Les soins palliatifs sous tensions

07/10/2024

Les soins palliatifs sous tensions

 

La journée mondiale des soins palliatifs du 7 octobre 2024 est intervenue alors que leur mise en œuvre se heurte en France à de multiples tensions.

I – Une définition riche et précieuse

Partons de la définition précise des soins palliatifs telle qu’elle était posée par la Haute autorité de santé en conclusion de groupes de travail, dès 2002 :

« Soins actifs, continus, évolutifs, coordonnés et pratiqués par une équipe pluriprofessionnelle. Ils ont pour objectif, dans une approche globale et individualisée, de prévenir ou de soulager les symptômes physiques, dont la douleur, mais aussi les autres symptômes, d’anticiper les risques et complications et de prendre en compte les besoins psychologiques, sociaux et spirituels, dans le respect de la dignité de la personne soignée. »

Il s’agit donc de soins experts et multidisciplinaires, qui ne se limitent pas à la lutte contre la douleur mais abordent l’ensemble des symptômes et des besoins de la personne. La suite de la définition renvoie dos-à-dos acharnement thérapeutique et euthanasie, en précisant que les soins palliatifs ne visent pas à maintenir une personne en vie à tout prix :

« Les soins palliatifs cherchent à éviter les investigations et les traitements déraisonnables et se refusent à provoquer intentionnellement la mort. Selon cette approche, le patient est considéré comme un être vivant et la mort comme un processus naturel. »

Par ailleurs, ce ne sont ni seulement les patients en fin de vie, ni seulement les patients qui en bénéficient : « Les soins palliatifs s’adressent aux personnes atteintes de maladies graves évolutives ou mettant en jeu le pronostic vital ou en phase avancée et terminale, ainsi qu’à leur famille et à leurs proches. » Enfin, « des bénévoles, formés à l’accompagnement et appartenant à des associations qui les sélectionnent, peuvent compléter, avec l’accord du malade ou de ses proches, l’action des équipes soignantes. »

Rappelons aussi que, dès 1999, la loi instaure un droit d’accès généralisé aux soins palliatifs. Mais un quart de siècle plus tard, les soins palliatifs sont plus que jamais en danger.

II – Six types de tensions les fragilisent

1/ Contraintes budgétaires :

On estime qu’un Français sur deux ayant besoin de soins palliatifs n’y a pas accès, une vingtaine de départements n’ayant par ailleurs pas encore d’unité de soins palliatifs. Contrairement à leurs effets d’annonce, les réels efforts de financement des soins palliatifs sont sans commune mesure avec l’ampleur des besoins. Nous sommes donc encore loin d’une accessibilité générale : dans le contexte budgétaire actuel, rattraper le retard demandera une forte volonté politique, alors que la lutte contre les déficits est prioritaire dans un monde de la santé en crise multiforme.

2/ Difficulté de recrutement des soignants :

Les services de soins palliatifs n’échappent pas à la grave pénurie de soignants. Certains services ont fermé. Et la vacance de poste met nombre d’autres services de soins palliatifs sous tension. L’hypothèse d’une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté sans possibilité de clause de conscience institutionnelle sape davantage l’attractivité de ces métiers alors que nombre de soignants en soins palliatifs ont fait part de leur volonté de le quitter en cas de loi sur « l’aide à mourir ». La même problématique se décline pour le recrutement des volontaires.

3/ Dénaturation de la définition :

Le projet de nouvelle loi fin de vie que la dissolution a rendu caduc véhiculait une définition rabougrie des soins palliatifs ramenés aux traitements anti-douleur et intégrés dans des « soins d’accompagnement » mal définis. Les promoteurs de la levée de l’interdit de tuer tendent par ailleurs à prôner l’euthanasie comme « l’ultime soin palliatif », en contradiction flagrante avec leur définition originelle.

Selon certains analystes, dans les « maisons d’accompagnement » que le projet de loi entendait mettre en place, les soins palliatifs auraient été dégradés et dénaturés : dégradés car ces maisons n’auraient pas intégré la totalité de ce que prévoit leur définition (notamment leur dimension pluriprofessionnelle) ; dénaturés car elles auraient au contraire inclus la pratique de l’euthanasie ou du suicide assisté qui les contredisent.

4/ Déficit d’image :

Si les soignants qui les prodiguent, comme ceux (patients et proches) qui en bénéficient, ont une belle image des soins palliatifs, ces derniers restent associés, pour le grand public – et pour une partie du monde médical – à l’échec de la médecine, augurant une mort imminente, voire une agonie aussi interminable qu’inutile.

Dans une société qui a édulcoré la mort et les rites de deuil, et où la maîtrise de son destin et de son autonomie sont des valeurs clés, les soins palliatifs pâtissent à la fois de leur relation avec la dépendance et la finitude et du réflexe d’évitement que provoque l’idée de la mort chez beaucoup. Au point que l’attractivité de la mort « décidée » liée à l’euthanasie et au suicide assisté concurrence dangereusement celle du « consentement à l’imprévisible » inhérente aux soins palliatifs.

5/ Division au sein du monde médical :

Malgré d’indéniables progrès de la culture palliative chez les soignants, la discipline « soins palliatifs » comme sa mise en œuvre se heurtent encore à la réticence de certains soignants qui répugnent à adresser leurs patients qui en auraient besoin à des services dédiés, ou qui retardent cet adressage, pour ne pas s’avouer vaincus, au risque que de nombreux patients n’arrivent pas ou trop tard en soins palliatifs et ne bénéficient pas d’un accompagnement adaptés à leurs ultimes besoins et à ceux de leurs familles.

Inévitablement, le focus mis sur les soins palliatifs peut générer des antagonismes chez des soignants d’autres services de pointe dont l’objectif et les moyens budgétaires sont concentrés sur « sauver et guérir ».

6/ Antagonismes internes :

Certains services de soins palliatifs sont traversés d’une tension de sensibilité selon que leurs responsables privilégient la sédation ou la relation. Une bonne pratique de la sédation tend à préserver autant que faire se peut la capacité de la personne à échanger avec ses proches. Les sédations réversibles le permettent : on endort davantage un patient la nuit ce qui le repose, pour lui permettre le jour suivant de mieux communiquer avec ceux qui l’entourent.

La sédation profonde et continue jusqu’au décès est en principe exceptionnelle et ne se prodigue que quand le décès est annoncé à court terme. Cependant la pression en faveur d’une mort « douce » peut conduire certains praticiens à sédater plus que d’autres, certains diront exagérément. Par ailleurs, une tension interne aux services peut aussi naître quand la phase ultime de l’agonie, où la personne ne souffre pourtant plus, est trop systématiquement escamotée par certains soignants.

 

Toutes ces tensions sont régulées par de riches débats au sein de la profession qui – par ailleurs – se défend de façon unitaire contre les tentatives d’irruption de l’euthanasie et du suicide assisté. Mais si ces pratiques étaient légalisées, non seulement l’adage « la mauvaise monnaie chasse la bonne » (la facilité pourrait l’emporter) risquerait de se vérifier, mais encore le mouvement des soins palliatifs risquerait d’être lourdement fracturé et affaibli.

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