Trouble sur un dossier de l’Observatoire national du suicide

07/03/2025

Trouble sur un dossier de l’Observatoire national du suicide

 

Dans son 6ème rapport publié fin février 2025, l’Observatoire national du suicide (ONS), outre le volet statistique, consacre un dossier entier à la « mort assistée » remettant insidieusement en cause les alertes des professionnels sur l’incompatibilité des pratiques de suicide assisté avec la prévention du suicide.

 

L’ONS est une instance consultative créée par décret en 2018. Il a pour objectif « d’éclairer les acteurs par des analyses statistiques, des travaux de recherches et une veille documentaire stratégique, pour renforcer la prévention du suicide ». C’est dans ce cadre que l’observatoire publie tous les deux ans un rapport qui présente les données statistiques et des dossiers thématiques.

 

Le taux de suicide pourrait atteindre son niveau plancher

D’un point de vue statistique, les auteurs relèvent qu’après une baisse des suicides depuis 1980, il semble que le taux pourrait avoir atteint un niveau plancher. Cependant avec 9 200 décès par suicide en 2022, le taux de suicide atteint 13,3 décès pour 100 000 habitants en France, un niveau supérieur au taux moyen (10,2) constaté dans l’Union européenne.

Si le taux de suicide des jeunes est peu élevé (2,7 pour 100 000 chez les moins de 25 ans), on observe que le taux de suicide des jeunes femmes, pourtant le plus faible, a augmenté de 40% entre 2020 et 2022 (passant de 1,15 à 1,6 pour 100 000). S’il s’agit de signaux faibles, cette hausse inédite nécessite des investigations. Des effets sociaux restent en effet à explorer, « tels ceux de l’écoanxiété, le poids grandissant de la socialisation médiatisée en général ».

Un dossier esquisse plusieurs pistes d’investigation sur ce sujet afin d’adapter la politique de prévention alors qu’en 2025 la santé mentale est la grande cause nationale du gouvernement.  « Les comportements suicidaires constituent en effet l’une des manifestations les plus graves des problèmes de santé mentale, et les comprendre est essentiel pour concevoir des politiques de prévention efficaces ».

L’ONS pointe l’augmentation des taux de suicide avec l’âge, phénomène qui se retrouve dans tous les pays d’Europe. Les hommes âgés de 85 à 94 ans demeurent la population la plus à risque avec un taux de 35,2 pour 100 000. Les auteurs se sont interrogés sur le « tabou » du suicide des personnes âgées et « sur le mal-être de nos aînés, dans un contexte de vieillissement de la population« .

Les résultats de l’enquête Malâge montrent une différence entre les comportements des hommes et des femmes : « chez les hommes, les comportements suicidaires surviendraient à l’occasion de changements de nature « bifurcative » : des transformations nettes, comme l’entrée en Ehpad, marquant une perte de pouvoir décisionnel à la fois sur leur épouse et sur leur quotidien ».

Le mal-être des femmes âgées ayant des comportements suicidaires serait « accumulé sur un temps long, dans lequel le rôle du travail de care serait central : certaines y adhèrent au point de vouloir accompagner leur conjoint dans la mort, quand d’autres expliquent leurs tentatives de suicide par l’épuisement provoqué par les attentes de leurs proches et une charge de travail domestique et familial insupportable, à un moment de la vie où les soutiens économiques et sociaux se fragilisent. » Dans ce contexte on aurait pu s’attendre à un dossier d’approfondissement pour mieux accompagner et appréhender le grand âge.

 

Un surprenant dossier sur la « mort assistée »

Les conclusions du dossier sur « la mort assistée » proposées par l’ONS sont pour le moins surprenantes. Sous le titre « Mal-être, suicide et mort assistée : mieux comprendre les enjeux multiples de la fin de vie », ce dossier englobe une réflexion large autour du grand âge « sur les représentations de la fin de vie, les conséquences de polypathologies invalidantes et la perte d’indépendance ; des dimensions fondamentales qui émergent de l’analyse de la littérature internationale portant sur l’aide active à mourir (AAM) ».

En effet la population des personnes âgées est la plus concernée par les demandes de suicide assisté et/ou d’euthanasie dans les pays qui ont légalisé ces pratiques. L’objectif affiché est de « donner des repères et des clés de lecture face au débat complexe suscité par le débat français sur l’euthanasie – « sans prendre position » par rapport à celui-ci tout en élaborant un inventaire de connaissances disponibles et marquantes. »

Derrière l’interrogation qui vient en conclusion du dossier, à savoir si l’assistance à mourir (euthanasie/suicide assisté) pourrait inspirer de nouvelles approches de la prévention du suicide, la réflexion est inquiétante. Ces demandes d’euthanasie ou de suicide assisté « pourraient ainsi être envisagées dans une optique proche de celles des politiques de prévention du suicide, plutôt qu’y être totalement opposées. ».

Autrement dit la demande d’euthanasie, si la pratique est autorisée, peut aussi permettre aux patients de « se projeter dans un avenir où ils seraient soulagés de la souffrance et de l’anxiété» et ce faisant ouvrirait un espace de négociation avec les professionnels de santé qui « contribue à rendre moins pressante la volonté des patients de mourir ». Cette approche est source de confusion. En effet les expressions de « demande d’en finir », de vouloir mourir, constituent un enjeu humanitaire sensible.

En France, les professionnels sont invités à considérer ce qui sous-tend ces demandes pour y répondre de la façon la plus humaine possible. Quand il existe une légalisation de la mort provoquée, il devient difficile de remettre en question la demande d’en finir si les conditions admises par la législation sont remplies. D’autant que dans tous les pays concernés ces conditions se sont étendues aux souffrances psychiques et à des personnes dont le pronostic vital n’est pas engagé.

 

Dans le cadre de la prévention du suicide, cette hypothèse est troublante dans un rapport qui rend hommage au Pr. Michel Debout, psychiatre et membre de l’Observatoire national du suicide, mort en décembre 2024 et qui déclarait en septembre 2023 : « Avec une loi qui autorise le suicide assisté, on prend le risque que certaines personnes en souffrance l’envisagent comme une issue. » 

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