« Affaire Palmade » : le deuil entravé de l’enfant né sans vie

29/11/2024

« Affaire Palmade » : le deuil entravé de l’enfant né sans vie

Vingt-et un mois après avoir causé, sous l’emprise de la drogue, un grave accident de la circulation qui a notamment fait perdre à une femme enceinte son bébé à six mois de grossesse, l’humoriste Pierre Palmade a été condamné le 20 novembre 2024 à deux ans de prison ferme pour « blessures involontaires » et non pas « homicide involontaire ». L’affaire relance le débat sur la personnalité juridique du fœtus.

Le procès de Pierre Palmade souligne l’injustice, voire l’inhumanité d’un artifice de notre droit qui interdit de qualifier d’homicide le fait d’avoir provoqué la mort d’un être humain avant sa naissance, que cet homicide soit involontaire ou délibéré. C’est cet artifice qui a conduit les magistrats à se limiter à qualifier de « blessures » ce qu’avait subi une femme enceinte de six mois dont le bébé a perdu la vie lors de l’accident.

La jeune maman a donné naissance à un autre enfant depuis l’accouchement. Venue témoigner de cette perte devant les magistrats, elle a évoqué dans les sanglots la mort de sa petite Solin, née sans vie :

« Il a tué ma fille, elle était entière, j’ai compté ses doigts, elle m’a montré ses yeux. Elle est partie seule » (…) « Quand elle est née, j’étais dans un déni total. Pour moi, je venais d’accoucher. Solin, je l’avais portée dans les bras. Pour moi, elle était en train de dormir (…) Je pensais qu’on allait en prendre soin. Elle était morte. »

Et la jeune femme d’expliquer que ce traumatisme l’empêche aujourd’hui de prendre dans ses bras sa seconde petite fille, conçue après l’accident.

Deux logiques inconciliables s’affrontent :

  • Première logique : on ne peut qualifier d’homicide l’avortement légal, dont les délais légaux vont, dès la loi de 1975, jusqu’au terme de la grossesse en cas de suspicion de handicap d’une gravité particulière (précisément quand il « existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic »). Après avoir admis un temps la qualification d’homicide involontaire pour la perte d’un fœtus, la cour de Cassation refuse depuis 2001 toute reconnaissance juridique de l’enfant à naître.
    Seconde logique : on ne peut nier le deuil subi par des parents qui perdent leur enfant avant sa naissance, ni le préjudice qu’ils subissent lorsque ce décès est consécutif à une faute, voire à un acte délibéré. Progressivement, le droit a certes tenté de reconnaitre ce deuil, en renforçant les signes de l’existence pleine et entière de celui ou celle qui n’a pas respiré.

La loi de 2008 avait franchi une première étape en instaurant un « acte d’enfant sans vie » (second alinéa de l’article 79-1 du code civil). Concrètement un officier de l’état civil le dresse sur production d’un certificat médical en mentionnant les heure, jour et lieu de l’accouchement et les noms et le domicile des parents.

La loi du 6 décembre 2021 a renforcé cette reconnaissance en permettant que figure aussi sur cet acte « à la demande des père et mère, le ou les prénoms de l’enfant ainsi qu’un nom qui peut être soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. » Nommer, c’est reconnaitre l’existence et – par-là – le deuil.

Le souci d’humanité qui préside à cette disposition est attesté par son exceptionnel caractère rétroactif, rarissime en droit : si les parents le souhaitent, les actes d’enfants nés sans vie établis antérieurement à la loi de 2021 peuvent en effet être complétés par la mention du nom et des prénoms de l’enfant. Toutefois, précise le texte, pour toutes ces situations passées ou avenir, « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique. » Humanité et droit s’entrechoquent.

Les débats sur la personnalité juridique du fœtus sont anciens. Dès l’antiquité s’est posée la question du droit à l’héritage pour un enfant non né, en cas de mort du père avant sa naissance. Et c’est la vie qui l’a emporté. Une célèbre formule rend compte du raisonnement élaboré pour la reconnaitre, en toute justice, dans l’intérêt de l’enfant : Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur (L’enfant conçu sera considéré comme né chaque fois qu’il pourra en tirer avantage).

Cette « tradition » est à rapprocher de la possibilité offerte par notre droit d’une « reconnaissance anticipée de l’enfant », formalité facultative ouverte aux couples non mariés, et plus particulièrement aux pères. Etablir la filiation avant la naissance lui permet de transmettre son nom, d’asseoir son autorité parentale et de léguer en cas de décès… L’enfant à naître est ici protégé.

Lors du procès de Pierre Palmade, Maitre Battikh, l’avocat de la jeune maman, avait demandé la requalification de ses « blessures involontaires » en « homicide involontaire aggravé ». Me Céline Lasek, avocate de Pierre Palmade  avait aussitôt rétorqué « Le fœtus n’a pas respiré à sa naissance (…), je m’y oppose ! ». Appelé à la barre, Pierre Palmade, à la question du président « Acceptez-vous que cette prévention soit rajoutée aux mentions précédentes ? » a confirmé ce refus d’un mot : « Non ». Maître Battikh, tout en se défendant de vouloir contester le droit à l’IVG, a ensuite regretté l’absence de protection de la vie in utero.

Le même avocat a dénoncé dans les médias une « décision absurde » : « Aujourd’hui en France, les animaux domestiques ont un statut juridique ; les œufs de certains oiseaux sont mieux protégés que les fœtus ! C’est scandaleux, on ne peut pas poursuivre avec ce no man’s land, ce vide juridique ».

En effet, l’article L. 415-3 du code de l’environnement prévoit une peine trois ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende pour la destruction des œufs des espèces animales protégées. Cela peut être des oiseaux, des reptiles, des batraciens voire des insectes. Certes, ce n’est pas – pour le moment – l’intérêt de l’animal en question qui est ici reconnu et protégé, ni même celui de son espèce. Il s’agit de l’intérêt de l’humanité présente et future, attachée à la biodiversité et à la préservation de la nature. Frappante, la comparaison a donc ses limites.

Qu’un être humain soit digne de respect dès le début de son existence est le genre d’évidence que seul un flagrant déni peut tenter d’étouffer. Mais jusqu’à quand ? A mesure que la viabilité des grands prématurés s’améliore, l’absurdité de l’artifice juridique et son inhumanité sont de plus en plus évidents.

 

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