Jeux paralympiques… et après ?
Après la parenthèse paralympique
L’indéniable engouement pour ce deuxième volet de l’été sportif qui, après les valides, a mobilisé les sportifs porteurs de handicaps, conduit la presse à s’interroger sur la place des personnes handicapées dans « la vie d’après ». Au lendemain de la cérémonie de clôture, le 9 septembre 2024, Libération titre en Une : « Jeux paralympiques : Et maintenant ? » Avec en chapô : « un élan qui doit se traduire par une véritable inclusion des personnes handicapées dans la société française ».
Editorialiste du quotidien, Paul Quinio ne note pas la contradiction peu visible entre cette belle intention consensuelle de l’inclusion et l’exclusion quasi systématique des enfants à naître porteurs d’anomalies par sélection anténatale ; mais il souligne au moins le contraste entre le parcours du combattant imposé par la vie avec un handicap et la joyeuse exaltation des exploits paralympiques.
Il s’interroge : « Après cette quinzaine d’inclusion en mondovision, que va-t-il se passer pour accélérer enfin les investissements nécessaires pour faciliter l’accessibilité de tant d’écoles, de tant de locaux de services publics, de tant d’infrastructures de transports, de tant d’entreprises… »
Mais il n’y a pas seulement l’accessibilité ; la vie quotidienne est difficile, dans tous ses aspects, souligne à son tour, le même jour, l’éditorialiste de La Croix, sous le titre « C’est maintenant que tout commence ». Séverin Husson transforme alors ce constat en appel : « Pour que les espoirs soulevés lors de ces Jeux ne retombent pas comme un soufflé, pour que ce changement de regard se prolonge et demeure fécond, il revient à chacun de nous de prendre le relais. »
Beaucoup de personnes porteuses de handicaps ne trouvent pas de structure d’hébergement ou d’emplois adaptés à leurs déficiences, se sentent exclues des loisirs ou de la vie sociale et dévalorisées. Et il faudrait ajouter les personnes ayant une maladie psychique, les personnes âgées dépendantes, désorientées ou démentes… qui sont à mille lieues des compétitions sportives. Tant souffrent « simplement » d’isolement, voire de « mort sociale ».
La réussite des Jeux paralympiques serait-elle donc à double tranchant ? A l’ère où l’on idolâtre la médiatisation des « people », la vie rêvée d’un para-athlète est attrayante ; les commentateurs de télévision se sont enflammés en attribuant le statut de « star » à de nombreux vainqueurs. A l’inverse, quand le public prend conscience des obstacles à l’épanouissement rencontrés, dans la « vraie vie », par les personnes handicapées, cela risque de provoquer l’apitoiement voire le rejet : le réflexe IMG, en cas de détection anténatale, se défend souvent au nom du malheur programmé.
Et puis, à force d’exalter la résilience de ceux qui se battent pour dépasser leur handicap, ne risque-t-on pas de tenir pour nulle et inutile la vie de ceux qui n’ont même plus la force de se débattre, parce que le handicap les écrase ? Les Jeux paralympiques sont condamnés à ce paradoxe : la force et la faiblesse y jouent à cache-cache. Comment les concilier voire les réconcilier ?
C’est dans l’apparente faiblesse physique que se révèle avec le plus d’éclat la force d’âme. Il reste que la plupart des personnes porteuses de handicap expriment cette force d’âme dans l’anonymat, sans que personne ne les encense. Ils n’en sont que plus méritoires. Et que dire de ceux qui ne croient plus en eux-mêmes ? Ils ont d’autant plus besoin que d’autres croient en eux. « Changer de regard » ne doit pas conduire à se réjouir seulement que vivent ceux qui « réussissent ».
Les athlètes paralympiques eux-mêmes risquent le retour de bâton en retournant à l’anonymat après leur belle médiatisation : « Ça va être dur de retourner au boulot » reconnaît le nageur paralympique Hector Denayer cité par Ouest-France, toujours le 9 septembre. Le journal régional évoque « une parenthèse enchantée ». Comment échapper au coup de blues, quand, expliquent ses envoyés spéciaux, on a vécu dans une « bulle d’inclusion et d’accessibilité où les regards sont bienveillants » ?
Quant au « live » du Parisien qui accompagne la cérémonie de clôture, il se termine par ces mots : « L’été s’éteint, le rêve s’achève. » Pour exorciser ce blues, mais aussi pointer les enjeux et nous aiguillonner, quoi de plus efficace que l’humour ?
Le chroniqueur décalé Philippe Caverivière lance sur RTL : « J’ai adoré ces jeux, mais ça va changer mon regard sur le handicap. Ils font des choses tellement folles ces personnes en situation de handicap… Je vais être plus exigeant à l’avenir ». Et de prétendre qu’au prochain Téléthon, voir un jeune dans son fauteuil roulant « ne suffira plus pour [qu’il] donne… ». Il demandera : « Oui, mais qu’est-ce qu’il donne en escrime, celui-ci ? »
L’humoriste évoque alors le débat sur le maintien de la vasque olympique et imagine la réaction des « 12 millions de personnes en situation de handicap » auxquelles on demanderait : « Tu préfères l’accessibilité partout ou une grosse montgolfière qui clignote au-dessus du jardin des Tuileries ? » Façon de noter que nous sommes devant une montagne, et qu’il est question de regard mais aussi de moyens. Le regard a changé, au moins pour un temps. Il reste à le convertir en comportements et en actions. A chacun de se mobiliser.
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