Fraternité oblige
Fraternité oblige
4 février 2025, journée mondiale de la fraternité.
Qu’est-ce que la fraternité ? Au sens strict, sont pleinement frères ou sœurs deux êtres qui ont les mêmes parents. S’il est de plus en plus admis – consentement aidant – que les parents se sont choisis, c’est tout l’inverse pour les membres d’une même fratrie : ils n’ont rien décidé pour eux-mêmes. « On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille », ni son lieu de naissance, ni sa date, ni son sexe, ni son prénom, ni son nom…
On ne choisit même pas de naitre au monde. Et l’on choisit encore moins ses frères et sœurs. Tous s’imposent : cadeau ! Recevoir un frère ou une sœur – qui a la même valeur inestimable que moi – c’est faire grandir la valeur… de la fraternité, ce lien qui nous unit.
Cette fraternité qu’on exalte tant vient simplement d’une « histoire commune », généalogique d’abord (parfois seulement : voire la belle histoire de fraternité du film En Fanfare), existentielle ensuite, par l’expérience commune. Dans l’enfance, sont donc frères ou sœurs ceux qui – en principe – vivent ensemble sans s’être choisis, parce qu’ils ont les mêmes parents. A la fraternité est associée le plus souvent l’idée d’un attachement viscéral, au point que des amis se diront frères pour manifester l’intensité de leurs liens.
Certains Indiens d’Amérique se rendaient frères de sang, en mêlant leurs saignements par deux blessures délibérées. Cette blessure partagée les rendaient solidaires « à la vie, à la mort ». La blessure va bien à la fraternité car toute fraternité risque la blessure : est-il possible de vivre en frères ou sœurs sans se heurter peu ou prou ? Il faut consentir aux différences ; dans l’enfance, il a fallu partager les parents, faire de la place à l’autre, subir les contraintes qu’il impose, supporter des incompatibilités d’humeur, caler son rythme sur celui du plus fragile – pas toujours le plus jeune – ce ralentisseur qui génère de la frustration.
La fraternité apprend l’altruisme et la tolérance, et contre la toute-puissance. Elle implique l’adaptation, le consentement à ce que l’on n’a ni choisi, ni prévu. La fraternité apporte son lot de tensions. Jalousie, colère, compétition, violence, maltraitance : plus qu’on ne se l’avoue, le fratricide et le fraternel coexistent dans le cœur de bien des frères et sœurs. Sentiments qui se réveillent, régressifs, à l’âge des héritages.
C’est dans ce contexte que la République a posé la fraternité au fronton des édifices publics. Pour que la fraternité solidaire s’étende du prochain au lointain. Fraternité oblige : fraternité familiale, villageoise, de « pays » (au sens de territoire) jusqu’à la nation toute entière, et au-delà. A chaque étage, la fraternité se situe toujours en tension entre le conflit – voire la guerre – et la paix. Une guerre civile est fratricide. La première guerre mondiale le fut aussi pour l’Europe.
Il ne faut pas oublier d’où l’on vient. La République a parfois pensé concurrencer la famille ; certains idéologues ont même rêvé de la remplacer. Prenons la présence du mot fraternité dans notre devise comme un hommage – conscient ou pas – qu’elle rend à la famille stable. La promotion de la fraternité qui nous relie, adoucit ce que la liberté et l’égalité peuvent avoir de froid et d’individualiste. Ce n’est que dans la famille stable que la fraternité trouve son origine et sa perpétuation.
Insistons : la fraternité républicaine incite les citoyens à se reconnaitre durablement enfants d’une même mère patrie, sous la sécurité des mêmes lois « paternelle » qui établissent – en principe – la limite et la justice.
Ainsi les citoyens aussi sont solidaires les uns des autres, du fait qu’ils vivent ensemble sans s’être choisis. Accueil de la différence et reconnaissance de ce que l’on a en commun vont de pair.
Avec la mondialisation, l’humanité sait de plus en plus qu’elle habite une (fragile) « maison commune ». La journée mondiale de la fraternité prend alors son sens : nous sommes automatiquement solidaires les uns des autres, au sens d’interdépendants par notre condition humaine, avec ses gènes afférant. Un même sang humain coule dans nos veines. Nous sommes responsables les uns des autres, et redevables. Nous avons des devoirs de fraternité vis-à-vis de ceux qui vivent dans la misère, endurent une catastrophe naturelle, manquent de ce qui est vital, sont endeuillés. Nous devons aussi, par devoir de fraternité, léguer aux générations futures la magnificence de cette « maison » (biodiversité, paysages, patrimoine, langues…).
La fraternité devient naturellement universelle ; elle ne cesse de s’étendre : vivre tous ensemble sans s’être choisis, passagers d’une même barque nommée planète ; chercher ensemble un cap commun, qui préserve autant la vie que les conditions de vie des frères humains et des écosystèmes ; se savoir tous responsables les uns des autres, membres d’une même famille humaine, passée, présente et à venir, avec un destin de plus en plus commun.
Que le « patrimoine de l’humanité » soit de plus en plus reconnu et protégé comme commun n’efface aucune des strates à partir desquelles la fraternité naît, s’étend, se généralise et se diversifie. Née de la famille, la fraternité mérite à la fois d’être célébrée et étendue. Mais attention : son origine – la famille donc – doit être reconnue et protégée si l’on veut que la fraternité devienne universelle sans se dénaturer.
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