I. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’une technique de sélection des embryons. Ce diagnostic biologique est mené in vitro avant leur éventuel transfert dans l’utérus. Il peut permettre de détecter des anomalies génétiques et chromosomiques. Le DPI implique de facto une fécondation in vitro (FIV) pour concevoir les embryons, et donc le prélèvement et la conservation en amont des gamètes (sperme et ovocyte) des parents. Le passage par un parcours PMA (stimulation et ponction ovarienne, FIV…) est inévitable.
Cette technique, autorisée depuis 1994, se pratique à partir de cellules prélevées directement sur l’embryon, quelques jours après la fécondation, avant ou après une période de congélation. Malgré ce prélèvement, l’embryon va continuer son développement
En 2021, 305 enfants sont nés vivants (issus de 290 accouchements) à la suite d’un DPI. Pour avoir un ordre d’idées sur l’évolution du recours au DPI, c’est 6 fois plus qu’en 2007, où 50 enfants étaient nés à la suite de sa mise en œuvre.
A. Qui est concerné par le DPI ?
En France, le DPI s’inscrit principalement dans un contexte d’antécédents personnels ou familiaux. Son accès pour des personnes souhaitant devenir parent est autorisé à titre exceptionnel dans certaines conditions :
- Quand il est avéré que le couple (ou la femme non mariée demandant à avoir accès à une PMA incluant un don de sperme anonyme), du fait de sa situation familiale, a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic.
- Si l’anomalie ou les anomalies génétiques responsables de la maladie ont été préalablement et précisément identifiées, chez l’un des parents ou l’un de ses ascendants immédiats (en cas de maladie gravement invalidante à révélation tardive et mettant prématurément en jeu le pronostic vital).
- Le diagnostic ne peut avoir d’autre objet que de rechercher cette affection ainsi que les moyens de la prévenir et de la traiter.
Pour faire simple, si le recours au DPI est autorisé pour un couple qui a déjà eu un enfant porteur d’une maladie, ce diagnostic ne pourra être utilisé que pour rechercher la présence ou non de cette pathologie précise dans les embryons et pas pour d’autres indications.
B. Quel devenir pour les embryons ayant subi un DPI ?
Si l’embryon est exempt de la pathologie recherchée, il peut être décidé qu’il soit implanté dans l’utérus ou qu’il soit congelé pour être implanté plus tard. Si l’anomalie ou les anomalies sont retrouvées sur un embryon, il est détruit ou le couple ou la femme peuvent consentir à ce que celui-ci soit donné à la recherche.
C. Quelles sont les indications rendant le DPI autorisé et possible ?
L’Agence de la biomédecine met à disposition une liste des indications disponibles pour un diagnostic préimplantatoire en France. Au total en 2021, ce sont 403 maladies génétiques différentes qui ont bénéficié d’une mise au point technique diagnostique en vue de DPI. Evidemment, ce nombre augmente chaque année, dès lors que des anomalies deviennent détectables et identifiées. Parmi les pathologies les plus recherchées, on retrouve la mucoviscidose, la maladie de Huntington, le syndrome de l’X fragile, la drépanocytose, certaines dystrophies musculaires…
II. Le recours au DPI en France en quelques chiffres
Chaque demande de DPI est examinée par un Centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN). 1366 demandes ont été examinées en 2021 (derniers chiffres de l’ABM disponibles). Ce nombre est supérieur aux années précédentes (en 2017, c’était 1018. En 2015, 766).
En 2021, 869 demandes ont été acceptées. C’est donc un peu moins de deux tiers des demandes (63,6 %) à l’échelon national qui sont donc reconnues comme éligibles au DPI. Ce taux, lui, est en baisse régulière. Ainsi, en moyenne, il y a plus de demandeurs mais moins de demandes acceptables. On note aussi une forte disparité selon les centres. Nantes rapporte un taux d’acceptation de 81,2% quand celui de Paris affiche 52%.
III. Le cas particulier du Double DPI : le DPI-HLA, technique dite du « bébé médicament »
La technique du bébé médicament, appelé aussi parfois « bébé double espoir » requiert la fabrication d’un très grand nombre d’embryons in vitro, suivie d’un double tri. Elle consiste à réaliser un double diagnostic. D’abord, pour sélectionner les embryons exempts d’une pathologie donnée (dont souffre un enfant du couple). Ensuite, parmi ces embryons, on vérifie s’ils sont ou non immunologiquement compatibles avec l’enfant déjà là. D’où le sigle HLA accolé à DPI. HLA signifie : “human leucocyte antigen” – ou complexe majeur d’histocompatibilité en français – et contient une partie importante du système immunitaire humain.
Par la suite, si un embryon sain et compatible a été conçu, il sera ensuite implanté dans l’utérus de la mère. En cas de naissance de l’enfant, il sera procédé au prélèvement de cellules souches sur ce « bébé médicament », d’abord dans le sang placentaire ou, plus tard, dans sa moelle osseuse, pour être administré à l’ainé malade. La probabilité de disposer d’un embryon à la fois sain et compatible est très faible (de l’ordre de 10%). Couplées au taux d’échec important classique en PMA, les chances de succès de grossesse sont donc minimes.
Par ailleurs, les progrès réalisés dans la collecte, le stockage et le don de sang de cordon permettent de répondre de manière éthique à ce type de besoin thérapeutique, rendant la technique du DPI-HLA encore plus irrecevable. Aujourd’hui, la probabilité de trouver un donneur compatible s’accroît d’année en année grâce au réseau de solidarité tissé par les registres à travers le monde. Aujourd’hui, la greffe de sang de cordon est une pratique installée et représente environ 8% du total des greffes de cellules souches hématopoïétiques en France (cette proportion s’élève à 27% des greffes chez les enfants).
Cette technique pose de graves problèmes éthiques et moraux. Elle envisage la naissance d’un enfant, non comme une fin en soi, mais comme un moyen. Le fait de rejeter des embryons sains (mais non‐HLA compatibles) indique que l’enfant à venir n’est pas d’abord voulu pour lui‐même, mais bien pour un autre. Cette technique peut donner de faux espoirs aux parents.
Par ailleurs, il est difficile d’imaginer le poids psychologique que ce bébé va porter face au rôle qu’on lui impose : être le sauveur de son frère ou de sa sœur. Quel impact sur la construction de sa personnalité ? Savoir qu’on doit son existence à l’aboutissement d’un tri, dont la finalité est de sauver autrui, n’est pas neutre. S’ajoute la possibilité que les prélèvements de moelle se réitèrent au cours de sa vie. Et en cas d’échec thérapeutique de la greffe, comment le vivra-t-il, et sa famille avec lui ?
Umut-Talha, le premier « bébé médicament » français, est né en 2011, conçu afin de guérir sa sœur atteinte de bêta-thalassémie, une maladie génétique due à une anomalie de l’hémoglobine. Par la suite, les demandes ont toujours été rarissimes, seulement 38 entre 2006 et 2014. L’hôpital Béclère, le seul à avoir pratiqué le DPI-HLA, avait même cessé depuis 2014 cette activité longue et lourde, tant pour les couples que pour l’équipe médicale. C’est une technique peu proposée, peu demandée et peu réalisée.
Dans la nouvelle loi bioéthique adoptée par le parlement en 2021, cette disposition a pourtant été maintenue bien que des députés aient essayé de la retirer. Certaines conditions ont même été assouplies. En effet, la loi de 2021 ne prévoit plus que tous les embryons sains conservés d’un couple soient implantés avant d’envisager une nouvelle tentative de FIV (article L 1231-4 du Code de la Santé Publique) en vue de réaliser un double DPI, ce que la loi exigeait auparavant.
IV. Quels enjeux autour du DPI ?
Dans certains pays, comme aux Etats-Unis, le DPI est déjà utilisé pour sélectionner les embryons en fonction de leur sexe, sur des critères esthétiques (couleur des yeux) et même pour choisir des embryons porteurs de handicap. Un marché s’est créé autour de cette « prestation » eugénique. Par ailleurs, une enquête révèle que 3 % des parents atteint de surdité d’origine génétique ont choisi d’avoir intentionnellement recours aux FIV-DPI pour choisir un embryon porteur, lui aussi, de surdité. Les parents souhaitent transmettre leur handicap en héritage, pour que leur enfant partage les mêmes moyens de communication.
Actuellement en France, le cadre du DPI se limite aux seules anomalies héréditaires, d’une particulière gravité et incurables au moment du diagnostic. Mais la logique inhérente à cette technique repose en elle-même sur la sélection embryonnaire. Déjà, certains souhaitent obtenir une extension des indications, notamment pour l’ouvrir à d’autres qui ne sont pas des maladies génétiques héréditaires. Notamment à ce qu’on appelle le DPI-A (A pour aneuploïdie, qui signifie un nombre anomal de chromosome, c’est le cas des trisomies).
En France, il y a de fortes pressions menées pour généraliser de plus en plus ce tri. Un glissement vers un DPI pour TOUT et pour TOUS, derrière un mythe grandissant de quête du « bébé parfait ». Le glissement est largement amorcé. D’abord, on autorise ces tests seulement pour traquer des maladies très graves. Puis des moins graves. Puis, de simples prédispositions…
Lorsque les embryons sont conçus in vitro, par FIV, dans le cadre d’un cycle de PMA qui concerne les couples qui souffrent d’infertilité, ces embryons sont en quelque sorte à la disposition des biologistes. Certains plaident pour que ces embryons soient vérifiés avant implantation. La logique mécanique et techniciste est en place. Puisque la technique est à disposition, pourquoi ne pas l’utiliser ? Et ainsi, éviter de garder et d’implanter des embryons éventuellement porteurs de trisomie, par exemple, car celle-ci, qui serait détectée par la suite pendant la grossesse, pourrait conduire à une IMG, plus traumatisante pour la femme enceinte et le personnel médical.
Ainsi, le glissement vers un eugénisme technologique et consensuel n’a jamais été aussi prégnant. Les enjeux éthiques sont immenses : il s’agirait d’une rupture assumée vers une forme de contrôle qualité de l’embryon, en l’absence de tout risque identifié. Quelles seraient par exemple les trisomies éligibles au test ? Qui passerait le tamis de la sélection ?
Enfin, le DPI n’est pas un diagnostic immuable. Il y a des risques de faux positifs autant que de faux négatifs. Il peut aussi exister des cas d’embryons mosaïques, où coexistent au sein d’un même embryon des cellules qui donneront des résultats diagnostics différents.
Derrière cette technique du DPI se jouent de réels enjeux d’humanité : celui de la manière dont une société considère l’enfantement, l’accueil de l’enfant. Et celui du regard posé sur la procréation humaine, soumise de plus en plus aux pressions de la technique et du marché et à la loi du plus fort. Celui, au fond, de refuser de soumettre la vie aux biotechnologies.