Droits de l’homme et bioéthique : angles mort et pistes de progression
A l’occasion de la célébration du 10 décembre, journée internationale des droits de l’Homme, Alliance VITA est mobilisée contre les atteintes à la vie et pour la dignité de tous en matière bioéthique. L’association appelle à la vigilance pour progresser vers plus de justice et de solidarité.
Focus sur 5 enjeux.
I. Réduire les facteurs de stigmatisation des personnes handicapées
En France, le dépistage prénatal a pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité. La loi bioéthique française, dans sa version actuelle, prévoit que le DPI n’est autorisé qu’à titre exceptionnel dans certaines situations attestées par un médecin[1]. Le diagnostic prénatal, s’il permet un meilleur suivi des grossesses pour accompagner la mère et l’enfant à naître, peut aussi être assorti de propositions d’interruption médicale de grossesse (IMG en cas d’affection d’une particulière gravité ), plus de 8000 sont pratiquées annuellement).
L’IMG peut intervenir légalement à tout moment pendant la grossesse sans restriction de délais. Beaucoup s’alarment d’une nouvelle forme d’eugénisme en France, qui stigmatise particulièrement les personnes porteuses de trisomie : 90% des diagnostics de trisomie conduisent à une IMG[2].
Ces pratiques favorisent une situation de discrimination grave à l’encontre des personnes handicapées, justement relevée parmi les recommandations faites à la France par l’ONU en 2018. Il lui avait été ainsi demandé de revoir sa politique de détection prénatale systématique de la trisomie, conformément aux principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des instruments internationaux[3]. Cette recommandation n’a toutefois pas été acceptée par l’État français qui l’a seulement notée. Plusieurs organes des Nations-Unies sonnent pourtant l’alerte sur cette situation : «
Sur les questions telles que le dépistage prénatal, l’avortement sélectif et le diagnostic génétique préimplantatoire, les militants des droits des personnes handicapées s’accordent à considérer que les analyses bioéthiques servent souvent de justification éthique à une nouvelle forme d’eugénisme, souvent qualifié de « libéral »[4] ».
Ces pratiques emportent de graves conséquences sociales pour les personnes handicapées, affectant leur droit à mener une vie pleine et décente dans des conditions qui garantissent leur dignité[5].
En 2021, la Défenseure des droits a regretté[6] que l’État français n’ait pas encore pleinement adopté la nouvelle approche du handicap telle qu’induite par la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Elle a indiqué que les discriminations à l’égard des personnes handicapées constituent le premier motif de saisine du Défenseur des droits en matière de discrimination[7].
II. Généraliser les soins palliatifs pour tous
En France, selon un rapport de la cour des comptes, la moitié des patients qui devraient bénéficier d’une prise en charge en soins palliatifs n’y ont pas accès faute de moyens et un quart des départements ne dispose d’aucune unité de soins palliatifs.
En outre, une inquiétude croissante a été exprimée par les Nations-Unis concernant les conséquences des législations sur le suicide assisté et l’euthanasie dans la population : « Le handicap ne devrait jamais être une raison pour mettre fin à une vie »[8]. Plusieurs rapporteurs et experts[9] insistent sur le fait que « l’aide médicale au suicide » – ou l’euthanasie –, même lorsqu’elle est limitée aux personnes en fin de vie ou en maladie terminale, peut conduire les personnes handicapées ou âgées à vouloir mettre fin à leur vie prématurément.
L’accès aux soins et en particulier aux palliatifs pour tous doit être une considération prioritaire de l’État français, d’autant plus dans le contexte où la protection sociale s’inscrit parmi les cibles de l’Objectif de développement durable des Nations-Unies (ODD) n°1[10] et de l’ODD n°10, qui inclut l’adoption de politiques publiques permettant de parvenir à une plus grande égalité[11].
III. Respecter le droit des enfants
Depuis l’adoption de la dernière loi bioéthique de 2021[12], le régime de l’assistance médicale à la procréation (« AMP », aussi appelée « PMA ») tel qu’il est envisagé en droit français porte des atteintes graves à des principes consacrés notamment par la Convention relative aux droits de l’enfant. L’abandon du critère d’infertilité dans l’accès aux techniques d’AMP avec tiers donneur méconnait le principe selon lequel « les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement »[13].
En institutionnalisant l’AMP avec donneur sans partenaire masculin, le Gouvernement français prive par avance de père les enfants ainsi nés. Il contrevient, ce faisant, à la Convention internationale des Droits de l’enfant qui dans son article 7 dispose que l’enfant, dans la mesure du possible, a le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.
D’une façon générale, l’apport de gamètes extérieurs dans le processus de procréation cause une injustice à l’enfant. Ce dernier aurait accès à la connaissance de ses origines à sa majorité mais serait toujours privé de sa filiation biologique puisque son auteur n’a pas vocation à être son père et que le droit interdit même qu’il le soit. Or, détenir l’identité de son géniteur n’est pas équivalent au fait de le connaître et d’être élevé par lui. C’est l’apport extérieur de gamètes en lui-même qui fait échec aux droits de l’enfant.
IV. Lutter contre le trafic humain
En France, la gestation pour autrui (GPA) est strictement interdite dans son principe[14], mais l’évolution de la jurisprudence tend à accepter ses effets à l’égard de l’enfant quand elle est pratiquée à l’étranger. La GPA entraine la transcription d’actes de naissance d’enfants nés de GPA, qui sont délibérément non conformes à la réalité (la mère indiquée n’est pas celle qui a accouché par exemple) ce qui a été confirmée par deux jugements de la Cour de cassation en 2024 au moyen de transposition de filiation établie à l’étranger par exequatur.
En outre, du fait qu’elle est interdite en France, certains couples ou individus ont recours à la GPA dans d’autres pays et font appel à des mère-porteuses étrangères. Ce phénomène favorise ainsi le trafic humain en contradiction totale avec les efforts internationaux de lutte contre un tel trafic.
V. Soutenir une politique familiale
La dernière enquête de l’Union nationale des associations familiales (UNAF)[15] révèle que les Français souhaiteraient avoir en moyenne un enfant de plus. Parmi les facteurs bloquants, les difficultés matérielles et financières des familles. Or, les politiques publiques de prestations et de prélèvements s’avèrent de moins en moins avantageuses pour les parents, en plus d’une augmentation du budget pour le logement.
Des études récentes montrent également des liens entre les violences conjugales et les interruptions volontaires de grossesse à répétition[16]. En France, le lien entre violences et interruption volontaire de grossesse (IVG) demeure cependant peu exploré : très peu de médecins posent systématiquement la question des violences aux femmes réalisant une IVG[17]. Or, pour 40 % des 201 000 femmes concernées chaque année par les violences du conjoint, celles-ci ont débuté à la première grossesse[18].
Un sondage IFOP réalisé en octobre 2020[19] révèle que 92 % des Français jugent que l’avortement laisse des traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes et 73 % estiment que la société devrait davantage aider les femmes à éviter le recours à l’interruption volontaire de grossesse.
[1] C’est le cas lorsque le couple, du fait de sa situation familiale, a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Le diagnostic ne peut avoir d’autre objet que de rechercher cette affection ainsi que les moyens de la prévenir et de la traiter. Et à titre dérogatoire, le DPI peut être autorisé si le couple a donné naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique non héréditaire entraînant la mort dès les premières années de la vie et reconnue comme incurable au moment du diagnostic.
[2] Agence de la biomédecine, 2017, https://rams.agence-biomedecine.fr/sites/default/files/pdf/2019-09/RAMS%202017%20DPN.pdf, Tableau DPN 11.
[3] A/HRC/38/4, p.24, Recommandation n°145.234 du Costa Rica.
[4] A/HRC/43/41, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées, Conseil des droits de l’homme, 43e session, 24 février-20 mars 2020, §21.
[5] Article 1er de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (2006), Article 23 de la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant (1989).
[6] A l’occasion de l’examen de la France de son application de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
[7] https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2021/08/experts-committee-rights-persons-disabilities-raise-questions-about-medical
[8] Déclaration commune publiée le 25 janvier 2021, Haut-Commissariat aux Droits de l’homme des Nations-Unies.
[9] Le Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées, le Rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les Droits de l’homme et l’expert indépendant sur les droits des personnes âgées.
[10] ODD n°1, Lutte contre la pauvreté, cible Protection sociale : « 1.3 : Mettre en place des systèmes et mesures de protection sociale pour tous, adaptés au contexte national, y compris des socles de protection sociale, et faire en sorte que, d’ici à 2030, une part importante des pauvres et des personnes vulnérables en bénéficient ».
[11] ODD n°10, Réduction des inégalités, cible Politiques publiques ciblées au service de l’égalité : « 10.4 : Adopter des politiques, notamment sur les plans budgétaire, salarial et dans le domaine de la protection sociale, et parvenir progressivement à une plus grande égalité ».
[12] http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/bioethique_2.
[13] Article 18 de la Convention relative aux droits de l’enfant.
[14] Article 227-12 du Code pénal et article 16-7 du Code civil.
[15] https://www.unaf.fr/ressources/2023-bilan-demographique-les-familles-ont-moins-d-enfants-mais-en-desirent-toujours/ et https://www.unaf.fr/ressources/ideal-personnel-moyen-du-nombre-enfants-en-france/ Etude Kantar parue le 11 janvier 2024,
[16] Pinton A. et al., « Existe-t-il un lien entre les violences conjugales et les interruptions volontaires de grossesses répétées ? », Gynécologie Obstétrique Fertilité & Sénologie, 2017/7-8, Volume 45, pages 416-420.
[17] Pelizzari Mélanie et al., « Interruptions volontaires de grossesse et violences : étude qualitative auprès de médecins généralistes d’Île-de-France », Cliniques méditerranéennes, 2013/2 n° 88, p.69-78.
[18] AFP (2014, 23 novembre). La grossesse, un moment clé pour détecter les violences conjugales. France 3 Hauts-de-France.
[19] https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-livg-2/
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