Le Dernier Souffle : un hommage aux soins palliatifs empreint d’ambiguïté
Avec Le Dernier Souffle, Costa-Gavras signe un beau film qui a le mérite de faire découvrir au néophyte une part de la réalité des soins palliatifs, mais qui défend aussi, non sans idéologie, l’administration de la mort comme « ultime soin », dans certains cas.
Le 20e long-métrage de Costa-Gavras s’inspire librement du livre du même nom écrit par Régis Debray avec le docteur Claude Grange. Ce médecin généraliste de campagne a créé et dirigé l’unité de soins palliatifs (USP) de Houdan dans les Yvelines pendant 25 ans, aujourd’hui fermée faute de remplaçant.
Si le réalisateur a travaillé en lien avec Debray et Grange, c’est lui qui a écrit le scénario de son film. Les histoires de patients sont quasiment toutes issues de l’expérience du docteur Grange au sein de son USP, mais à la différence du documentaire Vivants, réalisé par Victor Grange (fils du médecin), Le Dernier Souffle est bel et bien une fiction.
S’inquiéter au sujet de la mort, un trait universel
Le fil rouge du film, qui nous permet d’entrer au côté de l’écrivain dans sa rencontre avec le médecin, est une inquiétude médicale (une tache « endormie », mais qui pourrait se « réveiller »). De cette rencontre, de l’intérêt du médecin pour les livres de ce patient et de la curiosité de l’écrivain, qui nourrit aussi ses propres questionnements sur la finitude, naît une amitié que l’on voit se déployer principalement au sein de l’unité de soins palliatifs.
Des « histoires » singulières
Très vite, le docteur invite l’auteur à le suivre, lui prête une blouse blanche et tous deux entrent dans les chambres des patients. C’est ainsi une galerie de portraits très humains que l’on découvre : des patients entourés de leurs familles, des patients seuls face au diagnostic, des familles déchirées…
La posture de l’écrivain, comme un double de chacun de nous
Les angoisses et les peurs exprimées par les patients en fin de vie trouvent en l’écrivain un interlocuteur particulièrement attentif, d’autant plus qu’il est directement concerné par un potentiel diagnostic. Le spectateur entend comme lui certains mots résonner particulièrement fort, ainsi lorsqu’un soignant évoque telle maladie « foudroyante ». Cet homme qui découvre un monde entièrement nouveau pour lui fait office de guide pour ceux qui n’ont jamais eu accès à l’intérieur d’un service de soins palliatifs.
Une plongée au cœur des soins palliatifs à travers une émouvante galerie de portraits
La philosophie des soins palliatifs
Nous découvrons un lieu où l’on vient pour être soulagé de ses douleurs, mais aussi un lieu où chaque patient peut réclamer le médecin-chef pour une simple conversation et non seulement pour la mise en place d’un traitement. Les familles des patients occupent une très grande place dans ce service qui associe techniques de pointe et écoute bienveillante.
L’équipe médicale, constituée de vrais soignants et non d’acteurs, donne un bon aperçu de la coopération pluridisciplinaire, notamment lors d’une séance d’analyse des différents cas (le « staff »). On y voit chacun participer selon son rôle et surtout parler de personnes et non de maladies ; évoquer des changements minimes qui ont amélioré le confort de tel ou tel patient ; parler aussi bien des souffrances physiques que psychiques.
Le rapport à la vérité
La question de la vérité traverse tout le film, elle est une interrogation majeure de l’écrivain : « Faut-il dire la vérité à ses patients ? Dites-vous la vérité, vous, docteur ? » Le médecin lui répond qu’il avait du mal au début de sa carrière, mais qu’il essaye depuis longtemps de ne pas dire de mensonges ; toutefois il assume de ne pas toujours dire toute la vérité. Il s’adapte avant tout aux personnes qu’il a en face de lui et à ce qu’elles sont prêtes à entendre.
Nous faisons la connaissance de cet homme qui ne veut pas dire la vérité à sa femme sur sa situation très critique : « Ça la tuerait ». Elle pense encore traitements miracles, espoirs de guérison, quand il ne reste en fait plus que quelques jours à vivre à son mari. Lorsque l’épouse accepte de voir la réalité en face, grâce au médecin, elle finit par suivre son conseil et permet à son mari de « partir quand il veut ». Il meurt le lendemain, après avoir revu toute sa famille et son chien adoré.
Traitements et soins
L’arrêt des traitements ou dispositifs devenus inutiles voire néfastes pour le patient n’est pas toujours bien compris. Ainsi nous plongeons dans les incompréhensions entre patient, proches et soignants en découvrant cette famille qui n’accepte pas l’arrêt de la transfusion d’un homme en fin de vie. Les médecins eux-mêmes ont parfois des avis différents sur la question : certains préfèrent se plier aux désirs de la famille pour ne pas les effrayer.
Mais les soins palliatifs, c’est loin d’être seulement une accumulation de thérapeutiques. En arrivant un jour à l’hôpital pour son habituelle visite, l’écrivain a la surprise de tomber sur une impressionnante parade de motos dans la cour : les amis d’un passionné de Harley-Davidson sont venus lui rendre un dernier hommage, et lui apporter une dernière joie.
Deux scènes ambiguës et un réalisateur qui font la promotion de l’euthanasie et du suicide assisté
Deux scènes troublantes, au début et à la fin du film
Au début du film, Augustin Masset attribue sa découverte et son intérêt pour les soins palliatifs à une scène fondatrice qu’il a vécue au début de sa carrière, alors qu’il visitait (sans être son médecin) une femme en fin de vie épuisée par sa situation. Cette femme très malade accuse ses médecins, « tous croyants, qui ne veulent pas toucher à la vie », d’alterner entre la nourrir et la bourrer de cocktails lytiques qui l’assomment. Elle implore le docteur Masset de bien vouloir, comme ami, « faire ce qu’il faut », sous-entendu se débrouiller pour l’euthanasier. « Ne me laissez pas revenir », lui dit-elle. On ne sait pas précisément comment, mais il l’a fait.
A la fin du film, une femme de la communauté gitane, en toute fin de vie, dit au médecin qu’elle veut partir « quand elle choisit, quand elle décide » et surtout « pas ici, mais chez elle, dans sa caravane ». Le médecin donne alors deux seringues à une proche de la patiente âgée avec des consignes (bleu pour apaiser et rouge pour « endormir »). « Quand elle est prête, qu’elle est entourée des siens, quand elle veut, vous augmentez la dose. Et elle s’endormira sans rien sentir. » Qu’est-ce qui se passe ici ? Cela ressemble à une euthanasie, mais le mot « dormir » et le produit a priori non létal sèment le doute : le médecin propose-t-il à la patiente une sédation, celle qui est « profonde et continue maintenue jusqu’au décès » et prévue par la loi Claeys-Leonetti ?
Une rupture du réalisme regrettable
Ces deux scènes sont d’autant plus troublantes que toutes les histoires du film sont censées être issues de l’expérience médicale du docteur Grange. Or, son engagement en soins palliatifs vient en réalité d’un drame familial tout autre. Et le réalisateur Costa-Gavras explique lors d’une projection du film avoir cherché une « famille nombreuse » pour clore son film avec un chœur, à la manière d’une tragédie grecque ; d’où l’idée des gitans, qui entourent l’aïeule de leurs chants et leurs danses, dans un effet indéniablement réussi. Mais alors, où s’arrête la réalité, où commence la fiction ? Car faire une euthanasie clandestine n’est pas anodin et donner au patient les produits pour une sédation profonde et continue jusqu’au décès sans protocole et sans accompagnement n’est pas possible. L’introduction de ces deux scènes de pure fiction – que le réalisateur était tout à fait libre de filmer – est nuisible dans un film par ailleurs notable par le réalisme de sa représentation des soins palliatifs.
La position de Claude Grange et celle de Costa-Gavras sur le sujet de la fin de vie
Lors d’une projection du film en présence de Claude Grange et de Costa-Gavras, ce dernier a parlé de « vraie aide à mourir » en évoquant l’histoire de la gitane, sans cacher sa position personnelle : le nonagénaire est en effet favorable à un modèle de suicide assisté à la suisse. Claude Grange a quant à lui reprécisé ce qu’était la sédation profonde, ainsi que sa position : « La main qui soigne ne peut et ne doit pas être la main qui tue. » Mais si certains veulent vraiment mourir, selon lui, il faudrait le leur permettre dans un lieu distinct de tout établissement de santé. Il a toutefois rappelé qu’en 25 ans d’unité de soins palliatifs et 4 000 personnes accompagnées jusqu’à la fin de leur vie, il n’en a rencontré que 3 qui ont pratiqué un suicide assisté à l’étranger…
Si Le Dernier Souffle offre au spectateur une plongée dans le monde des soins palliatifs au travers d’histoires à la fois singulières et représentatives de nombre des questions qui se posent en fin de vie, il est regrettable d’y trouver une confusion entre la sédation profonde et continue et l’euthanasie ou suicide assisté, alimentée par des sous-entendus et une atmosphère onirique. Un effet poétique qui n’est pas sans troubler le spectateur, car comme le rappelle justement Claude Grange lors d’une interview, « faire dormir, ce n’est pas faire mourir ». Bien nommer les choses, surtout en fin de vie, apparaît comme essentiel.

Suivez-nous sur les réseaux sociaux :