Elections européennes : quels enjeux bioéthiques ?
A l’approche des élections européennes le 9 juin prochain, quels sont les enjeux bioéthiques au niveau de l’Union européenne ?
Les enjeux nationaux s’invitent dans la campagne européenne au point qu’il n’est pas toujours facile de reconnaître si les propositions entrent dans les domaines de compétence de l’Union Européenne. Elle dispose de compétences de différents niveaux, définies par les traités :
- exclusives pour certaines (union douanière, règles de concurrence, politique commerciale commune, conservation des ressources biologiques de la mer) et auxquelles les Etats sont contraints.
- partagées pour d’autres entre l’Union et les Etats (agriculture, protection des consommateurs, transports, réseaux transeuropéens, énergie, espace de liberté, de sécurité et de justice, enjeux communs de sécurité en matière de santé publique, recherche, développement technologique et espace, coopération au développement et aide humanitaire, en particulier)
- ou dites d’appui, de coordination ou de complément, aux termes desquelles l’Union peut mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres.
Aux termes de l’Article 168 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne, l’Union dispose, dans le domaine de la santé publique, des compétences pour appuyer, coordonner ou compléter les actions des États membres.
Il est précisé que « l’action de l’Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Les responsabilités des États membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l’allocation des ressources qui leur sont affectées ».
Malgré ce cadre juridique précis, nombreuses sont les listes de candidats émanant de formations politiques qui veulent porter au niveau européen leurs combats d’idée, peu importe si cela relève ou non de la compétence de l’Union européenne ! Au total 38 listes sont présentées.
Sous la législature actuelle, deux propositions de règlement posent des questions éthiques particulièrement problématiques pour lesquelles le parlement européen a été consulté.
- Adoptée définitivement le 27 mai dernier par le Conseil européen, la nouvelle réglementation sur les substances d’origine humaine (SOHO) présentée par la Commission européenne visait à réviser les règles établies il y a plus de 20 ans. Elle a pour objectif d’assurer la sécurité et la qualité du sang, des tissus et des cellules utilisés dans les soins de santé et faciliter les échanges transfrontières au sein de l’Union européenne. Contrairement à la précédente directive, ont été ajoutés par amendement les gamètes et les embryons humains au même titre que les échanges d’autres produits humains. Les embryons humains sont ainsi assimilés à des choses sans tenir compte de leur appartenance à la communauté humaine. Selon cette réglementation, les produits sont vérifiés sur leur qualité, porte ouverte à l’eugénisme quand il s’agit d’embryons humains. D’autre part, si la réglementation définit que les dons ne doivent pas être rémunérés, elle admet des dédommagements ou un remboursement pour leur don avec le risque de faciliter un marché de la procréation.
- Le parlement européen a voté le 14 décembre 2023 en faveur de la proposition de règlement initiée par la Commission européenne relative à la reconnaissance des actes de filiation entre pays de l’Union européenne. Très controversé, ce règlement pourrait gravement empiéter sur la compétence nationale des Etats membres d’établissement de la filiation et sur les droits de l’enfant. D’autant que la proposition va jusqu’à mettre en place un certificat européen de filiation. Alliance VITA a produit une note d’analyse dénonçant les risques de voir s’imposer à la France des pratiques qu’elle interdit, spécialement la Gestation pour autrui (GPA). Le règlement doit être examiné mi-juin 2024 par le Conseil européen, avec un vote qui doit recueillir l’unanimité. Plusieurs pays ont émis une position critique dont la France.
Quels programmes ?
Cette analyse porte sur les principales formations qui se sont exprimées dans leurs programmes sur des défis qui relèvent de la bioéthique.
I- Des mesures en lien avec la compétence européenne
La Traite des êtres humains et Gestation Pour Autrui (GPA)
L’Union européenne vient d’ajouter la GPA au titre des crimes de traite humaine lors de la révision de la directive sur la traite des êtres humains établie en 2011 .
Cette criminalisation de la GPA a été obtenue via un amendement porté par l’eurodéputé François-Xavier Bellamy, tête de liste des Républicains. Ce dernier avait fait de la lutte contre la GPA un élément de son programme en 2019.
Le texte amendé confirme la criminalisation de l’exploitation du mariage forcé, de l’adoption illégale et de la gestation pour autrui (GPA). Plusieurs mesures visent également à renforcer le soutien aux victimes et la lutte contre la traite des êtres humains.
Aucune liste n’avance de proposition en faveur de la GPA. En revanche la liste Reconquête mentionne l’objectif d’ « Obtenir l’abolition de la GPA dans tous les Etats membres de l’Union européenne » et la liste du PCF prend fermement position contre en ces termes :
« Nous en appelons à une action de l’Union européenne auprès de tous les gouvernements, afin que soient prises toutes les mesures nécessaires, juridiques et autres, à même d’empêcher la maternité de substitution (GPA) au niveau européen et international. De même, nous voulons que soient envisagées des poursuites pénales à l’égard des cliniques et de toutes les entreprises de l’industrie de location de ventres dans tous les pays du monde, et que soit interdite toute publicité pour cette industrie. La lutte contre l’exploitation reproductive des femmes doit être fortement intégrée dans le droit de l’Union européenne, à travers notamment la révision de la directive 2011/36/UE relative à la lute contre la traite des êtres humains. »
Recherche européenne en matière de santé
Les Républicains souhaitent favoriser l’investissement dans des programmes de recherche européens pour trouver des traitements efficaces contre le cancer, les maladies liées au vieillissement, le diabète, l’endométriose et les maladies mentales. Le Rassemblement national prône quant à lui de « Renforcer les échanges scientifiques : lutte contre le cancer, recherche agronomique, chimie verte, etc
II- Des revendications qui ne relèvent pas des compétences européennes
L’inscription d’un droit à l’IVG dans la Charte européenne des droits fondamentaux
Cette position est affichée par les listes Majorité présidentielle (Renaissance /Horizons/Modem/UDI/Parti radical) La France Insoumise (LFI), Parti communiste (PCF), Ecologie 2024 et Place Publique / Parti Socialiste
L’absence de compétence de l’Union européenne à l’égard de l’avortement a été confirmée à plusieurs reprises par les institutions européennes (Parlement européen, Commission européenne et Conseil européen). Le 30 avril 2012, le Commissaire M. Dalli répondait à une question posée par des députés (E-002933/2012) :
« Compte tenu de la dimension éthique, sociale et culturelle de l’avortement, il appartient aux États membres d’élaborer et de faire appliquer leurs politiques et leur législation en la matière. La Commission n’entend pas compléter les politiques nationales de santé publique dans ce domaine ».
De plus, les dispositions du Traité n’octroient aucune latitude supplémentaire en la matière, quand il s’agit de l’action extérieure de l’Union dont l’objectif principal reste « la réduction et, à terme, l’éradication de la pauvreté » (Article 21). La Cour européenne des droits de l’homme a également reconnu la diversité des solutions législatives concernant l’avortement et la large marge d’appréciation des États à cet égard.
La modification de la Charte européenne des droits fondamentaux relevant de la même procédure que celle des Traités, l’unanimité des Etats membres est requise. En l’espèce, et en l’état actuel, cette unanimité ne pourrait être trouvée. De plus les principes de la Charte européenne doivent être liés aux compétences de l’Union.
De son côté, Reconquête souhaite faire de la natalité une grande cause européenne.
Plusieurs programmes contiennent des propositions en faveur des « droits LGBTQIA+ ».
Renaissance propose d’interdire les thérapies de conversion. France Insoumises, Ecologie 2024 ou le PCF ont diverses propositions comme l’ouverture partout du droit à l’adoption et l’abrogation des traités bilatéraux qui empêchent les couples homosexuels d’adopter ; la reconnaissance des droits et la dépathologisation des personnes trans dans toute l’Europe pour le PCF. La liste Ecologie 2024 et par celle de la France Insoumise y ajoute des propositions supplémentaires telles que permettre la reconnaissance entre Etats des couples de même sexe, mais aussi celle de la parentalité trans ; garantir le remboursement et l’accès aux soins de santé spécifiques aux personnes transgenres, tels que les traitements hormonaux et opérations chirurgicales.
Conclusion
En principe, un suffrage est dicté à la fois par la nature des compétences de l’institution concernée par le vote, et par les convictions jugées prioritaires par l’électeur.
Le parlement Européen a des compétences limitées sur le sujet de la vie. Certaines listes sont d’ailleurs centrées sur la seule question de l’Europe. Dans plusieurs listes peuvent par ailleurs figurer, à des places éligibles, en même temps des personnalités qui ont manifesté leur engagement constant en faveur du respect de la vie, et d’autres qui ont pris des positions inverses, comme, récemment sur la GPA, l’inscription dans la constitution de l’IVG ou sur le sujet de la fin de vie. Mais d’autres sujets peuvent légitimement être pris en compte (sécurité, immigration, action sociale, santé, diplomatie défense etc.).
En pratique, d’autres considérations entrent en ligne de compte. Nombre d’électeurs choisissent plus ou moins explicitement de voter davantage en fonction de l’impact national escompté de leur suffrage qu’en fonction de ce qu’ils attendent concrètement des députés européens. Ce point est controversé. D’autant que certaines listes jouent avec l’ambiguïté des compétences. Par exemple en revendiquant des positions « libertaires » qui n’annoncent pas de conséquences normatives, puisqu’elles sont hors du champ de compétence du parlement européen. C’est davantage leur impact culturel qui est à craindre, car, par exemple, les revendications LGBT traversent les instances européennes.
Pour aller plus loin : le contenu des programmes.
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