Jeux paralympiques : hymne à l’humanité
Les jeux paralympiques de Paris qui s’achèvent dimanche 8 septembre 2024 ont montré des personnes porteuses de handicap une image foisonnante, créative et extrêmement positive. L’évènement ne vient annuler ni la souffrance, ni l’isolement, ni le rejet dont souffrent de nombreuses personnes dépendantes, partout dans le monde. Mais il pourrait contribuer à faire évoluer – grâce au sport – le regard posé sur elles.
Comme de coutume, les jeux paralympiques se sont tenus pendant 12 jours dans l’élan de la compétition planétaire réservée aux « valides ». Ils ont bénéficié en France de son engouement populaire, de ses sites somptueux et de la même organisation soignée. Il faut y ajouter le supplément d’âme inhérent à de tels jeux : une compétition marquée par la résilience de quelque 4 400 compétiteurs. Lier sport et handicap a quelque chose de paradoxal : chaque athlète doit à la fois assumer sa « faiblesse » et la dominer pour exprimer sa force.
Comment ne pas céder à l’admiration ? Il y eut à ce propos un embryon de polémique quand un para-athlète a contesté l’expression « super-héros » lâchée par le champion de judo Teddy Riner pour louer des compétiteurs paralympiques. Membre de l’équipe de France de basket fauteuil, Sofyane Mehiaoui a protesté :
« Le fait qu’on parle de nous comme des super-héros ne nous aide pas. On est des personnes en situation de handicap et nous souhaitons être considérés comme des personnes normales. Quand on nous surexpose, ce n’est pas bien. On n’est pas des super-héros, on est des athlètes. »
Teddy Riner ne s’est pas démonté : « C’est déjà compliqué quand on a tous ses membres, alors quand on en a en moins… », avant d’enfoncer le clou : « Ce sont des superhéros, ça plaît ou ça ne plaît pas ! » L’admiration est certes à double tranchant. Mais peut-on interdire de déceler dans les jeux paralympiques « quelque chose de plus » ?
Ainsi, par exemple, à la fin d’une finale très disputée de parabadminton, gagnée par le Français Charles Noakes, son adversaire britannique, de petite taille comme lui, n’a cessé de rire à chaque coup qu’il perdait, tout en se montrant déçu par sa défaite.
Quoi qu’il en soit, les Français ont pu voir que sport et handicap font bon ménage, en offrant d’haletants spectacles. Beaucoup ont pu découvrir l’ingéniosité avec laquelle les êtres humains ont su adapter les règles de vingt sports et imaginer les équipements correspondants : ballon sonore pour les non-voyants, lames de course pour les amputés, vélos à main pour les paraplégiques etc. Ils ont aussi découvert les deux disciplines spécifiques conçues pour ne laisser personne sur le bord du chemin : le goalball pour personnes non ou mal-voyantes et la boccia.
Ce sport permet à des personnes lourdement dépendantes, souffrant notamment d’une infirmité motrice d’origine cérébrale qui entrave leurs mouvements, de se confronter dans un exercice d’observation, de stratégie et… d’adresse.
Pour qu’une compétition sportive soit attrayante et juste, il faut favoriser le maximum d’équité entre les compétiteurs. C’est le sens initial du mot handicap qui désigne le poids ajouté à un cheval de course réputé meilleur pour l’alourdir afin qu’il puisse courir aux côtés d’autres réputés moins performants. Ce n’est pas ce type de « handicap » qui est mis en œuvre ici. L’équité est assurée par la répartition des athlètes en de multiples catégories.
Notons que la catégorisation n’est aucunement l’apanage des sportifs porteurs de handicaps. Plusieurs disciplines de combat pour « valides » répartissent leurs adeptes en fonction de leur poids (judo, boxe etc.), sans oublier la distinction homme-femme qui n’est levée que dans les disciplines comme l’équitation où ces dernières ne sont pas défavorisées. Cette classification des déficiences multiplie les épreuves (et les médailles) : le para-athlétisme nous a ainsi offert 29 finales pour le seul 100 mètres au Stade de France !
Evidemment, certaines catégorisations sont contestables. On l’a vu pour l’haltérophilie : l’athlète français Axel Bourlon a contesté la participation à son concours d’un concurrent cubain de très petite taille. Lui-même atteint de nanisme, il suspecte son concurrent de n’avoir à faire qu’un minuscule mouvement des bras pour que son développé couché soit validé par les juges et réclame pour l’avenir un changement de règlement.
Après « l’héroïsation » des athlètes paralympiques, certains observateurs critiquent leur « esthétisation », en notant qu’une certaine médiatisation fait la part bonne aux images attrayantes en évitant celles qui peuvent être jugées « dérangeantes ». Selon eux, les athlètes porteurs de déficit intellectuel ou d’infirmité motrice cérébrale ayant des difficultés à contrôler leurs mouvements sont « invisibilisés ».
Mais les épreuves largement diffusées en direct sur France Télévision contredisent cette critique, ainsi que les interviews des médaillés à l’image de celle, rafraîchissante, de la lanceuse de poids, Gloria Agblemagnon, 26 ans, seconde dans la catégorie sport adapté (ayant un déficit intellectuel). Interrogée avec délicatesse, elle exprime tout ce que la pratique sportive couronnée par sa médaille d’argent et son record lui ont apporté comme joie, mais témoigne aussi du harcèlement longtemps subi à l’école à cause de ses problèmes de mémoire.
On pourrait aussi ajouter que les disciplines paralympiques, tout aussi concurrentielles et prisées que celles des « valides » ne sont pas plus immunisées contre le dopage et autres tricheries que leurs sœurs olympiques. Rappelons l’étonnant scandale provoqué par l’équipe espagnole de basket adapté victorieuse en 2000 à Sidney, puis déclassée quand on découvrit que 10 de ses 12 membres ne souffraient d’aucun déficit mental !
Une dernière trouvaille qui fait froid dans le dos a mobilisé le contrôle anti-dopage : le « boosting » (littéralement « stimulation ») : pour passer sous les radars des analyses, certains athlètes souffrant de paralysie, notamment des paraplégiques, s’automutilent sans douleur dans une partie insensible de leur corps, pour provoquer une réaction physiologique immédiate qui dope leur capacité sportive, tout en mettant leur santé en danger. Preuve, s’il en fallait, que l’intégration de certains athlètes dans la société fonctionne jusque dans ses pires travers.
Il reste que ces jeux paralympiques 2024 sont à bien des égards un hymne à l’humanité. En écartant à la fois le misérabilisme et le déni, ils ont le grand mérite de montrer la réalité. Réalité des corps marqués par un handicap, soit de naissance, soit lié à un accident ultérieur de la vie. Réalité de la résilience de sportifs, parfois professionnels, donnant le meilleur d’eux-mêmes. Réalité aussi de la solidarité sans laquelle de tels jeux n’existeraient pas.
Elle est particulièrement marquante dans les épreuves de course où sont « binômés » un voyant et un non-voyant : cyclisme ou course à pied. Dans ce dernier type d’épreuve, les partenaires sont reliés l’un à l’autre, et la rupture du lien avant l’arrivée signe l’élimination du duo, dont le participant « handicapé » doit, par ailleurs, obligatoirement franchir la ligne avant son guide. Belle image qu’on aimerait étendre à la vie quotidienne de toutes les personnes que le handicap marginalise. Nous sommes tous faits pour nous relier et les plus vulnérables en sont la preuve vivante.
Hélas, cette exceptionnelle valorisation de la vitalité de personnes porteuses de handicap tranche aussi avec le rejet que beaucoup subissent avant la naissance, quand une anomalie du fœtus est détectée, au prétexte que sa vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue.
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