PMA : enjeux de la “pénurie” du don de sperme

PMA
19/07/2024

PMA : enjeux de la “pénurie” du don de sperme

 

Le 1er juillet dernier s’est tenue la deuxième réunion du comité national de suivi du plan ministériel 2022-2026 pour la Procréation, l’Embryologie et la Génétique humaines (PEGh). À cette occasion, l’Agence de la biomédecine a dévoilé les derniers chiffres de son enquête de suivi de mise en œuvre de la loi de la bioéthique.

 

Hausse des demandes, baisse des dons de sperme 

Concernant l’Assistance médicale à la procréation (AMP), elle révèle deux choses importantes, qui étaient totalement prévisibles :

  • L’augmentation du nombre de demandes de consultations pour don de spermatozoïdes, selon le simple effet de l’offre qui créée la demande, générée par l’ouverture de la PMA aux femmes seules ou en couple. « On fait face à un tsunami de demandes » constate Catherine Guillemain, présidente de la Fédération des centres d’étude et de conservation du sperme humain (Cécos).
  • Le nombre insuffisants de donneurs pour répondre à cette demande, voire, un nombre de donneurs qui diminue : en 2023, 676 hommes ont donné leurs gamètes, contre 714 en 2022. A noter que si les dons sont rares, cela démontre que ce n’est pas rien, de donner ses gamètes. Cela reste pour les hommes la possibilité d’être père biologique d’un ou plusieurs enfants. Il faut savoir que les dons d’un même donneur de sperme peuvent aboutir à la naissance de 10 enfants, selon les règles en vigueur. Par ailleurs, depuis le 1er septembre 2022, tout donneur doit obligatoirement accepter que son identité ainsi que des données non-identifiantes le concernant puissent être révélées aux enfants nés de leur don, s’ils en font la demande, à leur majorité. Sachant que la loi a prévu qu’aucun « lien de filiation ne puisse être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de l’assistance médicale à la procréation ».

 

Le changement de regard et de mentalité sur la procréation humaine : vers le droit à l’enfant, le droit d’être parent

La loi bioéthique de 2021 a profondément transformé le cadre de l’assistance médicale à la procréation. Auparavant, elle visait à restaurer ou pallier une infertilité ou une stérilité médicale touchant un couple homme-femme, en âge de procréer. En ouvrant notamment l’accès à l’AMP aux femmes seules ou en couple de femmes et en autorisant l’accès à l’autoconservation des gamètes sans raisons médicales, le gouvernement a contribué à modifier les mentalités et le regard porté par la société sur la procréation humaine.

On a quitté le domaine du soin pour entrer dans une forme de prestation de service, intégralement prise en charge par l’assurance maladie dans la limite de six inséminations et quatre tentatives de fécondation in vitro.

 

Des millions d’euros dépensés dans des campagnes de pub

Désormais, l’AMP a tendance à être considérée comme un ensemble de techniques qui doit permettre à chacun d’accomplir son projet personnel, qu’il soit seul ou en couple. C’est d’ailleurs l’axe choisi par la dernière campagne de promotion du don de gamètes orchestrée par l’Agence de la biomédecine.

En 2023, son « message est désormais centré sur l’importance du don pour permettre à toute personne qui le souhaite de “devenir parent” », comme le décrit le dernier rapport de la Cour des comptes de janvier 2024 sur « les missions de l’agence de la biomédecine après la dernière loi de bioéthique ». Depuis 2021, le budget alloué à cette campagne de publicité par le ministère de la santé a été multiplié par cinq par rapport aux autres années pour atteindre la somme de 3,8 millions d’euros en 2021 et 3,5 millions en 2023.

 

Une pénurie de sperme prévisible

Cette pénurie était prévisible. Nombre d’observateurs, experts et députés l’avaient évoquée avant le vote de cette loi. Lors de son audition par la mission d’information sur la révision de la loi de bioéthique en octobre 2018, la Fédération des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (Cécos) envisageait une multiplication des demandes par deux ou trois. Cette estimation s’avère, pour l’instant, en-deçà de la réalité.

En effet, alors que le nombre de demandes d’assistance médicale à la procréation avec don de spermatozoïdes s’élevait en moyenne à 2 000 par an, l’agence a recensé près de 23 000 demandes de premières consultations et 11 800 premières consultations provenant des nouveaux publics entre août 2021 et décembre 2022. Ces dernières ont représenté environ 90 % du total des consultations réalisées en 2022.

 

Vers la marchandisation du corps et la libéralisation du marché de la procréation

Le problème de la rareté des gamètes s’accompagne d’un risque évident de marchandisation. Dans son avis de juin 2017, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pointait déjà du doigt ce grave enjeu. Evidemment, pour encourager les donneurs, quoi de plus efficace que de les rémunérer, comme cela existe dans quelques pays étrangers ? Mais la rémunération des donneurs poserait des problèmes considérables au regard des principes gouvernant l’ensemble des dons d’éléments et produits du corps humain.

Une fois le principe de la gratuité rompu sur les gamètes, on voit mal ce qui empêcherait de faire la même chose pour les autres produits et éléments du corps humain, y compris les organes. En outre, parmi les inconvénients de ces rémunérations, le plus important est sans doute l’absence de traçabilité des « donneurs » de sperme, qui peuvent trouver un avantage à multiplier les prélèvements et les centres auxquels ils s’adressent, puisque chaque don représente une source de revenus.

Le risque de libéralisation du marché de la procréation est bien réel. Sur le sujet connexe de l’autoconservation des ovocytes, rendue difficile par l’afflux des demandes, le président de la République, Emmanuel Macron, a lui-même proposé d’« ouvrir aux centres privés l’autoconservation ovocytaire, jusqu’ici réservée aux établissements hospitaliers », dans un entretien à Elle, début mai…

L’augmentation du recours à l’AMP à l’étranger…

Dès 2021, 2 247 femmes ont bénéficié d’une première consultation en vue d’une AMP. Ce chiffre a quadruplé en 2022 (4 560 couples de femmes et 4 959 femmes seules). Ce nouveau public représente désormais 90 % des consultations réalisées dans ce cadre. La constitution d’une liste d’attente ainsi que l’allongement des délais résultant de ce surcroît d’activité a conduit à l’inverse de ce qui était recherché : une augmentation du nombre de demandeuses se tournant vers l’étranger.

C’est ce que dévoile la Cour des comptes : l’ouverture à de nouveaux publics pourrait conduire à un accroissement du nombre de demandes d’assistance médicale à la procréation à l’étranger ainsi que semblent en témoigner les dernières données disponibles du Centre national des soins à l’étranger (+ 26 % depuis 2021). En 2022, le nombre d’avis favorables donnés par le Centre national des soins à l’étranger était passé à 2032, contre 1507 en 2018.

Cela ne concerne pas les chiffres des personnes, bien plus nombreuses, qui ont toujours recours au don de sperme à l’étranger, « en dehors des radars ».

 

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