Meurt-on de sédation ?

08/10/2024

Meurt-on de sédation ?

 

Le débat sur le cadre législatif de la fin de vie a repris. Dans des prises de position ou des témoignages, une confusion peut s’introduire entre sédation et pratique de l’euthanasie. Cette confusion peut naître d’une méconnaissance du cadre légal et de la situation personnelle des malades. Il peut arriver que le souhait de légaliser l’euthanasie pousse aussi à rendre floue une distinction importante. Pour éviter des amalgames ou des interprétations erronées, l’analyse du cadre légal et des pratiques est importante.

 

La sédation palliative : réversible ou profonde, deux pratiques à distinguer

Le vocabulaire employé par les militants et certains médias, associé à des raccourcis, peut en effet créer une confusion sur le sens des mots et surtout, la réalité des pratiques médicales en fin de vie. La loi du 2 février 2016 créant de « nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie », dite loi Claeys-Leonetti, a introduit la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCJD), qui se distingue de la sédation « proportionnée ».

Ces pratiques sédatives, c’est-à-dire qui endorment le patient, ont une visée palliative (apaisement des souffrances réfractaires) en fin de vie, en « phase avancée ou terminale ». Dans ses recommandations publiées après la loi de 2016, la Haute Autorité de Santé (HAS) les distingue ainsi :

  • La sédation proportionnée à l’intensité des symptômes permet au patient de garder une vie relationnelle. Elle peut être « transitoire, intermittente, potentiellement réversible ». La sédation est dosée de manière à permettre l’endormissement du patient quelques heures, et de lui ménager des phases de réveil, par exemple pour voir ses proches. L’objectif est de le soulager de ses souffrances pour qu’il puisse profiter d’instants apaisés entre deux endormissements.
  • La sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès se caractérise par la suspension de la conscience du patient poursuivie jusqu’à son décès. Cette dénomination longue et complexe est importante car cette pratique est balisée par plusieurs repères essentiels. Elle est profonde car elle doit garantir l’altération totale de la conscience ; elle est également continue jusqu’au décès afin de ne pas réveiller le patient pour lui demander de réitérer son choix ; enfin elle comprend une dimension antalgique afin d’éviter la douleur.

Si la sédation réversible est à privilégier dans la mesure du possible, la sédation profonde et continue est un outil important dans certains cas précis.

Elle peut être à l’initiative du médecin dans le cadre d’une procédure collégiale, lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté (et à moins qu’il ait précisé dans ses directives anticipées ne pas souhaiter de SPCMD), et dans des cas où le refus de l’obstination déraisonnable conduit à arrêter certains traitements de maintien en vie.

Elle peut être demandée par le patient dans deux cas :

  • si son pronostic vital est engagé à court terme et qu’il présente une souffrance réfractaire aux traitements ;
  • ou si sa décision d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable.

La sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès n’a donc pas vocation à être réversible. Parce qu’elle intervient dans une phase où le décès est très proche (pronostic vital engagé à court terme, c’est-à-dire quelques heures ou quelques jours au maximum), les doses peuvent être plus importantes, maintenant le patient endormi sans réveil jusqu’à son décès.

 

La sédation profonde et continue, une pratique très encadrée

La sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès diffère de l’euthanasie par plusieurs critères

  • Tout d’abord, celui de l’intention : l’intention des soignants ne doit pas être de répondre à la demande de mort de la personne, mais bien de la soulager d’une souffrance réfractaire aux traitements.
  • Le moyen et la procédure ensuite : médicament sédatif altérant profondément la conscience (anxiolytiques, et éventuellement opioïdes morphiniques) et non produit létal.

Dans le cas de la sédation profonde et continue, comme le précise le docteur Jonquet, professeur émérite en médecine intensive-réanimation, le décès est d’abord la conséquence de la maladie, puisque le patient se trouve « à quelques heures ou à quelques jours » de la fin de sa vie.

Si la sédation est susceptible de diminuer la fréquence ventilatoire et d’accélérer le décès, ce n’est pas l’objectif mais ce qu’on appelle un double effet : « l’apaisement de la douleur doublé de l’accélération éventuelle du décès qui n’est pas recherchée pour elle-même. On l’accepte alors chez quelqu’un qui, de toutes les façons va mourir et pour lequel il n’y a pas d’autre moyen de calmer ses souffrances. » La mort survient toutefois dans un délai qui ne peut pas être prévu, contrairement à l’euthanasie où la mort est provoquée rapidement par le produit létal.

Selon les mots de Jean Leonetti, qui a porté la loi de 2016 avec Alain Claeys, il s’agit de « dormir avant de mourir pour ne pas souffrir ». Cette visée palliative est un critère essentiel de distinction entre un geste d’euthanasie et la sédation, visée qui renvoie à l’intention du soignant. Dans ce cadre précis, la sédation profonde et continue jusqu’au décès illustre la « voie française » sur le sujet de la fin de vie, qui tient une ligne de crête entre refus de l’obstination déraisonnable et refus de la mort provoquée.

 

Comment comprendre les informations récentes autour du décès d’un malade atteint de SLA ?

Atteint de la maladie de Charcot, Loïc Résibois militait depuis plusieurs mois en faveur de la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, qu’il souhaitait entre autres pour lui-même. Pas toutefois au point d’aller en Belgique ou en Suisse, où ces pratiques sont légales : il avait fait le choix, disait-il, de rester en France par « militantisme », pour porter sa cause. Membre d’une association militant en ce sens, il avait affirmé vouloir mettre fin lui-même à ses jours et éviter la sédation, qui selon lui revenait à souffrir jusqu’à plusieurs semaines.

Il est finalement décédé de l’évolution de sa maladie neurodégénérative, bénéficiant d’une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès.

Ses derniers moments de vie ont été médiatisés. Sur ses réseaux sociaux, qu’il alimentait tous les jours, il a adressé un dernier message à ceux qui le suivent, expliquant qu’il allait recevoir une sédation le lendemain, « seule solution permise par la loi aujourd’hui ». Ses déclarations pourraient suggérer qu’il avait décidé assez précisément du moment de sa mort – et les nombreux articles reprenant ses mots entretiennent la confusion : « J’ai choisi, précise Loïc Résibois, notamment par militantisme, de mourir en France, dans l’endroit qui m’est le plus cher, sur l’île de Ré ».

La sémantique employée par les différents articles relatant le décès de Loïc Résibois, ainsi que les témoignages des proches, évoquent un rendez-vous pris, sans toujours rappeler l’état réel du malade. A la lecture de certains articles, on pourrait presque croire qu’il est décédé sur commande, comme s’il avait bénéficié d’une euthanasie. Pourtant selon Claire Fourcade, médecin et présidente de la SFAP, « Si l’on s’en tient aux informations qui ont été diffusées, le cadre légal a bien été respecté. » En effet l’état du patient s’était dégradé depuis plusieurs semaines, selon le témoignage diffusé sur FranceTVinfo.

 

Une pratique mal connue des patients et des soignants

Parce que les médias emploient parfois un vocabulaire imprécis, le risque d’une confusion entre sédation et euthanasie existe, provoquant chez certains malades une peur des traitements qu’ils pourraient recevoir sans leur consentement. C’est bien pour lever tout risque de dérive euthanasique dans l’application de la sédation profonde que la HAS a publié ses recommandations de bonne pratique le 15 mars 2018.

Conduite durant plusieurs mois jusqu’à la fin mars 2023, la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti avait pour objectif de dresser un état des lieux de l’application de la législation en fin de vie. L’un des constats de ce rapport d’information est que la sédation profonde et continue n’est pas toujours bien connue des services, et que par ailleurs, elle est difficile à tracer :

« Les travaux de la mission n’ont pas permis d’obtenir de données consolidées sur le nombre de SPCJD pratiquées chaque année depuis la promulgation de la loi Claeys-Leonetti. Comme l’a confirmé le CNSPFV, aucun codage spécifique ni aucun système de traçabilité systématique n’existe pour les SPCJD dans le cadre du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Les codes disponibles ne permettent pas d’individualiser le type de sédation pratiqué et de différencier les sédations proportionnées des sédations profondes et continues. »

Le problème de cette sédation, ce n’est pas qu’elle ne suffit pas, mais bien qu’elle est insuffisamment connue et mal appliquée par les soignants. De l’aveu même des rapporteurs, les dispositions pourtant très précieuses de la loi Claeys-Leonetti restent largement méconnues des patients mais aussi des soignants. Cela n’empêche pas monsieur Falorni, député qui a présidé cette mission d’évaluation, de militer fermement pour l’évolution de la loi actuelle… alors même que dans les faits, elle est mal connue et inégalement appliquée sur le territoire français.

 

Dans le débat qui se poursuit sur la fin de vie, éviter les confusions, apprécier les dispositions actuelles de la loi permettrait une meilleure information du grand public. Au-delà de ce sujet précis de la sédation, l’urgence est à garantir l’accès à des soins palliatifs pour tous ceux qui en ont besoin !

la sedation et son traitement mediatique
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