Affaire Karsai c. Hongrie : la CEDH juge qu’il n’y a pas de droit au suicide assisté

14/06/2024

Affaire Karsai c. Hongrie : la CEDH juge qu’il n’y a pas de droit au suicide assisté

 

La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a jugé que la Hongrie ne contrevenait pas à la Convention européenne des droits de l’homme en interdisant le suicide assisté ou l’euthanasie, ainsi que l’assistance pour le faire dans un pays étranger.

Compte tenu de sa situation de maladie avancée, le cas a été traité en urgence après que le recours a été engagé en août 2023.

Le requérant alléguait que l’interdiction de mort assistée violait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (droit à la vie privée et la vie de famille) et l’article 14 relatif à l’interdiction de discrimination. Il soutenait être discriminé par rapport aux personnes en phase terminale qui peuvent demander l’arrêt de leurs traitements.

D’autre part, il s’est plaint que sa maladie allait le contraindre à être enfermé dans son corps alors qu’il était pleinement conscient ce qui pourrait relever de l’article 3 de la Convention qui interdit les traitements inhumains et dégradants. Il a aussi invoqué une atteinte à l’article 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) dans la mesure où la possibilité de « mourir dans la dignité » faisait partie de ses croyances religieuses et philosophiques.

Dans son jugement, La Cour précise dès le début que l’article 2 (Droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’Homme n’empêche par les autorités d’un Etat de légaliser l’assistance au suicide s’il met en place des mesures suffisantes pour empêcher les abus. Cependant la légalisation d’une mort assistée implique des conséquences sociales importantes et des risques d’abus et d’erreur d’appréciation. La mise à disposition de soins palliatifs de qualité, incluant un contrôle de la douleur efficace, sont des conditions essentielles pour assurer une fin de vie digne.

En l’occurrence dans le cas présent, la Cour a estimé que l’affaire soulevait des questions morales, éthiques et politiques délicates pour lesquelles les autorités nationales étaient mieux placées pour évaluer les priorités et l’utilisation des ressources et des besoins sociaux, notamment la mise à disposition de soins palliatifs et de moyens propres à soulager les patients dans la même situation comme la sédation palliative.

Karsai n’a pas contesté le fait qu’il avait à sa disposition des soins palliatifs mais que si on lui proposait une sédation terminale pour le soulager il perdrait ce qui lui reste d’autonomie. Tout en reconnaissant la légitimité de son choix personnel, les juges ont conclu que cela ne pouvait en aucun cas obliger les autorités hongroises à proposer l’assistance au suicide ou l’euthanasie.

D’autre part, ils ont jugé qu’il n’y avait rien d’excessif dans le fait que l’interdiction de l’assistance au suicide s’applique également à ceux commis à l’étranger arguant que cela conduirait à la création d’une exception au droit pénal hongrois.

 

Non violation des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme

Compte tenu de ces éléments et du large pouvoir discrétionnaire de l’État dans ce domaine, la Cour juge que l’interdiction du suicide assisté ou de l’euthanasie n’est pas disproportionnée et qu’il n’y a pas de violation de l’article 8.

Concernant l’article 14, la Cour a souligné que refuser ou demander l’arrêt d’un traitement médical ne relevait pas de la même situation que le suicide assisté. Il s’agit d’interventions largement reconnues par la profession médicale et également inscrites dans la convention d’Oviedo relative à la biomédecine. La différence de traitement est donc justifiée et ne relève pas de la violation de l’article 14 conjointement avec l’article 8 de la Convention.

Enfin de manière unanime les références à l’article 3 et 9 ont été rejetées car manifestement non fondées.

 

« Pas de droit au suicide assisté et à l’euthanasie », mais des ambiguïtés

Le jugement a été adopté à une grande majorité de six voix contre une. Le requérant pourrait cependant saisir la Grande chambre.

Ce jugement rappelle qu’un pays ne peut être dans l’obligation de légiférer sur le suicide assisté ou l’euthanasie. En cela la Cour européenne reconnait une large marge de manœuvre aux Etats pour se doter des moyens pour protéger et accompagner dignement les personnes jusqu’à la mort.

Cependant les juges font planer l’ambigüité quand ils précisent que « Néanmoins, la Convention doit être interprétée et appliquée à la lumière des conditions actuelles. Il convient donc de surveiller le besoin de mesures juridiques adéquates, en tenant compte de l’évolution des sociétés européennes et des normes internationales en matière d’éthique médicale dans ce domaine. » Ils font référence aux quelques Etats-membres du Conseil de l’Europe qui ont légalisé l’euthanasie ou le suicide assisté ces dernières années.

En ne se positionnant pas sur la question du « droit à la vie » qui figure à l’article 2 de la Convention, la Cour ne condamne ni n’approuve la légalisation en soi de ces pratiques. Cette interprétation abusive par la Cour du droit à la vie a été contestée par le juge Wojtyczek.

Il souligne que, « La convention appelle à une interprétation littérale stricte et exclut l’insertion d’exceptions supplémentaires par interprétation dynamique. » Il rappelle que le jugement indique au paragraphe 141 que « il convient de se référer, dans le cadre de l’examen d’une éventuelle violation de l’article 8, à l’article 2 de la Convention, ce qui crée pour les autorités un devoir de protéger les personnes vulnérables, même contre des actions par lesquelles elles mettent en danger leur propres vies… » en précisant que cette obligation englobe la protection contre le suicide assisté et l’euthanasie.

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