Que penser des organoïdes, mini organes fabriqués en labo ?
14/03/2025

Que penser des organoïdes, mini-organes fabriqués en laboratoire ?

Les scientifiques ont déjà réussi à obtenir des « organoïdes » de foie, intestin, rein, cœur, rétine, et même de cerveau. Mais de quoi s’agit-il ? Ce sont des petites structures biologiques en trois dimensions, créées en laboratoire, qui « imitent » certaines fonctions de certains organes. En réalité, ce ne sont pas des organes complets miniatures même s’ils sont dotés de certains fonctionnements qui y ressemblent beaucoup. Pour obtenir ces organoïdes, les scientifiques utilisent comme point de départ des cellules souches pluripotentes, qui ont donc la capacité de se spécialiser dans tel ou tel type de cellules, et la capacité de se multiplier à l’infini. Cultivées dans certaines conditions in vitro, ces cellules vont être conduites à se spécialiser selon les « ordres » moléculaires fournis et vont s’auto-organiser grâce au milieu présent.

A partir de quelles cellules souches sont créés les organoïdes ?

2 types de cellules pluripotentes peuvent être utilisées : Les cellules souches pluripotentes induites (iPSC : induced pluripotent stem cells). Ce sont des cellules adultes prélevées (cellules sanguines, fibroblastes cutanés …) reprogrammées génétiquement, selon la technique découverte par le prix Nobel Yamanaka. Des cellules embryonnaires humaines. Ces cellules sont présentes aux tous premiers stades du développement de l’embryon, quelques jours après la fécondation. Ces cellules peuvent être prélevées sur des embryons congelés.

Pourquoi créer des organoïdes ?

Ces recherches sont très actives, et de nombreux pays investissent et misent sur l’utilité de ces nouveaux modèles. Au départ, l’objectif était d’étudier les processus de développement et l’organisation anatomique des tissus. La culture 3D permet de comprendre plus finement ces processus complexes. Puis, ces modèles ont commencé à servir en recherche biomédicale pour analyser les mécanismes physiologiques et les dérèglements pathologiques. Désormais, ils servent aussi d’outils pour évaluer l’efficacité ou la toxicité de certains médicaments ou d’autres substances. Les politiques de réduction de l’utilisation des modèles animaux servent aussi de catalyseur pour ces recherches. Ces modèles pourraient aussi permettre de réduire les risques liés aux essais cliniques. Ces modèles permettent d’envisager d’immenses progrès des connaissances et ouvrent de larges perspectives de progrès thérapeutiques. Nul doute que ces modèles prendront une place cruciale dans la recherche de demain. Par ailleurs, les organoïdes dérivés de cellules iPS permettent de prendre en compte la diversité génétique des patients et ouvrent à de nouvelles thérapies basées sur une médecine personnalisée. A noter que les « Organes et organoïdes sur puces » font l’objet d’un PEPR (programme et équipement prioritaire de recherche) dans le cadre du plan France 2030, à hauteur de 48 millions d’euros sur 6 ans.

Des pièces de rechange ?

Peut-on imaginer qu’un jour, il soit envisageable que ces organoïdes, créés en laboratoire, puissent servir de « pièces de rechange » en cas de défaillance d’un organe ? Pour le moment, cela reste impossible. Il subsiste des incertitudes sur leur microarchitecture et donc sur leurs capacités. Une grande difficulté réside dans l’obtention d’un réseau vasculaire qui permette la perfusion de la totalité des tissus. Par ailleurs, ils sont trop petits, immatures, incomplets et difficilement reproductibles à l’identique. Et également, pas assez fiables. En revanche, en couplant ces technologies avec la bio-impression en 3D (l’impression en 3 dimensions de cellules et de tissus), l’hypothèse que leur fabrication soit améliorée est d’ores et déjà posée. Certains laboratoires, notamment français, y travaillent.

Les organoïdes sur puce

Les organoïdes sur puces sont en plein développement depuis une dizaine d’années. Ces travaux sont à la frontière de l’ingénierie microfluidique, de la microélectronique, de la biologie et de la médecine. Il s’agit de faire « pousser » ces mini-organoïdes dans des puces standardisées. Ces puces sont des dispositifs qui visent à reproduire des fonctions physiologiques et des conditions physiques − flux, pression, mouvements − rencontrées dans les organes réels, afin de modéliser différents tissus. En multipliant ces dispositifs en série, il est possible de reconstituer aussi les interactions entre les différents organes pour tenter de se rapprocher le plus possible de ce qui se passe dans un organisme, sain ou malade. Certaines de ces puces microfluidiques s’accompagnent d’une couche de silicium, ce qui permet d’ajouter d’autres mesures physiques. On étudie ensuite les réactions des organoïdes sur puce en les mettant en présence de divers composés (médicament de référence, composé à l’étude etc). L’intelligence artificielle (IA) est largement mise à contribution pour analyser toutes les données. Avec les paramètres étudiés, on crée les « signatures numériques spécifiques » des molécules ou médicaments testés.

Le cas particulier des « mini-cerveaux »

En laboratoire, des chercheurs sont parvenus à créer des structures tridimensionnelles d’organoïdes cérébraux. Les premiers essais remontent à 2013, par une équipe de Lancaster. Les travaux actuels montrent que les cellules composant l’organoïde sont capables de s’auto-organiser et de communiquer entre elles, mais aussi de se différencier en plusieurs types cellulaires dotés de marqueurs de fonctions spécifiques (par exemple, l’émission d’impulsions électriques ou la capacité d’organisation en réseau). Les organoïdes cérébraux sont utilisés pour améliorer notre capacité à modéliser le développement neurologique humain et les maladies qui l’affectent. Parmi les maladies particulièrement scrutées grâce à ces modèles, on retrouve les maladies neurodéveloppementales et neurodégénératives, telles que la microcéphalie liée au virus Zika, la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, les troubles du spectre autistique, la schizophrénie et les troubles bipolaires… Pour étudier la connectivité entre différentes régions du cerveau, il est désormais également possible de constituer des « assembloïdes » associant des organoïdes simulant différentes régions cérébrales grâce à la diversité des cellules qui les composent (divers types de neurones, astrocytes, cellules de la microglie ou de vaisseaux…). Récemment, des chercheurs de l’université Johns Hopkins dans le Maryland ont annoncé avoir réussi à créer des organoïdes cérébraux particuliers, en fusionnant plusieurs organoïdes humains. D’après eux, ces nouveaux modèles contiendraient 80 % des types de cellules cérébrales, qu’on peut estimer correspondre au stade d’un embryon de 40 jours. Ces agrégats cellulaires cultivés en laboratoire, bien que petits en taille (de quelques centaines de microns à quelques millimètres pour les plus gros), reproduisent certaines caractéristiques importantes des cerveaux humains fœtaux pouvant présenter des caractéristiques développementales, cellulaires et moléculaires essentielles. Mais pour le moment, il n’est pour le moment pas possible d’obtenir un modèle « complet » de cerveau adulte mature. Ces cérébroïdes sont limités en taille et surtout en complexité. Il manque certains types cellulaires, les cellules meurent facilement, la vascularisation manque…. Pour autant, les questions éthiques ne manquent pas, elles, face à ces modèles. Relevons qu’en France, la recherche sur les cérébroïdes ne dispose pas d’encadrement à l’heure actuelle. Ils sont juridiquement considérés comme des cultures de cellules souches humaines et donc, seulement soumis à déclaration à l’Agence de la biomédecine ou dans certains cas à autorisation.

Questions éthiques

Des questions se poseront de plus en plus, à mesure qu’avanceront les recherches, notamment sur les cérébroïdes ou la création des organes reproducteurs humains. Nul doute que ces modèles feront l’objet de discussions lors de la prochaine révision de la loi bioéthique. Il n’existe pas encore de réglementation internationale sur ces modèles. L’Union européenne finance le projet Hybrrida, qui entend élaborer des lignes directrices et un code de conduite éthique en matière de recherche sur les organoïdes. Les enjeux sont nombreux. En premier lieu, relevons celui de l’instrumentalisation de l’embryon humain, lorsque c’est lui qui sert de point de départ pour fournir les organoïdes. Il va de soi que cette recherche ne va pas dans son intérêt, attendu qu’il sera détruit. Même si cela entre dans le cadre de la loi bioéthique, et concerne des embryons qu’on dit « surnuméraires » – c’est-dire des embryons légués à la recherche par les parents à l’origine de leur création en cycle de PMA – peut-on se satisfaire que certaines vies soient utilisées au motif de progrès des connaissances ou de progrès thérapeutiques ? Nous sommes ici dans une vision utilitariste de la vie humaine. Ensuite, la question du statut à donner à ces artéfacts produits par l’ingénierie biologique se pose. Il s’agit d’une « nouveauté éthique ». Ce ne sont pas de simples objets créés par l’homme. Ils sont créés à partir de cellules et tissus humains. Ces entités sont « humaines » sans être des personnes, et cela brouille nos frontières morales, car sous l’influence du droit romain, nous nous sommes habitués à diviser le monde en personnes (êtres humains) ou en choses. Devons-nous leur accorder le statut moral de l’entité qu’ils miment même partiellement ? Par ailleurs, comme pour les embryoïdes, se pose la question, déjà, du consentement et de l’information des donneurs d’embryons ou de cellules utilisés ensuite pour ces expérimentations ou comme cellules souches IPS. La protection des données génétiques, des données de santé des donneurs et des éventuels profits tirés de ces modèles pose également d’importants enjeux. Au moment du don, la majorité des donneurs ne savaient pas dans quel cadre allaient être utilisées leurs cellules. Certaines possibilités, dont celles-ci, n’existant pas encore. On peut raisonnablement penser que certains donneurs auraient pu s’opposer à l’utilisation de leurs cellules pour la formation de cellules neuronales, de cérébroïdes ou de chimères (mélange de cellules humaines dans des animaux) si le projet de recherche leur avait été exposé. Enfin, des questions vertigineuses se posent lorsque les organoïdes cérébraux sont implantés dans des modèles animaux. Des expérimentations ont déjà été menées. Des cérébroïdes humains ont été transplantés dans le cerveau de souris, de rats et de macaques. Certaines de ces études ont démontré que ces greffons arrivaient à maturité, communiquaient avec d’autres régions du cerveau, et pouvaient entrainer une modification comportementale de l’animal transplanté.

Questions éthiques spécifiques aux organoïdes de cerveau

Pour l’Académie de médecine, les organoïdes cérébraux ne sont pas des « mini-cerveaux ». Les activités cellulaires observées ne peuvent être assimilées aux processus cognitifs, sensoriels ou moteurs propres au cerveau humain. Les présenter comme étant doués de sensibilité ou d’une conscience minimale « relève d’une interprétation abusive et déformante des objectifs et des résultats de ces travaux ». Pourtant, dans sa lettre de juillet 2024, intitulée « Questions éthiques spécifiques aux organoïdes de cerveau » l’Agence de la biomédecine mentionne que dans un avenir plus ou moins lointain, les cérébroïdes pourraient être dotés du statut d’« entités humaines sensibles ». Sensibles, car on ne peut exclure que ces modèles possèdent un jour « la capacité d’éprouver de la douleur ou une forme de conscience de base, à savoir la conscience de ressenti (ce que cela fait de se trouver dans tel ou tel état). Ces assembloïdes seraient alors doués de sensibilité (sentience) ». La possibilité d’un ressenti et d’une altération de la conscience est souvent évoquée comme une question particulièrement préoccupante. Par ailleurs, la création de chimères homme-animal pourrait conduire à une modification de l’animal hôte qui acquerrait un comportement qui n’est pas propre à son espèce. Il pourrait par exemple développer une capacité plus importante à résoudre des problèmes, des interactions sociales plus complexes. Même si cette éventualité n’est pas d’actualité, il convient de l’envisager.

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