Décodeur #4 : Les députés revoient les conditions d’accès à « l’aide à mourir »

07/06/2024

Décodeur #4 : Les députés revoient les conditions d’accès à « l’aide à mourir »

L’EVENEMENT

Dans un climat animé où s’affrontent différentes conceptions de la liberté et de la « fraternité », les députés ont achevé l’examen du premier volet du projet de loi sur la fin de vie qui concerne les soins palliatifs, les « soins d’accompagnement » et les droits des malades et entamé l’examen du second volet introduisant la possibilité d’une « aide à mourir », c’est-à-dire le recours au suicide assisté ou à l’euthanasie.

LE CHIFFRE

Lundi 3 juin, la ministre Catherine Vautrin a estimé « entre 3 000 et 4000 le nombre de personnes qui se trouvent chaque année dans la situation décrite par le projet de loi », c’est-à-dire qui répondraient aux différents critères d’éligibilité énoncés à l’article 6. Néanmoins, elle n’a donné aucune indication sur les données qui lui permettent d’établir cette affirmation qui semble dès lors très hasardeuse. Dans ses conclusions rendues en mars 2023, la mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti avait constaté un manque crient de données quantitatives sur la fin de vie.

RÉSUMÉ DES DÉBATS JUSQU’AU 6 JUIN

L’examen du premier volet du projet sur les soins palliatifs, les « soins d’accompagnement » et les droits des malades aura duré toute la première semaine du temps prévu pour l’examen en séance. Après avoir validé le principe d’un « droit opposable » et introduit dans le texte une loi de programmation pluriannuelle (voir décodeur #3), les députés ont voté pour le doublement des crédits prévus par la stratégie décennale des soins d’accompagnement, contre l’avis du gouvernement.

Selon l’exposé de l’amendement déposé par des députés communistes, “l’effort” annoncé par le gouvernement dans la stratégie décennale reviendrait « en réalité à demeurer à budget constant sur les dix prochaines années et davantage ». Actuellement, la Cour des Comptes estime qu’un Français sur deux nécessitant des soins palliatifs n’y a pas accès. C’est pourquoi cet amendement double les crédits prévus par la stratégie décennale.

L’article 2 portant sur la création des « maisons d’accompagnement » a été adopté malgré l’opposition des députés LR et RN, qui ont dénoncé des « maisons de la mort ». En effet, la ministre Catherine Vautrin avait précisé lors de l’examen en commission spéciale que « l’aide à mourir » pourrait y être pratiquée. Le député LR Marc Le Fur a évoqué l’effectif de médecin ETP (équivalent temps plein) donné dans l’étude d’impact, de 0,2 seulement, soit un jour par semaine, fustigeant ainsi l’absence de présence médicale dans ces établissements.

Néanmoins, un amendement du député socialiste Jérôme Guedj a été adopté contre l’avis du gouvernement et du rapporteur pour renommer ces établissements « maisons de soins palliatifs et d’accompagnement. » Par ailleurs, les députés ont confirmé que la création et la gestion de ces maisons serait réservée au secteur non lucratif en rejetant un amendement du rapporteur Didier Martin.

A l’article 4, les députés ont adopté un amendement du Gouvernement pour revenir sur la possibilité d’inscrire son choix en matière d’« aide à mourir » dans ses directives anticipées, dans l’hypothèse d’une perte de conscience irréversible. Cette disposition avait été ajoutée en commission spéciale, alors que parmi les critères retenus à l’article 6 pour recourir à « l’aide à mourir » figure l’aptitude « à manifester sa volonté de façon libre et éclairée ». 

La ministre Catherine Vautrin a rappelé la volonté du Gouvernement que le patient soit apte à manifester sa volonté « de manière libre et éclairée » « non seulement au moment où il demande l’aide à mourir, mais aussi tout au long de la procédure, jusqu’au moment où, le cas échéant, il y recourt. »

Les députés ont longuement débattu de l’article 5 qui définit « l’aide à mourir », jusqu’au jeudi 6 juin. Ils ont maintenu le principe que le patient s’administre lui-même la substance létale (suicide assisté). C’est seulement en cas d’incapacité physique que la substance létale pourrait être administrée par un tiers.

Comme il était attendu, le Gouvernement a tenté par un amendement de remettre dans le texte la condition du « pronostic vital engagé à court ou moyen terme », remplacée en commission par la mention « en phase avancée ou terminale ». Pour cela, la ministre Catherine Vautrin a cité les avis du Conseil National de l’Ordre des Médecins et de l’Académie Nationale de Médecine.

Dans un communiqué du 3 juin, l’Académie Nationale de Médecine avait dénoncé le caractère « inadapté et dangereux » du qualificatif de « phase avancée », estimant qu’« une fois le pronostic vital effacé, il risque d’inclure les personnes atteintes d’une maladie, certes a priori incurable, mais avec laquelle il est possible de vivre longtemps ».

Néanmoins, des députés de tous bords, y compris du groupe Renaissance, ainsi que le rapporteur général Olivier Falorni ont manifesté une forte opposition à la réintroduction de la notion de « moyen terme », considérée comme indéfinissable. Finalement, c’est l’amendement de Géraldine Bannier (Modem) qui a été adopté, qui retient comme critère « une affection grave et incurable, qui engage son pronostic vital, en phase avancée ou terminale ».

En commission, le texte avait été modifié pour qu’une souffrance psychologique seule ne puisse pas donner accès à « l’aide à mourir ». Elle devait être subordonnée à une « souffrance physique ». En séance, les députés ont réinstauré la version initiale du texte, qui prévoit une « souffrance physique OU psychologique » liée à l’affection comme condition d’accès à « l’aide à mourir ».

NOTRE ANALYSE

Incontestablement, les députés ont travaillé sur une amélioration globale du premier volet du projet de loi en réintroduisant les soins palliatifs qui correspondent à une pratique définie et reconnue internationalement, à la différence des « soins d’accompagnement » qui ne renvoient à aucune définition scientifique. La création d’un « droit opposable », l’inscription d’une « loi de programmation » et le doublement des crédits de la stratégie décennale sont autant de dispositions qui doivent engager l’Etat dans un effort réel pour que tous les Français aient accès aux soins palliatifs.

On peut également se réjouir que la possibilité d’exprimer un choix en matière d’« aide à mourir » dans les directives anticipées ait été retirée du texte, même si le débat reviendra naturellement lors de l’examen du deuxième volet sur « l’aide à mourir ».

A une voix près, les députés ont fait le choix de préserver les proches en les excluant de l’administration de la substance létale, qui incombera néanmoins à un médecin ou à un infirmier en cas d’incapacité physique.

L’examen des conditions d’accès à « l’aide à mourir » par les députés aboutit à un dispositif très élargi  :

  • Condition d’un pronostic vital engagé mais sans horizon temporel
  • Souffrance physique OU psychologique.

La nouvelle copie en cours d’élaboration ne correspond plus au projet du Gouvernement, impuissant à faire adopter ses amendements. Ces débats montrent bien l’impossibilité à établir un cadre strict à partir du moment où on légalise le suicide assisté ou l’euthanasie.

NOTRE COUP DE COEUR 

Deux tribunes marquantes sont parues cette semaine dans Le Figaro pour exprimer l’inquiétude de personnes malades ou en situation de handicap et de leur proches :

  • Dans une tribune publiée le 4 juin, des parents de personnes porteuses d’un handicap mental demandent l’interdiction explicite de l’euthanasie et du suicide assisté pour les personnes touchées par une déficience intellectuelle.
  • Le 7 juin, Caroline Brandicourt (porte-parole de Soulager mais pas tuer) et Isabelle Mordant ont alerté sur le risque que les malades qui souffrent soient condamnés par la loi sur la fin de vie, en l’absence de soins palliatifs accessibles partout.

NOTRE COUP DE GUEULE

L’amendement de la députée LR Annie Genevard, qui proposait d’interdire le don d’organe d’une personne ayant eu accès à « l’aide à mourir » afin d’éviter qu’un tel don puisse inciter à une forme de mort administrée altruiste, a été rejeté, au motif qu’il créerait une rupture d’égalité entre les citoyens – dont le don d’organe est par principe présumé – et « un frein supplémentaire à l’aide à mourir ».

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