Promotion du don de gamètes, les jeunes pris pour cible
Un tour de France et force publicité pour trouver de nouveaux donneurs de sperme ou d’ovocyte ? C’est le nouveau concept lancé par l’Agence de la biomédecine. Ce Tour #FaitesDesParents qui se déroule du 18 septembre au 11 octobre 2024 s’inscrit dans la continuité de leur campagne #FaitesDesParents lancée en octobre 2023.
Le concept ? Un bus itinérant se rend dans dix villes dotées d’un Cecos (Centre d’étude et de conservation du sperme). De Caen à Clermont-Ferrand, de Bondy à Lille, des soignants expliquent le processus de don aux personnes qu’elles rencontrent.
L’objectif annoncé est simple : « Faire connaître le don de gamètes et encourager les personnes à s’inscrire pour faire un don, afin de réduire le temps d’attente des milliers de personnes qui en ont besoin pour connaître le bonheur de devenir parent ».
L’idée est rien de moins que de « prendre les gens par la main et les emmener jusqu’à un centre de don« , explique la directrice générale de l’ABM, Marine Jeantet, qui n’hésite pas à citer le public qu’elle vise en priorité : « Nous irons chercher les jeunes dans les endroits où ils sont, dans les facs, dans les quartiers sympas de centre-ville »…
Les slogans et la communication visent en effet en particulier les jeunes : « Lorsque l’on est étudiant·e, on n‘a pas forcément envie – du moins dans l’immédiat – d’avoir des enfants. Mais en donnant vos spermatozoïdes, vous offrez à d’autres le bonheur d’être parents. Vous ne voulez pas faire d’enfants ? #FaitesDesParents».
La philosophie portée par cette campagne s’inscrit dans la mouvance « childfree » constatée ces dernières années. il s’agit d’un courant de pensée valorisant le refus de devenir parent pour des raisons de confort personnel et d’hédonisme, raisons qu’avait notamment relevé une enquête Ifop pour Elle en 2022.
Parmi leurs outils, on note en effet la présence de vidéos de promotion du don de gamètes portant ce genre de messages : continuer à « profiter de tous ses vendredis soirs« , à « être le meilleur aux jeux vidéo » ou encore continuer de « profiter de toutes ses grasses matinées« , c’est possible en devenant donneur et en faisant des parents – au lieu de faire des enfants ».
Si l’Agence de la biomédecine ne ménage ni son énergie ni les fonds publics pour tenter de recruter rapidement et massivement de nouveaux donneurs et donneuses de gamètes, c’est bien en raison de l’évolution de la loi de bioéthique de 2021, responsable, comme l’annonce l’ABM, de ce qu’on constate aujourd’hui et qui était évidemment prévisible : « les besoins en dons de gamètes ont explosé ! […] de 2000 demandes par an avant 2021 à 13000 en 2023 ». Or en 2022, on recensait 714 candidats au don de spermatozoïdes et 943 donneuses d’ovocytes.
Concernant les coûts, le dernier rapport de la Cour des comptes de janvier 2024 révèle que le budget alloué par le ministère de la Santé à cette campagne de promotion a été multiplié par cinq par rapport aux autres années pour atteindre la somme de 3,5 millions d’euros en 2023.
Cette campagne est axée sur l’injonction faite à tous de donner ses gamètes, et cela dès 18 ans. Il y une forme de culpabilisation implicite : si vous ne donnez pas, certains n’auront pas d’enfant. On lit sur le site de l’ABM « Avec la nouvelle loi, de plus en plus de personnes pourront faire appel à la PMA. Aujourd’hui, plus que jamais, elles comptent sur vous ».
Ces slogans viennent également appuyer sur des ressorts d’altruisme : « en donnant vos spermatozoïdes, vous offrez à d’autres le bonheur d’être parents ». Le pathos, l’émotion, viennent tirer de bonnes ficelles du cœur humain : notre sensibilité et notre disposition à la générosité. Mais ces ficelles peuvent aussi brouiller notre discernement. D’autant qu’elles sont particulièrement efficaces car elles laissent peu de place à la critique ou au débat.
Tout cela provoque une immense confusion, avec le don de sang par exemple. Alors même que cela n’a rien à voir. Avec le don de gamètes, on n’est pas dans le soin mais dans la réponse à un désir. Les gamètes sont des cellules porteuses de vie, c’est en cela qu’elles sont si particulières. Mais elles ne sont pas vitales. Si les banques de gamètes, les Cecos, sont à sec, personne ne va mourir.
Malgré ses campagnes annuelles, l’ABM peine à faire augmenter le nombre de donneurs. N’y a-t-il pas là à se questionner ? Si les dons sont rares, cela démontre que « ce n’est pas rien », de donner ses gamètes. Cela est et demeure la possibilité d’être mère ou père biologique d’un voire de plusieurs enfants. Il faut savoir que les dons d’un même donneur de sperme peuvent aboutir à la naissance de 10 enfants, selon les règles en vigueur.
Par ailleurs, depuis le 1er septembre 2022, tout donneur doit obligatoirement accepter que son identité ainsi que des données dites « non-identifiantes » (notamment son âge, son état général, les motivations de son don…) le concernant puissent être révélées aux enfants nés de son don, si ces enfants en font la demande, à leur majorité.
Pour Alliance VITA, il est grave et irresponsable de cibler particulièrement les jeunes. Comment présumer par avance que leur consentement puisse être pleinement libre ? Qui peut prévoir la manière dont ils pourront réagir si 18 ans plus tard, un enfant toque à la porte de leur vie parce qu’il veut avoir accès à leur identité ?
Pour aller plus loin :
PMA : enjeux de la “pénurie” du don de sperme – juillet 2024
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