Débat Trump-Harris : comment s’y retrouver sur les échanges sur l’avortement ?
Lors du débat télévisé du 10 septembre qui a vu s’affronter les deux candidats à l’élection présidentielle américaine, la question de l’avortement a donné lieu à plusieurs allégations accusatoires. «Fake news », approximations, exagérations, tous les coups semblaient permis.
Focus sur le contexte américain
Aux Etats-Unis, l’avortement est un enjeu politique majeur. Depuis la décision du 24 juin 2022, la Cour suprême des Etats Unis a abrogé l’arrêt Roe vs Wade établissant une protection fédérale constitutionnelle au « droit à l’avortement ». L’impact juridique de ce renversement implique qu’il revient à chacun des 50 Etats américains de définir sa législation sur l’IVG.
La situation américaine est différente de celle de la France puisque jusqu’en 2022, certains Etats autorisaient l’avortement sans précision de délai tandis que la plupart le permettaient jusqu’au seuil de viabilité du fœtus autour de 21 semaines de grossesse et sous conditions jusqu’au terme de la grossesse (contre 14 semaines en France et sans délai sous condition de handicap ou de danger pour la mère). Dès 2022, des Etats ont restreint les conditions d’accès à l’IVG, d’autres les ont étendues.
Interdire ou pas l’avortement
Les positions opposées à l’avortement sont largement soutenues par les Républicains. Cependant, ce parti a amendé sa position : il estime qu’une position trop radicale pouvait entraver son accession au pouvoir. Cette inflexion se retrouve sur sa nouvelle plateforme programmatique mise en ligne en juillet 2024. Elle reflète la position de Donald Trump face aux accusations de sa rivale Kamela Harris ; il dit ne pas vouloir interdire l’IVG mais revendique d’avoir contribué à remettre la décision des modalités de sa légalisation aux Etats.
Lors du débat il s’est dit lui-même favorable à l’IVG dans certains cas (inceste, viol, danger vital pour la mère).
Avortements tardifs et infanticides
Donald Trump accuse les démocrates de vouloir promouvoir les avortements tardifs jusqu’au 9ème mois et certains d’être favorables à l’infanticide après la naissance.
Pour preuve, il a repris les propos d’un ancien gouverneur de Virginie, Ralph Northam, interviewé en 2019 sur les avortements du dernier trimestre de grossesse. Ce dernier était interrogé sur une proposition de loi de l’Assemblée de Virginie visant à modifier la loi sur l’avortement et faciliter les avortements du 3ème trimestre de grossesse. Il indiquait qu’à ce terme les demandes d’avortement concernaient des malformations du fœtus.
Il avait pris l’exemple suivant : «Si une mère accouche, je peux vous dire exactement ce qui se passerait. Le nourrisson naîtrait, le nourrisson serait pris en charge, il serait réanimé si c’est ce que la mère et la famille désiraient. Et puis une discussion s’ensuivrait entre les médecins et la mère ». Ses adversaires ont interprété ces propos comme une approbation de l’infanticide, interprétation reprise par M. Trump.
Le candidat républicain met en avant également les positions du vice-président choisi par Kamela Harris, Tim Walz, gouverneur du Minnesota, qui dès 2023 a renforcé la loi sur l’IVG dans son Etat, notamment sur les possibilités d’avorter jusqu’au terme de la grossesse.
11 Etats permettent l’avortement sans restriction jusqu’au terme de la grossesse — Oregon, Colorado, Maryland, Michigan, Minnesota, New Mexico, New Jersey, Vermont , Maine, Washington DC et Alaska. Et 17 Etats ont voté des lois pour renforcer le « droit à l’avortement » depuis la décision de la Cour suprême.
Kamela Harris affirme de son côté que dans plus de 20 Etats, il y a des interdictions. A y regarder de plus près, ces restrictions varient suivant les Etats notamment sur les délais ou sur les raisons d’avoir recours à l’avortement. Le New York Times vient de dresser un état des lieux à septembre 2024. Il en ressort que 14 Etats ont adopté des lois pour restreindre l’avortement à de rares cas (santé de la femme, viol, inceste ..), 4 Etats l’interdisent au-delà de 6 semaines et 4 Etats ont introduit une date limite à 6 semaines, 4 autres à 12, 16 ou 18 semaines.
Restrictions sur l’accès à la PMA ?
Harris a accusé Trump de vouloir restreindre l’accès à la procréation artificielle. Les démocrates disent craindre des restrictions d’accès à la PMA après le procès d’Alabama sur le statut des embryons congelés considérés comme des enfants par les juges.
Dans la foulée, des républicains ont en effet introduit un projet de loi visant à protéger les médecins et les cliniques qui pratiquent des FIV de poursuites juridiques si des embryons étaient détruits, projet soutenu par Donald Trump. Il s’est déclaré leader de l’accès à la PMA, fustigeant les attaques de Kamela Harris.
La question économique et sociale
Passée sous silence lors du débat, cette question mériterait d’être posée. Les liens entre les problèmes économiques et le recours à l’avortement ont été soulignés en novembre 2021 dans un rapport[1] de l’économiste Caitlin Knowles Myers : “en l’absence de politiques de congés maternité au niveau fédéral et d’accès à des structures de crèches abordables, les Etats Unis manquent d’infrastructures pour soutenir de manière adéquate les mères qui travaillent rendant la perspective d’être mère financièrement impossible pour certaines”. Ainsi, d’après les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), les femmes noires sont cinq fois plus susceptibles d’avorter que les femmes blanches, et les femmes hispaniques deux fois plus.
La récente décision d’un juge du Dakota du Nord qui affirme un droit à l’IVG après l’adoption d’une loi en 2023 qui restreignait les conditions d’accès confirme que le débat se situe au niveau des Etats et plus au niveau fédéral. Des référendum sur le droit à l’avortement seront conduits dans plusieurs Etats en novembre prochain.
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