Mariage : l'heure des sénateurs

Mariage : l'heure des sénateurs

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Tugdual Derville
Délégué général d’Alliance VITA

Pour Tugdual Derville, alors que l’opposition au projet de loi Taubira ne désarme pas, la nouvelle bataille législative qui se tient au Sénat est aussi rude qu’incertaine. Propos recueillis par Frédéric Aimard
Le Sénat aborde-t-il le projet de loi Taubira comme l’Assemblée nationale, avec la perspective de le voter ?
Pas aussi sûrement car les sénateurs sont soumis à une pression inhabituelle. La présence presque continue dans la rue des opposants au projet est significative, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Par les courriers qu’ils reçoivent, mais aussi par des rencontres sur le terrain et la multiplication des débats publics, les sénateurs n’ont pu que prendre conscience de l’immensité du mouvement social suscité contre ce texte… C’est logique, après la manifestation du 24 mars qui a déjoué tous les pronostics. Quand une loi est votée à l’Assemblée nationale en première lecture, une bonne partie de ceux qui s’y opposent baissent en général les bras. C’est exactement l’inverse qui s’est produit. Le Sénat est devenu pour beaucoup une source d’espoir…
Cet espoir n’est-il pas exagéré ? Les motions visant à écarter le texte ont été rejetées largement.
L’avenir le dira. Tant que le vote final n’est pas advenu, nous pouvons dire que les sénateurs ont les clés d’une sortie de crise. En sifflant la fin de la partie, ne rendraient-ils pas service au Président ? Ce débat s’enlise alors que d’autres sujets d’exaspération éclatent ; beaucoup de Français éprouvent un sentiment d’insécurité croissant, comme s’ils étaient embarqués sur un paquebot sans pilote. L’arrogance du pouvoir nous a beaucoup renforcés. Des personnalités influentes nous appellent pour décoder nos intentions, comme si une bonne part de la compréhension de ce mouvement social leur échappait. Les promoteurs du projet ne peuvent éternellement le minimiser. L’énergie qu’ils dépensent à mettre en avant des éléments marginaux ou caricaturaux en est le signe… Comme si la détermination paisible de l’immense majorité de nos manifestants les effrayait !
Y a-t-il deux camps irréductibles qui s’affrontent ?
Je crois que les soutiens au projet de loi s’étiolent, se dégonflent comme une baudruche. La sénatrice verte Esther Benbassa, dont les postures sont aux antipodes de l’écologie humaine, s’est publiquement plainte du manque de mobilisation dans la rue des pro « mariage pour tous ».
Certaines outrances éclatent : la séna­trice Mi­chelle Meunier, rap­por­teure pour avis de la commission Affaires sociales, a affirmé : « Ce qui pose problème, c’est cette famille idéalisée, hétéro-patriarcale, blanche de préférence, de plus en plus éloignée des réalités. » Pareille lecture idéologique de notre opposition ne trompe plus.
Jean-Pierre Chevènement s’est exprimé contre le projet, annonçant qu’il ne prendra pas part au vote. A gauche, toute une opposition au projet murmure sans pour autant oser se manifester… Mais des articles de fond commencent à fleurir qui remettent en cause la posture ultra libérale qui sous-tend la loi Taubira.
Espérez-vous un rejet du projet de loi ou des « améliorations » ?
Quelle que soit la méthode, c’est le retrait du projet qui reste notre objectif. De toute façon, le Sénat va mettre son empreinte sur le texte, en raison de ses incohérences juridiques… Il faut se rappeler que la chambre haute est marquée par des équilibres plus subtils que l’Assemblée nationale. Le sénateur est traditionnellement un législateur pointilleux. Et plus libre, moins enclin à se laisser dominer par les consignes des partis. L’exécutif a déjà plusieurs fois été contredit par un vote du Sénat, où sa majorité est faible et fluctuante.
Je crois aussi que le temps — les sondages d’opinion le confirment — joue en faveur de la réalité que nous défendons…
Quel est l’état d’esprit des sénateurs ?
Justement, beaucoup de ceux qui sont poussés à soutenir le texte par leur appartenance partisane s’avouent troublés, en privé. Particulièrement lorsqu’ils découvrent l’articulation automatique entre mariage, adoption, insémination et gestation pour autrui, comme dans un jeu de dominos…
Dans les entretiens que les membres d’Alliance VITA ont eus avec eux ces dernières semaines, nous avons découvert que certains sénateurs n’avaient pas vraiment compris que le projet de loi Taubira incluait bien l’adoption plénière. Je n’en suis pas tellement étonné : les parlementaires non spécialisés ont tendance à découvrir les sujets au moment où ils arrivent sur leur bureau. Certains élus abandonnent jusqu’au bout leur discernement à leur président de groupe…
D’où l’importance de ces démarches. Aujourd’hui, elles sont prises au sérieux par les sénateurs : les élections municipales, celles de leurs grands électeurs, approchent.
Les médias parlent de plus en plus d’une prétendue radicalisation des opposants… Qu’en pensez-vous ?
À qui la faute ? Imaginons un instant ce qu’il se serait passé si le Conseil économique et social avait rejeté une pétition réunie par un grand syndicat ayant recueilli 730 000 signatures de citoyens (le nombre a été attesté) ! Nous avons été traités comme des sous-citoyens.
Toutefois, au regard de l’ampleur des foules que nous avons entraînées, je crois qu’il faut au contraire louer l’endurance paisible des manifestants. C’est la marque de la « Manif pour tous ». Et rien ne doit nous en détourner.
C’est pourquoi nous multiplions les appels au calme. Ma conviction intime reste qu’un sentiment de paix intérieure doit être communiqué à tous, comme élément clé d’une force irrépressible. Nous pouvons légitimement ressentir de l’agacement, de l’écœurement, de la colère… Nous avons le droit de les dire, mais ce n’est aucunement une raison pour changer de posture.
Même si tout est fait pour nous faire sortir de nos gonds, il ne faut pas céder aux provocations. C’est dans la durée, en ne laissant pas nos forces s’éparpiller, se dilapider ou se faire récupérer par tel ou tel parti, que nous tracerons un chemin vers la victoire. Pas forcément celle que nous voulons pour demain, mais une plus belle encore pour le respect de l’Humanité. Patience et confiance.

Nous gagnerons par la paix

Porte-parole de la manif pour tous et délégué général d’Alliance VITA, Tugdual Derville commente le risque de radicalisation d’une opposition à la loi Taubira exaspérée par l’obstination du gouvernement. Propos recueillis par Frédéric Aimard.

Comment pensez-vous que le pouvoir considère le mouvement de résistance à la loi Taubira ?

Il ne dispose visiblement pas du logiciel permettant de nous comprendre. Est-ce de l’ignorance ? De l’entêtement ? Du mépris ? Le ministre Arnaud Montebourg a osé parler d’une « poignée d’individus ». D’autres ont moqué « une manif de Marie-Chantal », déni quasi-raciste de la réalité d’un mouvement qui s’ancre chaque jour davantage dans la diversité.

Nous sentons le pouvoir en place singulièrement coupé de cette réalité. Est-ce parce que notre mouvement de résistance n’est pas fondé sur la défense d’intérêts catégoriels, mais porté par des convictions altruistes universelles ? L’exécutif en paraît sidéré. Il voulait nous décourager en minimisant par avance notre nombre (la veille du 24 mars, les services du ministère de l’Intérieur annonçaient 100 000 personnes, ce qui aurait été vu comme un baroud d’honneur)… Et voilà que nos rangs ont encore grossi. La presse internationale le reconnaît. Des éditorialistes ont commencé à mettre en garde le gouvernement, à l’image de Philippe Labro qui a lancé : « Attention, le mois de mai n’est pas très loin. » Et c’est vrai qu’une manifestation encore plus grande est possible.

Mais pensez-vous, après les quelques échauffourées du 24 mars aux Champs-Élysées, que tout cela va se terminer sur des barricades ?

Ce n’est pas ce que nous souhaitons et c’est toujours à redouter. Il me semble que le pourrissement serait une aubaine pour le gouvernement. C’est à se demander si la stratégie du ministère de l’Intérieur n’a pas été en ce sens, quand on découvre la facilité avec laquelle une partie de foule a pu se rendre — le plus souvent innocemment — sur les Champs-Élysées : un simple cordon de police s’est effacé devant la pression de quelques dizaines de manifestants. Plus tard la foule enfermée a été dégagée sans sommation par des jets de gel lacrymogène à bout portant. Certains observateurs ne sont pas dupes de ces abus, mais ces échauffourées sont à double tranchant : les téléspectateurs qui n’ont pas participé au 24 mars et ne sont pas impliqués sur les réseaux sociaux risquent de ne garder de notre immense rassemblement pacifique qu’une image de la violence vue à la télévision. Peu importe à leurs yeux qu’elle vienne de quelques groupuscules (que nous avions signalés à la police) ou de forces de l’ordre débordées. Ces images ternissent l’image sympathique et bon enfant de nos rassemblements…

Quand j’ai remonté l’avenue de la Grande-Armée aux côtés de Frigide Barjot, j’ai bien mesuré le degré d’attente et d’exaspération de la foule. Nous lui avons toujours donné des messages d’apaisement, les enjoignant sur le podium à rester dans la zone autorisée. Je pense que le rejet par le CESE, sur le conseil du Premier ministre, de la pétition attestée de 730 000 personnes a été une lourde faute politique. On a tué dans l’œuf la démocratie participative… Mais quelle extraordinaire réponse que cette foule du 24 mars, remplissant un espace immense, de l’Arche de la Fraternité à l’Arc de Triomphe, mais aussi les grandes avenues adjacentes ! Le Préfet de police n’avait même pas imaginé devoir les rendre disponibles lors des négociations avec la Manif pour tous… C’est d’ailleurs sur l’une de ces avenues que les forces de l’ordre ont commencé à diffuser du gaz lacrymogène, sur les premiers rangs d’une foule dense qui se pressait sur des barrières. Il aurait suffi d’une phrase sur le podium « Aux Champs-Élysées ! » pour que tous y affluent…

Cette phrase que beaucoup attendaient, pourquoi les organisateurs ne l’ont-ils pas prononcée ?

Nous aurions porté une très lourde responsabilité, et je ne pense pas d’abord à la responsabilité juridique. Il y aurait peut-être eu des victimes, par bousculade et piétinement, comme on en a vu dans des stades de football ou certains rassemblements immenses. Une foule doit avoir des leaders paisibles. L’ordre public est une question grave. Le pouvoir en place avait le droit de nous refuser les Champs-Élysées, comme nous avions le droit de les lui demander. Même si nous nous sentons bâillonnés — et que nous ne lâcherons pas sur le sujet qui nous tient à cœur — nous jouissons de la liberté de manifester, de nous exprimer dans les médias, de débattre.

Et heureusement que les forces de l’ordre sont aussi là pour nous protéger contre certains débordements. Ce n’est pas parce qu’une cause est juste que tout est permis. Souvenons- nous des excès de la théologie de la libération… Prenons plutôt exemple sur les mouvements paisibles qui ont changé le monde.

Est-ce à dire que vous récusez la comparaison avec le printemps arabe et la place Tahrir du Caire ?

Personne ne peut tenir pareille comparaison. Car il nous faut bien distinguer ce qui relève d’un régime totalitaire où les opposants sont mis en prison, où il n’existe pas de liberté de la presse ou d’expression, et notre démocratie, certes imparfaite, mais où nous ne risquons ni notre vie, ni notre liberté quand nous nous opposons. Ceux qui veulent éteindre notre mouvement ont tout intérêt à le faire apparaître comme une menace sérieuse à l’ordre public, car ils savent que la majorité des Français considéreront que le pouvoir en place doit le réprimer et le contenir. C’est un piège au moment où nous sommes en passe de rallier la grande majorité des Français, par un extraordinaire travail d’explication sur le terrain qui fait grossir notre mouvement.

Mon ambition est au­jourd’hui immense, car ce mouvement est en train de faire naître une espérance nouvelle pour notre pays. La Manif pour tous n’a jamais eu pour but, ni de faire tomber le gouvernement, ni de se jeter dans les bras de l’opposition…

Quand je dis que la non-violence intérieure est une arme de construction massive de la paix sociale, ce n’est pas une idée à l’eau de rose, c’est une conviction profonde. Je l’expérimente dans les débats quand je regarde avec bienveillance nos adversaires, jusqu’à chercher ce qui est juste et vrai dans ce qu’ils disent.

Je suis prêt à aider Jean-Luc Romero quand il se bat pour que les trithérapies soient disponibles en Afrique, un continent abandonné par le Nord. Je le lui ai dit, et il m’en a remercié publiquement. Voilà un beau sujet d’écologie humaine… S’ils sentent que nous portons une réponse qui ouvre une espérance, les Français ne s’y tromperont pas…

En défendant le repère anthropologique précieux de l’altérité sexuelle dans l’engendrement, nous répondons à la quête de la liberté véritable. C’est un souffle nouveau pour notre société qui a longtemps été abusée par le mirage libéral-libertaire. Je veux donc redire à tous ceux que guette l’exaspération : nous ne gagnerons que par la paix !

Embryon d’Europe

Embryon d’Europe

td.jpgTugdual Derville
Délégué général d’Alliance VITA

Utilisant une toute nouvelle procédure de démocratie participative, une pétition internationale lancée dans les 27 pays européens pour défendre l’embryon humain démarre en France.

C’est une « initiative citoyenne » internationale. Elle est dénommée « One of us » (Un de nous). La Fondation Jérôme Lejeune et Alliance VITA se sont associées pour la porter en France, tout en s’engageant à y impliquer d’autres associations. La pétition demande principalement à l’Union Européenne de ne plus financer la recherche impliquant la destruction d’embryons humains. Elle s’appuie sur un instrument de « démocratie participative » qui vient d’être mis en place pour rapprocher les institutions européennes de ceux que, de plus en plus, elles gouvernent.

L’enjeu est simple : recueillir avant fin octobre 2013 un million de signatures provenant d’au moins 7 des 27 pays de l’Union Européenne. La procédure de recueil et de validation des voix obéit à des règles contraignantes avec, notamment, un numéro de pièce d’identité pour chaque signataire et la garantie que ses coordonnées ne seront aucunement utilisées à une autre fin. La pétition Un de nous a été déposée très tôt, dès le 11 mai 2012, par un groupe de personnalités, dont le Français Grégor Puppinck, mais il a fallu plusieurs mois aux diverses instances nationales pour préciser ces conditions du recueil des signatures et les décliner pour les deux modes possibles : formulaire à remplir par Internet ou à rassembler par courrier. Une signature s’apparente à un vote et obéit à des règles de confidentialité éprouvées.

Destinataire ultime de la pétition, la Commission européenne devra recevoir ses organisateurs pour examiner leur demande. Ils pourront aussi la présenter au Parlement européen en audition publique. L’Union européenne sera alors tenue d’apporter une réponse, soit en présentant une proposition législative conforme à la requête des demandeurs, soit en argumentant son refus, dans un délai de trois mois. L’initiative citoyenne permettra-t-elle de contourner les dérives éthiques avalisées par certaines législations ? La diversité des pays permet de l’espérer. D’autant que la Cour de Luxembourg a récemment estimé la recherche sur l’embryon contraire à la dignité humaine.

Alors que plusieurs de ses Etats membres la proscrivent, quelque 50 millions d’euros ont été dépensés par l’Union européenne entre 2007 et 2013 pour cette recherche.

La pétition entend souligner l’anomalie, au moment où se prépare le Programme-cadre pour la recherche et l’innovation « Horizon 2020 » qui doit budgéter les investissements européens pour la période 2014-2020. La pétition Un de nous ne se contente pas de promouvoir la protection de l’embryon en Europe ; elle conteste également le financement par l’Union européenne, via des subventions, d’organisations non-gouvernementales faisant la promotion de l’avortement dans les pays en voie de développement.

Rendu public le 15 mars 2013, un site de recueil des signatures françaises a été élaboré par la Fondation Jérôme Lejeune et Alliance VITA : Undenous.fr. Les deux associations se sont engagées à réunir au moins 60 000 signatures, et espèrent dépasser les 100 000. Le contexte français se prête particulièrement au lancement de cette initiative : l’Assemblée nationale examinera pour la première fois, le 28 mars 2013, une proposition de loi, déjà votée au Sénat, qui prévoit de sortir la recherche sur l’embryon du régime d’interdiction assorti de dérogation pour passer à un régime d’autorisation encadrée.

Le glissement sémantique est lourd de conséquences. Il intervient à contresens de plus récentes applications scientifiques de la reprogrammation des cellules adultes en cellules souches capables de se différentier en divers organes. Alors que la recherche sur l’embryon n’a pratiquement pas donné de résultat thérapeutique, ces applications confirment qu’il n’est aucunement besoin de passer par la destruction d’embryons humains pour progresser.

Une réflexion nouvelle

Une réflexion nouvelle

Tugdual Derville, délégué général d’Alliance VITA et porte-parole de la”Manif pour tous”, explique pourquoi  la mobilisation du 13 janvier n’est pas un succès éphémère, mais le début d’un sursaut anthropologique majeur, dans un esprit de non-violence intérieure.

Que répondez-vous à ceux qui, comme Pascale Clark sur France Inter au lendemain de la « Manif pour tous » du 13 janvier, ironisaient sur votre « manif pour rien » ?

Qu’ils n’ont encore rien vu. Et, surtout, pas encore compris ! Nous savons que nos adversaires misent sur le découragement ou la division de notre mouvement… Dès le samedi 2 février prochain, dans les centres-villes de tous les départements, les Français vont se rassembler à nouveau pour montrer qu’ils sont plus que jamais mobilisés contre ce projet de loi injuste. Notre mouvement est en plein essor, et pas seulement à court terme, car il est animé par un ressort intime. C’est un sursaut historique qu’il nous faut accompagner.

Ne craignez-vous pas l’usure ? Ne craignez-vous pas aussi de diviser les Français ?

à nous de tenir dans la durée, ce qui suppose une organisation plus solide, une stratégie davantage planifiée, le renouvellement et la diversification des porte-parole… Nous y travaillons. J’aimerais par exemple entendre davantage la voix des parents adoptifs ou des professionnels de l’enfance. Déjà, grâce à l’élan du 13 janvier, des langues se délient, de nouvelles catégories de personnes s’engagent, de nouveaux experts sortent du silence… C’est un mouvement de fond. à nos yeux — et la manifestation aux slogans parfois très durs ou provocateurs du 27 janvier pro- « mariage pour tous » l’a confirmé — c’est le projet de loi gouvernemental qui divise les Français, et non pas notre résistance. François Hollande se mord peut-être les doigts de s’être laissé entraîner sur cette pente, où il n’a rien à gagner politiquement. C’est pourquoi nous ne devons rien lâcher. C’est même le meilleur service à rendre au président de tous les Français. Il a les cartes en main…

Le débat est pourtant bien à l’Assemblée nationale. N’est-ce pas un signe pour vous d’une défaite annoncée ?

Aucunement. Tout va se jouer à moyen ou long terme. D’avoir obtenu en commission que demeurent (symboliquement) les termes de père et mère dans le texte, au prix de l’artifice d’un alinéa « balai » est déjà une victoire morale qui donne crédit à tout notre engagement et nous encourage à intensifier nos actions… Car le processus reste long avant la promulgation d’une éventuelle loi…

Qu’attendez-vous des parlementaires ?

Beaucoup. Que les opposants s’opposent avec intelligence et fermeté. C’est l’honneur de notre démocratie que des voix s’élèvent contre l’injustice. Et que les consciences des députés de gauche se libèrent. Ce sujet de « métapolitique » mérite d’être ex­plicité sans tabou. Cela donnera des forces aux sénateurs, le moment venu, pour agir à leur tour en conscience. Déjà des parlementaires de gauche nous font comprendre qu’ils seront, le jour du vote, vraisemblablement pris d’un besoin pressant à l’heure du scrutin… pour ne pas être dans l’Hémicycle. C’est un début.

Vous semblez davantage tabler sur le long terme ?

Oui. Le temps joue en notre faveur. Déjà, les promoteurs du projet les plus virulents, comme Pierre Bergé, se désolent que le gouvernement ne soit pas passé en force (et en catimini) pendant le bref « état de grâce » de la majorité. Au fond, ce projet de loi agit comme un révélateur, pour beaucoup de gens. Et alimente notre dynamisme.

Que voulez-vous dire ?

C’est dans l’adversité que se révèlent les cœurs. Or, le cœur du peuple est soudain saisi devant la toute-puissance d’un projet qui entend redéfinir le repère anthropologique le plus universel, incontestable et précieux. Du coup monte une réflexion nouvelle, à mesure que des questions qu’on ne se posait pas émergent. Qu’est-ce qu’un homme, qu’un père ? Qu’est-ce qu’une femme, une mère ? Quel est le sens de l’enfantement ou de l’engendrement ? De quoi un être humain a-t-il besoin pour s’épanouir ? Peut-on encourager l’amour durable, l’engagement ? Et même peut-on apprendre à aimer ?

En marge de mon récent débat public avec Nicolas Gougain, porte-parole de la LGBT pour lequel j’éprouve un grand respect, j’ai eu de belles discussions avec de jeunes adultes dont les parents se sont séparés, parfois dans de grandes violences. Le débat avait fait naître en eux des interrogations : que faire quand on aspire au grand amour et qu’on ne croit plus en l’engagement ?

J’ai bien vu qu’une posture de bienveillance ouvrait des cœurs. C’est l’occasion de plaider pour la famille stable sans stigmatiser aucunement ceux qui en ont manqué.

Cette bienveillance est-elle réellement efficace ?

La bienveillance est extraordinairement féconde. La non-violence intérieure est l’arme de construction massive de la paix sociale. Elle a la puissance absolue de la faiblesse.

Et c’est pourquoi, plutôt que d’alimenter à l’excès une querelle de chiffres qui risquerait de générer chez les manifestants l’idée désabusée qu’ils sont piétinés par le pouvoir, j’aimerais leur redire qu’ils peuvent être heureux de ce qu’ils ont fait naître et qui n’est pas près de s’éteindre.

Georgina Dufoix, qui fut ministre des Affaires sociales de François Mitterrand et qui manifestait avec nous le 13 janvier, m’a appelé le lendemain pour me demander de l’écrire aux manifestants, pour qu’ils soient conscients et fiers de l’élan irrépressible qui les anime. Les soubresauts du calendrier parlementaire ne sont rien à côté du sens de l’Histoire.

Que pensez-vous des slogans provocateurs ou antichrétiens de la manifestation du 27 janvier ?

Il faudrait s’interroger sur la culture d’autodérision propre à certains milieux désenchantés. Elle conduit à des slogans révélateurs d’un malaise existentiel. Cette surenchère de virulence renvoie au désir d’abattre toute limite, assimilée à une injonction liberticide. Que ces slogans — dont le pendant n’existe pas dans nos manifestations — puissent foisonner sans faire scandale constitue une forme d’hommage à notre propre posture paisible. Quant à l’Église catholique, il lui est reproché d’avoir libéré la parole de beaucoup. L’Institution qui rappelle les limites inhérentes à la vie en société devient natu­rellement un bouc émissaire. Peut-être est-ce parce qu’elle est entendue ? Les parents témoignent de l’ambivalence de l’écoute de leurs adolescents frondeurs…

Mariage pour tous : une résistance irrépressible

Entre les deux manifestations des dimanche 13 et 27 janvier 2013 qui divisent les Français, Tugdual Derville, le délégué général d’Alliance VITA et l’un des porte-parole de la Manif Pour Tous, fait un point de situation.more

Que répondez-vous à ceux qui disent que la Manif Pour Tous fut une manif pour rien ?

Qu’ils risquent de prendre soit leurs désirs soit leurs peurs pour la réalité. Je voudrais rassurer ceux qui craignent que la mémoire de cette extraordinaire manifestation soit étouffée par le pouvoir ou par certains médias, ou bien récupérée par l’opposition politique : le président de la République sait parfaitement ce qui s’est passé. Plutôt que d’entretenir un sentiment négatif en nous focalisant sur la querelle des chiffres ou le coût de restauration d’une pelouse (polémiques secondaires), regardons ensemble la réalité. Or, cette réalité est historique : un mouvement absolument inédit par son mode d’émergence dans notre pays a bousculé les repères des politologues. Il suffit de les entendre, ébahis, tenter de nous décortiquer dans les studios de radio et de télévision. Ni la majorité, ni l’opposition ne peuvent désormais ignorer l’ampleur de notre mobilisation.

N’y a-t-il pas des précédents comme 1984 ?

Je crois qu’il est abusif de comparer notre mouvement à 1984, tant sur le fond que par le mode d’émergence. A l’époque, c’était une liberté concrète qui était menacée, avec un enjeu personnel pour les manifestants : disposer des moyens financiers pour choisir l’école de leurs enfants. 2013, qu’un journal italien a titré « révolution française », a des ressorts plus profonds encore : la transmission d’un repère universel propre à l’humanité : la précieuse filiation homme/femme. Frigide Barjot a raison de comparer ce mouvement à Mai 68. C’est le début d’un soulèvement contre la toute-puissance qui menace l’être humain dans son essence. Ce qui nous anime est irrépressible. Notre nombre, mais aussi le style à la fois grave, paisible et festif de notre mobilisation l’atteste.

Le pouvoir en place peut-il reculer ?

D’une certaine façon, je dirai que le président de la République peut tout – hormis nous ignorer. C’est lui qui a les cartes en main. Il sait qu’il s’est laissé piéger par le lobby LGBT, peut-être abusé par la grenouille qui s’était enflée comme le bœuf. Et le voilà confronté à la division des Français, lui qui accusait son prédécesseur de la provoquer. Le voilà aussi empêtré à propos d’un projet de loi que 6% seulement de nos concitoyens jugent prioritaire… A lui de trouver la porte de sortie. Quand les électeurs de gauche comme de droite attendent  l’emploi pour tous, ou le logement pour tous, constater que le Parlement perd son temps avec le prétendu « mariage pour tous » a un énorme coût politique.

François Hollande va-t-il vous recevoir ?

Certainement. Comment pourrait-il en être autrement ? Mais ce n’est pas forcément là que l’essentiel se joue. Ce rendez-vous est d’abord symbolique : il atteste que le président de la République reconnait la validité d’un mouvement qu’il avait jusqu’ici ignoré, sauf peut-être devant le Congrès des Maires, avant de se dédire. C’est un homme sympathique mais aussi un fin politique. Il voudra donc nous recevoir dans des conditions les plus défavorables pour nous. Peut-être pour faire monter dans son propre camp le soutien au projet ? Alors que la gauche est elle-même divisée sur le sujet… En tout cas, nous ne sommes pas dupes. Et en même temps, toute rencontre est une surprise.

Comment voyez-vous la suite du mouvement ?

A court terme, nous allons montrer que nous restons plus mobilisés que jamais. La démonstration du nombre et de la qualité est faite. Il reste à manifester notre ténacité. Le facteur temps est essentiel en politique. Certains tablent encore sur le feu de paille alors que notre mouvement, qui couvait depuis longtemps sous la cendre, est en train d’embraser la France. Les promoteurs du projet de loi misent toutefois sur notre usure. A nous de montrer que nous ne lâcherons pas.

Concrètement comment va se poursuivre la mobilisation ?

Nous avons décidé de retourner d’abord en région. Nous annonçons d’ores et déjà des rassemblements dans tous les départements de France le samedi 2 février 2013 [initialement prévus le dimanche 3 février 2013]. Il y aura aussi des actions-surprises pour marquer le débat parlementaire. Nous entendons par ailleurs continuer d’ouvrir le débat : trop de Français ignorent encore que le « mariage pour tous » signifie l’adoption d’enfants par deux hommes ou deux femmes, une adoption qui serait inéluctablement articulée à la procréation artificielle. Nous envisageons par ailleurs un Tour de France sous forme de grands meetings  régionaux…  Tout cela nous conduira, si le président de la République ne nous entend pas, à une nouvelle mobilisation nationale, pour une date qui reste à fixer.