GPA : la procédure “d’exequatur” pour établir un lien de filiation
Par deux arrêts rendus en octobre, la Cour de Cassation a précisé des critères permettant la transposition de la filiation établie à l’étranger dans une procédure de GPA (Gestation par autrui, plus souvent appelée Gestation pour autrui), lorsque les commanditaires passent par une procédure dite “d’exequatur”.
Le droit en France concernant la GPA
La GPA reste une pratique interdite en France. Une longue suite de décision juridique a confirmé cette interdiction. La loi du 29 juillet 1994 a explicité cette interdiction et introduit dans le code civil un article 16-7 disposant que “toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle“. Cette affirmation suivait deux arrêts rendus par la Cour de Cassation. En 1989, celle-ci avait affirmé la nullité des conventions de GPA rappelant qu’ “il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet des conventions“.
Son arrêt rappelait que “ces conventions contreviennent au principe d’ordre public de l’indisponibilité de l’état des personnes en ce qu’elles ont pour but de faire venir au monde un enfant dont l’état ne correspondra pas à sa filiation réelle au moyen d’une renonciation et d’une cession, également prohibées, des droits reconnus par la loi à la future mère ; que l’activité de l’association, qui tend délibérément à créer une situation d’abandon, aboutit à détourner l’institution de l’adoption de son véritable objet qui est, en principe, de donner une famille à un enfant qui en est dépourvu“.
Dans une autre affaire datant de 1991, la Cour avait annulé l’adoption d’un enfant né d’une mère porteuse au motif que “cette adoption n’était que l’ultime phase d’un processus d’ensemble destiné à permettre à un couple l’accueil à son foyer d’un enfant, conçu en exécution d’un contrat tendant à l’abandon à sa naissance par sa mère, et que, portant atteinte aux principes de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, ce processus constituait un détournement de l’institution de l’adoption“.
Cependant, différents arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) ont influé sur la question de la reconnaissance de la filiation établie à l’étranger à l’occasion d’une gestation par autrui. Dans deux arrêts publiés en juin 2014, la CEDH a affirmé que l’État allait au-delà de ce que lui permet sa marge d’appréciation en refusant de reconnaître le lien de filiation, pourtant établi à l’étranger.
Le gouvernement de l’époque n’avait pas fait appel de cette décision. Tirant les conclusions de cette jurisprudence au niveau européen, la Cour de Cassation avait publié en 2018 un communiqué indiquant que désormais “l’existence d’une convention de GPA ne fait pas en soi obstacle à la transcription de l’acte de naissance établi à l’étranger dès lors qu’il n’est ni irrégulier ni falsifié et que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité biologique“.
En 2019, par un arrêt du 10 octobre, la CEDH avait précisé que l’article 8 – respect de la vie privée – requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant né d’une GPA à l’étranger et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale ». Prenant acte de cette décision, la Cour de Cassation avait admis la retranscription à l’état civil français d’un état civil étranger indiquant comme parents « légaux » les “parents d’intention”.
La dernière loi de bioéthique votée en 2021 a confirmé l’interdiction de la GPA en France. Un article a complété le code civil (article 47) précisant que la reconnaissance de la filiation à l’étranger est “appréciée au regard de la loi française”. Or celle-ci interdit toujours la pratique de la GPA. Concrètement, la transcription d’un acte d’état civil étranger d’un enfant né de GPA est ainsi limitée au seul parent biologique, l’autre partenaire, dit “parent d’intention” doit procéder à l’établissement d’un lien de filiation par une procédure d’adoption.
Que disent les derniers arrêts de la Cour de Cassation ?
Pour éviter de passer par une procédure d’adoption pour le “parent d’intention” sans lien biologique avec l’enfant, des personnes ayant recours à la GPA passent par une procédure dite d’exequatur. Cette procédure judiciaire peut conduire la France à reconnaître et exécuter une décision de justice étrangère, après que le juge français a procédé à un certain nombre de vérifications.
Deux cas ont été examinés par la Cour
Dans le premier cas, deux hommes résidant en France se sont rendus au Canada pour une GPA. Deux enfants sont nés en Ontario en 2014. Une décision de justice canadienne a déclaré que les deux hommes étaient les pères légaux des enfants. Ceux-ci ont saisi la justice française afin que la décision de justice canadienne soit reconnue par la France et qu’ainsi les enfants puissent obtenir un acte de l’état civil français. La cour d’appel a refusé l’exéquatur : elle a estimé que le jugement canadien n’était pas suffisamment motivé et qu’il était donc “contraire à l’ordre public international français“.
La Cour de Cassation a donné raison à la Cour d’appel et rejeté le pourvoi formé par les deux hommes.
Dans son jugement, elle rappelle que la motivation sur laquelle repose la décision de justice étrangère doit permettre de vérifier :
- La qualité des personnes mentionnées dans le jugement ou dans les pièces annexes relatives au projet parental ;
- Le consentement des parties à la convention de GPA ;
- Le consentement de ces parties, et en particulier celui de la mère porteuse, aux effets que produira la convention de GPA sur la filiation de l’enfant.
La Cour rappelle que “compte tenu du fait que la GPA est interdite par la loi française et que cette pratique procréative présente des risques (ex. : vulnérabilité de la mère porteuse) cette décision de la Cour de cassation permet de veiller à ce que les GPA faites à l’étranger offrent des garanties“.
Dans le deuxième cas, deux hommes résidant en France se sont rendus en Californie pour une GPA. Une décision de justice californienne les a déclarés parents légaux de l’enfant à naître. Les deux hommes ont ensuite demandé l’exéquatur. Ils ont saisi la justice française afin que la décision de justice californienne soit reconnue par la France et que la filiation établie par le droit californien y produise les effets d’une adoption plénière.
Le jugement étranger a été reconnu par la France, puis la cour d’appel a accepté de reconnaître que cette filiation établie à l’étranger pouvait être assimilée à une adoption.
C’est le procureur général qui a formé un pourvoi en cassation contre cette reconnaissance de l’adoption.
La Cour de Cassation a répondu que “dans cette affaire, le jugement étranger n’établissait pas la filiation sur la base d’une procédure d’adoption mais sur le fondement d’une procédure spécifique, s’inscrivant dans une logique différente de celle de l’adoption, tenant compte d’un projet parental impliquant le recours à une mère porteuse. Il ne saurait donc produire les effets d’une adoption plénière“.
Ce jugement “ne remet pas en cause l’exequatur elle-même de la décision étrangère, qui pourra produire ses effets en France et permettre à l’enfant d’obtenir un acte de l’état civil“.
En pratique, cela veut dire que le lien de filiation n’est pas reconnu selon la procédure de l’adoption, car la GPA n’est pas une adoption. La Cour de Cassation a ainsi refusé de confondre les deux procédures. Mais le lien de filiation est néanmoins reconnu au titre de ce jugement étranger accepté par la justice française. Ainsi, lorsque le jugement étranger comporte les mentions que le juge français estime nécessaires, la procédure d’exequatur établit le lien de filiation recherché par les commanditaires de la GPA.
La Cour de Cassation pose donc un cadre et des jalons supplémentaires pour la reconnaissance de la filiation issue d’une GPA, au moyen de cette procédure d’exequatur. Une forme de facilitation et d’acceptation de la pratique de la GPA, alors que ce marché international est en expansion.
Une contradiction de fond demeure. Les transpositions en France de liens de filiation obtenus par des GPA à l’étranger se font au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant et de son droit à la vie privée, selon la jurisprudence de la CEDH. Mais l’intérêt supérieur de l’enfant n’est-il pas de ne jamais être l’objet d’un contrat pour sa naissance ? Pour Alliance VITA, la GPA reste contraire à l’intérêt de l’enfant puisqu’elle organise son abandon dans un contrat avant même sa conception.
Par ailleurs, la fiction de filiation établie par un jugement ne peut masquer des réalités incontestables : une femme a procuré son ovocyte et une autre a porté cet enfant pendant 9 mois.
L’interdiction de la GPA au niveau international est la seule voie éthique pour qu’un enfant ne soit pas instrumentalisé par des conventions de gestation.
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