Accès à l’avortement : du fantasme à la réalité
Quelques jours après la publication des chiffres officiels sur le nombre d’avortements réalisés en 2023, 243 623 soit 8600 de plus qu’en 2022, le Planning familial a publié une enquête réalisée avec l’IFOP sur « L’accès des Françaises à l’avortement ». Selon le quotidien Libération, ce sondage du 27 septembre montre qu’en France, des obstacles à l’IVG persisteraient, « affectant les femmes les plus vulnérables » et justifiant l’appel à la mobilisation pour la journée internationale du droit à l’avortement qui avait lieu le 28 septembre.
Les statistiques officielles et l‘enquête de l’IFOP permettent-elles de mieux appréhender la réalité de l’accès à l’avortement en France ? Face aux chiffres records de 2023, la dénonciation de freins à l’accès à l’IVG est-elle fondée sur l’expérience des femmes ?
L’enquête IFOP infirme un discours alarmiste de remise en cause de l’IVG en France
Entre le 10 et le 17 juillet 2024, l’IFOP a mené une enquête quantitative auprès de deux échantillons, l’un grand public (2 024 personnes, représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus) et l’autre plus restreint puisqu’il s’agissait de femmes ayant eu recours à l’avortement (302 personnes, représentatives des femmes ayant eu recours à l’IVG au cours des 5 dernières années). Des entretiens individuels en visioconférence ont également été conduits auprès de 8 femmes âgées de 19 à 45 ans ayant eu recours à une interruption volontaire de grossesse.
Dans son appel à manifester le 28 septembre, le collectif regroupant associations féministes et syndicats se disait inquiet que puissent être « revues à la baisse » les conditions de la « liberté garantie » d’accès à l’IVG inscrite dans la Constitution en mars dernier. Cette inquiétude ne semble pas partagée par une majorité de Français puisque 60% d’entre eux estiment impossible que le droit à l’interruption volontaire de grossesse puisse être remis en cause dans un avenir proche en France.
Il ressort aussi des entretiens individuels menés auprès des femmes ayant avorté que si le discours anti-IVG existe dans la société française, il s’agit pour elles de voix minoritaires.
Les conditions d’accès à l’avortement sont interrogées selon deux modes différents. La première partie du sondage explore la perception qu’ont les deux échantillons de l’accès à l’avortement. A ces perceptions répond ensuite le retour d’expériences des femmes ayant recouru à l’IVG.
Comment l’accès à l’avortement est-il perçu ?
85% des femmes ayant eu recours à l’avortement disent qu’il est facile d’accéder à l’avortement aujourd’hui en France (77% pour les Français). L’accès à l’avortement près de chez soi est jugé globalement facile, par le grand public (72%) et particulièrement par les femmes qui en ont fait l’expérience à 84%.
D’après le quotidien Libération, « 57 % des femmes qui vivent en zone rurale et 59 % des femmes immigrées considèrent l’accès à l’avortement comme particulièrement difficile » ce qui témoignerait de « disparités en fonction des femmes concernées et des inégalités territoriales importantes ». En réalité, ces catégories n’ont pas été interrogées. L’enquête révèle plutôt que parmi les femmes ayant recouru à l’IVG, 57% estiment que les femmes en zone rurale sont susceptibles d’avoir plus de difficultés d’accès et 59% d’entre elles disent qu’il est aussi plus difficile pour les immigrées d’accéder à l’avortement. Il s’agit donc d’une question de perception de la part de femmes ayant recouru à l’IVG, et alors qu’elles sont 84% à juger l’accès facile.
Concernant cette question relative aux profils de femmes perçues comme rencontrant plus de difficultés d’accès, 60% des Français identifient les femmes pauvres ou en grande précarité. Cette représentation ne peut qu’interroger alors qu’une étude de la Drees de 2020 a montré que les taux de recours à l’IVG étaient plus importants parmi les femmes aux niveaux de vie les plus faibles.
Par ailleurs, 87% des femmes ayant eu recours à l’avortement disent qu’elles sauraient vers qui se tourner au sein des professionnels de santé si elles faisaient face à une grossesse non désirée.
Quels sont les freins perçus par les cibles interrogées ?
A nouveau la question posée aux femmes ayant eu recours à l’avortement ne porte pas sur leur expérience et leur vécu. Là encore elles n’ont pas été questionnées sur les freins qu’elles auraient éventuellement rencontrés mais sur ceux qu’elles pourraient identifier en général. 63% des femmes pointent la peur d’être jugée ou d’avoir des remarques de la part des professionnels ou de l’entourage et 55% d’entre elles le manque de structures où les IVG peuvent être réalisés (fermetures, réduction/réorganisation des lits de l’hôpital en ambulatoire, etc.)
Perception versus retours d’expériences : les femmes ayant eu recours à l’avortement positives sur les conditions d’accès
Pour s‘informer sur l’avortement et s’orienter dans leur démarche, les femmes qui ont vécu l’avortement se sont tournées en priorité à 85% vers des professionnels de santé. A cet égard la Drees dans ses statistiques annuelles rapporte qu’en quelques années, l’offre d’IVG a considérablement augmenté.
Lors de la rencontre avec le professionnel de santé, 29% de ces femmes ont ressenti une certaine pression pour avorter confirmant qu’il est illusoire de croire que toutes les femmes avortent librement et par véritable choix. A l’inverse, 31% d’entre elles disent avoir ressenti une certaine pression pour ne pas avorter.
En outre, au moment de la procédure, 24% d’entre elles ne se sont pas senties en maîtrise c’est-à-dire pas en connaissance des différentes étapes de la procédure, pas libres de changer d’avis, pas libres de prendre leur temps.
En supprimant les prétendus obstacles à l’avortement comme les délais de réflexion, l’information sur les aides et les droits des femmes enceintes délivrées lors des consultations d’IVG, l’accès à l’avortement a été renforcé en ignorant les pressions que certaines peuvent subir et qui se tournent vers l’IVG à contrecœur.
Enfin, les femmes ayant recouru à l’avortement ont pointé les actions prioritaires à mener en France pour faciliter l’accès à l’avortement. En première position, elles sont 38% à souhaiter réduire la stigmatisation et libérer la parole des femmes qui n’osent pas parler par peur des jugements. Puis, 36% d’entre elles plaident pour le développement de nouveaux centres IVG, y compris dans les zones rurales et plus spécifiquement les déserts médicaux.
Pourtant, les femmes interrogées lors des entretiens personnalisés rapportent n’avoir pas rencontré de grandes difficultés à trouver des structures pour avorter en France : elles ont au contraire, tenu à souligner sa facilité d’accès.
11% d’entre elles considèrent l’allongement des délais comme prioritaire et 9% veulent que soit supprimée la clause de conscience spécifique à l’avortement des professionnels de santé. C’est dire si les revendications du Planning familial s’avèrent éloignées des préoccupations de ces femmes.
Les résultats de cette enquête conjugués au nombre record d’IVG en 2023 démentent le discours sur un accès à l’avortement entravé. En revanche, face aux 243 623 avortements réalisés l’année dernière, il est urgent de regarder le contexte et les raisons pour lesquelles les femmes avortent et de mettre en œuvre une politique de prévention.
Communiqué de presse : Record d’IVG en 2024 faute de prévention
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