’abord, sans attendre le projet de loi annoncée au sommet de l’État, une énième « proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour une fin de vie dans la dignité » est inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée nationale le 28 mars 2013. La façon dont le président Hollande semble déléguer au Parlement les questions de société sans prendre vraiment parti n’est pas sans nous inquiéter.

Comme il l’avait annoncé, François Hollande a saisi du sujet le Comité consultatif national d’éthique. Son président actuel, Jean-Claude Ameisen, semble plus favorable à une loi sur l’euthanasie que son prédécesseur Didier Sicard. Le CCNE est interrogé sur trois questions : autour des directives anticipées, du suicide assisté (« Selon quelles modalités et conditions strictes permettre à un malade conscient et autonome atteint d’une maladie grave et incurable d’être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie ? ») et de l’accompagnement des arrêts de traitements et de soins (« Comment rendre plus dignes les derniers moments d’un patient dont les traitements ont été interrompus à la suite d’une décision prise à la demande de la personne ou de sa famille ou par les soignants »). Nous avons ici confirmation que l’arrêt d’alimentation et d’hydratation est un réel point de fragilité de la loi Leonetti.

C’est donc à partir de ces trois questions qu’un projet de loi serait envisagé. Sous la pression de la promesse n°21, Didier Sicard pouvait-il faire mieux ?

Les uns estimeront que ses préconisations lâchent ce qu’il faut de lest et qu’il tente de limiter les dégâts en détaillant la façon d’encadrer a minima les dérives dont il semble contester la légalisation. Quant à nous, nous restons d’une vigilance absolue pour que la porte ne soit ouverte ni à l’euthanasie, ni au suicide assisté, afin que toute personne soit toujours jugée digne d’être soignée et aimée.

Cathophobie politique

Cathophobie politique

Les auditions des représentants des cultes à l’Assemblée nationale signent une agressivité croissante d’une partie de la majorité vis-à-vis des religions, et particulièrement de l’Église catholique.

Les députés et le gouvernement socialistes sont-ils en train de réaliser une prouesse en unissant les religions à leurs dépens ? Déjà, les milieux chrétiens avaient été enthousiasmés par l’essai argumenté que le grand rabbin de France rendait public le 18 octobre 2012 : Mariage homosexuel, homoparentalité et adoption : ce que l’on oublie souvent de dire. Le document avait frappé par la précision et la pertinence de son argumentation. Le mardi 27 novembre, au sortir de l’audition très attendue des représentants des religions, c’est ce même dignitaire, Gilles Bernheim, qui faisait part de son indignation devant la charge jugée « très violente » du député du Calvados Alain Tourret contre le cardinal André Vingt-Trois. L’élu radical de gauche avait osé commencer en assénant son étrange définition des religions : « Globalement, vous êtes des lobbies. » Il s’expliquait aussitôt : « Toutes les Églises en réalité se sont appuyées sur la cellule familiale pour asseoir leur pouvoir sur la société. » Le député se targue alors d’une expertise en droit canon pour constater que l’institution du mariage a échappé à l’Église catholique en 1792, avec la naissance du mariage civil. Selon Alain Tourret, l’Église « s’est trompée à chaque fois » sur les questions de société, et la fracture qui la sépare désormais de l’opinion est « totale ». Prenant à parti chacun des représentants religieux présents — à l’exception d’une dignitaire bouddhiste aux propos alambiqués — Alain Tourret entend leur rappeler tour à tour, que chaque « religion » a été victime d’« exclusion » par l’Église catholique. Après avoir déploré implicitement l’élection de Benoît XVI plutôt que celle du cardinal archevêque de Milan, l’élu adresse finalement au cardinal Vingt-Trois une diatribe en forme de défi : « Vous lancez vos troupes ; vous lancez vos évêques ; vous allez lancer vos catholiques s’il en reste ; (…) Allez-vous encourager les manifestations dans la rue comme au moment de l’école libre ? »

La réponse du cardinal de Paris reste sur le fond. « Dans ce débat, il y a un grand absent qui est la signification symbolique du mariage », souligne l’archevêque dans sa conclusion. Puis il défend le « lieu de référence » qu’est la « cellule familiale » : « Si elle est dissoute dans sa forme, il n’y a plus de repère. » Et de déplorer l’effacement des « références symboliques hétérosexuelles » induit par un projet de loi qui fait « abstraction de la différence sexuelle ». Fidèle à son style bonhomme, le président de la conférence épiscopale française fait alors mine de « s’étonner quand même de l’attrait tellement violent pour une institution dont on dit qu’elle est en train de disparaître. Pourquoi tout le monde veut monter sur un bateau qui est en train de couler ? »

Au sortir de la rude audition, il trouvera le moyen de plaisanter, en répondant à une journaliste qui lui demande s’il a le sentiment d’avoir été entendu : « Oui, la sono était très bonne ! » Une façon de dédramatiser les incidents. Certes, dans ses rapports avec le politique, l’Église en a vu d’autres. Mgr Vingt-Trois précisera en substance sur Radio Notre-Dame qu’il n’est pas venu à cette audition pour en découdre avec un député, peut-être en difficulté avec sa propre histoire. La séance a au moins permis de mesurer d’une part la grande unité de pensée des religions sur le mariage, alors même qu’elles n’ont aucune intention de se constituer en « front des religions » contre la gauche, et d’autre part l’agressivité croissante de la majorité actuelle contre le christianisme, dont elle a visiblement négligé la capacité à agir pour défendre le bien commun, indépendamment des questions confessionnelles.

Autre signe de tension le 3 décembre 2012, quand la ministre du Logement Cécile Duflot rend public, avant que son destinataire ne la reçoive, une lettre où elle envisage de réquisitionner des locaux vacants de l’archevêché de Paris pour lutter contre le mal-logement.

Réaction de Mgr Michel Dubost sur RTL : « Il ne faudrait pas que ce qu’elle fait apparaisse comme une réponse à ce que le Cardinal a dit dans d’autres domaines, en particulier sur le mariage pour tous. » L’indélicatesse ministérielle ressemble effectivement étrangement à une menace si ce n’est à une mesure de rétorsion.

Mariage gay : double-langage

Mariage gay : double-langage

En garantissant aux maires leur « liberté de conscience » avant de se dédire sur injonction des militants LGBT, François Hollande a donné l’image d’un président inconsistant.

Pour entamer la confiance, rien de pire que l’incertitude. Déjà suspecté par ses anciens concurrents de la primaire socialiste d’une propension à céder au dernier venu, François Hollande a réussi à mettre deux jours de suite son projet de « mariage pour tous » sur le devant de la scène, mais de façon contradictoire. Un jour pour reconnaître aux maires une « liberté de conscience », le lendemain pour la leur retirer.

Mardi 20 novembre, de­vant quelque 7 800 élus rassemblés pour le congrès des maires de France, le Pré­sident donne l’impression de viser l’apaisement : « La loi s’applique pour tous, dans le respect néanmoins de la liberté de conscience. » Liberté de conscience ! Une formule choc répétée une seconde fois par l’orateur, pour souligner l’existence de possibilités de délégation d’un maire à ses adjoints, et même pro­poser leur élargissement. Tout porte à croire que la déclaration présidentielle a été préalablement négociée avec le président de l’Association des maires de France (www.mairespourlenfance.fr). Objectif : éteindre la fronde des élus locaux. Déjà plus de 17 000 maires et maires adjoints ont en effet signé la pétition des Maires pour l’enfance. Elle contient trois demandes : que les édiles soient consultés avant toute modification du mariage, que le projet en l’état soit retiré et, en tout état de cause, qu’une clause de conscience soit reconnue aux officiers d’état civil. Saluant un « geste d’apaisement » Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France (AMF), affirme aussitôt en tribune que les élus « respecteront la loi ». L’opération déminage semble bouclée. Certains redoutent d’ailleurs une tentative gouvernementale « d’enfumage » des maires.

C’est sans compter sur l’indignation des associations qui affirment représenter les personnes homosexuelles, colère relayée par les élus écologistes, du Parti de gauche et du Parti communiste. « Scandalisée », l’association Inter-LGBT (lesbienne, gay, bi et trans) annonce la suspension de « toutes ses relations » avec le gouvernement. Immédiatement, le chef de l’État reçoit longuement ses représentants. Situation ubuesque ? Dans une France qui peine à affronter la crise économique au point qu’on la dit menacée d’un déclin inexorable, le président de la République distrait au pied levé 40 minutes de son précieux temps pour gérer ce qui ressemble à s’y méprendre à la crise d’adulescents vindicatifs… Et tout ça pour reculer. Mués en porte-parole de l’Élysée, nos deux émissaires n’affirment-ils pas sur le perron du Palais présidentiel que l’expression « liberté de conscience » a été retirée ? Selon un Nicolas Gougain « rassuré », François Hollande aurait reconnu que la formule employée devant les maires n’était pas « approprié[e] ».

Du côté des dirigeants de l’Association des maires de France, on feint de s’en tenir à ce qui a été prononcé publiquement, devant des milliers de témoins. Comme si le double-langage public pouvait contenter les deux camps ! En coulisse toutefois, la tentative d’apaisement présidentielle a du mal à passer. Elle s’est muée en camouflet. Le porte-parole des Maires pour l’enfance peut désormais compter sur l’engagement encore plus déterminé de ses adhérents et sur de nouvelles signatures…

Et surtout, le chef de l’État a bien reconnu publiquement que marier deux personnes de même sexe, avec droit d’adopter des enfants, peut légitimement heurter la conscience d’un élu. Puis en se rétractant c’est bien la liberté de conscience des élus qu’il a fait reculer… Selon le moment de leur prise de parole, les leaders d’une opposition en pleine crise de leadership ont eu beau jeu de constater un « vrai début de recul » (Jean-François Copé) puis, à l’image de Laurent Wauquier, un « cafouillis ».

Pendant ce temps, les auditions se poursuivent d’une étrange façon à l’Assemblée nationale. Le député PS Erwan Binet, rapporteur du projet, a appelé les « pro mariage gay » pour ses auditions publiques, mais ne consent à rencontrer la plupart des « anti » qu’au cours de rencontres privées. En découvrant que 100 % des juristes auditionnés (comme les sociologues) soutenaient le projet gouvernemental, d’autres juristes se sont rebellés sur le Net.

D’autant qu’Erwan Binet se justifie en prétendant que les opposants le sont par « posture » et « sans argument de fond » ! En perspective de la première manifestation nationale qui se prépare à Paris, le 13 janvier 2013, tout se passe comme si le gouvernement voulait que la colère monte.

La grenouille gonflée

Avec des « Manifs pour tous » à Paris, Lyon, Marseille, Tou­louse, Nantes, Rennes, etc. (www.lamanifpourtous.fr), le samedi 17 novembre 2012, puis à Bor­deaux, Lille, Nancy et Le Mans le samedi 8 décembre, la mo­bilisation contre le projet gouvernemental instaurant un « mariage » assorti d’un droit d’adopter des enfants pour deux personnes de même sexe entre dans une nouvelle phase.

Discuté à l’Assemblée nationale en commission à partir du 14 janvier 2013, le texte est annoncé dans l’hémicycle pour le 29 janvier. Entretemps, il y aura eu la première grande manifestation nationale. Et peut-être un changement de cap. Car les sondages confirment l’érosion de l’adhésion des Français au mariage entre personnes de même sexe. Une majorité est désormais hostile à l’adoption homosexuelle : selon le sondage Ifop com­man­dité par Les Adoptés, 63 % des personnes interrogées « sur le principe qui doit être garanti prioritairement dans le cadre de ce débat de société », ont répondu « qu’il faut que les enfants puissent avoir un père et une mère » contre 34 % qui affirment « qu’il faut que les couples homosexuels puissent adopter des enfants ».
Le président de la Ré­pu­blique, dont on dit qu’il « dé­­teste les sujets ‘clivants’ », ne semble plus très convaincu de l’opportunité de sa mesure 31. Au lendemain de la présentation du projet de loi en Conseil des ministres, un titre du Parisien-Aujourd’hui en France a fait du bruit : « Hollande réservé sur le mariage gay ». Ses proches conseillers auraient confié qu’il « n’y croit pas tant que ça ». Tandis qu’une vidéo agite Internet : on y voit Lionel Jospin, instaurateur du Pacs, critiquer l’expression « mariage pour tous » au Grand journal de Canal+ du 9 novembre. L’ancien Premier ministre réaffirme que « l’humanité est structurée entre hommes et femmes » et « pas en fonction des préférences sexuelles ». Dans cet élan, plusieurs députés socialistes ont exprimé tour à tour leur hostilité au projet, la demande d’un vrai débat ou encore d’une liberté de vote.
Les auditions publiques ont commencé à l’Assemblée nationale. La première, celle de trois sociologues, leur a paradoxalement donné un tour idéologique : successivement Irène Théry, Martine Gross et Virginie Descoutures se sont escrimées à déconstruire la famille père-mère-enfant. Mais quelle est la crédibilité scientifique d’une Martine Gross qui cumule les titres d’ingénieur de recherches en sciences sociales au CNRS et de présidente d’honneur de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) ? Sur d’autres sujets, son expertise serait récusée au nom d’un conflit d’intérêts. Pendant ce temps le « pays réel » donne un autre ton au débat. En quelques jours, plus de 16 000 maires et maires-adjoints ont rejoint l’Appel des Maires pour l’enfance, et parmi eux plusieurs milliers étiquetés à gauche. Les unes après les autres, les caisses nationales des allocations familiales (CNAF), d’assurance vieillesse (CNAV) et d’assurance-maladie (CNAM) ont voté contre le projet.
« Les réacs se déchaînent » croit devoir résumer l’hebdomadaire Marianne du 10 novembre. Les promoteurs de « l’homofiliation » taxent d’homophobie ceux qui s’opposent à leurs projets, alors que les opposants au mariage gay comptent dans leurs rangs des personnalités homosexuelles qui contestent le droit d’une société de priver des enfants de la parité homme-femme dans le couple de parents. Quant au lobby LGBT (pour Lesbien, Gay, Bisexuel et Transsexuel), principal promoteur du projet de loi, il a voulu réagir le jour du passage du projet en Conseil des ministres, ne réussissant à ne réunir que « plusieurs centaines de personnes » devant l’Assemblée nationale selon l’Agence France Presse alors qu’« une cinquantaine d’associations avait appelé à manifester, certaines proches de l’UMP comme Gaylib ou La Diagonale, d’autres proches de la gauche comme Homosexualité et socialisme mais aussi le syndicat étudiant Unef et les syndicats lycéens FIDL et UNL ». Ce rassemblement — confidentiel, au regard des enjeux — prétendait protester contre le caractère « décevant » du texte gouvernemental, à l’image d’Élisabeth Ronzier de SOS Homophobie pour laquelle « un pas dans la bonne direction » effectué par le gouvernement « ne serait toutefois pas complet sans l’accès à la PMA pour les lesbiennes ».
Et si les promoteurs du « mariage pour tous » étaient en train de se rejouer l’histoire de la grenouille de la fable ? Une réponse leur sera donnée le samedi 17 novembre : les manifestations régionales auront valeur de test national.

Réjouissant Nobel

Colauréat du prix Nobel de médecine 2012 avec le britannique John Gurdon, Shinya Yamanaka a réussi à «reprogrammer » des cellules, une découverte majeure qui réconcilie science et conscience.
Juin 2007. La nouvelle fait l’effet d’une bombe dans le monde scientifique : le professeur Ian Wilmut, d’Edimbourg, père du premier mammifère cloné, annonce qu’il jette l’éponge, et renonce à ses recherches sur le clonage. Sa célèbre brebis Dolly avait alimenté tant de fantasmes… et de peurs ! Avec en perspective une « reproduction » humaine au sens strict. Mais voilà qu’un chercheur japonais a fait changer l’écossais d’avis. Entre 2004 et 2005, le professeur Shinya Yamanaka de l’université de Tokyo a en effet réussi l’impensable : obtenir  des cellules souches adultes pluripotentes à partir de cellules déjà différenciées. Cette découverte est publiée en 2006. On croit jusqu’ici ces cellules irrémédiablement spécialisées, ce qui explique la fascination de certains chercheurs pour les cellules souches d’origine embryonnaire, totipotentes, c’est-à-dire capable de se donner toutes sortes d’organes…  Mais voilà donc que, grâce à l’adjonction de quatre gènes à des cellules de peau de souris, Yamanaka a réussi en quelque sorte à leur faire remonter le temps. Une cure de jouvence qui bouleverse radicalement la perspective des thérapies cellulaires. Sont soudain ringardisés, non seulement le clonage, mais également l’obsession de la recherche sur l’embryon. A quoi bon se heurter aux contraintes de compatibilité entre donneur et receveur si ce dernier dispose de cellules reprogrammables ? Même si les perspectives thérapeutiques restent lointaines, c’est une bonne nouvelle pour les scientifiques attachées au respect de l’intégrité de l’être humain. Les cellules reprogrammées, dîtes « IPS », ne nécessitent en effet ni recours aux ovules, ni destruction d’embryons. Ian Wilmut renonce donc à exploiter la licence obtenue pour cloner des embryons humains. « Avec cette technique, on ne peut plus dire : “il n’y a pas moyen de faire autrement” » résume à l’époque Jean-Claude Ameisen, président du comité éthique de l’Inserm, aujourd’hui pressenti pour présider le Comité consultatif national d’éthique.
Les années ont passé. Les travaux de Yamanaka ont été confirmés par plusieurs équipes internationales. Dolly a vieilli prématurément. Le savant sud-coréen Hwang Woo-suk qui avait annoncé le premier clonage humain en 2004 est définitivement tombé pour falsification et entorse à l’éthique scientifique. Il n’avait cloné qu’un chien et fait pression sur ses collaboratrices pour qu’elles lui fournissent leurs ovocytes. Le clonage est donc largement décrédibilisé. Mais qu’en est-il de la manipulation de l’embryon ? Au 20 heures de TF1, le 8 octobre 2012, c’est paradoxalement le professeur Marc Peschanski qui est appelé à commenter le prix nouveau prix Nobel. Ardent promoteur de la recherche sur l’embryon et du clonage prétendument « thérapeutique » Peschanski n’a-t-il pas failli décerner le prix de « l’homme de l’année 2005 » à son ami Hwang, avant que le scandale ne conduise à annuler la cérémonie ?
Six ans après la découverte majeure de Yamanaka, l’attribution du prix Nobel de médecine 2012 provoque des réactions qui confirment le malaise qui entoure la recherche sur l’embryon.  Le japonais « a réussi le tour de force de faire avancer prodigieusement la science tout en contournant l’obstacle éthique et religieux que constituent les cellules souches embryonnaires » affirme Le Point sous le titre « Le Nobel Yamanaka a fait avancer la science sans heurter les consciences ». Alors que la Fondation Jérôme Lejeune et Alliance VITA  se réjouissent de la distinction internationale qui honore le découvreur des cellules IPS, les deux associations mettent en garde contre la proposition de loi « régressive » du sénateur (PS) Mézard dont la discussion est annoncée ce lundi 15 octobre 2012, au cours d’une « niche » réservée aux initiatives parlementaires.
En autorisant explicitement la recherche sur l’embryon conduisant à sa destruction, la proposition Mézard prévoit de rompre avec un principe bioéthique essentiel. Ce type de recherche n’est admis actuellement que par dérogation alors que les recherches alternatives conformes à l’éthique doivent être favorisées. La loi bioéthique exige cependant une concertation bien plus vaste qu’un débat en catimini au Parlement :  « tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux ». Même si le texte de M. Mézard est conforme à une promesse du candidat Hollande, la majorité présidentielle peut-elle éviter un tel débat ?