Droits de l’homme et bioéthique : angles mort et pistes de progression

Droits de l’homme et bioéthique : angles mort et pistes de progression

Droits de l’homme et bioéthique : angles mort et pistes de progression

 

A l’occasion de la célébration du 10 décembre, journée internationale des droits de l’Homme, Alliance VITA est mobilisée contre les atteintes à la vie et pour la dignité de tous en matière bioéthique. L’association appelle à la vigilance pour progresser vers plus de justice et de solidarité.

Focus sur 5 enjeux.

 

I. Réduire les facteurs de stigmatisation des personnes handicapées 

En France, le dépistage prénatal a pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité. La loi bioéthique française, dans sa version actuelle, prévoit que le DPI n’est autorisé qu’à titre exceptionnel dans certaines situations attestées par un médecin[1]. Le diagnostic prénatal, s’il permet un meilleur suivi des grossesses pour accompagner la mère et l’enfant à naître, peut aussi être assorti de propositions d’interruption médicale de grossesse (IMG en cas d’affection d’une particulière gravité ), plus de 8000 sont pratiquées annuellement).

L’IMG peut intervenir légalement à tout moment pendant la grossesse sans restriction de délais. Beaucoup s’alarment d’une nouvelle forme d’eugénisme en France, qui stigmatise particulièrement les personnes porteuses de trisomie : 90% des diagnostics de trisomie conduisent à une IMG[2].

Ces pratiques favorisent une situation de discrimination grave à l’encontre des personnes handicapées, justement relevée parmi les recommandations faites à la France par l’ONU en 2018. Il lui avait été ainsi demandé de revoir sa politique de détection prénatale systématique de la trisomie, conformément aux principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des instruments internationaux[3]. Cette recommandation n’a toutefois pas été acceptée par l’État français qui l’a seulement notée. Plusieurs organes des Nations-Unies sonnent pourtant l’alerte sur cette situation : «

Sur les questions telles que le dépistage prénatal, l’avortement sélectif et le diagnostic génétique préimplantatoire, les militants des droits des personnes handicapées s’accordent à considérer que les analyses bioéthiques servent souvent de justification éthique à une nouvelle forme d’eugénisme, souvent qualifié de « libéral »[4] ».

Ces pratiques emportent de graves conséquences sociales pour les personnes handicapées, affectant leur droit à mener une vie pleine et décente dans des conditions qui garantissent leur dignité[5].

En 2021, la Défenseure des droits a regretté[6] que l’État français n’ait pas encore pleinement adopté la nouvelle approche du handicap telle qu’induite par la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Elle a indiqué que les discriminations à l’égard des personnes handicapées constituent le premier motif de saisine du Défenseur des droits en matière de discrimination[7].

 

II. Généraliser les soins palliatifs pour tous

En France, selon un rapport de la cour des comptes, la moitié des patients qui devraient bénéficier d’une prise en charge en soins palliatifs n’y ont pas accès faute de moyens et un quart des départements ne dispose d’aucune unité de soins palliatifs.

En outre, une inquiétude croissante a été exprimée par les Nations-Unis concernant les conséquences des législations sur le suicide assisté et l’euthanasie dans la population : « Le handicap ne devrait jamais être une raison pour mettre fin à une vie »[8]. Plusieurs rapporteurs et experts[9] insistent sur le fait que « l’aide médicale au suicide » – ou l’euthanasie –, même lorsqu’elle est limitée aux personnes en fin de vie ou en maladie terminale, peut conduire les personnes handicapées ou âgées à vouloir mettre fin à leur vie prématurément.

L’accès aux soins et en particulier aux palliatifs pour tous doit être une considération prioritaire de l’État français, d’autant plus dans le contexte où la protection sociale s’inscrit parmi les cibles de l’Objectif de développement durable des Nations-Unies (ODD) n°1[10] et de l’ODD n°10, qui inclut l’adoption de politiques publiques permettant de parvenir à une plus grande égalité[11].

 

III. Respecter le droit des enfants

Depuis l’adoption de la dernière loi bioéthique de 2021[12], le régime de l’assistance médicale à la procréation (« AMP », aussi appelée « PMA ») tel qu’il est envisagé en droit français porte des atteintes graves à des principes consacrés notamment par la Convention relative aux droits de l’enfant. L’abandon du critère d’infertilité dans l’accès aux techniques d’AMP avec tiers donneur méconnait le principe selon lequel « les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement »[13].

En institutionnalisant l’AMP avec donneur sans partenaire masculin, le Gouvernement français prive par avance de père les enfants ainsi nés. Il contrevient, ce faisant, à la Convention internationale des Droits de l’enfant qui dans son article 7 dispose que l’enfant, dans la mesure du possible, a le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.

D’une façon générale, l’apport de gamètes extérieurs dans le processus de procréation cause une injustice à l’enfant. Ce dernier aurait accès à la connaissance de ses origines à sa majorité mais serait toujours privé de sa filiation biologique puisque son auteur n’a pas vocation à être son père et que le droit interdit même qu’il le soit. Or, détenir l’identité de son géniteur n’est pas équivalent au fait de le connaître et d’être élevé par lui. C’est l’apport extérieur de gamètes en lui-même qui fait échec aux droits de l’enfant.

 

IV. Lutter contre le trafic humain

En France, la gestation pour autrui (GPA) est strictement interdite dans son principe[14], mais l’évolution de la jurisprudence tend à accepter ses effets à l’égard de l’enfant quand elle est pratiquée à l’étranger. La GPA entraine la transcription d’actes de naissance d’enfants nés de GPA, qui sont délibérément non conformes à la réalité (la mère indiquée n’est pas celle qui a accouché par exemple) ce qui a été confirmée par deux jugements de la Cour de cassation en 2024 au moyen de transposition de filiation établie à l’étranger par exequatur.

En outre, du fait qu’elle est interdite en France, certains couples ou individus ont recours à la GPA dans d’autres pays et font appel à des mère-porteuses étrangères. Ce phénomène favorise ainsi le trafic humain en contradiction totale avec les efforts internationaux de lutte contre un tel trafic.

 

V. Soutenir une politique familiale

La dernière enquête de l’Union nationale des associations familiales (UNAF)[15] révèle que les Français souhaiteraient avoir en moyenne un enfant de plus. Parmi les facteurs bloquants, les difficultés matérielles et financières des familles. Or, les politiques publiques de prestations et de prélèvements s’avèrent de moins en moins avantageuses pour les parents, en plus d’une augmentation du budget pour le logement.

Des études récentes montrent également des liens entre les violences conjugales et les interruptions volontaires de grossesse à répétition[16]. En France, le lien entre violences et interruption volontaire de grossesse (IVG) demeure cependant peu exploré :  très peu de médecins posent systématiquement la question des violences aux femmes réalisant une IVG[17]. Or, pour 40 % des 201 000 femmes concernées chaque année par les violences du conjoint, celles-ci ont débuté à la première grossesse[18].

Un sondage IFOP réalisé en octobre 2020[19] révèle que 92 % des Français jugent que l’avortement laisse des traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes et 73 % estiment que la société devrait davantage aider les femmes à éviter le recours à l’interruption volontaire de grossesse.

 

[1] C’est le cas lorsque le couple, du fait de sa situation familiale, a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Le diagnostic ne peut avoir d’autre objet que de rechercher cette affection ainsi que les moyens de la prévenir et de la traiter. Et à titre dérogatoire, le DPI peut être autorisé si le couple a donné naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique non héréditaire entraînant la mort dès les premières années de la vie et reconnue comme incurable au moment du diagnostic.

[2] Agence de la biomédecine, 2017, https://rams.agence-biomedecine.fr/sites/default/files/pdf/2019-09/RAMS%202017%20DPN.pdf, Tableau DPN 11.

[3] A/HRC/38/4, p.24, Recommandation n°145.234 du Costa Rica.

[4] A/HRC/43/41, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées, Conseil des droits de l’homme, 43e session, 24 février-20 mars 2020, §21.

[5] Article 1er de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (2006), Article 23 de la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant (1989).

[6] A l’occasion de l’examen de la France de son application de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

[7] https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2021/08/experts-committee-rights-persons-disabilities-raise-questions-about-medical

[8] Déclaration commune publiée le 25 janvier 2021, Haut-Commissariat aux Droits de l’homme des Nations-Unies.

[9] Le Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées, le Rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les Droits de l’homme et l’expert indépendant sur les droits des personnes âgées.

[10] ODD n°1, Lutte contre la pauvreté, cible Protection sociale : « 1.3 : Mettre en place des systèmes et mesures de protection sociale pour tous, adaptés au contexte national, y compris des socles de protection sociale, et faire en sorte que, d’ici à 2030, une part importante des pauvres et des personnes vulnérables en bénéficient ».

[11] ODD n°10, Réduction des inégalités, cible Politiques publiques ciblées au service de l’égalité : « 10.4 : Adopter des politiques, notamment sur les plans budgétaire, salarial et dans le domaine de la protection sociale, et parvenir progressivement à une plus grande égalité ».

[12] http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/bioethique_2.

[13] Article 18 de la Convention relative aux droits de l’enfant.

[14] Article 227-12 du Code pénal et article 16-7 du Code civil.

[15] https://www.unaf.fr/ressources/2023-bilan-demographique-les-familles-ont-moins-d-enfants-mais-en-desirent-toujours/ et https://www.unaf.fr/ressources/ideal-personnel-moyen-du-nombre-enfants-en-france/ Etude Kantar  parue le 11 janvier 2024,

[16] Pinton A. et al., « Existe-t-il un lien entre les violences conjugales et les interruptions volontaires de grossesses répétées ? », Gynécologie Obstétrique Fertilité & Sénologie, 2017/7-8, Volume 45, pages 416-420.

[17] Pelizzari Mélanie et al., « Interruptions volontaires de grossesse et violences : étude qualitative auprès de médecins généralistes d’Île-de-France », Cliniques méditerranéennes, 2013/2 n° 88, p.69-78.

[18] AFP (2014, 23 novembre). La grossesse, un moment clé pour détecter les violences conjugales. France 3 Hauts-de-France.

[19] https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-livg-2/

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[CP ] – Le gouvernement tombe, les urgences demeurent

[CP ] – Le gouvernement tombe, les urgences demeurent

Le gouvernement tombe, les urgences demeurent

 

Avec le vote de la motion de censure contre le gouvernement de Michel Barnier, l’examen du texte sur la fin de vie, annoncé début février, est certes suspendu mais pas les urgences pour le système de santé et les soins palliatifs et malheureusement pas non plus les revendications pro euthanasie. La proposition de loi portée par le député Falorni pourrait survivre à un remaniement gouvernemental.

A l’heure où l’instabilité politique domine, seules les préoccupations prioritaires des Français devraient mobiliser les parlementaires : réparer le système de santé et garantir l’accès aux soins, relever le défi du vieillissement de la population en adoptant une loi grand âge, autant de vrais enjeux que doivent saisir les politiques sans attendre.

Depuis le lancement de sa campagne « J’attends des soins, pas l’euthanasie ! », Alliance VITA a récolté des milliers de témoignages illustrant les embouteillages croissants dans les parcours de soins : « Après une attente trop longue pour avoir un rendez-vous et un diagnostic, le cancer de ma jumelle a évolué plus vite que les soins. À mon immense chagrin j’ai perdu ma sœur faute d’un diagnostic rapide et traitement avant que ce soit trop tard. »

Les législateurs auraient tort d’ignorer ces difficultés ; pire, ils commettraient l’irréparable en y répondant par la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie. Veut-on que des personnes en souffrance se tournent vers la mort provoquée par défaut d’accès aux soins ?

Alliance VITA demande que la priorité soit donnée aux besoins de nos concitoyens : les Français attendent des soins … Les politiques doivent répondre en urgence à ces attentes, et ne surtout pas voter une loi ultralibérale d’euthanasie.

Contact presse : Claire-Anne Brulé + 33(0)6 67 77 14 80 – contactpresse@alliancevita.org

 

Retrouvez tous nos articles sur l’euthanasie et le suicide assisté.

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Euthanasie : le handicap en première ligne

Euthanasie : le handicap en première ligne

Euthanasie : le handicap en première ligne

En France, la présentation du débat « pour ou contre l’euthanasie » a pu glisser vers celle d’un affrontement caricatural : d’un côté, il y aurait les citoyens (cf. la fameuse « convention citoyenne » qui aurait tranché le débat) ; de l’autre, il y aurait les soignants qu’on sait très majoritairement hostiles à la levée de l’interdit hippocratique et qui considèrent que tuer n’est pas un soin ! Mais où sont les personnes en situation de handicap ?

Ailleurs, en Grande-Bretagne notamment, ce sont elles qui s’expriment en première ligne contre l’euthanasie, en tant que citoyens s’estimant particulièrement vulnérables. En témoigne leur mouvement au titre percutant : « Not dead yet » (Pas encore mort). L’association qui a comme ligne de base « The Resistance » se présente comme « un groupe national de défense des droits des personnes handicapées qui s’oppose à la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie en tant que formes mortelles de discrimination. »

Ce mouvement fait écho à la dénonciation croissante, par certaines personnes porteuses de handicaps, du « validisme ». Ce mot entend stigmatiser un monde de valides voulant imposer leur prétendue « normalité » quitte à en exclure ceux qu’ils estiment hors norme. Il faut reconnaitre, les soignants le savent bien – que la revendication de l’euthanasie légale émane essentiellement de personnes valides et en bonne santé, qui considèrent – d’abord pour les autres, parfois pour un proche – qu’il vaut mieux mourir que de vivre en état de dépendance.

Mais que devient l’avis de ces personnes quand elles se retrouvent handicapées ? Passés le choc et l’adaptation à cette nouvelle vie, elles affirment largement – même quand la mort approche – qu’elles ne voient plus les choses de la même façon. C’est le regard des autres qui remet en cause leur existence. Il faut être lucide : la discrimination vis-à-vis des personnes handicapées, leur harcèlement, leur exclusion mais aussi une forme de pitié qui s’apparente au rejet – sans parler de l’euthanasie anténatale – ne sont pas l’apanage des régimes totalitaires.

En démocratie, l’euthanasie pourrait devenir l’ultime façon de ne pas considérer les personnes porteuses de handicap comme pleinement dignes de vivre. Philippe Pozzo Di Borgo, tétraplégique dont l’histoire a inspiré Intouchables, avait mis en garde contre ce risque d’éliminer le « différent qui gêne » au point d’inciter les « valides » à mépriser leur propre vulnérabilité. Dans son élan – et celui du mouvement Soulager mais pas tuer – Caroline Brandicourt, atteinte d’une maladie neurodégénérative, a sillonné au printemps 2023 la France en tricycle pour sonner l’alerte : « On vit autrement, mais on peut bien vivre ».

En France, c’est surtout à l’occasion des affaires médiatisées d’euthanasie que certaines voix se sont élevées pour s’interroger sur ce que l’engouement médiatique pour tel ou tel passage à l’acte révélait de la « valeur » accordée à la vie d’une personne dépendante. Une association des parents et proches de personnes traumatisées crâniennes s’est mobilisée dès l’euthanasie de Vincent Humbert en 2003 pour redire le droit de vivre des patients concernés et la valeur de leur vie.

Si, en décembre 2008, Lyddie Debaine a été condamnée en appel à deux ans de prison avec sursis après un acquittement par une première cour d’assises, c’est parce que des associations de personnes handicapées s’étaient entre temps émues que le meurtre délibéré de sa fille, gravement handicapée, ait pu être exonéré de toute condamnation en raison du handicap de la victime. Sa vie était-elle indigne de protection ?

En 2014, en pleine affaire Lambert, France Traumatisme Crânien (l’association nationale des professionnels au service des traumatisés crâniens) mais aussi l’Union Nationale des Associations de Familles de Traumatisés crâniens et de Cérébrolésés ont alerté le Conseil d’Etat. Ils déclaraient : « L’alimentation et l’hydratation, comme les soins d’hygiène et de confort, font partie, pour nous, des soins de base dus à tout patient dans cette situation de stabilité clinique » et ajoutaient « Les patients en EVC/EPR [pour états pauci relationnel et neurovégétatif] ne sont pas en fin de vie (…). Ils sont des patients très lourdement handicapés, totalement dépendants ».

En 2017, l’association pour la recherche sur la SLA, qui regroupe des personnes atteintes de maladie de Charcot et des proches avait protesté à son tour contre la médiatisation de l’euthanasie en Belgique de la romancière Anne Bert. A l’époque, la directrice générale témoignait « avoir reçu beaucoup d’appels de malades et de leurs proches pour dire leur indignation ». Elle déclarait :

« Cela leur renvoie une image négative et ultime de la maladie alors que la grande majorité d’entre eux ne pense ni à l’euthanasie ni au suicide, qu’ils sont au contraire dans l’espoir et la vie, dans le combat, qu’ils profitent du présent et font tout pour compenser la perte d’autonomie ».

Hélas, selon l’adage « l’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse » on encense davantage le « courage » de ceux qui « réussissent leur sortie » en optant pour la mort provoquée que le courage de ceux qui vivent leur vie, malgré la dépendance, en étant accompagnés jusqu’au bout. Que dit ce deux poids deux mesures médiatique sur l’image du handicap ?

Le soutien des « valides » à l’euthanasie des « invalides » en situation de vulnérabilité, génère aussi de l’angoisse chez leurs proches. Surtout quand les « fragiles » auraient des difficultés à se défendre eux-mêmes.

En 2024, ce sont 75 parents de personnes porteuses de handicap mental qui ont publié une tribune : « Nous demandons l’interdiction explicite de l’euthanasie et du suicide assisté pour les personnes porteuses de handicap mental ». Tous craignent que leurs proches deviennent « les victimes d’une médecine tournée vers la performance où donner la mort sera l’arme suprême (et bon marché) pour éliminer la vulnérabilité. » Ce qui se passe au Canada, où le handicap est un critère d’accès à l’euthanasie, donne raison à pareille inquiétude. Plusieurs personnes en situation de handicap ont protesté contre la pression – parfois explicite – subie pour qu’ils recourent à l’AMM (aide médicale à mourir).

Choqué qu’un directeur d’hôpital lui ait proposé l’euthanasie à l’exclusion de tout traitement, Roger Foley, atteint d’ataxie cérébrale, l’a vigoureusement dénoncé dans une vidéo qui a fait grand bruit :

« J’ai été déshumanisé, menacé, attaqué et trompé, et ma vie a été totalement dévaluée, simplement parce que je suis une personne en situation de handicap. On accorde plus de valeur à l’accès à l’AMM qu’aux alternatives qui pourraient soulager les patients de leurs souffrances intolérables. L’AMM est présentée aux patients comme une option de traitement privilégiée plutôt que comme le tout dernier recours une fois que toutes les autres voies ont été épuisées. »

Depuis, plusieurs patients canadiens porteurs de handicap ont malheureusement réclamé l’AMM en précisant que c’était en désespoir de cause, parce qu’ils n’avaient pas accès aux soutiens appropriés. En 2023 la loi prévoyait carrément d’élargir l’accès à l’AMM aux personnes atteintes d’une affection mentale.

Alors qu’en France le système de santé est en crise multiforme, le coût comparé de l’euthanasie et du maintien en vie aurait de quoi inquiéter ceux qui – aux yeux d’une bonne partie de l’opinion – ont des vies indignes d’être vécues. Les joyeux visages des concurrents des jeux paralympiques n’ont-ils pas délivré un tout autre message ?

euthanasie : le handicap en première ligne

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« Affaire Palmade » : le deuil entravé de l’enfant né sans vie

« Affaire Palmade » : le deuil entravé de l’enfant né sans vie

« Affaire Palmade » : le deuil entravé de l’enfant né sans vie

Vingt-et un mois après avoir causé, sous l’emprise de la drogue, un grave accident de la circulation qui a notamment fait perdre à une femme enceinte son bébé à six mois de grossesse, l’humoriste Pierre Palmade a été condamné le 20 novembre 2024 à deux ans de prison ferme pour « blessures involontaires » et non pas « homicide involontaire ». L’affaire relance le débat sur la personnalité juridique du fœtus.

Le procès de Pierre Palmade souligne l’injustice, voire l’inhumanité d’un artifice de notre droit qui interdit de qualifier d’homicide le fait d’avoir provoqué la mort d’un être humain avant sa naissance, que cet homicide soit involontaire ou délibéré. C’est cet artifice qui a conduit les magistrats à se limiter à qualifier de « blessures » ce qu’avait subi une femme enceinte de six mois dont le bébé a perdu la vie lors de l’accident.

La jeune maman a donné naissance à un autre enfant depuis l’accouchement. Venue témoigner de cette perte devant les magistrats, elle a évoqué dans les sanglots la mort de sa petite Solin, née sans vie :

« Il a tué ma fille, elle était entière, j’ai compté ses doigts, elle m’a montré ses yeux. Elle est partie seule » (…) « Quand elle est née, j’étais dans un déni total. Pour moi, je venais d’accoucher. Solin, je l’avais portée dans les bras. Pour moi, elle était en train de dormir (…) Je pensais qu’on allait en prendre soin. Elle était morte. »

Et la jeune femme d’expliquer que ce traumatisme l’empêche aujourd’hui de prendre dans ses bras sa seconde petite fille, conçue après l’accident.

Deux logiques inconciliables s’affrontent :

  • Première logique : on ne peut qualifier d’homicide l’avortement légal, dont les délais légaux vont, dès la loi de 1975, jusqu’au terme de la grossesse en cas de suspicion de handicap d’une gravité particulière (précisément quand il « existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic »). Après avoir admis un temps la qualification d’homicide involontaire pour la perte d’un fœtus, la cour de Cassation refuse depuis 2001 toute reconnaissance juridique de l’enfant à naître.
    Seconde logique : on ne peut nier le deuil subi par des parents qui perdent leur enfant avant sa naissance, ni le préjudice qu’ils subissent lorsque ce décès est consécutif à une faute, voire à un acte délibéré. Progressivement, le droit a certes tenté de reconnaitre ce deuil, en renforçant les signes de l’existence pleine et entière de celui ou celle qui n’a pas respiré.

La loi de 2008 avait franchi une première étape en instaurant un « acte d’enfant sans vie » (second alinéa de l’article 79-1 du code civil). Concrètement un officier de l’état civil le dresse sur production d’un certificat médical en mentionnant les heure, jour et lieu de l’accouchement et les noms et le domicile des parents.

La loi du 6 décembre 2021 a renforcé cette reconnaissance en permettant que figure aussi sur cet acte « à la demande des père et mère, le ou les prénoms de l’enfant ainsi qu’un nom qui peut être soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. » Nommer, c’est reconnaitre l’existence et – par-là – le deuil.

Le souci d’humanité qui préside à cette disposition est attesté par son exceptionnel caractère rétroactif, rarissime en droit : si les parents le souhaitent, les actes d’enfants nés sans vie établis antérieurement à la loi de 2021 peuvent en effet être complétés par la mention du nom et des prénoms de l’enfant. Toutefois, précise le texte, pour toutes ces situations passées ou avenir, « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique. » Humanité et droit s’entrechoquent.

Les débats sur la personnalité juridique du fœtus sont anciens. Dès l’antiquité s’est posée la question du droit à l’héritage pour un enfant non né, en cas de mort du père avant sa naissance. Et c’est la vie qui l’a emporté. Une célèbre formule rend compte du raisonnement élaboré pour la reconnaitre, en toute justice, dans l’intérêt de l’enfant : Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur (L’enfant conçu sera considéré comme né chaque fois qu’il pourra en tirer avantage).

Cette « tradition » est à rapprocher de la possibilité offerte par notre droit d’une « reconnaissance anticipée de l’enfant », formalité facultative ouverte aux couples non mariés, et plus particulièrement aux pères. Etablir la filiation avant la naissance lui permet de transmettre son nom, d’asseoir son autorité parentale et de léguer en cas de décès… L’enfant à naître est ici protégé.

Lors du procès de Pierre Palmade, Maitre Battikh, l’avocat de la jeune maman, avait demandé la requalification de ses « blessures involontaires » en « homicide involontaire aggravé ». Me Céline Lasek, avocate de Pierre Palmade  avait aussitôt rétorqué « Le fœtus n’a pas respiré à sa naissance (…), je m’y oppose ! ». Appelé à la barre, Pierre Palmade, à la question du président « Acceptez-vous que cette prévention soit rajoutée aux mentions précédentes ? » a confirmé ce refus d’un mot : « Non ». Maître Battikh, tout en se défendant de vouloir contester le droit à l’IVG, a ensuite regretté l’absence de protection de la vie in utero.

Le même avocat a dénoncé dans les médias une « décision absurde » : « Aujourd’hui en France, les animaux domestiques ont un statut juridique ; les œufs de certains oiseaux sont mieux protégés que les fœtus ! C’est scandaleux, on ne peut pas poursuivre avec ce no man’s land, ce vide juridique ».

En effet, l’article L. 415-3 du code de l’environnement prévoit une peine trois ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende pour la destruction des œufs des espèces animales protégées. Cela peut être des oiseaux, des reptiles, des batraciens voire des insectes. Certes, ce n’est pas – pour le moment – l’intérêt de l’animal en question qui est ici reconnu et protégé, ni même celui de son espèce. Il s’agit de l’intérêt de l’humanité présente et future, attachée à la biodiversité et à la préservation de la nature. Frappante, la comparaison a donc ses limites.

Qu’un être humain soit digne de respect dès le début de son existence est le genre d’évidence que seul un flagrant déni peut tenter d’étouffer. Mais jusqu’à quand ? A mesure que la viabilité des grands prématurés s’améliore, l’absurdité de l’artifice juridique et son inhumanité sont de plus en plus évidents.

 

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Urgence à l’hôpital : les difficultés vont perdurer selon la Cour des Comptes

Urgence à l’hôpital : les difficultés vont perdurer selon la Cour des Comptes

Urgence à l’hôpital : les difficultés vont perdurer selon la Cour des Comptes

La Cour des Comptes vient de publier un rapport sur l’accueil et le traitement des urgences à l’hôpital. En juin 2018, déjà, des mesures étaient annoncées pour un « Pacte de refondation des urgences« . L’objectif était de déployer « de nouvelles actions pour désengorger les urgences, améliorer la prise en charge des patients et soutenir les équipes soignantes« . La Cour des Comptes a mené une mission pour évaluer l’efficacité de ce plan, alors que le système de santé traverse une crise profonde.

Les services d’urgence, par leur fonction, concentrent et rendent plus visibles des dysfonctionnements et dégradations du système de soins français. Les médias se font l’écho, en particulier durant les étés, de services qui ne sont plus capables d’assurer un fonctionnement adapté aux besoins. Comme le note le rapport :

« les urgences sont redevenues le réceptacle de la plupart des débordements du système de santé. Dernier dispositif de recours, les structures d’urgence sont elles-mêmes mises en difficulté car sollicitées, outre les cas de réelle urgence, par les patients qui ne parviennent pas à obtenir de rendez-vous rapidement chez un médecin ou par des patients atteints de maladies chroniques non suivis par un médecin-traitant. Arrivent enfin aux urgences des personnes dont l’état de santé nécessite une hospitalisation mais qui n’ont pu être admises dans le service hospitalier correspondant à leur pathologie« .

 

Comment est définie la médecine d’urgence ?

Selon le rapport, « sur le plan médical, la médecine d’urgence dispense les soins des premières 24 heures à un malade ou à un blessé et n’a pas vocation à garder les patients au-delà de cette durée« . Il rappelle aussi que trois types de structures interviennent pour exercer cette médecine :

  • Les SAMU « services d’aide médicale urgente » gèrent et régulent les appels,
  • Les SMUR, « structures mobiles d’urgence et de réanimation » (Smur), assurent la prise en charge et le transport, sur demande du Samu, des personnes accidentées ou en détresse sanitaire,
  • Enfin les « structures de médecine d’urgence » accueillent les patients et les prennent en charge dans un établissement de santé.

 

Deux nouvelles structures ont été créées par le Pacte de refondation des urgences :

  • Des Services d’accès aux soins (Saas), centres d’appel pour répondre aux demandes de soins non programmés en médecine de ville,
  • Des antennes de médecine d’urgence, structures locales autorisées à ne fonctionner qu’une partie de la journée.

 

Quelle activité dans les services d’urgence ?

Le rapport recense « 694 structures, dont 467 établissements publics (75 % des structures des urgences), 35 privés à but non lucratif (5 %) et 122 privés à but lucratif (20 %), auxquels étaient rattachés 100 centres d’appel (Samu) et 388 Smur« . En 2022, ces services ont enregistré 20.9 millions de passage, plus qu’en 2021 mais un peu moins qu’en 2019.

Le rapport produit une estimation du coût des urgences, autour de 5.3 milliards d’euros, soit 5.1% du budget global alloué aux soins en établissements de santé l’année dernière.

 

 

Comment expliquer la saturation des services d’urgence ?

Selon la Cour des Comptes, « deux phénomènes majeurs qui ne faiblissent pas, qui se conjuguent et vont s’intensifier au cours des prochaines années, sont à l’origine de ces difficultés : la diminution de l’accessibilité des médecins sur une grande partie du territoire national et l’accroissement de la demande de soins en relation avec l’augmentation et le vieillissement de la population« .

Le rapport note aussi que les pouvoirs publics ne doivent pas se contenter de « réguler » les entrées pour soulager les services d’urgence. En effet, les débordements des urgences viennent aussi des difficultés à assurer une sortie des urgences vers d’autres services.

« La fluidité des sorties – tout particulièrement pour les patients âgés – est en effet, désormais, la préoccupation dominante. L’accent doit donc être mis sur le juste soin à prodiguer aux patients âgés : généralisation des dispositifs contribuant à éviter les hospitalisations à temps plein qui ont fait leurs preuves (comme l’hospitalisation à domicile, concernant aussi les Ehpad) et organisation de l’admission directe en hospitalisation non programmée plutôt que recours aux urgences, en cas d’aggravation soudaine de l’état d’un patient« .

C’est donc toute la chaine de soins qui est impliquée, les services d’urgence représentant l’épicentre des tensions sur toute cette chaîne. La Cour des Comptes liste plusieurs recommandations pour une meilleure coordination des ressources – néanmoins insuffisantes – et la poursuite d’accès à des soins de premier recours pour éviter un passage aux urgences.

Ce rapport s’ajoute à d’autres pour décrire une situation vraiment dégradée pour le système de santé. « J’attends des soins, pas l’euthanasie » la campagne récemment lancée par Alliance VITA, est une occasion de rappeler la priorité aux soins alors que le débat sur l’euthanasie pourrait être relancé au Parlement.

 
urgence à l'hôpital : les difficultés vont perdurer selon la cour des comptes

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Les grandes tendances de la sexualité en France selon une enquête de l’Inserm

Les grandes tendances de la sexualité en France selon une enquête de l’Inserm

Les grandes tendances de la sexualité en France selon une enquête de l’Inserm

Le 13 novembre 2024, ont été dévoilés les premiers résultats d’une enquête menée par l’INSERM sur la sexualité. Sa publication a bénéficié d’une grande couverture médiatique relayant des changements profonds dans les pratiques sexuelles des Français. Ces mutations révèleraient un paradoxe contemporain de la sexualité c’est-à-dire une diversification de l’activité sexuelle conjuguée à une moindre intensité.

Les résultats mêlent tout autant des déclarations de personnes interrogées que des analyses et des interprétations de chercheurs en sociologie, démographie, épidémiologie et économie.

Après la cartographie sociale des pratiques sexuelles dans une 1ère partie, la seconde moitié de l’enquête explore l’angle de la santé sexuelle. L’enjeu selon les auteurs est de s’inscrire « dans une dynamique de promotion des pratiques d’auto-soins ».

Y a-t-il une remise en question de plus en plus marquée de la norme hétérosexuelle dans les représentations et dans les pratiques ?

Censée démontrer, parmi d’autres critères, la diversité de l’activité sexuelle, l’orientation sexuelle renvoie selon les auteurs, « à plusieurs dimensions qui ne se recoupent pas toujours : l’attirance au cours de la vie, les pratiques au cours de la vie et l’identification sexuelle actuelle. »

  • Selon l’enquête, 13,4 % des femmes et 7,6 % des hommes de 18-89 ans déclarent avoir été attirés par des personnes de même sexe au cours de leur vie.
  • Par ailleurs, 8,4 % des femmes et 7,5 % des hommes de 18-89 ans déclarent avoir eu au moins un partenaire de même sexe et 0,4 % des femmes et 1,4 % des hommes uniquement des partenaires du même sexe.
  • Enfin, 1,3 % des femmes et 2,3 % des hommes de 18-89 ans définissent leur sexualité comme homosexuelle.

Insistant sur le pourcentage « remarquable » de jeunes femmes déclarant avoir eu au moins un partenaire du même sexe, (14,8% dont 1,3% n’ayant connu que des partenaires du même sexe), les auteurs présument que « ces jeunes femmes semblent s’orienter de plus en plus vers d’autres trajectoires sexuelles dans lesquelles les violences et inégalités sont moins prégnantes. »

L’enquête montre donc que les personnes ayant eu des rapports sexuels avec des personnes de même sexe sont plus exposées aux violences sexuelles.  En effet en population générale, ces chiffres sont inférieurs : 29,8 % des femmes et 8,7 % des hommes de 18-69 ans déclarent avoir subi un rapport forcé ou une tentative de rapport forcé. Chez les jeunes de 18-29 ans, 36,8 % des femmes et 12,4 % des hommes sont concernés par ces violences.

 

Progression des pratiques sexuelles en ligne

Sont regroupés sous le vocable « expérience sexuelle en ligne », le fait de s’être être connecté à un site de rencontre, avoir rencontré un ou une partenaire sexuel(le) en ligne, avoir échangé des images ou des vidéos intimes. On découvre ainsi que 33 % des femmes et 46,6 % des hommes ont eu une expérience sexuelle en ligne avec une autre personne (connexion à un site dédié, rencontre d’un partenaire, échange d’images intimes).

Concrètement, le fait d’avoir envoyé une image intime au cours de sa vie, si l’on peut éventuellement admettre que partager une image intime constitue une expérience sexuelle, concerne 13,8 % des femmes et 17,9 % des hommes de 18 à 89 ans. Mais ces pratiques sont beaucoup plus fréquentes chez les plus jeunes : 36,6 % des femmes et 39,6 % des hommes de 18-29 ans ont déjà envoyé une image intime et 47,8 % des femmes et 53,6 % des hommes de cet âge ont déjà reçu une image de ce type.

13,1 % des femmes et 12,8 % des hommes déclarent avoir vécu une expérience préjudiciable en ligne. Cette proportion atteint une femme sur 3 et un homme sur 4 chez les moins de 30 ans. Cela n’empêche pas les auteurs de trouver que « ces expériences sont pour la plupart positives ». Selon eux pour réduire les risques de situations préjudiciables et leurs effets sur la santé mentale, il faut « développer des politiques d’éducation » et prendre en charge les personnes confrontées aux violences sexuelles numériques.

 

Sur ce sujet de la sexualité numérique que l’enquête qualifie de révolution, à aucun moment n’est abordée la question de la fréquentation des sites pornographiques. La question aurait pourtant mérité d’être posée tant la diffusion de la pornographie pose aujourd’hui problème, pour les mineurs mais aussi pour les adultes qui ont une vision chosifiée de l’autre dans la relation sexuelle.

En septembre 2022, un rapport d’information du Sénat sur l’emprise de l’industrie pornographique et ses impacts néfastes, montrait combien la massification de la consommation à partir des années 2000, avait pu être un facteur dans l’apparition et le développement de contenus de plus en plus violents. Les effets sur la société y étaient également dénoncés : hyper sexualisation précoce, le développement des conduites à risques ou violentes, ainsi que des troubles psychiques. Il est troublant que l’enquête ne se soit pas penchée sur le sujet dans ce contexte.

 

L’âge du premier rapport sexuel recule mais qu’en est-il de l’entrée en sexualité ?

En 2023, l’âge médian au premier rapport est de 18,2 ans pour les femmes et 17,7 ans pour les hommes. Depuis la fin des années 2010, l’âge médian au premier rapport sexuel aurait augmenté pour les deux sexes. L’activité sexuelle diminuerait elle aussi au fil du temps, pour les deux sexes et dans tous les groupes d’âge, qu’il s’agisse de l’activité sexuelle dans les 12 derniers mois et de la fréquence des rapports dans les 4 dernières semaines.

 

Augmentation du nombre de partenaires, baisse de l’usage de la contraception et propagation des IST

Le nombre de partenaires sexuels au cours de la vie a augmenté tant chez les femmes (de 4,5 partenaires en moyenne en 2006 à 7,9 en 2023) que chez les hommes (de 11,9 partenaires en moyenne en 2006 à 16,4 en 2023). Le fait d’avoir eu plusieurs partenaires sexuels dans la dernière année, grandit lui aussi, en particulier chez les jeunes de 18 à 29 ans, passant de 19,3 % en 2006 à 23,9 % en 2023 pour les femmes, et de 29,0 % en 2006 à 32,3 % en 2023 pour les hommes.

Tandis que le nombre de partenaires augmente, on apprend que lors du premier rapport sexuel l’utilisation de contraceptifs comme l’usage du préservatif diminue.  Et la moitié des femmes (49,4 %) et des hommes (52,6%) indique avoir utilisé un préservatif lors du premier rapport avec un nouveau partenaire dans les 12 derniers mois. Des données publiées en décembre 2023 par Santé publique France, révélaient une hausse marquée des IST bactériennes en France entre 2020 et 2022.

En complément l’enquête de l’Inserm montre que la prévalence de l’infection à Chlamydia Trachomatis est plus élevée chez les personnes ayant plus d’un partenaire dans les 12 derniers mois que chez celles ne déclarant qu’un seul partenaire (1,5 % v/s 0,9% pour les femmes et 2,9 % v/s 0,6% pour les hommes de 18-59 ans).

L’augmentation du pourcentage de femmes sans contraception illustre aussi ce décalage entre les politiques qui tendent à faciliter l’accès à la contraception par nombre de dispositifs et sa moindre utilisation. Quand une politique suivie depuis longtemps ne produit pas les effets souhaités, la sagesse pourrait être de mieux comprendre les raisons de cet échec. Albert Einstein disait avec humour que « la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ».

 

Grossesses non souhaitées

Selon l’enquête, le pourcentage de femmes ayant eu une grossesse non souhaitée dans les 5 dernières années aurait augmenté entre 2006 et 2023. Comme les formulations utilisées n’étaient pas les mêmes en 2006, et pour fiabiliser la comparaison des données, les auteurs ont englobé dans les grossesses non souhaitées plusieurs options : la grossesse n’était pas souhaitée du tout, la grossesse était souhaitée plus tard, ou la femme ne se posait pas la question.

Le fait de ne pas s’être posé la question signifie-t-il nécessairement ne pas avoir souhaité une grossesse ? Il est permis d’en douter d’autant que le pourcentage de femmes dont la grossesse n’était pas du tout souhaitée n’a quasiment pas bougé entre 2006 et 2023 : 14,3% en 2006 et 14,4% en 2023. Ce qui a progressé en revanche en 17 ans c’est le pourcentage des femmes dont la grossesse était souhaitée plus tard (de 9.3% en 2006 à 12.4% en 2023) et qui est cohérent avec l’entrée plus tardive des femmes dans la natalité.

La catégorie « ne se posait pas la question » progresse elle aussi de 5,3% à 7,2% comme si sexualité et procréation était toujours plus décorrélées. Pour les chercheurs, l’augmentation des grossesses non souhaitées concordent avec les chiffres des IVG dont le taux de recours atteint un niveau record en 2023 avec 16.8 avortements pour mille femmes. Est-ce à dire que les grossesses non souhaitées conduisent toutes ou pour la plupart à une IVG ? Cela demanderait une étude plus approfondie.

 

Démédicalisation de la santé sexuelle

Nouveau canal de déploiement de la sexualité et des pratiques sexuelles, les plateformes numériques sont pour les auteurs de l’enquête un outil contribuant à accélérer le processus de démédicalisation dans la droite ligne de la « dynamique de promotion des pratiques d’auto-soins, préconisée par l’OMS ».

Si le numérique représente une source majeure d’information (pour 75,0 % des femmes et 69,7 % des hommes), l’acceptation sociale des soins dits « de santé sexuelle et reproductive » (avortement, contraception, traitement IST etc) en ligne sans prescription médicale reste modeste. L’acceptabilité vis-à-vis de l’avortement médicamenteux plafonne ainsi à 10.1%. Pour inverser la tendance, les auteurs veulent que soient promues des solutions en ligne, tel que l’accès sans prescription en pharmacie, à la pilule contraceptive par exemple comme cela existe dans d’autres pays.

A l’heure où l’accès aux soins en général se dégrade en France et alors que de nombreux Français regrettent la déshumanisation produite par la numérisation des services, il y fort à craindre du développement de l’auto-soin par le numérique en matière de santé sexuelle.

 

Des nouvelles normes à interroger

Largement relayé dans les médias, ce rapport prétend constituer une photographie des déclarations des Français sur leur vie sexuelle et contient aussi un discours aux accents parfois normatifs. Les auteurs n’évitent pas non plus quelques contradictions relevées plus haut. Les normes actuelles, à la fois dans les discours et les pratiques, ont installé une coupure importante entre sexualité et procréation. Plusieurs signaux, comme l’envahissement de la pornographie à l’école, la hausse des IST (infections sexuellement transmissibles), le nombre record d’avortement, viennent questionner cette « nouvelle » norme.

 
 
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Les personnes âgées moins touchées par la perte d’autonomie : une étude de la DREES

Les personnes âgées moins touchées par la perte d’autonomie : une étude de la DREES

Les personnes âgées moins touchées par la perte d’autonomie: une étude de la DREES

Comment mesure-t-on l’autonomie d’une personne ?

L’INSEE a calculé que 18 millions de personnes en France sont âgées de 60 ans ou plus, soit 27% de la population. Le degré d’autonomie de la personne est mesuré de plusieurs façons. On peut établir une échelle ou des groupes différents selon la capacité des personnes à réaliser des gestes de la vie quotidienne (repas, toilettes, se lever, sortir de chez soi…). Une des mesures les plus connues, l’indice GIR (groupe iso-ressources) est une mesure administrative.

Elle permet de déterminer l’éligibilité des personnes de 60 ans ou plus à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Le niveau d’aide dont elles ont besoin pour accomplir les actes essentiels de la vie quotidienne s’appuie sur des critères à la fois physiques et psychiques (la capacité à entretenir une conversation et réagir de façon logique). L’évaluation est faite par une équipe médico-sociale. L’échelle varie de 1 à 6, le degré 1 correspond aux personnes les plus atteintes dans leur autonomie mesurée par l’indice.

D’autres mesures sont possibles. Par exemple on posera la question « êtes-vous limité, depuis au moins six mois, à cause d’un problème de santé dans les activités que les gens font habituellement ? ». L’enquête dénombrera les personnes répondant « oui fortement » à cette question.

Combien de personnes sont-elles touchées par cette perte d’autonomie ?

Les chiffres varient en fonction des mesures établies. La DREES fournit de nombreux indicateurs dans cette étude. Par exemple, l’estimation des personnes en perte d’autonomie et vivant à domicile va de 3% à 8% (soit de 540 000 à 1,3 million), selon que l’on prend une approche « large » ou plus restrictive de la perte d’autonomie. Les personnes à domicile en perte d’autonomie sévère (indice GIR 1 et 2), sont autour de 200 000.

A la question d’une restriction sévère de l’activité quotidienne, 26% des personnes de plus de 60 ans répondent positivement, et 47% pour celles au-dessus de 75 ans. Les restrictions sur des activités comme faire ses courses, préparer ses repas, effectuer des démarches administratives sont les plus couramment citées.

Sous l’angle des « pertes fonctionnelles » (audition, vue, mobilité, mémoire…), 41% des seniors de plus de 60 ans sont touchés. Au-delà de 75 ans, ils sont 58%.

Les femmes sont un peu plus touchées que les hommes. Selon l’étude de la DREES, au-delà de 75 ans, elles sont 48% à être affectées par des restrictions « dans les activités instrumentales de la vie quotidienne » contre 33% des hommes. Les auteurs notent que la plus grande espérance de vie des femmes n’explique pas à elle-seule cet écart.

 

Une diminution des personnes en perte d’autonomie

L’enquête relève plusieurs indicateurs indiquant que les seniors sont moins touchés par cette perte en 2022, comparé à 2015, pour les personnes vivant à domicile. Ainsi, la perte d’autonomie des 75 ans et plus est passée de 20 à 15%. Les pertes d’autonomie modérée (mesurée par un indice GIR 3 ou 4) sont devenues moins courantes. Toujours pour cette catégorie de la population, « la proportion de personnes souffrant d’une maladie chronique a diminué, passant de 62 % en 2014 à 58 % en 2021. De même, en 2014, 21 % d’entre elles déclaraient avoir un mauvais (ou très mauvais) état de santé, alors que cette part est de 18 % en 2021« .

L’étude fournit également un calcul de l’espérance de vie à 60 ans sans perte d’autonomie.

  • Pour les femmes, « en 2022, l’espérance de vie à 60 ans est de 27,3 ans, dont 4,2 ans en moyenne passés en situation de perte d’autonomie (2,9 années à domicile et 1,3 année en établissement« .
  • Pour les hommes, cette espérance de vie est à 23 ans, dont « 2,4 années en situation de perte d’autonomie (1,6 année à domicile et 0,7 année en établissement« .

Entre 2015 et 2022, l’espérance de vie est restée stable, mais « celle sans perte d’autonomie a augmenté (+0,5 an pour les hommes et +0,8 an pour les femmes), du fait de la moindre proportion de personnes en perte d’autonomie à domicile« .

Cependant, les auteurs apportent une note prudente à l’analyse de ces chiffres : « les causes de l’allongement de l’espérance de vie sans perte d’autonomie à domicile sont difficiles à établir« . Par exemple, la crise sanitaire liée à la COVID 19 a entrainé une surmortalité des seniors de 2020 à 2022, ce qui peut faire baisser le temps de vie en perte d’autonomie. Mais la COVID a pu aussi augmenter des pertes d’autonomie suite à une hospitalisation.

Prenant en compte les résultats positifs de l’enquête (moins de personnes en perte d’autonomie), les auteurs anticipent sur les projections de vieillissement dans les années à venir. « Ces nouvelles projections continueront de faire état d’une croissance tendancielle du nombre de personnes âgées dépendantes, mais à un rythme plus faible que celui qui était anticipé jusqu’à présent. Un des scénarios privilégiés par les modèles de projection tiendra compte du fait que la part de l’espérance de vie à 60 ans pendant laquelle les seniors sont confrontés à la perte d’autonomie tend à diminuer« .

Enfin, rappelons que le concept d’espérance de vie sans perte d’autonomie a des limites. En 1997, un directeur général de l’OMS, le Dr Hiroshi Nakajima, déclarait: « sans la qualité de la vie, une longévité accrue ne présente guère d’intérêt (…) l’espérance de santé est plus importante que l’espérance de vie ».

Cette conception négative d’une vie moins autonome fait une impasse totale sur la vie relationnelle, sur la sagesse des anciens, et leur apport à notre société par leur présence. L’humanité d’une personne ne se réduit pas à des coefficients de mobilité, ou à des échelles de difficultés à gérer sa vie quotidienne.

Lors de notre prochaine Université de la vie (lien pour l’inscription ici), nous aurons l’occasion d’explorer de nombreuses facettes de notre humanité.

les personnes âgées moins touchées par la perte d'autonomie: une étude de la drees.

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Vous avez dit TOUS les droits de l’enfant ?

Vous avez dit TOUS les droits de l’enfant ?

20 novembre, journée internationale des droits de l’enfant.

Vous avez dit TOUS les droits de l’enfant ?

La journée mondiale des droits de l’enfant est l’occasion pour la France de célébrer l’adoption de la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989. Le ministère de l’éducation nationale souligne cette année sur son site que c’est « un texte fondateur » dont la « connaissance participe à la construction progressive de la citoyenneté et à l’acquisition d’une culture humaniste ». Il précise : « Un accent particulier peut être mis sur la protection des enfants et adolescents contre toutes les formes de violence. »

L’enfant comme personnalité à part entière a lentement émergé au fil des siècles. Il est désormais considéré comme un être humain nécessitant une protection particulière en raison de sa vulnérabilité. La protection de l’enfance est un pan important de l’action publique. Les services sociaux ont fait d’énormes progrès pour repérer les multiples formes de maltraitance et en protéger les enfants, sans pour autant systématiser la coupure d’avec leurs parents.

Nous ne sommes plus au temps du paterfamilias romain qui avait – à certaines conditions – droit de vie et de mort sur sa progéniture. Mais, bien sûr, de graves maltraitances familiales perdurent.

Nous ne sommes plus au temps où des dizaines de milliers d’enfants abandonnés erraient à la merci des trafics les plus sordides, dans les grandes villes d’Europe dans l’indifférence générale, sauf celle de Vincent de Paul (1581-1660) et de ses œuvres. Mais que de misère et de maltraitance encore subies par les enfants !

Nous ne sommes plus, enfin, au temps pas si lointain où l’on pensait que les abus ne laissaient pas de traces. Progressivement, les punitions corporelles, le harcèlement, l’exposition aux images pornographiques ont été classés parmi les violences inacceptables. La pédophilie et l’inceste sont enfin sortis du grand silence. Mais que d’abus encore !

Et la femme politique ouvrait l’éventail des lieux de violence : « dans le huis clos de certaines familles, derrière les murs de certaines institutions, dans les lieux de loisirs ou de sports ou de culture, dans la rue mais aussi, désormais, sur Internet ».

Ne croyons pas pour autant que nous soyons exonérés de tout déni. On entend encore, à propos des enfants qui endurent l’errance affective de leurs parents, des propos lénifiants : « les enfants s’adaptent ». On s’émerveille encore de la « plasticité de leurs cerveaux » alors qu’on ne cesse de mesurer l’impact en profondeur de toutes les formes de maltraitances sur le reste de la vie, sans oublier le risque de répétition, quand la victime devient bourreau.

Quant à la pornographie : on en déplore – c’est nouveau et c’est déjà ça ! – les effets de déformation sexuelle sur les enfants et adolescents. Au-delà de la déploration il est urgent d’agir concrètement pour protéger les mineurs contre l’accès aux contenus à caractère pornographique. Sur ce sujet, Alliance VITA « solidaire des plus fragiles » s’est engagée depuis longtemps aux côtés des enfants en dénonçant les ravages de l’exposition précoce à la pornographie.

 

Il demeure un angle mort de la lutte contre la violence faite aux enfants. Déclarées inoffensives à leur endroit, des dispositions législatives conçues pour répondre à des revendications d’adultes font plus que de bafouer leur intérêt, comme le don de gamètes, et son anonymat, levé progressivement, le droit à l’insémination pour les femmes seules ou en couple qui prive volontairement des enfants de tout lien paternel. Leur légalisation au « profit » des adultes demandeurs, a été entérinée aux dépens des enfants ainsi conçus. Ils sont inconsciemment amputés de précieux repères identitaires.

Paradoxalement, c’est au nom de l’« intérêt supérieur de l’enfant » que la France en vient même à avaliser via des reconnaissances faussées de filiation, des techniques de procréation qui portent atteinte à son intérêt. C’est le cas de la GPA qui lui impose un éclatement de la maternité entre deux ou trois femmes (génitrice, gestatrice, éducatrice) voire l’escamotage complet de la mère (quand deux hommes sont commanditaires). Violence faite aux femmes mais aussi violence originelle imposée aux enfants. Les voilà soumis à une injonction paradoxale : remercier la technique qui a provoqué leur existence associée à une maltraitance.

Comment se taire, par ailleurs, sur les formes de violence que constituent les atteintes à la vie avant la naissance, avec en particulier, facteur aggravant, le « tri » des fœtus selon leur état de santé ? Comment se taire aussi sur les violences des traitements précoces et irréversibles visant à « changer le sexe » d’un enfant, sans qu’il lui soit possible, à l’âge adulte, de revenir en arrière ? N’oublions pas les enfants ou adolescents qui vivent sous le seuil de pauvreté, à la rue, dans la prostitution etc.

Les décisions majoritaires des parlementaires ne peuvent prétendre œuvrer à « la construction progressive de la citoyenneté et à l’acquisition d’une culture humaniste » si elles font l’impasse sur la défense des plus fragiles contre TOUTE FORME de violence. Le chemin est encore long pour qu’advienne une société de non-violence vis-à-vis des enfants.

 

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[CP] – L’Université de la vie revient le 20 janvier 2025

[CP] – L’Université de la vie revient le 20 janvier 2025

L’Université de la vie :

l’évènement unique et incontournable de formation bioéthique revient le 20 janvier 2025

 

Cette année, le cycle de formation bioéthique proposé par Alliance VITA depuis 20 ans explorera une question qui taraude nos sociétés post-modernes : Être humain et le rester demain.

Après avoir attiré plus de 8000 personnes en 2024, cette nouvelle édition se déroulera les lundis 20 et 27 janvier et le lundi 3 février 2025 dans plus de 160 villes en France et à l’étranger.

A Paris, l’Université de la vie aura lieu  6 rue Albert de Lapparent dans le 7ème.

Au programme, des enseignements, des témoignages, des exercices pour examiner l’essence de notre humanité et son devenir : Comment les liens qui nous unissent nous font prendre conscience du caractère unique et irremplaçable de l’être humain ? En quoi se reconnaître vulnérable nous humanise et fait progresser la société ?

Experts et témoins croiseront leurs regards et leurs analyses pour donner à chacun des participants des clés pour comprendre et agir dans la société. Aux côtés de Blanche Streb, Caroline Roux, Jeanne Bertin-Hugault, Jean André et Tugdual Derville, interviendront :

  • Nicole Quinsat, Présidente de « ETRE LA » Puy de Dôme, accompagnatrice en soins palliatifs ;
  • Sabine Blanchard, mère de deux enfants adoptés ;
  • Cécile Gandon, auteur de « Corps fragile, cœur vivant » (Emmanuel, 2022) ;
  • Blandine Humbert, philosophe et directrice de l’Ecole de Santé de l’ICP ;
  • Corine Rondel, cadre de santé dans un établissement public de santé mentale, formatrice Premiers secours en santé mentale et prévention du suicide ; 
  • Florian Dosne, auteur de « Ma vie aux deux extrêmes » (Mame, 2022) ;
  • Christophe Bichet, conférencier.

73 000 personnes ont déjà participé à l’Université de la vie depuis sa création, en faisant le tout premier évènement bioéthique national.

Informations et inscriptions sur www.universitedelavie.fr

l’université de la vie revient le 20 janvier 2025

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Peut-on tuer par amour ?

Peut-on tuer par amour ?

Peut-on tuer par amour ?

 

Le 31 octobre, Bernard Pallot, 78 ans, a été acquitté à Troyes où il était jugé pour l’assassinat de son épouse Suzanne, malade, qu’il reconnaît avoir étranglée, pour qu’elle ne souffre plus. Son avocat, maitre Frédéric Verra n’a pas contesté les faits « indiscutables » mais il a fait valoir « une excuse d’irresponsabilité, qui était la contrainte liée à la situation ». Le parquet a fait appel.

L’impuissance devant un être cher qui souffre a quelque chose d’insupportable : celui qui aime se sent à la fois responsable de cette souffrance et coupable de ne pouvoir rien faire. Tuer la personne – surtout si elle le demande – peut-il être motivé par l’amour ?

 

Le crime passionnel ?

Peut-on tuer par amour ? La notion de crime « passionnel » est désormais disqualifiée. Car l’invocation d’une « passion » (amoureuse), qu’on suppose source possible de jalousie ou de colère irrépressibles qui refléteraient l’intensité de « l’amour » ne saurait dédouaner le coupable de son crime, ou du moins lui valoir des circonstances atténuantes. Sur le plan pénal « seul le cas extrême où l’amour conduirait à l’abolition du discernement serait susceptible de caractériser une cause d’irresponsabilité pénale » selon Alice Dejean de la Bâtie (Maîtresse de conférences à l’université de Tilburg (Pays-Bas).

Désormais lorsqu’un homme – le plus souvent – fait subir à sa compagne des violences allant jusqu’au meurtre, ce sont les circonstances aggravantes qui sont retenues. Le slogan « On ne tue jamais pas amour » s’est ainsi diffusé sur les murs. Cette maxime peut-elle être appliquée aux questions relatives à la fin de vie, à l’euthanasie ou au suicide assisté ?

Le « meurtre altruiste » ?

Autour du passage à l’acte de parents mettant fin aux jours d’un enfant handicapé s’est développée une autre notion, celle de crime « altruiste ». L’altruisme du mobile serait d’éviter à son enfant une vie jugée indigne ou invivable. Quand on creuse de telles situations de meurtre d’un proche handicapé, on se rend compte que ce passage à l’acte constitue généralement l’aboutissement dramatique d’une relation exclusive, enfermée voire étouffante.

Le parent qui passe à l’acte n’imagine pas son enfant vivre sans lui. Il n’a pas reçu, ou dans certains cas a refusé l’aide possible. Il a pu s’isoler. En fait d’amour, c’est une impasse fusionnelle dans laquelle la situation d’aidant l’a piégé.

 

L’amour peut-il déprécier la vie ?

En mai 2005, Lyddie Debaine, une mère épuisée, avait mis fin aux jours de sa fille polyhandicapée, dont la charge l’épuisait, puis elle avait échoué dans sa propre tentative de suicide. Acquittée en première instance de cet assassinat, cette femme de 62 ans avait été symboliquement condamnée à une peine de deux ans de prison avec sursis par une seconde Cour d’assises, le parquet ayant fait appel de l’acquittement.

Entretemps, des associations d’aide aux personnes handicapées et à leurs proches avaient alerté l’opinion sur le terrible message induit par l’acquittement : la vie d’une personne porteuse de polyhandicap ne valait pas qu’on le défende ! Il s’agissait par cette peine d’honorer le deuil de la mère et de souligner qu’une autre issue était possible et préférable.

Nous n’étions pas loin de la jurisprudence Perruche qui fit grand bruit en 2000 avant d’être heureusement contrecarrée par une loi : le seul fait de naître handicapé (plutôt que d’avoir été avorté) avait été considéré par la Cour de cassation comme un préjudice. La solidarité (voire l’amour ?) dictait l’IMG ! Le législateur avait annulé cette jurisprudence qui faisait scandale.

Tuer par déception ?

Peut s’ajouter à ces situations le mobile de désespérance, liée à la déception devant l’absence de progrès d’une personne accidentée ou la dégradation de la santé d’une personne malade. Le 24 septembre 2003, Marie Humbert était passée à l’acte sur son fils Vincent (qui endurait les lourdes séquelles d’un accident de la circulation subi trois ans plus tôt jour pour jour). L’équipe médicale avait indiqué que son fils devrait quitter le centre de réadaptation pour une place en maison d’accueil spécialisée, signe qu’il ne progresserait plus beaucoup.

Pour cette femme seule qui se dévouait au quotidien pour lui, c’était l’effondrement de tout espoir, et une rupture insupportable. Par ailleurs, elle s’était elle-même engagée voire piégée en annonçant son passage à l’acte en direct à la télévision. La publication d’un livre en forme d’appel au président de la République « Je vous demande le droit de mourir » qu’on prétendait signé de Vincent, mais en réalité rédigé par un journaliste, avait été relayé par une puissante campagne médiatique. La pression sociale était telle que le médecin qui assistait au réveil du jeune homme le lendemain du passage à l’acte de sa mère l’avait finalement achevé, poussé par la peur d’être jugé s’il l’avait laissé vivre.

Pour elle, ici aussi, plus que l’amour raisonné – qui « veut le bien de l’autre » – c’est le refus insensé de la séparation qui déclenche le passage à l’acte. Un aidant qui se sacrifie 24h sur 24 peut estimer impossible la nouvelle vie imposée par la séparation. A moins que ce ne soit la dévalorisation d’une vie diminuée, jugée sans valeur, ni dignité.

 

Tuer sous contrainte morale ?

Dans l’affaire Pallot, les avocats ont bien tenté d’utiliser une notion juridique originale, pour dédouaner un conjoint du passage à l’acte sur une épouse dépendante, celle de « contrainte morale ». Cette notion a été « créée » pour dédouaner le vol d’un produit de nécessité (par exemple d’une mère de famille pour nourrir ses enfants). Elle a été transposée à des situations de fin de vie, quand un conjoint est sous pression au point d’être comme « contraint » à passer à l’acte.

L’article 122-2 du Code pénal dispose : « N’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister. ». La contrainte physique ou morale est donc une cause de non-imputabilité : l’individu est conscient, mais sa liberté d’action est totalement affectée.

Le portrait psychologique de Bernard Pallot avait décrit « un homme soumis à sa femme et ne pouvant rien lui refuser au sein d’un couple qui vivait de manière assez isolée » pour conclure que la « demande persistante [de l’épouse] l’avait placé dans une situation où il estimait ne pas pouvoir refuser, en raison de l’amour et de la compassion qu’il éprouvait pour son épouse. » Cette conclusion, qui semble avoir séduit les jurés en première instance, est pourtant difficile à défendre explique Alice Dejean de la Bâtie. 

Selon elle, « Si Bernard Pallot s’est soumis aux demandes de son épouse, il semble hâtif d’en déduire qu’elle exerçait sur lui une forme d’emprise totale au point de le priver de toute liberté d’action. »

SE tuer par amour ?

Au Canada, le mobile dit « altruiste » est intégré par de nombreux patients qui réclament l’AMM (aide médicale à mourir). C’est, pensent-ils, « par amour » pour leurs proches qu’ils se résignent à cette fin : pour ne pas leur peser, leur coûter, les déranger ou leur imposer qu’on les voie dans un état insoutenable… « Se tuer par amour » est aussi une des facettes du suicide désespéré qui prend la forme d’un chantage affectif.

Si l’on s’en tient aux personnes gravement malades, dépendantes et en fin de vie, une injonction sociale à l’auto-exclusion peut être exprimée par les proches ou la société. On a même entendu certains chroniqueurs, dans les années 90, invoquer l’Evangile comme caution d’une demande d’euthanasie « altruiste » : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Ils ajoutaient que la surpopulation devait inciter les vieux à quitter la terre pour faire la place aux jeunes.

L’amour a besoin du tabou du meurtre

Qu’en conclure ? Au lieu de cautionner l’acte par le mobile de – l’amour –, il faudrait au contraire poser qu’il aurait toujours « pu en être autrement ».

Tuer ne saurait être l’exigence de l’amour. Il est incontestable que nombre de ceux qui passent à l’acte aiment ceux qu’ils tuent, que ces derniers leur demandent la mort ou pas. Contester le passage à l’acte ne signifie en rien qu’on remette en cause cet amour. Mais on conteste que l’amour requière la mort.

Les parents d’Hervé Pierra, qui était en état neurovégétatif depuis huit ans, ont cru en 2006 que leur indéniable amour pour leur enfant les appelait à demander qu’on arrête de l’hydrater et de l’alimenter pour que cesse sa vie. Ils ont été trompés – au moins techniquement – par les médecins qui leur conseillaient cette issue : le jeune homme de 28 ans a agonisé pendant 6 jours. Ils se sont aussi trompés sur ce qu’exigeait l’amour.

L’amour interdit de tuer, même si l’on peut être tenté de tuer par amour. Il est naturel d’espérer la mort d’un proche en bout de course, voire sa propre mort. Il est aussi naturel de vouloir mourir, d’attendre la mort, même si la résistance à cette mort – au lâcher-prise – est tout aussi naturelle. Sans oublier que la demande de mort est ambivalente, comme l’a très bien noté La Fontaine dans ses fables traitant le sujet.

C’est parce que la mort, en maintes circonstances est désirable, que tuer autrui doit rester aussi tabou que l’inceste. Le désir, aussi légitime soit-il, ne fait pas la loi. L’amour fait vivre, il ne tue pas.

peut-on tuer par amour ?

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