Décodeur #3 : l’Assemblée nationale adopte un « droit opposable » au recours aux soins palliatifs
L’EVENEMENT
Depuis lundi 27 mai 2024, les députés ont commencé à examiner le projet de loi sur l’accompagnement des malades et la fin de vie en séance publique. Le texte contient deux volets.
- Le premier volet (Titre Ier) vise à renforcer les « soins d’accompagnement », les soins palliatifs et les droits des malades.
- Le deuxième volet (Titre II) ouvre la possibilité d’une « aide à mourir », c’est-à-dire une assistance au suicide ou une euthanasie.
Les députés ont achevé l’examen de l’article 1 mercredi 29 mai, cherchant à apporter des garanties plus fortes sur l’accès aux soins palliatifs. Puis ils ont entériné le principe d’un « droit opposable » aux soins palliatifs (article 1er bis) et instauré une « loi de programmation pour les soins palliatifs », contre l’avis du gouvernement.
LE CHIFFRE
3360 amendements ont été déposés pour l’examen en séance publique.
RÉSUMÉ DES DÉBATS DES TROIS PREMIERS JOURS
Par de nombreux amendements issus de gauche ou de droite, les députés ont voulu améliorer l’accès aux soins palliatifs et lutter contre les inégalités territoriales. Ainsi un amendement complète le titre Ier de la mention « partout sur le territoire ». Au sein de l’article 1er, des amendements ont ajouté les mots « garantir » et « garantis » dans le texte. Selon la nouvelle rédaction, les soins palliatifs et d’accompagnement ont pour objet de « garantir une prise en charge globale et de proximité de la personne malade. »
L’amendement du député communiste Pierre Dharréville clarifie le contenu des soins d’accompagnement, qui désignent les soins palliatifs et les « soins de support et de confort », répondant aux besoins physiques, psychologiques sociaux et spirituels de la personne.
Plusieurs amendements renforcent également le soutien des proches, comme l’amendement de Julie Delpech (Renaissance) qui ajoute un « soutien psychologique et social » ou l’amendement du député LIOT Laurent Panifous qui prévoit un soutien de l’entourage après le décès. Parmi les autres ajouts, les structures spécialisées dans la douleur chronique devront être associées à l’accompagnement des malades, un référent sera nommé dans chaque service des établissements publics de santé, et un livret d’information devra être remis à chaque patient.
L’article 1, considérablement renforcé et enrichi, a ainsi été adopté mercredi après-midi, avec 123 voix pour et 55 contre. Les députés des groupes LR et RN ont majoritairement voté contre cet article 1, estimant que les soins d’accompagnement ont un contenu flou qui pourrait contenir « l’aide à mourir », en l’absence de clarification. Un amendement de Christophe Bentz, député RN, qui proposait d’exclure explicitement l’euthanasie et le suicide assisté des soins d’accompagnement, a été rejeté.
Après avoir ajouté dans le texte une préconisation du rapport Chauvin sur la structuration d’organisations territoriales mettant en œuvre les soins d’accompagnement, les députés ont débattu sur l’article additionnel instaurant un « droit opposable » aux soins palliatifs, comme il existe un droit opposable pour le logement. Cet article crée la possibilité d’un recours devant une juridiction administrative si la personne « dont l’état de santé le requiert » et « qui a demandé à bénéficier de soins palliatifs » n’a pas reçu « une offre de prise en charge palliative. » Un amendement du député MoDem Nicolas Turquois proposait de le supprimer.
La ministre Catherine Vautrin et le rapporteur Didier Martin étaient favorables à cette suppression, invoquant les délais des tribunaux peu compatibles avec l’état des personnes en fin de vie. Finalement, contre l’avis du gouvernement et du rapporteur, les députés ont rejeté cet amendement et adopté l’article additionnel, avec le soutien de certains députés Renaissance.
Par deux amendements, l’un du député LR Thibault Bazin, l’autre du député socialiste Jérôme Guedj, les députés ont également inscrit dans la loi le principe d’une « loi de programmation pour les soins palliatifs ». Thibault Bazin a expliqué que le projet de loi actuel ne précise à aucun endroit les moyens budgétaires pour développer l’offre de soins palliatifs, et que seule une loi de programmation permettrait « à l’État de prendre des engagements budgétaires sur plusieurs années », comme il en existe en matière de défense et de justice.
Le gouvernement et le rapporteur se sont opposés à cette loi de programmation. Catherine Vautrin a objecté que « les lois de programmation ne concernent que les crédits de l’État et pas ceux de l’assurance maladie. » Selon elle, c’est le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), voté chaque année, qui doit fixer le budget de l’action sanitaire et sociale. Les députés ont finalement adopté ces deux amendements, avec le soutien, encore une fois, de quelques députés Renaissance.
NOTRE ANALYSE
Malgré tous les efforts des députés pour apporter des garanties plus fortes sur l’accès aux soins palliatifs dans l’article 1, la notion de « soins d’accompagnement » introduite dans cet article reste floue. Le gouvernement s’est opposé à l’amendement qui proposait d’expliciter que ces soins d’accompagnement excluaient l’euthanasie et le suicide assisté.
Dès lors, on comprend que l’intention est de faire de « l’aide à mourir » un soin, intégré dans un continuum avec les soins palliatifs, alors que l’euthanasie ou l’assistance au suicide sont clairement incompatibles avec les soins palliatifs et dénaturent complètement la relation de confiance entre le médecin et le patient en levant l’interdit de tuer. La ministre a d’ailleurs reconnu que l’euthanasie et le suicide assisté pourraient être pratiqués dans les « maisons d’accompagnement » créées à l’article 2 du projet de loi.
En réalité, le texte prévoit que « l’aide à mourir » puisse être pratiquée partout, à domicile comme dans les EHPAD et les établissements de santé, y compris dans les services de soins palliatifs.
Catherine Vautrin a régulièrement voulu rassurer sur la volonté réelle du gouvernement de donner accès à tous les Français aux soins palliatifs, notamment par la présentation de sa stratégie décennale des soins d’accompagnement. Pourtant, le gouvernement a voulu supprimer du texte le principe du « droit opposable » aux soins palliatifs. Un député de la majorité, Philippe Vigier (MoDem), a même argué, reconnaissant ainsi l’impuissance actuelle du système de santé : « Avez-vous pensé, ne serait-ce qu’une seconde, à ce que nous devrions faire si un droit opposable aux soins palliatifs était instauré ? Il faudrait créer un droit opposable aux consultations médicales, à l’accès aux soins ! Mais enfin, avez-vous vu la situation du pays ? »
Le gouvernement s’est également opposé à l’instauration d’une loi de programmation, qui aurait permis à l’Etat de prendre des engagements budgétaires. La stratégie décennale ne serait-elle donc qu’une opération de communication ? Le texte actuel ne prévoit pas de dispositions budgétaires et seule une loi de programmation est susceptible de les apporter. Dès lors, on peut vraiment se demander si le premier volet du projet de loi sur les « soins d’accompagnement » ne serait pas l’excipient pour faire accepter le second volet sur « l’aide à mourir », comme l’ont rappelé plusieurs députés.
En septembre dernier, des députés de tous bords avaient demandé dans une tribune que le projet de loi soit scindé en deux afin de dissocier « l’aide à mourir » des soins palliatifs ».
Les débats sur la loi de programmation ont été l’occasion d’interroger la ministre Catherine Vautrin sur la loi de programmation du grand âge, prévue dans la loi sur le « bien-vieillir » et promise en novembre 2023 par l’ancienne Première Ministre Elisabeth Borne, pour une adoption annoncée avant la fin de l’année 2024. En janvier dernier, Catherine Vautrin avait déclaré avoir saisi le Conseil d’Etat à ce sujet en raison d’une difficulté constitutionnelle.
Lors des débats animés mercredi soir, la ministre a avoué que le secrétariat général du Gouvernement n’avait jamais transmis cette saisine au Conseil d’Etat, suscitant un émoi général dans l’hémicycle. Non seulement le gouvernement n’est pas capable de prendre des engagements budgétaires sur les soins palliatifs, mais il n’a pas tenu non plus sa promesse sur le grand âge. Dans ce contexte, les députés de droite comme de gauche ont exprimé leur inquiétude quant à la légalisation d’une « aide à mourir » qui pourrait devenir la seule issue en l’absence d’accès aux soins.
NOTRE COUP DE COEUR
Au début de l’examen du texte, Pierre Dharréville, député communiste des Bouches-du-Rhône, a exprimé dans un vibrant discours les raisons de son opposition au projet de loi :
« À partir de quand une vie ne vaut-elle plus d’être vécue ? À partir de quand la société peut-elle se permettre d’en décider, d’en donner acte ? Comme si la dignité se faisait la malle parce que l’on est trop malade, trop handicapé, trop diminué. Il faut proclamer l’égale dignité des personnes humaines quel que soit leur état de santé. Changer de regard. »
NOTRE COUP DE GUEULE
La ministre a avoué lors des débats que sa prétendue saisie du Conseil d’Etat sur la loi de programmation du grand âge n’a en réalité jamais été transmise…Cet aveu fragilise la confiance envers le gouvernement et interroge sur volonté d’accompagner dignement le grand âge, alors que le projet de loi sur « l’aide à mourir », lui, ne connaît pas de retard.
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